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Dans mon chapeau...
Dans mon chapeau...
28 novembre 2008

Un week end à New York...

221320... sans sortir de chez soi. C'est ce que nous propose Musiq'3 (programme "classique" de la radio belge francophone) qui avait envoyé une petite équipe de journaliste prendre le pouls de la ville, de sa vie artistique mais aussi sociale et politique, au moment des élections présidentielles du début de ce mois.

Avec au programme, la retransmission, en direct du Metropolitan Opera, de "La damnation de Faust" d'Hector Berlioz, mais aussi une plongée dans les archives du Carnegie Hall qui nous permettra de retrouver Vladimir Horowitz, Isaac Stern ou encore le Buena Vista Social Club. Et bien sûr, le jazz ne sera pas oublié notamment grâce à la participation de Wynton Marsalis.

Pour plus d'informations, ou simplement pour écouter le programme de Musiq'3 sur internet, c'est là.

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26 novembre 2008

"Du corps par le corps avec le corps..."*

"Syngué sabour - Pierre de patience" d'Atiq Rahimi21Q9ky3V8OL__SL500_AA240_
4 1/2 étoiles

P.O.L., 2008, 155 pages, isbn 9782846822770

Dans un pays en guerre, une ville en proie à des combats acharnés, une femme veille son mari blessé, qu'une balle dans la nuque a laissé paralysé. "Son homme" qui l'a été si peu: si peu un homme digne de ce nom mais c'est que "quand c'est dur d'être femme, ça devient dur aussi d'être homme" (p. 152), et si peu à elle. En dix ans de mariage, ils n'ont partagé que trois ans de vie commune car il était parti la plupart du temps. Se battre.

Dans un pays en guerre, une femme se réapproprie le corps de son homme, qu'il ne lui laissait presque pas toucher, au temps de sa force. Et du même mouvement, elle se réapproprie son propre corps. Et la parole que son mari n'écoutait guère. Inlassablement, elle dévide ses souvenirs, ses regrets et ses secrets, au rythme des souffles de son homme, au rythme des grains du chapelet qui roulent entre ses doigts et des 99 noms de Dieu qui scandent sa prière.

J'avais aimé les deux premiers romans d'Atiq Rahimi - "Terres et cendres" et "Les mille maisons du rêve et de la terreur". Je ne pouvais donc manquer de lire son nouveau livre, Goncourt ou pas. Et pourtant, "Syngué sabour" a séjourné plusieurs semaines sur mes étagères, attendant son heure. Attendant l'heure propice pour laisser résonner la poésie - séduisante et toujours un peu étrange à nos yeux d'occidentaux - que l'auteur est allé puiser aux sources de la littérature persane. Attendant l'heure d'affronter un sujet que l'on peut, sans aucun doute, qualifier de "difficile", l'évocation des violences faites aux femmes - du déni de leur être - dans un pays déchiré par le fanatisme religieux, en Afghanistan ou ailleurs.

Mais autant dire d'entrée que, si "Syngué sabour" n'a pas déçu mes attentes, le nouveau roman d'Atiq Rahimi m'a aussi prise par surprise, et offert ce que je n'en attendais pas: la force et la douceur qui s'y opposent à l'indéniable violence... La force et la douceur des gestes quotidiens, inlassablement répétés, les détails si concrets qui font que cette pierre de patience est peut être d'un accès plus aisé - c'est du moins mon sentiment - que les précédents romans de l'auteur. Et surtout, la force et la douceur des corps qui affirment leur désir de vie...

Extrait:

"Elle s'adosse au mur, et laisse passer un long moment - peut-être une dizaine de tours de chapelet, comme si elle l'égrenait encore au rythme de souffles de l'homme -, le temps de réfléchir, de partir dans les recoins de sa vie, et puis de revenir avec des souvenirs: «Tu ne m'as jamais parlé de tout cela! Cela fait plus de dix ans que nous sommes mariés, mais nous n'avons vécu ensemble que deux ou trois ans. Non?» Elle compte. «Oui, dix ans et demi de mariage, trois ans de vie commune! C'est maintenant que je compte. C'est aujourd'hui que je me rends compte de tout!» Un sourire. Un sourire jaune et court qui remplace mille et un mots pour exprimer ses regrets, ses remords..." (pp. 67-68)

* "Du corps par le corps avec le corps
depuis le corps et jusqu'au corps."

Antonin Artaud, cité en exergue de "Syngué sabour - Pierre de patience"

25 novembre 2008

"Presso Voghera/Près de Voghera"

Presso Voghera

Getare di nuovo tutto: questa terra
che è già novembre, e brucia sottovoce,
ricordi, rovi, stoppie, Chi t'incontra
ha bavero e cappello, fiato duro.
E campi, e cittadine,
tutte le strade di tutti i luoghi si riassumono
in questa tratta d'argine: cammini
adagio, conti i sassi, non sai niente.

Près de Voghera

Tout jeter à nouveau: cette terre
qui est déjà novembre, qui brûle à voix basse,
ronces, chaumes, souvenirs. Ceux que tu croises
ont chapeau, col relevé, le souffle court.
Et des champs, et des petites villes,
toutes les rues de partout se résument
à ce bout de berge: tu marches
lentement, tu comptes les cailloux, tu ne sais rien.

Fabio Pusterla, "Deux rives",  Cheyne/D'une voix l'autre, 2004, pp. 64-65 (traduit de l'Italien par B. de Jurquet et Ph. Jaccottet)

23 novembre 2008

En quête de réconciliation

"Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre" de Mia Couto
4 étoiles41br7f2PdSL__SL160_AA115_

Albin Michel/Les grandes traductions, 2008, 273 pages, isbn 9782226188588

(traduit du Portugais par Maryvonne Lapouge-Pettorelli)

Parti à la ville pour y poursuivre ses études, Mariano s'était éloigné de toutes les façons possibles de son île natale, Luar-do-Chão, et de sa famille. Mais juste avant de mourir, son grand-père a exprimé le souhait que son petit-fils préféré, à qui il avait donné son propre prénom, soit le maître de cérémonie lors de ses obsèques, l'obligeant ainsi à revenir dans l'île pour un retour qui prendra très vite des allures de parcours initiatique.

Retrouvant sa grand-mère, son père, ses oncles et sa tante, Mariano se voit aussi confronté à des traditions qu'il avait complètement oubliées au cours des années passées dans la modernité de la ville, et à une longue suite d'événements mystérieux dont les moindres ne sont certes pas les lettres que lui fait parvenir son défunt grand-père, dans ce qui semble une ultime tentative pour réconcilier le passé et l'avenir de leur famille et de leur île: "C'est pour cela que tu vas prendre connaissance de ces lettres et trouver non pas la feuille écrite mais un vide que tu vas remplir toi-même, avec tes calligraphies. Tu connais le dicton: les blessures de la bouche se soignent avec sa propre salive. C'est la tâche que nous allons accomplir ici, toi et moi, d'un côté et de l'autre des mots. Je fournis les voix, tu fournis l'écriture. Pour que nous sauvions Luar-do-Chão, l'endroit où nous allons naître à nouveau. Et sauvions notre famille, qui est l'endroit où nous sommes éternels." (p. 68)

Et à travers l'histoire de la famille de Mariano, c'est toute l'histoire du Mozambique qu'il nous est aussi donné de (re)lire, les blessures familiales se faisant métaphores des fractures de la décolonisation et de ses combats dont le père de Mariano ne s'est d'ailleurs jamais vraiment remis, lui qui "Jeune, (...) s'était senti étranger dans son pays. Il avait cru que la raison de cette souffrance était une et exclusive: le colonialisme. Mais ensuite l'Indépendance avait eu lieu et il avait conservé une bonne part de sa lucidité. Et aujourd'hui il faisait ce constat: ce n'était pas d'un pays qu'il était exclu. Il était étranger au sein non pas d'une nation, mais du monde." (p. 76) Au fil des retrouvailles entre trois générations d'une famille, tradition et modernité se croisent, se frôlent, se heurtent mais se rencontrent aussi, heureusement - l'écriture étonnament inventive de Mia Couto se mettant ici au service d'un récit tout à la fois âpre, rugueux et par moments d'une miraculeuse tendresse, comme lors de cet instant de complicité entre Mariano et sa grand-mère aux doigs rongés par le jus corrosif des noix de cajou qu'elle devait décortiquer pendant des journées entières, au temps de sa jeunesse: "La grand-mère suspend ses évocations et me caresse le visage. Mais aussitôt elle se reprend comme si elle prenait conscience de la répugnance que peuvent me causer ses mains léprosées.
- Excuse-moi, mon petit-fils. Ce que j'ai là ce ne sont pas des doigts...
Ils ne m'impressionnent déjà plus ces doigts abîmés, tant son geste est plein de tendresse. Je lui prends la main et l'amène de retour sur mon visage. Je baise ses doigts. Elle se sent embrassée à l'âme." (pp. 48-49)

C'est là une belle découverte que je dois à Jean-Yves Loude, qui évoquait l'oeuvre de Mia Couto avec admiration dans son livre "Lisbonne, dans la ville noire".

Un autre extrait de "Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre", dans mon chapeau: ici.

Et un autre livre de Mia Couto: "La véranda au frangipanier".

Un article très complet consacré à "Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre" dans The African Review of Books [en Anglais]

22 novembre 2008

"In the bleak midwinter" (1)

L'année dernière, à cette époque, je me trouvais dans les Hautes Fagnes, pâles et blèmes sous leur édredon blanc. Et aujourd'hui, ce paysage ne présente sans doute pas un visage fort différent...

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Hautes Fagnes (cliché Fée Carabine)

"In the bleak midwinter" (2) et (3)

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20 novembre 2008

La beauté est comme une lumière

"La beauté, expliquait-il, est comme la lumière qui se pose, certains visages plus que d'autres prennent la lumière, mais au fond ils n'en savent rien, la beauté répond aux lois physiques de la lumière, diffusion, réflexion, diffraction, la beauté est comme le givre qui fond lorsqu'on le touche, seuls ceux qui savent regarder peuvent nouer un pacte avec elle, la beauté est toujours de passage, il faut aller vers elle les mains vides."

François Emmanuel, "L'invitation au voyage", La Renaissance du Livre, 2003, p. 35

18 novembre 2008

Poésie perdue et retrouvée

"Petite suite de pertes irréparables" de Vera Feyder
4 1/2 étoiles
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Lansman, 1998, 57 pages, isbn 2872822240

C'est un long voyage dans un train bondé, et le Voyageur n'aimerait rien tant que de le passer en compagnie de son livre et de ses poètes favoris, Aragon, Vigny, Baudelaire... et Paul Nizan dont une phrase - "Le voyage est une suite de pertes irréparables" (p. 10) - donne son titre à cette pièce de théâtre. Une pièce fourmillante de vie, criante de vérité, où le Voyageur, qui en est le héros, ne cesse de perdre, de retrouver et de reperdre le fil de sa lecture, happé bien malgré lui par les conversations de ses compagnons de voyage.

Le temps de ce voyage, ce sont les vies ordinaires d'une humanité en miniature - une éternelle indécise et son amoureux, un cruciverbiste et sa femme, le cadre moyen dans toute son horreur et son subordonné, et des enfants qui courent partout... - qui entrent en collision avec les paroles des poètes. De ces chocs entre la vie et la poésie, jaillissent des étincelles: étincelles de sens, étincelles de drôlerie, étincelles serrant le coeur. Autant d'éclats, autant de voix faisant de cette pièce chorale un véritable enchantement!

Extrait:

La fiancée: Alors, ce voyage?
Le Voyageur:
Mouvementé
La fiancée: Ah! (Baiser)
Tu as rencontré des gens?
Le Voyageur: Beaucoup
La fiancée: Intéressants?
Le Voyageur:
Bruyants.
La fiancée: Fallait changer de place.
Le Voyageur:
Ce que j'ai fait. Je me suis évadé.
La fiancée (riant): Tu as sauté du train?
Le Voyageur:
J'ai pris des conversations en marche... puis mes jambes à mon cou!
La fiancée (l'embrassant en riant):
Tu es fou!
Le Voyageur: Oui. Et heureusement, j'avais des complices dans la place! (p. 54)

D'autres livres de Vera Feyder, dans mon chapeau: "Règlements de contes", "Caldeiras" et "Liège".

Et l'avis de Mapero sur un autre livre de Vera Feyder: "La Derelitta".

17 novembre 2008

Joli rebond!

18451305"Match Point" de Woody Allen,
avec Scarlett Johansson, Emily Mortimer et Jonathan Rhys-Meyers

Rediffusé hier soir sur France 2, ce Woody Allen cuvée 2005 est décidément un des meilleurs crus du réalisateur new yorkais. Traversant l'Atlantique pour se poser au bord de la Tamise, dans un Londres de cartes postales, celui-ci nous offre un portrait tout en nuances d'un jeune arriviste bien décidé à se faire sa petite place au sein de la jet-set britannique.

Servi par une brochette d'acteurs tous aussi impeccables les uns que les autres - Scarlett Johansson et Jonathan Rhys-Meyers en tête -, "Match Point" est une fable cynique sur la réussite, la chance et le mérite. Cynique, mais pas que... et c'est ce qui fait pour moi tout le sel et le charme de ce film que j'ai revu avec plaisir. Même s'il est encore bien meilleur en V.O. (franchement, c'est juste moi? Ou bien ce doublage était vraiment catastrophique?)!

D'autres films de Woody Allen, dans mon chapeau: "Accords et désaccords", "Maris et femmes" et "Whatever works".

16 novembre 2008

"Le paysage immobile"

En ce jour transparent
la lumière couve les pierres

Si tu touches la terre
elle s'émiette

La parole éclate de chaleur

Continue ton errance
dans ce paysage immobile
celui qui s'arrête
est perdu

Anise Koltz, "Le cri de l'épervier", Editions Phi/Collection Graphiti, 2000, p. 9

Un autre poème d'Anise Koltz, dans mon chapeau: "Paysage de neige"

14 novembre 2008

La naissance d'un mythe

"L'invention de la Vénus de Milo" de Takis Théodoropoulos
4 étoiles51H_hHlLBgL__SL160_AA115_

Sabine Wespieser, 2008, 216 pages, isbn 9782848050645

(traduit du Grec par Michel Grodent)

Par un beau jour du printemps 1820, un paysan de la petite île grecque de Milo a trouvé par hasard dans son champ les deux morceaux - buste et jambes - d'une statue qui est aujourd'hui une des stars incontestées du musée du Louvre. Et c'est le parcours de cette sculpture, d'un modeste champ à un palais, que Takis Théodoropoulos entreprend de nous conter ici. Une invention, vraiment, plutôt qu'une découverte. Et une invention qui emprunte autant à l'esprit du début du XIXème siècle qu'aux qualités plastiques indéniables de celle que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de Vénus de Milo.

L'époque était à l'évidence très particulière. La Grèce était sur le point d'entamer sa guerre d'indépendance contre l'occupant ottoman, et dans le même temps à l'affut de toutes les traces de son prestigieux passé qui pourraient l'aider à se refaire une fierté nationale. Mais les patriotes grecs n'étaient pas les seuls à se passionner pour l'art antique: tous les grands de ce monde - rois de France ou de Bavière - étaient pris de la même fièvre, et pour tous, c'était une question de prestige plus encore peut-être que d'esthétique... Et les complexités de la géopolitique de se mêler ainsi aux ambitions et aux agendas secrets des uns et des autres.

Takis Théodoropoulos a si bien su capturer le génie de cette période agitée "durant laquelle l'avenir envahit brutalement le présent, saccageant les vies humaines au nom de l'Histoire" (pp. 99-100), que son "invention de la Vénus de Milo" se lit comme un document, une merveilleuse leçon d'histoire de l'art qui réussit même à faire oublier qu'elle est une leçon. Tout, absolument tout dans ce livre semble parfaitement vrai*. Et pourtant ce récit est romanesque en diable, avec sa fabuleuse galerie de personnages: un paysan grec roublard, son apprenti trop bavard, un jeune aspirant de marine français malheureux en amour et l'épouse du consul de France à Milo, qui s'ennuie, mais qui s'ennuie (et qui en plus est allergique au soleil, alors la Grèce, vous pensez bien...) Sans oublier un prince ottoman collectionneur acharné et son factotum, un moine grec défroqué et voleur, ou un jeune Jules Dumont d'Urville, le futur explorateur des mers australes ici portraituré en opportuniste sans scrupule. Tous feraient de merveilleux personnages de roman, ce que d'ailleurs ils sont peut-être. Mais au fond, peu importe. Car le ton doucement caustique et pince-sans-rire de Takis Théodoropoulos fait de son "invention de la Vénus de Milo" un vrai petit régal de lecture. Alors réalité ou fiction, qui s'en soucie, vraiment ;-)?

*Et de fait, toutes les informations que j'ai pu recouper se sont révélées exactes.

Extrait:

"Les coutumes du IIe siècle de notre ère, c'est une chose. C'en est une autre de croire que Vénus est la déesse appropriée aux élans amoureux. Et les moeurs du XIXe siècle, c'en est encore une troisième, dans l'environnement sévèrement orthodoxe des Grecs de Milo où la sobre figure de la Vierge, avec son déficit de féminité, fixait les critères de la beauté féminine. Il y a une différence entre une statue intacte et surtout revêtue de couleurs qui contribuent à sa vraisemblance et un tronc brisé, exempt de bras, allongé dans votre champ parmi les pierres, souillé encore de terre, d'herbe et d'humidité. Loin de moi, l'idée de méconnaître l'impression qu'a dû faire sur Yorgos Kendrôtas et sur son apprenti, l'apparition inattendue parmi les ombres matinales d'une gorge dénudée de femme. Quand toujours sous l'effet du sommeil et sans nourrir le moindre soupçon, ils se dépêchaient de ramasser leurs pierres histoire d'en finir une heure plus tôt! Cela s'appelle un viol du quotidien et cela montre la manière dont une oeuvre d'art, issue de la lointaine réalité qui la vit naître, s'inscrit dans le présent comme une fissure créée à la surface du temps. L'impression est d'autant moins contrôlable que l'oeuvre surgit dans la nature, comme un élément quasi vivant en somme, bien avant d'être rangée dans une quelconque salle de musée, parmi ces créatures sexuellement interchangeables exhibées à l'intention des visiteurs avertis." (pp. 38-39)

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