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Dans mon chapeau...
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30 juin 2009

Un pastiche plutôt réussi

18675043"The Good German" de Steven Soderbergh,
avec Cate Blanchett, George Clooney et Tobey Maguire

Steven Soderbergh a décidément la patte pour réaliser des films alliant en un juste dosage une histoire prenante et une vraie recherche formelle. Bref, c'est un maître ès cinéma populaire de qualité, et il le prouve une fois de plus avec ce film sorti en 2006 mais que je viens tout juste de découvrir à l'occasion de sa diffusion sur la RTBF, la semaine dernière.

A l'été 1945, la guerre se poursuit encore dans le Pacifique, mais l'Allemagne a capitulé et Berlin est désormais divisée en quatre zones d'occupation. Ce sont les grands jours du marché noir où les fortunes se font et se défont. Et c'est le temps des premiers procès en dénazification. Dans le rôle d'un journaliste américain, George Clooney retrouve ainsi une ville - où il avait vécu avant la guerre - complètement métamorphosée, tout comme Lena Brandt qu'il avait aimé en ces années qui paraissent à présent si lointaines.

Filmé en noir et blanc, "The Good German" s'ouvre comme un polar et se termine comme un film d'espionnage où des secrets d'état peu reluisants prêtent corps à un sentiment de culpabilité à la fois individuel et collectif, Steven Soderbergh nous offrant avec ce film un pastiche plutôt réussi des grands films noirs des années 1940, tel "Le troisième homme" de Carol Reed. Cela ne renouvelle certes pas un genre qui a fourni son lot de chefs-d'oeuvre, mais c'est vraiment un très bon moment de cinéma.

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29 septembre 2009

Le mausolée des rois de Suède - Carnet de Stockholm (4)

IMG_1360r"Riddarholmskyrkan",
Gamla Stan, Stockholm

Sous le regard de la statue de Birger Jarl, fondateur de Stockholm,  "Riddarholmskyrkan", ancienne église abbatiale du XIIIème siècle, dresse sur l'île de Riddarholmen, un peu à l'écart des rues les plus animées de Gamla Stan, sa tour de briques surmontée d'une flèche néo-gothique, véritable dentelle de fer aisément reconnaissable. Ici, loin des boutiques et des restaurants, c'est une oasis de silence et de tranquillité car la présence des tombeaux des rois de Suède - depuis Gustave Vasa jusqu'à Gustave V Bernadotte qui fut le dernier à y être inhumé, en 1950 - suffit à inciter les visiteurs à baisser la voix...

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Riddarholmskyrkan, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

23 mars 2010

L'habitat suédois au fil des âges - Carnet de Stockholm (15)

44448632"Skansen",
Djurgården, Stockholm

Visiter Skansen par un beau dimanche ensoleillé de septembre, c'est s'exposer à entrer à tout moment en collision avec une petite tête blonde dissimulée derrière une énorme barbe à papa ou un cornet de glace dégoulinant. Car par un beau dimanche de fin d'été, Skansen est un lieu de sortie privilégié des familles suédoises, mélange d'excursion éducative (un peu) et de kermesse populaire (beaucoup).

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Maisonnette provenant du quartier de Södermalm, Parc de Skansen, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

Mais les touristes de passage à Stockholm y trouveront aussi, sans quitter la ville, un avant-goût de la campagne suédoise, de ses fermes traditionnelles et de ses petites églises en bois. Car le parc de Skansen, fondé en 1891 par Artur Hazelius, est avant tout un musée en plein air s'attachant à retracer cinq siècles d'histoire de l'habitat suédois en préservant pour les générations futures des écoles, des fermes, des ateliers d'artisans, bref des maisons des plus modestes (telle cette maisonnette au toit gazonné que l'on pouvait trouver dès le début du XVIIIème siècle et jusque dans les années 1920 dans le faubourg de Södermalm) aux plus prestigieuses et chargées d'histoire, à l'exemple de ce pavillon ornant le jardin du philosophe et théologien Emmanuel Swedenborg qui s'y installait pour écrire pendant les beaux jours.

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Pavillon d'Emmanuel Swedenborg, Parc de Skansen, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

Le site du musée de Skansen.

30 novembre 2010

(Auto)portrait d’un petit vaurien, ou plutôt de sa famille

"Un enfant" de Thomas Bernhard41XVTMVX7BL__SL500_AA300_
4 étoiles

Gallimard/Folio, 2003, 153 pages, isbn 2070388379

(traduit de l’Allemand par Albert Kohn)

Ouvrant "Un enfant" par le récit d'un des exploits les plus marquants de ses huit ans – une escapade sur la bicyclette de son beau-père, bicyclette irrémédiablement endommagée dans l'aventure -, Thomas Bernhard entame ce dernier titre d'une série de cinq livres autobiographiques par ce qui pourrait bien passer par son autoportrait en jeune vaurien, dont le premier et peut-être bien le pire des crimes reste sa naissance illégitime. A cette naissance cachée aux Pays-Bas, et au poids que celle-ci fit toujours peser sur ses relations avec sa mère, Thomas Bernhard consacre d'ailleurs ici des pages aussi belles que douloureuses.

Mais par-delà ses souvenirs d'une enfance turbulente, indisciplinée et très, très solitaire, il nous livre avant tout le portrait d'une famille – sa famille maternelle - divisée entre ses aspirations à la prospérité et à la respectabilité d'une part, et d'autre part l'esprit libertaire qui animait ses grands-parents et tout particulièrement son grand-père, athée, anarchiste et misanthrope, l'écrivain Johannes Freumbichler. Une déchirure qui fut jusqu'à s'incarner dans le paysage environnant, alors que la famille de Thomas Bernhard s'était installée en Bavière, Thomas vivant, avec sa mère et son beau-père, dans la petite ville de Traunstein tandis que ses grands-parents s'étaient établis à Ettendorf: "Traunstein, en bas, est situé sur une colline de moraine mais Ettendorf est situé encore beaucoup plus haut; de la montagne de la Sagesse, on abaissait pour ainsi dire les regards sur les bas-fonds de la petite-bourgeoisie, dans laquelle, comme mon grand-père disait infatigablement le catholicisme brandissait son sceptre stupide. Ce qui était au-dessous d’Ettendorf ne méritait que le mépris. Le petit esprit des affaires, le petit esprit en général, la bassesse et la sottise. Stupides comme des moutons les petits boutiquiers se groupent autour de l’église et se tuent à bêler jour après jour. Rien n’était plus répugnant que la petite ville et précisément une petite ville du genre de Traunstein était ce qu’il y avait de plus écoeurant." (pp. 30-31)

Traunstein, c'est aussi l'école, que Thomas déteste, et ce qui est pire encore, dans l'Allemagne de la fin des années 1930, les séances obligatoires d'entraînement du Jungvolk, l'équivalent pour les enfants des jeunesses hitlériennes. Par contraste, les moments que le jeune garçon passe avec son grand-père dont les opinions bien tranchées l'influencèrent durablement, et leurs promenades qui "n’étaient constamment pas autre chose qu’histoire naturelle, que philosophie, mathématiques, géométrie, pas autre chose qu’un enseignement qui remplissait de bonheur." (p. 77), n'apparaissent que plus lumineux, des instants de répit sans lesquels Thomas Bernhard n'aurait peut-être – du moins le pensait-il - pas résisté à la barbarie ambiante de cette période. Ce sont à vrai dire les rares points lumineux dans la longue coulée verbale qu'est "Un enfant" dont le texte s'étire en un seul et unique paragraphe sur plus de 150 pages. Un récit souvent âpre et dur qui, sans nul doute, en dit long, très long, sur son auteur, son goût de la solitude et sa détestation de ce qu'il désignait sous le nom d'esprit petit-bourgeois.

Extrait:

"J’avais atteint un échelon dangereux de ma carrière de criminel. J’avais démoli la précieuse bicyclette, sali et déchiré mes vêtements, trahi de la façon la plus abjecte toute la confiance mise en moi. Le mot de repentir, instantanément je le trouvai déplacé. Tout en poussant mon vélo à travers l’Enfer, je calculais et recalculais tout sans cesse du commencement à la fin, j’additionnais, divisais, soustrayais, le verdict devait être effrayant. Le mot impardonnable marquait constamment ces pensées. A quoi cela servait-il que je pleure et que je me maudisse? J’aimais ma mère mais je n’étais pas pour elle un fils chéri, rien n’était simple avec moi, tout ce qu’il y avait de compliqué de mon côté était au-dessus de ses forces. J’étais cruel, j’étais abject, j’étais sournois et, c’est le pire, j’avais été fait ni vu ni connu. Quand je pensais à moi-même, j’étais rempli de dégoût." (pp. 17-18)

D'autres livres de Thomas Bernhard, dans mon chapeau: "Avant la retraite", "Maîtres anciens", "Le naufragé" et "Des arbres à abattre".

Thomas Bernhard était l'auteur des mois d'octobre et novembre sur Lecture/Ecriture.

14 avril 2011

Une savoureuse relecture de l'Odyssée!

18778794_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20070621_054326"O'Brother, Where Art Thou?" d'Ethan et Joel Coen,
avec George Clooney, John Turturro, Tim Blake Nelson
et Holly Hunter

On le savait depuis Faulkner (et un peu grâce à André Malraux), le Sud Profond des Etats-Unis et la tragédie grecque font plutôt bon ménage. Avec "O'Brother...", libre transposition de l'Odyssée d'Homère dans le Mississippi de la Grande Dépression, l'on découvre que le poème épique s'accommode tout aussi bien de ce changement de décor.

Tout juste évadé du bagne, dans la société obligée de Pete et Delmar, ses deux compagnons de chaîne, Ulysses Everett McGill cherche à rejoindre son épouse, et il ferait bien de se dépêcher car sa Pénélope à lui n'est pas précisément en train de faire tapisserie... Mais las! Le pauvre - tout comme son homonyme de l'antiquité - n'est pas au bout de ses peines car les obstacles vont se multipliant sur sa route, du shériff qui a juré de le reprendre au Ku Klux Klan en passant par un braqueur de banque passablement givré. Défiant toute tentative de résumé, les nombreux rebondissements de ce délectable cru des frères Coen (année 2000) ont ceci de commun qu'ils sont tout aussi désopilants et savoureux les uns que les autres. Et si - quoique la chose soit peu probable - cela ne suffisait à faire votre bonheur, la bande-son, puisant largement dans le répertoire des chansons traditionnelles du Deep South, est un pur régal qui justifierait à lui seul le déplacement!

D'autres films d'Ethan et Joel Coen, dans mon chapeau: "Intolérable cruauté", "A serious man" et "Burn after reading".

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23 mai 2011

L'architecture néo-mauresque - Carnet marocain (1)

carnet_marocainLa wilaya de Casablanca

Construite entre 1927 et 1936 par Marius Boyer pour servir alors d'hôtel de ville, la wilaya (c'est-à-dire le siège de la préfecture, ou du gouvernement provincial) de Casablanca reste aujourd'hui un des beaux exemples de l'architecture art déco dont la ville - petite cité qui a véritablement commencé à se développer sous le protectorat français et notamment sous l'impulsion du maréchal Liautey - est si riche. Dominée par un campanile d'inspiration toscane, elle puise aussi aux sources de l'art arabo-andalou et des arts décoratifs traditionnels du Maroc.

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La wilaya, Casablanca (Cliché Fée Carabine)

Le carnet marocain

12 juillet 2011

Escroquerie sur la marchandise?

"L'herbe qui ne meurt pas (Au-delà de la montagne, tome 3)" de Yachar Kemal51CX5J39EVL__SL500_AA300_
½ étoiles

Gallimard, 1983, 396 pages, isbn 2070299317

(traduit du Turc par Munevver Andac)

Voici venu le temps d'une deuxième rencontre avec l'auteur des mois d'avril et mai 2011, qui celle-là se révélera parfaitement catastrophique...

Sans doute faut-il attribuer au prix du meilleur roman étranger, qui avait couronné ce livre lors de sa parution en France en 1978, le fait que "L'herbe qui ne meurt pas", troisième tome de la trilogie "Au-delà de la montagne", se retrouve dans les collections de la bibliothèque que je fréquente, sans les deux tomes qui devaient le précéder ("Le pilier" et "Terre de fer, ciel de cuivre"). Il m'a donc fallu en quelque sorte sauter dans le train en marche en entamant ma lecture, mais ce fut pour m'apercevoir assez vite que cela ne posait guère de problèmes, tant les enjeux de ce livre sont simples, en fait: chaque été, les paysans du village de Yalak dans le Taurus sont obligés – pour gagner de quoi rembourser leurs dettes au terrible Adil Effendi - de se louer comme journalier dans la plaine de la Tchoukourova, pour la cueillette du coton. Et chaque été, ils traînent dans leur transhumance les divers griefs, les motifs de jalousie, les haines, les rancoeurs et les désirs de vengeance de la vie au village. "L'herbe qui ne meurt pas", c'est tout simplement cela: une histoire de vengeances (où le pluriel est significatif).

Voilà pour planter grossièrement le décor de ce billet qui sera sans doute le plus assassin de tous ceux que j'ai pu écrire en tout de même quelques années de critique (je n'aime pas trop ce mot, mais enfin gardons-le faute de mieux...) littéraire sur la toile. Et dont j'espère qu'il le restera, car rarement lecture m'a-t-elle à ce point ennuyée, énervée et finalement laissé complètement écoeurée!

Une lecture ennuyeuse, donc, pour commencer. Car je n'avais pas encore franchi le cap de la page 100 que je n'en pouvais déjà plus de m'entendre répéter jusqu'à plus soif que
- les champs de coton de la Tchoukourova étaient comme une steppe couverte de neige
- les chemins et les sentiers dessinaient dans la plaine une toile d'araignée
- le fleuve Djeyhan s'écoulait dans la plaine (sans bornes, forcément, et ressemblant à une steppe couverte de neige à cause des champs de coton, mais ça, je vous l'avais déjà dit...) comme un ruban d'argent en fusion, tandis que les aigles tournoyaient au-dessus des rochers de l'Anavarza
Et je vous épargne les métaphores suscitées par les hanches larges des femmes, tendant l'étoffe de leurs robes (comme quoi, autres lieux, autres canons de beauté féminine...), le parfum de la marjolaine, la chaleur écrasante, les moustiques etc, etc, etc... Inutile de compter sur quelque forme de suspense que ce soit pour soutenir l'intérêt, car la quatrième de couverture révèle en une petite page tout, absolument tout, de ce qui se passe tout au long de ces interminables 396 pages dont le reste n'est au fond que du remplissage: steppe couverte de neige, toile d'araignée, ruban d'argent et aigles tournant en rond. Inutile aussi de compter sur les personnages: les jérémiades de la souriante (sic) Gulbahar m'avaient déjà un tantinet agacée, mais que dire alors de Mémidik, mélange de bébé geignard, de crétin des Alpes et de brute épaisse, et de tous ses pays, qui n'ont au fond rien à lui envier. Bref, tout ça, c'est parfait, vraiment, pour tuer le temps, à supposer que ce soit ce que le lecteur souhaite, qu'il ne veuille vraiment rien de plus de ses heures passées à lire, car sinon, c'est bien le lecteur, pauvre de lui, qui risque de périr d'ennui!

J'en serais sans doute restée là - sur l'impression d'un ennui abyssal – si Yachar Kemal n'avait pas été notre auteur des mois d'avril et mai, et si un obscur sens du devoir ne m'avait pas poussée à continuer ma lecture malgré tout, non sans recourir à quelques trucs et astuces pour enrober cette amère pillule. Lire devant la télé allumée, intercaler une autre lecture entre deux chapîtres de cette herbe qui n'en finissait décidément pas de ne pas mourir, j'ai tout essayé, et c'est sans doute ce dernier procédé, et la compagnie – tellement plus intelligente, stimulante, agréable... tellement plus tout, en fait - de Nina Berberova, Francis Dannemark ou F. Scott Fitzgerald qui, par l'effet d'une comparaison devenue aussi inévitable qu'impitoyable, m'a fait passer de l'ennui à l'écoeurement pur et simple. Que ces 396 pages de médiocrité ronronnante aient pu se voir couronnées du prix du meilleur livre étranger passe ma compréhension. Que la quatrième de couverture tente de les vendre comme s'élevant "avec un inimitable naturel, aux dimensions de la légende" relève à mes yeux du mensonge éhonté. Et pour exprimer le fond de ma pensée, faut-il encore dire que le point d'interrogation dans l'intitulé de ce billet est purement rhétorique?

Extrait:

"«Et voilà, se dit-il. Quiconque viendra regarder à l'intérieur du puits pourra le voir... Et les gens ont coutume d'aller regarder dans les puits. Il n'est personne au monde qui n'aille aussitôt fourrer sa tête dans un puits. On s'y voit plus beau que dans un miroir et plus net.»
Mémidik regarda son propre visage, à côté de la tête au longues moustaches, tout au fond du puits. Un petit visage, gros comme le poing, brûlé par le soleil; les joues creuses, les yeux enfoncés dans les orbites. Son menton tressaillait.
«J'ai très peur, dit Mémidik à l'homme au fond du puits. Maudit sois-tu, tu ne me causes que des emmerdements. Que vais-je faire de toi? Où pourrais-je bien te transporter? Ils te trouveront partout où je t'emmènerai. Quoi que je fasse, ils sauront que je t'ai tué. Que vais-je faire de toi? Que pourrais-je bien faire? Dis-le moi donc, je t'en prie!»
Il se mit à pleurer. Et au fond du puits, son reflet pleurait aussi, la lèvre boudeuse comme celle d'un enfant, les yeux plissés. Et la tête aux grands yeux vitreux, aux longues moustaches, pleurait elle aussi." (pp. 97-98)

D'autres livres de Yachar Kemal, dans mon chapeau: "La légende du Mont Ararat" et "Tu écraseras le serpent"

4 octobre 2008

"Ne plus être le simple Alonzo Quijana"

Dans quelques jours - le 9 octobre - on commémorera le trentième anniversaire de la disparition de Jacques Brel, une célébration qui fournira le prétexte à de nombreuses évocations du Grand Jacques

  • en radio: Musiq'3 lui a consacré une grande partie de ses programmes de ce samedi 4 octobre, offrant l'occasion de découvrir chez Brel le musicien classique passionné par Ravel et Schubert, très attentif à l'orchestration de l'accompagnement de ses chansons et désireux d'y introduire des sonorités insolites, telles celles des ondes Martenot qu'il a utilisées par exemple dans "Ne me quitte pas" ou encore dans "Le plat pays".
  • en télévision, sur la Une RTBF, le 8 octobre à 23h30, un documentaire consacré à Brel, Brassens, Ferré, puis le 9 octobre à 20h20 "Quelque chose en nous de Jacques Brel".
  • et en librairie

album200_1966Mais en ce 4 octobre, on célèbre un autre anniversaire, touchant Jacques Brel de très près. C'est en effet le 4 octobre 1968 qu'a eu lieu au Théâtre Royal de la Monnaie, à Bruxelles, la création de "L'homme de la Mancha", adaptation française par Jacques Brel d'une comédie musicale américaine de Mitch Leigh et Dale Wasserman d'après le "Don Quichotte" de Miguel de Cervantes. Jacques Brel y tient le rôle-titre, accompagné notamment de Dario Moreno (Sancho). Je n'étais pas née alors, mais le souvenir de la découverte de cette musique sur un vieux 33 tours crachotant dans la discothèque de mes parents me donne encore le frisson...

Les textes, pratiquement réécrits par Jacques Brel pour la version française du spectacle, sont disponibles dans "Tout Brel", 10/18, 1986, pp. 17-49, isbn 2264017449

En voici, un extrait, en guise de mise en bouche ;-):

"L'homme de la Mancha"

Introduction

Je vais tenter de personnifier un homme
Venez suivez le cheminement de mon imagination
Et vous le verrez
Son nom est Alonzo Quijana
Il conçoit le plus étrange projet jamais imaginé
Devenir chevalier errant et jaillir dans le monde
Pour en redresser tous les torts
Ne plus être simplement Alonzo Quijana
Mais un preux chevalier connu sous le nom
De Don Quichotte de la Mancha

Don Quichotte

Ecoute-moi
Pauvre monde insupportable monde
C'en est trop tu es tombé trop bas
Tu es trop gris tu es trop laid
Abominable monde
Ecoute-moi
Un chevalier te défie
Oui c'est moi Don Quichotte
Seigneur de la Mancha
Pour toujours au service de l'honneur
Car j'ai l'honneur d'être moi
Don Quichotte sans peur
Et le vent de l'histoire chante en moi
D'ailleurs qu'importe l'histoire
Pourvu qu'elle mène à la gloire

Sancho

Et moi je suis Sancho
Sancho Sancho son valet son fils son frère
Sancho son seul amigo
Son seul suivant mais pour toujours et j'en suis fier

(...)

31 janvier 2009

Autoportrait de l’artiste en jeune mouton

"Pelures d’oignon" de Günter Grass 41CrFs4nneL__SL160_AA115_
4 étoiles

Seuil/Points, 2007, 476 pages, isbn 9782757810149

(traduit de l’Allemand par Claude Porcell)

De Günter Grass, auteur des mois de décembre 2008 et janvier 2009 sur Lecture/Ecriture, j'avais tout d'abord découvert - et beaucoup aimé - "Toute une histoire". Je l'avais ensuite retrouvé avec "Le tambour", difficile, aride, mais impressionnant et sans aucun doute un incontournable de la littérature du XXème siècle. Enfin, j'ai renoncé à venir à bout de son "Turbot", à mon sens totalement illisible... "Pelures d'oignon" représente donc pour moi un quatrième rendez-vous avec cet auteur allemand originaire de Dantzig, et ce fut un rendez-vous passionnant...

Depuis que le prix Nobel de littérature lui avait été attribué en 1999, Günter Grass avait acquis – définitivement, à ce qu’il semblait alors – la réputation d’être un témoin essentiel du XXème siècle, et la conscience d’une certaine Allemagne de l’après-guerre. C’est dire que ces "pelures d’oignon", où Günter Grass retrace ses jeunes années ont fait l’effet d’un fichu pavé dans la mare lors de leur parution en 2006. On y découvre en effet un tout jeune Günter Grass, enrôlé, irréprochable sinon particulièrement zélé, dans les jeunesses hitlériennes, puis dans la défense passive et enfin – volontairement – chez les Waffen SS qu’il a rejoint tout à la fin de la guerre, juste à temps pour prendre part à la débacle finale sur le front de l’Est. "Croyant jusqu’à la fin. Pas vraiment fanatique, mais le regard immuablement fixé par réflexe, sur le drapeau dont on disait qu’il était « plus que la mort », je restais au garde-à-vous et j’étais exercé à marcher au pas. Aucun doute ne venait blesser cette foi, rien de subversif, comme par exemple la distribution de tracts, ne peut me décharger. Aucune blague sur Goering ne me rendait suspect. Je voyais bien plutôt la patrie menacée, encerclée d’ennemis." (pp. 45-46)

Pour paraphraser Dylan Thomas et son "portrait de l’artiste en jeune chien", c’est son autoportrait en jeune mouton, qui suit le reste du troupeau sans se poser de questions, que Günter Grass dresse ici, sans aucune indulgence car les occasions de se poser des questions, justement, ne manquaient pas. Mais il entoure si bien son récit de précautions oratoires, nous rappelle si souvent les pièges et les incertitudes de souvenirs si lointains, et pour beaucoup, soigneusement occultés, que je ne sais finalement que penser de ces "pelures" et des confessions qu’elles recèlent: s’agit-il ici, oui ou non, d’un repentir sincère ou plutôt d’une ultime forme de coquetterie, sur le mode du "vous voyez bien que je ne cherche pas à me montrer sous un jour avantageux"?

Mais quel que soit l’agenda secret de l’auteur, "Pelures d’oignon" est un livre passionnant. Parce qu’il éclaire de nombreux autres ouvrages de Günter Grass, tout en évoquant sous leur véritable identité les modèles de quelques uns de ses personnages les plus marquants. Parce qu’il nous apporte un témoignage rare, et donc important même s’il vaut peut-être mieux le prendre avec des pincettes, de l’Allemagne nazie vue de l’intérieur, par l’un des bons sujets du Führer et non par l’un de ses opposants… Et parce qu’il nous livre un récit hallucinant de la débacle de l’armée allemande dans les dernières semaines de la guerre.

Extrait:

"Le souvenir aime le cache-cache des enfants. Il se planque. Il a un penchant pour les belles paroles et il enjolive, souvent sans nécessité. Il contredit la mémoire, qui fait la vétilleuse et se chamaille pour avoir raison.

Quand on le presse de questions, le souvenir ressemble à un  oignon qui voudrait être pelé afin que soit dégagé ce qui, lettre après lettre, est là, lisible: rarement univoque, souvent dans une écriture à lire dans le miroir ou crypté d’une quelconque manière.

Sous la première peau, qui produit encore un crissement sec, se trouve la suivante, laquelle, à peine détachée, en libère une autre, humide, sous laquelle attendent et chuchotent la quatrième, la cinquième. Et chacune de celles qui viennent sur des mots trop longtemps évités, des signes tarabiscotés aussi, comme si quelque faiseur de mystères avait voulu depuis sa jeunesse, à l’époque où l’oignon ne faisait encore que germer, s’envelopper d’un chiffre." (p. 11)

27 septembre 2008

Amère et dangereuse volupté

"L'Oiseau moqueur et autres nouvelles" de Jean Rhys51NS1kcnQ0L__SL500_AA240_
5 étoiles

Denoël et d'ailleurs, 2008, 167 pages, isbn 9782207260180

(traduit de l'Anglais par Jacques Tournier)

Du portrait de Jean Rhys esquissé par Christine Jordis dans la préface de ce recueil de nouvelles, émerge la figure d'une femme qui a tout vu et tout vécu, de la bohême à la misère la plus noire dans la froide et grise Angleterre, si loin des Antilles où elle avait passé son enfance. Ce parcours tragique lui inspira des livres que ses contemporains jugèrent "sordides et déprimants". Tout au long de son oeuvre, Jean Rhys s'est en effet efforcée de serrer au plus près, au plus juste, la détresse et la solitude d'êtres vaincus par la vie, communiant avec miss Dufreyne, l'héroïne de "Rue de l'arrivée" dans la conviction que "seuls ceux qui n'ont plus d'espoir peuvent se permettre de ne plus mentir, que seuls ceux qui sont malheureux peuvent offrir de la sympathie ou en recevoir - qu'ils partagent l'amère et dangereuse volupté de la misère" (pp. 55-56).

Les nouvelles rassemblées ici ne font pas exception à la règle. "L'oiseau moqueur" recèle toute la nostalgie de l'exil. "Nuit" et "Un jour gris" condensent en quelques pages à peine les angoisses que suscite la pauvreté. Quant au "Sidi" ou à "J'espionne une étrangère", ce sont les histoires poignantes de cruautés banales, ordinaires et par là-même encore plus horribles. Des nouvelles noires, très noires, oui. Mais pas sordides, ni déprimantes, ou alors pas plus que la musique de Mozart - et Dieu sait que cette musique peut être poignante et tragique, tout autant que lumineuse et légère.

De la musique de Mozart, les nouvelles de Jean Rhys ont la perfection et la grâce. Elles ne comptent pas une note, pas un mot de trop, et pourtant elles fourmillent de vie, de couleurs, de sensations. Je n'avais plus rien lu d'aussi bon depuis mes dernières plongées dans les univers de Carson McCullers ou de Mohammed Dib. Les nouvelles de "L'Oiseau moqueur" sont autant de petits miracles de sobriété, de justesse et d'émotion. Et j'ai éprouvé, malgré leur noirceur, un véritable bonheur à les découvrir. Volupté certes teintée d'amertume. Volupté dangereuse aussi car elle m'a inoculé une envie irrépressible de poursuivre ma découverte de l'oeuvre de Jean Rhys.

Extrait

"Quelle belle sonorité a parfois le patois créole! Et ces mots, Temps perdi sont à jamais dans ma mémoire. Je les écrirai quelque part avant de quitter «Rolvenden», dans l'angle d'un miroir peut-être. Et quelqu'un les lira peut-être, quelqu'un qui sait que certains jours attendent au coin de la mémoire que vous les receviez. Qui sait aussi que toute façon, on ne choisit pas ceux qu'on fait revivre. Ils choisissent eux-mêmes." (p. 143)

D'autre livres de Jean Rhys, dans mon chapeau: "Wide Sargasso Sea" et "Quai des Grands-Augustins".

23 avril 2009

"Un ruban noué autour d’une bombe"

"Frida Kahlo – « Je peins ma réalité »" de Christina Burrus515OGg0t9EL__SL160_AA115_
3 ½ étoiles

Gallimard/Découvertes, 2007, 144 pages, isbn 9782070345939

Impossible de rester indifférent devant l’œuvre de Frida Kahlo. Les tableaux de l’artiste mexicaine - atteinte de la poliomyélite à six ans, puis grièvement blessée dans un accident de bus à dix-huit – se sont si bien nourris de son expérience de la souffrance et de son union orageuse avec le peintre muraliste Diego Rivera – ils allèrent jusqu’à divorcer en décembre 1939 pour se remarier un an plus tard – qu’ils ne peuvent manquer d’interroger leurs spectateurs, autant dans leur sens esthétique que dans leur rapport au corps.

Explorant cette œuvre qui tour à tour trouble, inquiète ou déstabilise l’observateur, y compris André Breton qui la compara à "un ruban autour d’une bombe" (p. 131), Christina Burrus nous livre une biographie, très classique et très sobre, de sa créatrice. Respectant la chronologie, elle nous déroule la vie de Frida Kahlo comme une succession de faits, évoqués sans pathos ni voyeurisme. On peut certes imaginer d’autres approches, laissant davantage d’espace à la subjectivité ou à l’empathie. Mais telle qu’elle est, cette biographie est impeccablement menée, fort bien illustrée, et elle offre une bonne introduction à l’univers de l’artiste mexicaine.

Extrait:

"Seul apprentissage: celui d’elle-même, rassemblée dans ce tout petit miroir aux dimensions d’un portrait. Seul matériel humain: le sien, puisqu’elle ne peut aller vers les autres, mais tout entourée de l’expression qu’ont donné de la figure humaine les grands portraitistes allemands et italiens. De cette confrontation à sa propre identité naissent alors les problématiques qui touchent à l’essence même de l’art: celle de l’illusion, celle du dédoublement, celle du rapport à la mort. Bien plus qu’une autobiographie, ses autoportraits se révéleront les «images de l’intérieur» d’une femme lancée dans une recherche existentielle autant qu’esthétique, d’un être encore en devenir, d’une conscience qui naît." (p. 29)

 

 

 

 

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Frida Kahlo, "Las dos Fridas" (Museo de Arte Moderno, Mexico) (Source): un des rares tableaux de grand format réalisé par Frida Kahlo, en 1939, au moment de sa séparation d'avec Diego Rivera.

The archives of American Arts (Smithsonian Institution) possèdent de nombreux documents relatifs à Frida Kahlo, dont certains ont été rendus accessibles en ligne dans une exposition virtuelle créée à l'occasion du Hispanic Heritage Month en 2001: ici.

2 mai 2009

Faux polar jubilatoire

"Le tueur mélancolique" de François Emmanuel51876AJBJ1L__SL160_AA115_
5 étoiles

Labor/Espace Nord, 1999, 235 pages, isbn 2804013286

Léonard Gründ se présente lui-même comme "un doux définitif" (p. 9). Aussi son engagement par l’agence de détectives privés d’Anatol Stukowski, grand carnassier devant l’Eternel, ressemble furieusement à une énorme erreur de casting même si au début, cela se passe plutôt bien, Léonard accomplissant à la perfection les tâches insignifiantes dont il est chargé. Mais petit à petit, ces missions virent à l’insolite, et il faut bien la douceur définitive de Léonard – et les charmes vénéneux d’Helena Lawson, l’associée d’Anatol Stukowski, - pour ne pas pressentir le coup fourré, la mission irrémédiablement compromettante : s’introduire dans un foyer pour sans-abris, y verser discrètement quelque gouttes d’une eau virginale dans le verre d’un dénommé Abimaël Green et décamper sans se soucier du reste…

Et c’est là que l’on comprend que s’il y a bien eu une erreur de casting, celle-ci est le fait d’Anatol Stukowski et non de François Emmanuel. Car dans la relation fraternelle qui se crée entre le tueur putatif et sa victime désignée, un autre livre commence à s’écrire : non plus seulement un polar où le meurtre reste à commettre, mais un roman initiatique, le récit d’une découverte de soi et des autres, le cheminement à travers les bas fonds d’une ville improbable du Nouveau Monde, des sommets de ses gratte-ciel aux profondeurs de ses égoûts, vers une vérité intérieure dégagée des artifices et faux-semblants d’une société délibérément fonctionnelle dont Anatol Stukowski et l’un de ses détectives, Jack Smell, se font les implacables porte-parole.

Dans la lecture du "Tueur mélancolique" qu’elle propose à la fin de l’édition de ce roman dans la collection Espace Nord, Ann Neuschäfer explore ces différentes pistes: l’enquête policière comme le cheminement psychanalytique qu’elle rapproche d’ailleurs de celui de l’"Œdipe sur la route" d’Henry Bauchau (qui n’est autre que l’oncle de François Emmanuel). Mais pour moi qui ai découvert pour la première fois son travail avec "La Passion Savinsen" en 1998 et qui n’ai depuis lors plus cessé d’explorer son œuvre, vers l’aval comme vers l’amont, un autre rapprochement s’impose: "Le tueur mélancolique" annonçant, à travers les inquiétantes conceptions d’Anatol Stukowski et de Jack Smell, la thématique de la très troublante "Question humaine"*. Et à la lumière de ce récit plus récent, ce faux polar jubilatoire, dont la lecture est avant toute chose un véritable régal, prend des accents plus graves – plus subversifs aussi – qu’il n’y paraît à première vue…

* "La question humaine" a été publiée pour la première fois chez Stock en 2000, cinq ans après la première publication du "tueur mélancolique", en 1995 aux éditions de la Différence.

Extrait:

"Le travail comportait une grande part d’improbable. S’asseoir dans un étroit cagibi nommé bureau, dactylographier une lettre, prendre note d’un message téléphonique, aller chercher le journal et rapporter les cigares. Entre ces harassantes besognes, noter la couleur du ciel dans l’ovale de la lucarne, enfin nourrir par ce même orifice une chatte de gouttière prénommée Gladys et qui venait à heure fixe faire soyer sa robe léonine pour mendier sa pitance. A gauche de la lucarne, la clarté verte provenait de la porte vitrée du bureau de mon maître. On y entendait sa voix grasse pérorer en douceur. Les clients et les clientes y parlaient toujours très bas. Leurs ombres semblaient peintes par un expressionniste fou derrière les copeaux du verre translucide." (pp. 12-13)

Un autre livre de François Emmanuel, dans mon chapeau: "L'invitation au voyage".

Et un autre extrait du "Tueur mélancolique": ici.

D'autres livres de François Emmanuel sont présentés sur Lecture/Ecriture.

Le site de l'auteur: biographie, bibliographie et quelques textes disponibles en ligne.

18 juin 2009

Un tout petit espace à l’ombre de l’océan

"La véranda au frangipanier" de Mia Couto41F9Q7AR3JL__SL160_AA115_
5 étoiles

Albin Michel/Les grandes traductions, 2000, 203 pages, isbn 2226114564

(traduit du Portugais par Maryvonne Lapouge-Pettorelli)

Ermelindo Mucanga est mort loin de chez lui, alors qu’il travaillait comme menuisier dans la citadelle des Portugais, à São Nicolau, et au moment-même où son pays, le Mozambique, accédait à l’indépendance. Et, croyez le ou non, ce fut le début de tous ses ennuis!

Mettez-vous à sa place, aussi… Il était mort, certes privé des funérailles d’usage mais enterré bien tranquillement sous son frangipanier, près de la véranda du fort, aux premières loges pour observer les allées-et-venues des pensionnaires de la maison de retraite qui avaient remplacé l’occupant européen. Mais voilà tout à coup que le nouveau gouvernement s’est mis en tête de faire de notre macchabée un héros national, tandis qu’un inspecteur de police, répondant au doux nom d’Izidine Naïta et formé aux méthodes de travail occidentales, est envoyé au fort en provenance de la capitale pour enquêter sur la mort mystérieuse du directeur de l’asile. Et l’esprit d’Ermelindo de ne plus faire ni une ni deux, et de se glisser dans le corps du policier dans l’espoir d’échapper à sa canonisation abusive.

Dans ce décor isolé du monde – le fort de São Nicolau est coincé entre des terres encore infestées des mines de la dernière guerre d’un côté et une mer hostile de l’autre -, Ermelindo se fait ainsi le rapporteur de l’enquête d’Izidine. Mais déployant toute la prodigieuse inventivité stylistique et l’imagination qui ont fait sa réputation comme un des meilleurs romanciers contemporains dans le monde lusophone, Mia Couto renouvelle complètement cette intrigue d’apparence classique. Et la sombre histoire de meurtre, de traffic d’armes et d’abus de biens sociaux s'égare petit à petit vers le merveilleux des contes et des traditions populaires qui hantent les récits et les témoignages des pensionnaires de la maison de retraite. Sous ses fausses allures de roman policier, "La véranda au frangipanier" – "ce tout petit espace (…) à l’ombre de l’océan" (p. 66) - se révèle progressivement comme la métaphore transparente d’un pays pris en flagrant délit de renier son passé, africain ou portugais indifféremment. Un passé qu’"Il importe de conserver (…). Sinon le pays reste sans sol sous les pieds." (p. 136), ainsi que le constate Marta, l’infirmière de l’asile. Un passé dont les remous – complexes, multiples, imprévisibles -, ne cessent de se répercuter dans un présent troublé.

Mia Couto nous offre avec ce roman d’une richesse étonnante, et d’une lecture pourtant aisée, un monde chatoyant et coloré dont la découverte vous procurera sans nul doute un plaisir phénoménal. Courez-y vite !

Extrait:

"Ma vie s’est enivrée du parfum de ses fleurs blanches au cœur jaune. En ce moment il ne sent rien, en ce moment ce n’est pas le temps des fleurs. Vous êtes noir, inspecteur. Vous ne pouvez pas comprendre combien j’ai toujours aimé ces arbres. C’est qu’ ici, dans votre pays, il est le seul qui perde ses feuilles. De tous les arbres le frangipanier est le seul qui se dénude ainsi, il fait comme si allait survenir un Hiver. Lorsque je suis arrivé en Afrique, après je n’ai plus jamais senti l’Automne. C’était comme si le temps arrêtait son cours, comme si c’était toujours la même éternelle saison. Seul le frangipanier me restituait ce sentiment du passage du temps. Non que j’aie encore besoin aujourd’hui de sentir passer les jours. Mais le parfum de cette véranda me guérit des nostalgies des années que j’ai vécues en Mozambique. Et quelles années ce furent !" (pp . 63-64)

Un autre livre de Mia Couto, dans mon chapeau: "Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre".

18 août 2009

Elégie pour une cité disparue

19041243_w434_h_q80"Of time and the city" de Terence Davies
(documentaire)

Après deux premiers longs métrages remarqués, "Distant voices, still lives" et "Long day closes", où il évoquait déjà la Liverpool ouvrière de son enfance, Terence Davies s'était quelque peu éloigné de sa ville natale en portant à l'écran les livres de deux auteurs américains. Et si son adaptation de "La bible de néon" de John Kennedy Toole était à bien des égards un film touchant, "The House of Mirth" (en V.F.: "Chez les heureux du monde"), d'après le roman d'Edith Wharton, s'est vu littéralement sabordé par une monumentale erreur de casting - Gillian Anderson incarnant Lily Bart avec toute la souplesse et la sensibilité d'un manche de brosse.

Son nouveau film, "Of time and the city", marque donc son retour à ses premières amours: la famille, la musique - Mozart, Mahler... mais pas les Beatles qui ne font qu'une apparition-éclair. Et bien sûr Liverpool dont il nous offre ici un portrait intimiste en forme d'élégie pour les quartiers ouvriers pauvres mais chaleureux de l'immédiat après-guerre qui ont depuis lors cédé la place à de sinistres tours HLM... Ce sont cinquante années de la vie d'une ville retracées avec un art consommé du collage dont surgit une vision totalement originale et personnelle, à l'instar de ce qu'avait fait Hélène Frappat dans son récit "Sous réserve": collage d'images d'archives et de prises de vue contemporaines, collage aussi des mots de Terence Davies et de ceux des poètes, T.S. Eliot, Emily Dickinson, James Joyce ou Anton Tchékhov... Le ton se fait tour à tour caustique, tendre ou mélancolique sans pourtant jamais sombrer dans la sinistrose. Car ce film-hommage à une cité disparue est aussi traversé, continuellement, par les silhouettes de bambins sommeillant dans leurs poussettes ou trottinant d'un pas encore mal assuré. Car "Of time and the city" est aussi le portrait d'une ville dont l'avenir reste à écrire...

C'est un film comme aucun autre. Un film que nul autre que Terence Davies n'aurait pu réaliser. Et c'est, aux côtés de "Two lovers" de James Gray, un des plus beaux films de l'année. Il n'est pas du tout distribué comme il le mériterait. Mais ne le ratez pas s'il passe près de chez vous!

Le site officiel du film

Et le site de l'écran total, où "Of time and the city" était présenté dans le cadre du cycle "documentaires".

6 octobre 2009

Les beaux fruits de l'été (3)

"Réveillé à l'aube, je vois que le citron est encore plus mystérieux, presque transparent, gorgé de jus. Dans la pénombre, il s'étend, prend sa vraie dimension, devient une tache vive dans les teintes pastel de la pièce encore somnolente. Je le palpe, le respire, le caresse puis décide de le couper en deux pour voir l'intérieur. La lame entre facilement dans sa chair, le parfum se fait plus violent, quelques gouttes de jus coulent le long du couteau, je les lèche. Nulle acidité, seulement de la douceur. La pulpe presque transparente, chaque fibre semblable au citron lui-même."

Antoni Casas Ros, "Mort au romantisme", Gallimard, 2009, pp. 95-96

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Pieter Claesz, Nature morte, Staatliche Kunstsammlungen, Kassel (source: wikimedia commons)

Les beaux fruits de l'été (1) et (2)

1 septembre 2009

Un monde de saveurs et de sensations…

"Mort au romantisme" d’Antoni Casas Ros41Sm5Ad7NvL__SL160_AA115_
4 ½ étoiles

Gallimard, 2009, 145 pages, isbn 9782070124565

Chacune des 39 nouvelles rassemblées ici est une explosion de saveurs, tour à tour corsées, amères ou veloutées, à l’instar de ces petits cafés bien serrés que l’on peut déguster sur le pourtour de la Méditerranée. Evoquant les thèmes les plus divers – la cérémonie du café cortado dans un petit bar de Barceloneta justement, la plongée dans l'obscurité d'un tunnel pendant un trajet en train, une éclipse solaire ou une chambre d'hôtel des plus banales – Antoni Casas Ros n'a pas cessé de me surprendre, et de me maintenir en alerte.

Chacun des textes réunis ici est une ouverture vers un monde en soi: une infinité de possibilités enfermée dans l'espace de quelques pages à peine, quelques pages d'une prose qui suscite l'admiration par sa concision et son extrême économie autant que par sa puissance de suggestion. Les sensations s'y bousculent avec une intensité inédite, tout comme les réflexions qui s'y nourrissent de quelques affinités électives (Baltus, Graham Greene... et surtout, surtout, Frida Kahlo) et d'une conception exigeante de l'art et de la littérature - lecture comme écriture - en marges des remous médiatiques.

Depuis la parution de son premier roman, "Le théorème d'Almodovar", en 2008, la personnalité d'Antoni Casas Ros a suscité d'abondantes spéculations dont son blog personnel se fait d'ailleurs l'écho. On s'est beaucoup interrogé sur la part respective de l'autobiographie et de la fiction dans l'oeuvre de cet auteur qui préserve jalousement son anonymat. Mais le découvrant ici avec son second livre, je ne peux me défendre de l'impression que toute cette agitation est vaine: peu importe ce qui est vrai et ce qui relève de l'imagination. Et peu importe l'identité réelle de l'auteur. Seul compte le fait qu'il ait choisi de s'effacer derrière son oeuvre, en toute cohérence avec elle. Et seul compte, surtout, la très grande qualité de cette oeuvre qui s'impose d'entrée comme profondément originale.

Extrait:

"- L’ultime acte poétique est de disparaître avec son œuvre.
- Je comprends. M’autoriserez-vous à la lire avant de la détruire?
- Non, j’ai décidé de la manger.
- Et vous pensez que cela sera suffisant pour mourir?
- Absolument, si vous pouviez la lire, vous comprendriez immédiatement. C’est une œuvre faite d’éclats de diamant et de lave en fusion, de curare et de plumes de colibri. Elle me transpercera!"
(p. 139)

D'autres extraits de "Mort au romantisme", dans mon chapeau: "Les beaux fruits de l'été" (2) et (3), et "Le lecteur idéal" (2)

9 octobre 2009

Promenades dans les bois du roman anglais

"L'Art de la fiction" de David Lodge51D479HX63L__SL160_AA115_
3 ½ étoiles

Rivages, 1996, 312 pages, isbn 2743600004

(traduit de l'Anglais par Michel et Nadia Fuchs)

Au début de l'année 1991, David Lodge s'est vu offrir par le responsable littéraire de l'hebdomadaire britannique "Independant on Sunday" d'y tenir une chronique sur l'art de la fiction. Et chacun des cinquante courts chapîtres du présent volume reprend l'un des articles publiés dans ce cadre et tout au plus légérement retravaillés.

Ce sont cinquante notices, illustrées par un ou deux extraits de romans - pour la plupart des classiques, anciens ou modernes, de la littérature de langue anglaise -, et traitant des thèmes les plus divers, du plus général (l'évocation du passé, le suspense...) au plus particulier (le nom des personnages ou encore le skaz, c'est à dire "un genre de récit à la première personne possédant les caractéristiques de la langue parlée" (pp. 32-33)). Autant de textes qui s'enchaînent à la marabout-bout de ficelle, en commençant fort logiquement par le début et en terminant - tout aussi logiquement - par la fin, pour nous offrir, selon la jolie expression d'Umberto Eco, une agréable promenade à travers les bois du roman anglais, promenade au cours de laquelle on croisera pêle-mêle Jane Austen, Charles Dickens, Virginia Woolf ou encore Martin Amis et Kurt Vonnegut.

La lecture de cet "Art de la fiction" est très agréable, garantie sans jargon (car les quelques termes un peu techniques y sont fort bien expliqués au fur et à mesure de leur apparition). Si ce livre ne révolutionnera sans doute pas votre manière de lire, il vous dira tout ce que vous avez toujours voulu savoir, sans oser le demander, sur des notions aussi bizarres que l'intertextualité, la métafiction, le courant de conscience ou le roman expérimental. Et il vous titillera si bien les papilles gustatives que vous en tournerez la dernière page avec une très longue liste de livres à dévorer pendant les mois d'hiver qui pointeront bientôt le bout de leur nez ;-).

Extrait:

"Je tiens depuis toujours la fiction pour un art essentiellement rhétorique, par quoi j'entends que le romancier ou l'auteur de nouvelles nous persuadent de partager une certaine vision du monde pendant le temps que dure notre lecture, réalisant ainsi, si l'expérience est couronnée de succès, cet enchantement à s'absorber dans une réalité imaginée que Van Gogh a si bien rendu dans son tableau La Liseuse de romans. Même les romanciers qui, de propos délibéré et pour des motifs artistiques, rompent cet enchantement doivent d'abord commencer par le créer" (p. 11)

24 septembre 2009

La cathédrale - Carnet de Stockholm (3)

IMG_1360r"Storkyrkan",
Gamla Stan, Stockholm

Nichée au coeur du quartier de Gamla Stan, à deux pas de la place de Storetorget, Storkyrkan dissimule derrière une façade italianisante, en harmonie avec celle du palais royal tout proche, et construite au XIXème siècle par J.E. Carlberg, alors architecte de la ville, des murs du XIVème siècle et un intérieur de style gothique tardif.

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Storkyrkan - la nef centrale (Cliché Fée Carabine)

D'abord simple église paroissiale, elle ne fut en fait érigée en cathédrale que lors de la création du diocèse de Stockholm en 1942. Mais les fidèles, parmi lesquels la famille royale, n'ont pas attendu cette élévation tardive pour embellir leur église. Après les travaux d'agrandissement du XVème siècle, Storkyrkan se vit ainsi enrichie successivement d'un groupe de sculptures monumentales représentant Saint-Georges triomphant du dragon - oeuvre du sculpteur Berndt Notke, réalisée en chêne et bois d'élan pour célébrer la victoire du régent de Suède Sten Sture sur les troupes de Christian de Danemark - et d'un mobilier baroque (la chaire de vérité et les bancs occupés par la famille royale lors de certaines cérémonies officielles...) qui s'insère avec une harmonie étonnante dans le décor gothique.

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Berndt Notke, Saint-Georges et le dragon, Storkyrkan, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

6 septembre 2009

Toute l'oeuvre d'une vie

EXP_KANDINSKY"Kandinsky",
Paris, Centre Pompidou
Du 8 avril au 10 août 2009

Co-produite par le Centre Pompidou, la Städtische Galerie im Lenbachhaus (Munich) et le musée Solomon R. Guggenheim de New York, la grande rétrospective Kandinsky qui s'est tenue cet été au Centre Pompidou avait tout d'une superproduction hollywoodienne. Une centaine de tableaux, encore complétés de dessins et de gravures, permettaient d'explorer en quelques heures à peine toute l'oeuvre d'une vie aussi longue que bien remplie, des débuts encore fortement imprégnés par le folklore russe (une vraie découverte en ce qui me concerne!) aux toiles abstraites et colorées, plus tardives et bien plus connues, en passant par les expériences du Cavalier bleu ou du Bauhaus, le tout abordé suivant une séquence pratiquement chronologique.

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Couple à cheval, Städtische Galerie im Lenbachhaus, Munich (Adagp, Paris: source)

Une telle accumulation d'images, de couleurs, d'impressions si diverses, a quelques chose d'écrasant. C'est presque trop pour une seule visite (hélas, c'était tout ce que je pouvais me permettre!), passionnant de bout en bout et pourtant à la sortie, tout se brouille et on peine à mettre le doigt sur un coup de coeur, un éblouissement particulier...

La présentation de l'exposition, sur le site du Centre Pompidou

Et surtout le très bon dossier pédagogique!

4 mars 2010

Le quartier français

"Le cri venait d'ailleurs, peut-être de derrière les volets fermés d'une des vieilles maisons qui se dessinaient au-dessus de nous tout au long de la rue, les lourds renflements de leurs murs contenus par les lignes noires de leurs balcons de fer forgé et les grilles qui fermaient portes et fenêtres comme les vrilles d'une puissante vigne."

Paula Fox, "Le dieu des cauchemars", Joëlle Losfeld, 2006, p. 207 (traduit de l'Anglais par Marie-Hélène Dumas)

Balcon

Les balcons de fer forgé typiques du quartier français, La Nouvelle-Orléans (cliché Fée Carabine)

26 novembre 2009

La culpabilité des survivants

18805598_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20070906_093945"Un secret" de Claude Miller,
avec Mathieu Amalric, Patrick Bruel, Cécile de France et Ludivine Sagnier

C'est une excellente surprise que ce film de Claude Miller, adaptation du roman éponyme de Philippe Grimbert (que je n'ai pas lu) portée par des acteurs tout simplement parfaits dans l'émotion et dans la sobriété.

L'histoire du jeune François, découvrant à l'adolescence une page soigneusement occultée de son histoire familiale - qui le ramène aux sombres années de guerre et au génocide commis par les nazis -, aurait pu se prêter à un traitement tire-larme, débordant de pathos ou de bons sentiments. Fort heureusement, il n'en est rien: le film de Claude Miller est très humain, très juste et très beau. Et si je suis à présent plus qu'hésitante à aborder le roman de Philippe Grimbert, au moins pour le moment, c'est seulement parce que je ne peux plus imaginer un autre visage à ses héros, et que le film trop présent à mon esprit risquerait d'en occulter le texte...

17 septembre 2009

La vieille ville - Carnet de Stockholm (2)

43793803_p"Gamla Stan",
Stockholm

Implanté sur les îlots de Stadsholmen et de Riddarholmen, entre le lac Mälar et la mer Baltique, le plus vieux quartier de Stockholm, fondé par Birger Jarl en 1255, est aujourd'hui largement colonisé par les boutiques de souvenirs pour les touristes et les restaurants. Le pire y côtoie le meilleur, et le mauvais goût international y joue au coude à coude avec les jolis petits chevaux de Dalécarlie et les tissus très colorés de Gudrun Sjödén.

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Une ruelle de Gamla Stan, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

Mais les ruelles étroites de Gamla Stan n'ont pourtant rien perdu de leur charme: en dépit de la foule qui s'y presse à certaines heures, il fait toujours bon s'y promener et on y trouve encore quelques oasis de calme, telle l'arrière-cours de la pâtisserie Grillska Konditoriet (je vous recommande le crumble aux myrtilles, servi tiède avec son petit pot de crème fraîche parfumée à la vanille - un délice!), sur la place de Storetorget, à deux pas du musée Nobel et tout juste à l'opposé des anciennes maisons des commerçants de la Hanse qui arrivent sans aucun doute en tête au hit-parade des cartes postales de la ville!

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Les anciennes maisons des marchands de la Hanse, Storetorget, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

Pour en savoir plus au sujet de Stockholm, de sa géographie et de son histoire, on peut se reporter à la page, très complète, qui lui est consacrée sur Wikipedia.

13 mai 2010

Retour vers une époque troublée...

Orph_e"Le symbolisme en Belgique"
Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles
Jusqu'au 27 juin 2010

Autant dire d'entrée que c'est une exposition incontournable que la grande rétrospective que les musées royaux des beaux-arts de Bruxelles consacrent actuellement au mouvement symboliste en Belgique, au tournant des XIXème et XXème siècles. Et c'est une exposition de surcroît particulièrement agréable dont la visite se vit comme une promenade à travers un monde étonnament diversifié et riche de surprises, débarrassé de tout appareil critique* pour privilégier un rapport direct avec les oeuvres, ainsi qu'avec les sources littéraires (Baudelaire, Maeterlinck, Rodenbach...) qui les ont inspirées.

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Constantin Meunier, L'ancêtre, Musée Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles (source)

Le terme de mouvement symboliste est d'ailleurs impropre à décrire ce qui ne fut jamais un courant artistique organisé mais bien plutôt le fruit d'une série d'expérimentations extrêmement variées. Tantôt ouvertement satanistes chez un Félicien Rops, inquiétantes telles les grandes toiles forestières de William de Gouve de Nuncques ou en proie à des tendances morbides affirmées chez Jean Delville (dont l'"Orphée mort" orne d'ailleurs les affiches de l'exposition) qui fut aussi l'un des grands représentants d'une mouvance plus idéaliste, nourrie par les théories rosicruciennes. Et tantôt bien plus réalistes et ancrées dans le quotidien à l'instar de cet "ancêtre" si touchant de Constantin Meunier, des pleurants de George Minne, de certaines scènes d'intérieur de Fernand Khnopff ou encore de quelques très jolies vues de Bruges...

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Fernand Khnopff, En écoutant du Schumann, Musée Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles (source)

Bref, c'est une exposition indispensable pour tous ceux qui pensent aimer l'art symboliste jusque dans ce qu'il peut avoir de plus inquiétant et de morbide. Et une exposition indispensable aussi pour ceux qui pensent ne pas l'aimer parce qu'inquiétant et morbide, et qui découvriront ici bien d'autres facettes de la création artistique, si riche et foisonnante, de cette période.

* Le visiteur désireux d'en savoir plus peut se tourner vers la monographie "Le symbolisme en Belgique" de Michel Draguet que le Fonds Mercator vient de rééditer à l'occasion de l'exposition.

Le site officiel de l'exposition.

Et pourquoi ne pas poursuivre l'exploration de la mouvance symboliste en compagnie de Gustav-Adolf Mossa (qui s'expose au musée provincial Félicien Rops, à Namur)?

19 juillet 2010

"Une renaissance en papier"

"I Medici", les vêtements des Médicis du XVème au XVIIIème siècles par Isabelle de Borchgrave,
Musées Royaux d'Art et d'Histoire, Bruxelles
Jusqu'au 29 août 2010

Styliste réputée pour ses reconstitutions en papier de vêtements anciens - parures de la cour des Savoie au XVIIIème siècle ou modèles du styliste espagnol installé à Venise Mariano Fortuny -, Isabelle de Borchgrave s'est attachée plus récemment à recréer les costumes somptueux de la Florence des Médicis tels qu'on peut les découvrir à travers les peintures de Benozzo Gozzoli, Sandro Boticelli ou encore du Bronzino...

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Flore, d'après Le printemps de Sandro Boticelli (Cliché Fée Carabine)

Les parures exposées en ce moment aux Musées du Cinquantenaire impressionnent certes par leur raffinement, et par la virtuosité technique et l'inventivité dont elles témoignent. S'appuyant sur une documentation rigoureuse, elles nous permettent aussi de parcourir, sous un angle de vue insolite, trois siècles de l'histoire politique et artistique de Florence.

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Détail du corsage et de la coiffure d'Anne de Médicis, fille du grand-duc Cosme II (Cliché Fée Carabine)

Le site officiel de l'exposition

6 juillet 2010

"Voilà le sens du mot «vengeance»"

"Julius Winsome" de Gerard Donovan5175ws7hdhL__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Seuil, 245 pages, isbn 9782020959131

(traduit de l’Anglais par Georges-Michel Sarotte)

Il n’y a sans doute pas d’homme plus paisible et solitaire que Julius Winsome. Engagés comme soldats lors des deux guerres mondiales, son grand-père et son père lui ont légué leur refus sans compromission de toute nouvelle violence – ainsi que le constate Julius: "Deux guerres mondiales ont détourné mon sang des armes à feu." (p. 38) – en même temps qu’un chalet isolé dans les forêts du Maine, dont les murs se doublent d’une bibliothèque de 3282 livres, et qu’un fusil qui avait jadis appartenu à un des meilleurs snipers des tranchées… Et la haine que les membres de la famille Winsome vouent à la violence n’a sans doute d’égal que leur amour des mots, des mots dont le père comme le fils ont mesuré à chaque jour de leur vie tout le poids de chair et de sens: "Nous avions vécu seuls tous les deux, car il ne s’était jamais remarié. Il disait qu’il était l’homme d’une seule femme, même si celle-ci était morte. Voilà comment j’ai appris le sens du mot «fidélité», comment envelopper de chair le terme nu et lui insuffler la vie." (p. 29)

Après la mort de son père, Julius Winsome est resté seul dans leur chalet, au milieu des livres et des arbres. Une femme est bien venue, un temps, partager sa solitude. Mais elle n'est pas restée. Depuis plusieurs années, Hobbes, son chien, est son unique et fidèle compagnon. Et lorsque celui-ci est massacré à bout portant par un chasseur, la vengeance de Julius – qui mesure tout le poids de ce mot-là comme de tous les autres -  tourne bien vite à la folie meurtrière: "La nuit m’a durci comme un bâton et m’a brandi contre le monde. J’étais un bâton menaçant l’univers. J’ai regardé ma main qui agrippait la crosse. J’étais le fusil. J’étais la balle, la cible, la signification d’un mot qui se dresse tout seul. Voilà le sens du mot «vengeance», même lorsqu’on le couche sur le papier." (p. 123)

Aucun mot, vraiment, n'est écrit à la légère dans ce récit âpre, noir et tragique où le déchaînement d'une violence impitoyable se mêle inextricablement à la sérénité des paysages du Maine et à la pureté de leur manteau de neige. C'est ce qui en fait toute l'âpreté, et toute la beauté.

Extrait:

"Le Maine, étoile blanche qui scintille à partir de novembre et domine un coin de ciel glacial. Seules les phrases courtes et les longues pensées peuvent survivre en ce lieu. Si vous n’êtes pas septentrional des pieds à la tête et habitué à passer de longs moments tout seul, ne vous aventurez plus alors dans cette contrée. Les distances s’effondrent, le temps vole en éclats. Les enfants inscrivent leur nom en patinant sur les lacs, des luges tirent des chiens devant elles. On combat l’hiver en lisant toute la nuit, tournant les pages cent fois plus vite que tournent les aiguilles, de petites roues en actionnant une plus grande pendant tous ces mois. Un hiver dure cinquante livres et vous fixe au silence tel un insecte épinglé, vos phrases se replient en un seul mot, le temps suspend son vol, midi ou minuit c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Chaque coup d’œil recontre de la neige. Chaque pas s’enfonce vers le nord. Voilà l’heure du Maine, l’heure blanche." (p. 89)

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