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Dans mon chapeau...
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25 mai 2010

Un sacré sac de nœuds!

"Des hommes et des femmes" d’Ivy Compton-Burnett51CR9FCX4FL__SL500_AA300_
3 ½ étoiles

Gallimard/Folio, 1984, 281 pages, isbn 2070376176

(traduit de l’Anglais par J.-Robert Vidal)

Je ne sais, de prime abord, par quel bout dévider le terrible nœud de vipères qu’Ivy Compton-Burnett nous a tricoté dans son roman "Des hommes et des femmes". A moins de commencer tout justement parce celle qui en est sans contestation possible le personnage central: lady Harriet Haslam, que la quatrième de couverture (à vrai dire un peu trop bavarde car elle déflore le dénouement du roman) nous dépeint avec une redoutable efficacité comme "névrosée, tyran familial et victime". Toute la fortune familiale venant à l’origine de ses parents, lady Harriet gère les finances des Haslam d’une main de fer, et elle tient tout aussi serrés son mari, Sir Godfrey, et leur quatre enfants, Matthew, Jermyn, Gregory et Griselda. Ses idées concernant la vie que ces derniers devraient mener sont d’ailleurs bien arrêtées, et chacune de ses tentatives pour les faire prévaloir donne lieu à une scène désagréable – des scènes qui s’enchaînent tambour battant jusqu’à ce que lady Harriet se trouve hospitalisée pour soigner la dépression nerveuse qui l’a amenée à faire une tentative de suicide… Les longs mois que durera son absence seront pour les siens le temps d’une toute nouvelle liberté, avant que son retour ne mène "Des hommes et des femmes" vers une résolution devenue inéluctable.

Un sacré nœud de vipères, donc, que viennent encore compléter le recteur de la paroisse, en instance de divorce et qui s’intéresse de très près à la jeune Griselda, sa future ex-épouse, Camilla, qui bien décidée à se recaser dès que possible auprès d’un mari riche et point trop exigeant papillonne allègrement, voletant d’Anthony Dufferin, médecin et ami de la famille, au fils aîné des Haslam, Matthew. Sans oublier enfin toute une troupe de voisins très très bavards et mêle-tout (qui sont d’ailleurs majoritairement des voisines). Nous voilà donc embarqués pour 281 pages de commérages et médisances en tout genre, qu’Ivy Compton-Burnett nous sert avec une acidité que je croirais volontiers insurpassée car même les grands pourfendeurs de l’hypocrisie de la bourgeoisie autrichienne que sont Thomas Bernhard ou Elfriede Jelinek ne sont pas plus caustiques, si leurs réquisitoires témoignent de plus de rage et de chaleur.

Selon ce qui semble être son habitude, c’est par les dialogues, et par les contradictions entre les paroles de ses personnages et leurs actes, qu’Ivy Compton-Burnett mène sa charge contre la bonne société d’une petite ville perdue dans les vertes campagnes anglaises, si terriblement étriquée et - je l’ai déjà dit mais c’est que la chose vaut qu’on y insiste – d’une hypocrisie abyssale. Et l’on ne peut qu’être admiratif, vraiment, devant la qualité de ces dialogues, leur mécanique impeccablement réglée, leur mordant et leur brio. Mais pour ma part, je dois bien avouer qu’ils m’ont souvent paru très écrits, théâtraux, bref, quelque peu artificiels, et que l’acidité qu’ils distillent à jet continu m’a lassée. Et sur le même thème d’une famille dysfonctionnelle que terrorise une toute-puissante figure maternelle, j’ai de loin préféré à "Des hommes et des femmes" – malgré ses incontestables qualités - l’implacable roman de l’américaine Paula Fox, "Les enfants de la veuve", qui m’a semblé tellement plus vrai, plus naturel, plus émouvant…

Extrait:

"- Docteur, dit Godfrey en reculant d’un pas, vous me rendez la vie! Je n’exagère pas en vous disant que voilà des mois que je ne vis plus. L’existence en apparence gaie et animée que je mène ne sert qu’à cacher le vide de mon âme. Mais si je pouvais voir ma femme de temps en temps – une fois par semaine ou même tous les jours – je me déclarerais satisfait. Est-ce trop demander ?
- Attendez-vous au contraire à beaucoup mieux. Harriet est prête à revenir prendre place parmi vous.
- Quoi? Mais c’est impossible, voyons, Docteur! Ce serait trop beau. Nous savons bien que vous avez fait tout ce que vous pouviez, et même au-delà, mais même de vous on ne peut pas exiger de miracle! En tout cas – et je parle au nom de mes enfants comme au mien – il ne peut pas être question de risquer la vie de ma femme pour le plaisir égoïste de retrouver notre vie familiale. Non, non, laissons-la où elle est, au calme, bien surveillée, bien soignée, et heureuse.
- Elle n’est plus rien de tout cela, dit Dufferin. La vérité est que Harriet est complètement guérie et qu’elle peut rentrer ici dès demain."
(pp. 183-184)

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