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Dans mon chapeau...
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27 septembre 2008

Amère et dangereuse volupté

"L'Oiseau moqueur et autres nouvelles" de Jean Rhys51NS1kcnQ0L__SL500_AA240_
5 étoiles

Denoël et d'ailleurs, 2008, 167 pages, isbn 9782207260180

(traduit de l'Anglais par Jacques Tournier)

Du portrait de Jean Rhys esquissé par Christine Jordis dans la préface de ce recueil de nouvelles, émerge la figure d'une femme qui a tout vu et tout vécu, de la bohême à la misère la plus noire dans la froide et grise Angleterre, si loin des Antilles où elle avait passé son enfance. Ce parcours tragique lui inspira des livres que ses contemporains jugèrent "sordides et déprimants". Tout au long de son oeuvre, Jean Rhys s'est en effet efforcée de serrer au plus près, au plus juste, la détresse et la solitude d'êtres vaincus par la vie, communiant avec miss Dufreyne, l'héroïne de "Rue de l'arrivée" dans la conviction que "seuls ceux qui n'ont plus d'espoir peuvent se permettre de ne plus mentir, que seuls ceux qui sont malheureux peuvent offrir de la sympathie ou en recevoir - qu'ils partagent l'amère et dangereuse volupté de la misère" (pp. 55-56).

Les nouvelles rassemblées ici ne font pas exception à la règle. "L'oiseau moqueur" recèle toute la nostalgie de l'exil. "Nuit" et "Un jour gris" condensent en quelques pages à peine les angoisses que suscite la pauvreté. Quant au "Sidi" ou à "J'espionne une étrangère", ce sont les histoires poignantes de cruautés banales, ordinaires et par là-même encore plus horribles. Des nouvelles noires, très noires, oui. Mais pas sordides, ni déprimantes, ou alors pas plus que la musique de Mozart - et Dieu sait que cette musique peut être poignante et tragique, tout autant que lumineuse et légère.

De la musique de Mozart, les nouvelles de Jean Rhys ont la perfection et la grâce. Elles ne comptent pas une note, pas un mot de trop, et pourtant elles fourmillent de vie, de couleurs, de sensations. Je n'avais plus rien lu d'aussi bon depuis mes dernières plongées dans les univers de Carson McCullers ou de Mohammed Dib. Les nouvelles de "L'Oiseau moqueur" sont autant de petits miracles de sobriété, de justesse et d'émotion. Et j'ai éprouvé, malgré leur noirceur, un véritable bonheur à les découvrir. Volupté certes teintée d'amertume. Volupté dangereuse aussi car elle m'a inoculé une envie irrépressible de poursuivre ma découverte de l'oeuvre de Jean Rhys.

Extrait

"Quelle belle sonorité a parfois le patois créole! Et ces mots, Temps perdi sont à jamais dans ma mémoire. Je les écrirai quelque part avant de quitter «Rolvenden», dans l'angle d'un miroir peut-être. Et quelqu'un les lira peut-être, quelqu'un qui sait que certains jours attendent au coin de la mémoire que vous les receviez. Qui sait aussi que toute façon, on ne choisit pas ceux qu'on fait revivre. Ils choisissent eux-mêmes." (p. 143)

D'autre livres de Jean Rhys, dans mon chapeau: "Wide Sargasso Sea" et "Quai des Grands-Augustins".

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