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Dans mon chapeau...
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26 mai 2010

Rencontre d'hiver avec António Lobo Antunes

Avec les oiseaux on apprend à mourir.
De même le froid de janvier
pris dans les mailles des branches n'enseigne pas autre chose,
disais-tu, regardant
les palmiers courir vers la lumière.
Qui arrivait à sa fin.
Et avec elle les mots.
J'ai cherché tes yeux où le bleu
innocent s'était réfugié.
Dans l'enfance, le coeur du lin
éloignait les animaux d'ombre.
Demain ce ne sera plus moi qui te verrai
grimper aux peupliers blancs.
Le resplendissement de tes mains impérissables.

Eugénio de Andrade

Foz de Douro, 18.1.2000

Poème placé en exergue de "N'entre pas si vite dans cette nuit noire" d'António Lobo Antunes, Points, 2004 (traduit du Portugais par Carlos Batista)

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25 mai 2010

Un sacré sac de nœuds!

"Des hommes et des femmes" d’Ivy Compton-Burnett51CR9FCX4FL__SL500_AA300_
3 ½ étoiles

Gallimard/Folio, 1984, 281 pages, isbn 2070376176

(traduit de l’Anglais par J.-Robert Vidal)

Je ne sais, de prime abord, par quel bout dévider le terrible nœud de vipères qu’Ivy Compton-Burnett nous a tricoté dans son roman "Des hommes et des femmes". A moins de commencer tout justement parce celle qui en est sans contestation possible le personnage central: lady Harriet Haslam, que la quatrième de couverture (à vrai dire un peu trop bavarde car elle déflore le dénouement du roman) nous dépeint avec une redoutable efficacité comme "névrosée, tyran familial et victime". Toute la fortune familiale venant à l’origine de ses parents, lady Harriet gère les finances des Haslam d’une main de fer, et elle tient tout aussi serrés son mari, Sir Godfrey, et leur quatre enfants, Matthew, Jermyn, Gregory et Griselda. Ses idées concernant la vie que ces derniers devraient mener sont d’ailleurs bien arrêtées, et chacune de ses tentatives pour les faire prévaloir donne lieu à une scène désagréable – des scènes qui s’enchaînent tambour battant jusqu’à ce que lady Harriet se trouve hospitalisée pour soigner la dépression nerveuse qui l’a amenée à faire une tentative de suicide… Les longs mois que durera son absence seront pour les siens le temps d’une toute nouvelle liberté, avant que son retour ne mène "Des hommes et des femmes" vers une résolution devenue inéluctable.

Un sacré nœud de vipères, donc, que viennent encore compléter le recteur de la paroisse, en instance de divorce et qui s’intéresse de très près à la jeune Griselda, sa future ex-épouse, Camilla, qui bien décidée à se recaser dès que possible auprès d’un mari riche et point trop exigeant papillonne allègrement, voletant d’Anthony Dufferin, médecin et ami de la famille, au fils aîné des Haslam, Matthew. Sans oublier enfin toute une troupe de voisins très très bavards et mêle-tout (qui sont d’ailleurs majoritairement des voisines). Nous voilà donc embarqués pour 281 pages de commérages et médisances en tout genre, qu’Ivy Compton-Burnett nous sert avec une acidité que je croirais volontiers insurpassée car même les grands pourfendeurs de l’hypocrisie de la bourgeoisie autrichienne que sont Thomas Bernhard ou Elfriede Jelinek ne sont pas plus caustiques, si leurs réquisitoires témoignent de plus de rage et de chaleur.

Selon ce qui semble être son habitude, c’est par les dialogues, et par les contradictions entre les paroles de ses personnages et leurs actes, qu’Ivy Compton-Burnett mène sa charge contre la bonne société d’une petite ville perdue dans les vertes campagnes anglaises, si terriblement étriquée et - je l’ai déjà dit mais c’est que la chose vaut qu’on y insiste – d’une hypocrisie abyssale. Et l’on ne peut qu’être admiratif, vraiment, devant la qualité de ces dialogues, leur mécanique impeccablement réglée, leur mordant et leur brio. Mais pour ma part, je dois bien avouer qu’ils m’ont souvent paru très écrits, théâtraux, bref, quelque peu artificiels, et que l’acidité qu’ils distillent à jet continu m’a lassée. Et sur le même thème d’une famille dysfonctionnelle que terrorise une toute-puissante figure maternelle, j’ai de loin préféré à "Des hommes et des femmes" – malgré ses incontestables qualités - l’implacable roman de l’américaine Paula Fox, "Les enfants de la veuve", qui m’a semblé tellement plus vrai, plus naturel, plus émouvant…

Extrait:

"- Docteur, dit Godfrey en reculant d’un pas, vous me rendez la vie! Je n’exagère pas en vous disant que voilà des mois que je ne vis plus. L’existence en apparence gaie et animée que je mène ne sert qu’à cacher le vide de mon âme. Mais si je pouvais voir ma femme de temps en temps – une fois par semaine ou même tous les jours – je me déclarerais satisfait. Est-ce trop demander ?
- Attendez-vous au contraire à beaucoup mieux. Harriet est prête à revenir prendre place parmi vous.
- Quoi? Mais c’est impossible, voyons, Docteur! Ce serait trop beau. Nous savons bien que vous avez fait tout ce que vous pouviez, et même au-delà, mais même de vous on ne peut pas exiger de miracle! En tout cas – et je parle au nom de mes enfants comme au mien – il ne peut pas être question de risquer la vie de ma femme pour le plaisir égoïste de retrouver notre vie familiale. Non, non, laissons-la où elle est, au calme, bien surveillée, bien soignée, et heureuse.
- Elle n’est plus rien de tout cela, dit Dufferin. La vérité est que Harriet est complètement guérie et qu’elle peut rentrer ici dès demain."
(pp. 183-184)

15 mai 2010

Plongée dans de sombres secrets familiaux

"Le Prédicateur" de Camilla Läckberg41YDjF87F1L__SL500_AA240_
4 étoiles

Actes Sud/actes noirs, 2009, 376 pages, isbn 9782742781799

(traduit du Suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus)

Voici venu le temps de retrouver le tranquille petit port suédois de Fjällbacka, en pleine canicule estivale, pour une nouvelle enquête d’Erica Falcke et de Patrik Hedström. Quoique… Nos deux héros ont continué à filer le parfait (enfin, plus ou moins parfait) amour depuis leurs retrouvailles à l’époque de "La Princesse des glaces". Et Erica, enceinte jusqu’aux dents, se voit contrainte bien malgré elle de rester à la maison pour faire face à une véritable invasion de cousins et d’amis d’enfance – autant de pique-assiette patentés - pendant que Patrick mène, lui, véritablement les recherches.

En l’occurrence, la découverte du corps sans vie d’une jeune femme horriblement torturée, puis au même endroit de deux squelettes dont la mort remonte au moins à une vingtaine d’années, lance Patrik dans une double enquête visant certes à élucider le crime d’aujourd’hui mais aussi à rouvrir les investigations concernant les disparitions survenues vingt-quatre ans auparavant, des investigations dont le principal suspect, Johannes Hult, s’était suicidé dans des circonstances étranges. Ramenée sous la lorgnette des enquêteurs par ces nouveaux développements, la famille Hult, et les relations troubles et souvent tendues que ses membres entretiennent les uns avec les autres, ne comptent d’ailleurs pas pour peu dans l’intérêt que l’on peut trouver à la lecture de ce deuxième opus de Camilla Läckberg. Ne lâchant ses sombres secrets qu’au compte-goutte, ce vrai nœud de vipères contribue à l’entretien d’un suspense imparable qui ne pourrait trouver de quoi s’alimenter dans les relations toujours tendues - mais désormais sans grande surprise pour le lecteur - d’Erica et de sa jeune sœur Anna.

14 mai 2010

"Alebrijes" (1)

Figurines typiques de l'art populaire mexicain, faites de papier mâché sur une armature de branches de copal, les alebrijes représentent souvent des créatures fantastiques et pour le moins inquiétantes...

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Alebrije, Museo de Arte Popular, Mexico, en prêt au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (cliché Fée Carabine)

Alebrijes (2)

13 mai 2010

Un artiste aux prises avec la Femme, séduisante et fatale...

"L'oeuvre secret de Gustav-Adolf Mossa",
Musée Félicien Rops, Namur,
Jusqu'au 16 mai 2010

Après la visite de la magnifique exposition consacrée au symbolisme en Belgique, aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, pourquoi ne pas rester dans la mouvance la plus baudelairienne de ce courant artistique en compagnie d'un artiste généralement considéré comme le dernier peintre symboliste français. Né à Nice en 1883, fils du directeur du musée des beaux-arts de la ville, un poste auquel il accéda à son tour en 1926, Gustav-Adolf Mossa eut en effet une courte mais très intense période symboliste entre 1904 et 1911, où la figure féminine, aussi séduisante que mortifère, tient une place centrale.

Elle

Gustav-Adolf Mossa, Elle, Musée des Beaux-Arts de Nice (Cliché M. Anssens, source)

Trop(?) provocante et sulfureuse, tenue secrète par son auteur qui la dissimula dans les réserves du musée des beaux-arts de sa ville natale où elle ne fut redécouverte que tout récemment, l'oeuvre symboliste de Gustav-Adolf Mossa impressionne les visiteurs d'aujourd'hui par la richesse et la précision de ses détails autant que par sa réelle force expressive. Et elle s'expose jusqu'au 16 mai au musée provincial Félicien Rops à Namur, très petit musée aux moyens certes modestes mais qui ne cesse d'emporter l'adhésion de ses habitués par une politique très intelligente et fort bien mise en oeuvre, réservant une large part à des expositions temporaires toutes aussi passionnantes les unes que les autres.

Le site officiel de l'exposition.

Et pour en savoir plus au sujet de Gustav-Adolf Mossa, un autre très beau site conçu par un passionné.

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13 mai 2010

Retour vers une époque troublée...

Orph_e"Le symbolisme en Belgique"
Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles
Jusqu'au 27 juin 2010

Autant dire d'entrée que c'est une exposition incontournable que la grande rétrospective que les musées royaux des beaux-arts de Bruxelles consacrent actuellement au mouvement symboliste en Belgique, au tournant des XIXème et XXème siècles. Et c'est une exposition de surcroît particulièrement agréable dont la visite se vit comme une promenade à travers un monde étonnament diversifié et riche de surprises, débarrassé de tout appareil critique* pour privilégier un rapport direct avec les oeuvres, ainsi qu'avec les sources littéraires (Baudelaire, Maeterlinck, Rodenbach...) qui les ont inspirées.

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Constantin Meunier, L'ancêtre, Musée Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles (source)

Le terme de mouvement symboliste est d'ailleurs impropre à décrire ce qui ne fut jamais un courant artistique organisé mais bien plutôt le fruit d'une série d'expérimentations extrêmement variées. Tantôt ouvertement satanistes chez un Félicien Rops, inquiétantes telles les grandes toiles forestières de William de Gouve de Nuncques ou en proie à des tendances morbides affirmées chez Jean Delville (dont l'"Orphée mort" orne d'ailleurs les affiches de l'exposition) qui fut aussi l'un des grands représentants d'une mouvance plus idéaliste, nourrie par les théories rosicruciennes. Et tantôt bien plus réalistes et ancrées dans le quotidien à l'instar de cet "ancêtre" si touchant de Constantin Meunier, des pleurants de George Minne, de certaines scènes d'intérieur de Fernand Khnopff ou encore de quelques très jolies vues de Bruges...

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Fernand Khnopff, En écoutant du Schumann, Musée Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles (source)

Bref, c'est une exposition indispensable pour tous ceux qui pensent aimer l'art symboliste jusque dans ce qu'il peut avoir de plus inquiétant et de morbide. Et une exposition indispensable aussi pour ceux qui pensent ne pas l'aimer parce qu'inquiétant et morbide, et qui découvriront ici bien d'autres facettes de la création artistique, si riche et foisonnante, de cette période.

* Le visiteur désireux d'en savoir plus peut se tourner vers la monographie "Le symbolisme en Belgique" de Michel Draguet que le Fonds Mercator vient de rééditer à l'occasion de l'exposition.

Le site officiel de l'exposition.

Et pourquoi ne pas poursuivre l'exploration de la mouvance symboliste en compagnie de Gustav-Adolf Mossa (qui s'expose au musée provincial Félicien Rops, à Namur)?

10 mai 2010

De la fascination au désintérêt

"N'entre pas si vite dans cette nuit noire" d'António Lobo Antunes41EVAEE35QL__SL500_AA300_
3 ½ étoiles

Points, 2004, 670 pages, isbn 2020551756

(traduit du Portugais par Carlos Batista)

Maria Clara est restée seule dans la villa d'Estoril, tandis que sa jeune soeur Ana Maria a accompagné leur mère à la clinique où leur père vient d'être opéré du coeur. Jolie et délicate, Ana Maria est sans conteste le digne produit de la lignée maternelle, la descendante du général habitué à côtoyer les grands de ce monde, qui bâtit en Afrique une fortune dont il ne reste aujourd'hui plus rien. Noiraude et sans grâce, Maria Clara est "l'homme de la maison", la digne fille de son père, qui, selon le mantra répété jusqu'à satiété, n'a lui jamais eu de famille. Et la semaine que doit durer l'absence paternelle est, pour celle qui écrit dans son journal "j'étais si perdue
alors je ne tenais de personne puisque mon père n'avait jamais eu de famille, seul dans son bureau avec les Noirs et les Arabes ou recevant cérémonieusement des invités dans le salon, un éclat de soleil a rebondi sur le pot vers mon cou, s'est attardé au plafond avant d'être subitement avalé par la portière"
, l'occasion rêvée de fouiller dans les malles entassées au grenier où son père aime à s'enfermer le dimanche après-midi, et de tenter de reconstituer un passé familial occulté à partir des photos, des vieux bulletins scolaires ou des jouets qu'elle pourrait y trouver.

"N'entre pas si vite dans cette nuit noire" est le journal de ces sept jours. Un journal qui compose une sorte de récit des origines que viennent d'ailleurs scander des passages du récit de la création du monde dans la Genèse. Un journal offrant un récit très libre – "N'entre pas si vite dans cette nuit noire" est étiqueté "poème" et non "roman", et ce n'est certainement pas un hasard -, progressant par association libre comme lors d'une psychanalyse, et l'on découvrira plus avant dans le texte qu'il s'agit bien aussi de cela. Au fil des pages, Maria Clara laisse ainsi libre cours à son imagination, à ses fantasmes et à ses angoisses au moins autant qu'à ses souvenirs, et les autres voix qui viennent se mêler à la sienne ne sont peut-être rien d'autre encore que les fruits de son imagination débordante. Dès lors, faut-il encore préciser que l'on ne connaîtra pas le mot de la fin de cette histoire familiale dans laquelle on s'avance comme dans un terrain mouvant, incertain, piégé peut-être?

António Lobo Antunes n'est à mon avis jamais si bon que lorsqu'il plonge au plus profond des secrets familiaux, des non-dits, des frustrations, des rancoeurs et des liens de dépendance qui tissent, entre autres choses, les relations familiales. Et c'est bien le cas dans les deux premiers tiers de "N'entre pas si vite dans cette nuit noire", alors qu'une autre thématique, qui pointait déjà le bout de son nez dans son roman précédent, "Exhortation aux crocodiles", vient se mêler à l'exploration par Maria Clara de ses origines paternelles: tentative ou plutôt refus - je ne sais - d'apprivoiser la proximité de la mort à l’égal du poème si célèbre de Dylan Thomas "Do not go gentle into that good night" auquel le titre n'a d'ailleurs pas cessé de me renvoyer. Ou encore de cet autre poème d’Eugénio de Andrade qu’António Lobo Antunes a d’ailleurs choisi de placer en exergue de son livre

Les deux premiers tiers de "N'entre pas si vite dans cette nuit noire" sont à bien des égards magnifiques et bouleversants, oui vraiment. Mais ce livre souffre à mes yeux d'un gros défaut: il n'en finit littéralement pas... à croire que Maria Clara parle aussi pour l’auteur lorsqu’elle avoue: "J’arrive maintenant à la fin de mon récit et ça me fait de la peine
ça m’a toujours fait de la peine de voir la fin de quelque chose
je diffère alors le moment de sortir mon journal caché dans le tiroir et de m’asseoir à la table (…) j’écris une ligne ou deux, les efface, les réécris mais ça ne s’est pas passé ainsi, un trait plus appuyé barrant les mots, comme les mots restent lisibles un deuxième trait plus appuyé encore, d’autres traits vifs en X et quand la phrase n’est plus compréhensible je m’acharne à la redéchiffrer car ça s’est bien passé ainsi, à la refaire dans ma tête sans la retrouver, à chercher l’idée qui a engendré l’idée sans y arriver…"
(p. 567) Et pendant que les confidences de Maria Clara n’en finissent pas d’en finir, irrésistiblement, la fascination des débuts cède la place à un désintérêt poli.

Extrait:

"et je crois que ce que je vous dit s'apparente aux nuages, lents, sans contours, changeant de forme et me faisant mal à l'intérieur tout comme ma mère et mon père me font mal à l'intérieur, ma mère me fait mal à l'intérieur, je me fais mal à l'intérieur et parce que cela me fait mal à l'intérieur j'invente sans cesse espérant que vous imaginez que j'invente et dès lors que vous imaginez que j'invente et que vous ne croyez pas en moi je deviens à même d'être sincère avec vous, il est sûr que de temps en temps, à supposer que vous me croyez honnête, je vous offre un nuage jaune ou un marron et une main pleine d'oiseaux en guise de vérité, la vérité par exemple c'est Ana m'embrassant à l'entrée de la clinique et moi repoussant ses mains, papa est malade Maria Clara
Clarinha
Papa est malade Clarinha, papa est si malade, qu'allons-nous faire, une fable vous comprenez, une exagération, mon père peut-être un peu plus faible mais déjà capable de manger, les gens nous regardent avec une pitié qui me donne envie de les effayer par des cris"
(pp. 445-446)

D'autres livres d'António Lobo Antunes, auteur des mois de février et mars 2010 sur Lecture/Ecriture, et dans mon chapeau: "Le retour des caravelles" et "Exhortation aux crocodiles".

4 mai 2010

"Do not go gentle..."

"Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave;
Rage, rage against the dying of the light.

Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieved it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay,
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on the sad height,
Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night,
Rage, rage against the dying of the light."

Dylan Thomas, "Collected Poems 1934-1953", Everyman, 1993, p. 148

"N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s'emporter à la chute du jour;
Rager, s'enrager contre la mort de la lumière.

Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l'obscur est mérité,
Parce que leurs paroles n'ont fourché nul éclair ils
N'entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes bons, passée la dernière vague, criant combien clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en une verte baie
Ragent, s'enragent contre la mort de la lumière.

Les hommes violents qui prirent et chantèrent le soleil en plein vol,
Et apprennent, trop tard, qu'ils l'ont affligé dans sa course,
N'entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue aveuglante
Que leurs yeux aveugles pourraient briller comme météores et s'égayer,
Ragent, s'enragent contre la mort de la lumière.

Et toi, mon père, ici sur la triste élévation
Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes, je t'en prie.
N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la mort de la lumière."

Dylan Thomas, "Vision et Prière", Poésie/Gallimard, 1991, pp. 15-16 (traduit de l'Anglais par Alain Suied)

3 mai 2010

Une beauté austère et inaccessible

"Sortilèges de l'Ouest" de Rob Schultheis41_rv3hZshL__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Gallmeister, 2009, 203 pages, isbn 9782351780237

(traduit de l'Anglais par Marc Amfreville)

Devenu tout à la fois journaliste, écrivain, ethnologue et alpiniste, après avoir passé une bonne part de sa jeunesse en Extrême-Orient, Rob Schultheis a certainement plus d'une corde à son arc, et ce qui est plus important encore, ces expériences si diverses lui confèrent un regard très personnel et singulier, qui se double d'un esprit critique particulièrement aiguisé. Couvrant les guerres d'Afghanistan (l'invasion soviétique tout d'abord, puis la guerre contre les talibans), cela lui valut de voir sa tête mise à prix successivement par le KGB et par les adeptes du mollah Omar. Plus récemment ses enquêtes sur le terrain en Irak ont également retenu l'attention, mais Rob Schultheis n'en a pas pour autant négligé d'appliquer ses multiples talents à son pays natal ainsi qu'en témoignent ces "Sortilèges de l'Ouest" rassemblant les récits et les impressions d'une série de voyages que l'auteur a effectués dans l'ouest américain, du plateau du Colorado au Nord du Mexique, entre 1962 et les années 1980.

Sous le désordre apparent des chapitres dont la succession bouscule allègrement la chronologie, et même la logique géographique, c'est pourtant une vision cohérente d'un monde - complexe, magnifique, inhospitalier, menaçant et menacé – qui se fait jour au fil des pages de ces "Sortilèges de l'Ouest", tant l'attention de Rob Schultheis ne semble rien avoir laissé échapper. Ni les destinées des peuples indiens, des villages abandonnés des Anasazis et des dons de voyant de Crazy Horse aux difficultés que vivent les Navajos, les Kickapoos et tous les autres pour faire subsister un peu de leur culture dans les Etats-Unis d'aujourd'hui. Ni de la beauté austère, minérale et inhumaine de paysages menacés par la charge que les grandes métropoles de l'Ouest américain font peser sur les ressources naturelles de leur arrière-pays, et en premier lieu, sur ses réserves d'eau douce.

Invitation à réfléchir – et plutôt deux fois qu'une - à nos modes de vie, "Sortilèges de l'Ouest" est aussi un hymne à la beauté fragile d'une nature grandiose, que l'homme avait jusqu'ici à peine effleurée, et une incitation à ne pas aller l'envahir à grands renforts de hordes de touristes mais bien à la laisser tranquille. La poésie et le merveilleux s'y mêlent volontiers à la rigueur et à la précision de l'essayiste pour nous offrir un texte magnifique, qui ne devrait laisser insensible ni les citoyens soucieux de la préservation de l'environnement, ni les amoureux des grands espaces américains, ni les amoureux de "bonne" littérature (celle qui étonne, instruit, passionne, intrigue, dérange, celle surtout qui émeut et émerveille ses lecteurs).

Extrait:

"J'avançai sur le lac à grands coups de pagaie, et en un rien de temps, je me retrouvai au beau milieu de milliers de grèbes: de petits oiseaux nerveux et tristes aux yeux inquiets. Ils s'éloignaient imperceptiblement à mon approche. Il y en avait tellement! Sept cent cinquante mille, ce n'est qu'un nombre abstrait jusqu'à ce qu'il se métamorphose en quelque chose de vivant. L'air bruissait du frémissement d'un milliard d'ailes, un bruit blanc, comme le vent ou l'eau dans le lointain. Abaissant le regard jusqu'à l'endroit où ma rame fendait la surface, je voyais l'eau bouillonner de crevettes artémias; il aurait suffi de placer les mains en corolle pour ramasser une vingtaine de ces crustacés aériens et translucides. Le lac ressemblait maintenant à un chaudron en ébullition. Partout, presque à perte de vue, les oiseaux barbotaient et plongeaient pour saisir leurs proies: contre toute attente, un ballet de vie et de mort, d'algues et de diatomées, de crevettes, de mouches et d'oiseaux, au coeur sépulcral de ce désert de pierre." (p. 177)

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