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Dans mon chapeau...
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23 novembre 2008

En quête de réconciliation

"Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre" de Mia Couto
4 étoiles41br7f2PdSL__SL160_AA115_

Albin Michel/Les grandes traductions, 2008, 273 pages, isbn 9782226188588

(traduit du Portugais par Maryvonne Lapouge-Pettorelli)

Parti à la ville pour y poursuivre ses études, Mariano s'était éloigné de toutes les façons possibles de son île natale, Luar-do-Chão, et de sa famille. Mais juste avant de mourir, son grand-père a exprimé le souhait que son petit-fils préféré, à qui il avait donné son propre prénom, soit le maître de cérémonie lors de ses obsèques, l'obligeant ainsi à revenir dans l'île pour un retour qui prendra très vite des allures de parcours initiatique.

Retrouvant sa grand-mère, son père, ses oncles et sa tante, Mariano se voit aussi confronté à des traditions qu'il avait complètement oubliées au cours des années passées dans la modernité de la ville, et à une longue suite d'événements mystérieux dont les moindres ne sont certes pas les lettres que lui fait parvenir son défunt grand-père, dans ce qui semble une ultime tentative pour réconcilier le passé et l'avenir de leur famille et de leur île: "C'est pour cela que tu vas prendre connaissance de ces lettres et trouver non pas la feuille écrite mais un vide que tu vas remplir toi-même, avec tes calligraphies. Tu connais le dicton: les blessures de la bouche se soignent avec sa propre salive. C'est la tâche que nous allons accomplir ici, toi et moi, d'un côté et de l'autre des mots. Je fournis les voix, tu fournis l'écriture. Pour que nous sauvions Luar-do-Chão, l'endroit où nous allons naître à nouveau. Et sauvions notre famille, qui est l'endroit où nous sommes éternels." (p. 68)

Et à travers l'histoire de la famille de Mariano, c'est toute l'histoire du Mozambique qu'il nous est aussi donné de (re)lire, les blessures familiales se faisant métaphores des fractures de la décolonisation et de ses combats dont le père de Mariano ne s'est d'ailleurs jamais vraiment remis, lui qui "Jeune, (...) s'était senti étranger dans son pays. Il avait cru que la raison de cette souffrance était une et exclusive: le colonialisme. Mais ensuite l'Indépendance avait eu lieu et il avait conservé une bonne part de sa lucidité. Et aujourd'hui il faisait ce constat: ce n'était pas d'un pays qu'il était exclu. Il était étranger au sein non pas d'une nation, mais du monde." (p. 76) Au fil des retrouvailles entre trois générations d'une famille, tradition et modernité se croisent, se frôlent, se heurtent mais se rencontrent aussi, heureusement - l'écriture étonnament inventive de Mia Couto se mettant ici au service d'un récit tout à la fois âpre, rugueux et par moments d'une miraculeuse tendresse, comme lors de cet instant de complicité entre Mariano et sa grand-mère aux doigs rongés par le jus corrosif des noix de cajou qu'elle devait décortiquer pendant des journées entières, au temps de sa jeunesse: "La grand-mère suspend ses évocations et me caresse le visage. Mais aussitôt elle se reprend comme si elle prenait conscience de la répugnance que peuvent me causer ses mains léprosées.
- Excuse-moi, mon petit-fils. Ce que j'ai là ce ne sont pas des doigts...
Ils ne m'impressionnent déjà plus ces doigts abîmés, tant son geste est plein de tendresse. Je lui prends la main et l'amène de retour sur mon visage. Je baise ses doigts. Elle se sent embrassée à l'âme." (pp. 48-49)

C'est là une belle découverte que je dois à Jean-Yves Loude, qui évoquait l'oeuvre de Mia Couto avec admiration dans son livre "Lisbonne, dans la ville noire".

Un autre extrait de "Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre", dans mon chapeau: ici.

Et un autre livre de Mia Couto: "La véranda au frangipanier".

Un article très complet consacré à "Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre" dans The African Review of Books [en Anglais]

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