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Dans mon chapeau...
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18 juin 2009

Un tout petit espace à l’ombre de l’océan

"La véranda au frangipanier" de Mia Couto41F9Q7AR3JL__SL160_AA115_
5 étoiles

Albin Michel/Les grandes traductions, 2000, 203 pages, isbn 2226114564

(traduit du Portugais par Maryvonne Lapouge-Pettorelli)

Ermelindo Mucanga est mort loin de chez lui, alors qu’il travaillait comme menuisier dans la citadelle des Portugais, à São Nicolau, et au moment-même où son pays, le Mozambique, accédait à l’indépendance. Et, croyez le ou non, ce fut le début de tous ses ennuis!

Mettez-vous à sa place, aussi… Il était mort, certes privé des funérailles d’usage mais enterré bien tranquillement sous son frangipanier, près de la véranda du fort, aux premières loges pour observer les allées-et-venues des pensionnaires de la maison de retraite qui avaient remplacé l’occupant européen. Mais voilà tout à coup que le nouveau gouvernement s’est mis en tête de faire de notre macchabée un héros national, tandis qu’un inspecteur de police, répondant au doux nom d’Izidine Naïta et formé aux méthodes de travail occidentales, est envoyé au fort en provenance de la capitale pour enquêter sur la mort mystérieuse du directeur de l’asile. Et l’esprit d’Ermelindo de ne plus faire ni une ni deux, et de se glisser dans le corps du policier dans l’espoir d’échapper à sa canonisation abusive.

Dans ce décor isolé du monde – le fort de São Nicolau est coincé entre des terres encore infestées des mines de la dernière guerre d’un côté et une mer hostile de l’autre -, Ermelindo se fait ainsi le rapporteur de l’enquête d’Izidine. Mais déployant toute la prodigieuse inventivité stylistique et l’imagination qui ont fait sa réputation comme un des meilleurs romanciers contemporains dans le monde lusophone, Mia Couto renouvelle complètement cette intrigue d’apparence classique. Et la sombre histoire de meurtre, de traffic d’armes et d’abus de biens sociaux s'égare petit à petit vers le merveilleux des contes et des traditions populaires qui hantent les récits et les témoignages des pensionnaires de la maison de retraite. Sous ses fausses allures de roman policier, "La véranda au frangipanier" – "ce tout petit espace (…) à l’ombre de l’océan" (p. 66) - se révèle progressivement comme la métaphore transparente d’un pays pris en flagrant délit de renier son passé, africain ou portugais indifféremment. Un passé qu’"Il importe de conserver (…). Sinon le pays reste sans sol sous les pieds." (p. 136), ainsi que le constate Marta, l’infirmière de l’asile. Un passé dont les remous – complexes, multiples, imprévisibles -, ne cessent de se répercuter dans un présent troublé.

Mia Couto nous offre avec ce roman d’une richesse étonnante, et d’une lecture pourtant aisée, un monde chatoyant et coloré dont la découverte vous procurera sans nul doute un plaisir phénoménal. Courez-y vite !

Extrait:

"Ma vie s’est enivrée du parfum de ses fleurs blanches au cœur jaune. En ce moment il ne sent rien, en ce moment ce n’est pas le temps des fleurs. Vous êtes noir, inspecteur. Vous ne pouvez pas comprendre combien j’ai toujours aimé ces arbres. C’est qu’ ici, dans votre pays, il est le seul qui perde ses feuilles. De tous les arbres le frangipanier est le seul qui se dénude ainsi, il fait comme si allait survenir un Hiver. Lorsque je suis arrivé en Afrique, après je n’ai plus jamais senti l’Automne. C’était comme si le temps arrêtait son cours, comme si c’était toujours la même éternelle saison. Seul le frangipanier me restituait ce sentiment du passage du temps. Non que j’aie encore besoin aujourd’hui de sentir passer les jours. Mais le parfum de cette véranda me guérit des nostalgies des années que j’ai vécues en Mozambique. Et quelles années ce furent !" (pp . 63-64)

Un autre livre de Mia Couto, dans mon chapeau: "Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre".

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Commentaires
F
J'aime moi aussi beaucoup Antonio Lobo Antunes, mais je ne connais pas encore Eça de Queiroz (sinon par ouïe dire), mais j'en prends note.<br /> <br /> Pour Mia Couto, c'est le second livre que je lis, et franchement, je le recommande!
D
Je vais effectivement y courir car c'est une littérature que je ne connais pas assez, mes lectures de Lobo Antunes ou d'Eça de Queiroz m'ont passionné et faire connaissance avec un nouvel auteur c'est plein de promesses
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