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Dans mon chapeau...
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30 juillet 2009

C'est la pleine floraison... (4)

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Ce petit bouquet de campanules, débordant d'une palissade, illuminait une ruelle de Louvain-la-Neuve par une belle journée de mai (Cliché Fée Carabine)

C'est la pleine floraison (1), (2), (3), (5) et (6)

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29 juillet 2009

Carnet de croquis

"Voyage en Arménie" d’Ossip Mandelstam51W43KJHBTL__SL160_AA115_
4 étoiles

Mercure de France, 1984, 115 pages, isbn 2715202113

(traduit par André du Bouchet)

Poète mort en victime de la brutale répression stalinienne, en 1938, Ossip Mandelstam avait longuement séjourné en Arménie quelques années plus tôt, alors que des menaces d’arrestation, au motif d’activités contre-révolutionnaires, pesaient de plus en plus lourdement sur lui. Et de ces semaines de grand air et de respiration, il a ramené ce livre de forme très libre, bien plus proche du carnet de dessin d’un peintre que d’un récit de voyage traditionnel.

De l’île de Sevan à Soukhoumi ou aux montagnes de l’Alaguez, les rencontres s’y mêlent aux descriptions de paysages, en autant de notations brèves, enfilées dans un désordre apparent. Ce sont autant de croquis tracés à grands traits vifs, flirtant souvent avec la préciosité ou l’abstraction – on ne sait pas toujours ce qu’on lit exactement, ni de quoi il s’agit, dans ces pages parfois énigmatiques -, mais pourtant puissamment évocateurs: d’une certaine qualité de lumière, de la saveur de fruits gorgés de soleil, des bonheurs de l’amitié et de conversations à bâtons rompus…

C'est un livre débordant de vie, au charme lent, insidieux et prégnant: à découvrir!

Extrait:

"J’ai eu le sentiment de troquer la galoche empoussiérée des villes contre la babouche légère du musulman.
Jamais je n’aurai vu plus loin que le ver à soie.
Qui plus est, une légèreté a fait irruption dans ma vie, cette vie toujours aride et confuse que j’ai invariablement tendance à envisager comme attente du tirage d’une lotterie chatoyante dont chaque numéro répondrait à tel de mes désirs: bout de savon à la fraise, emploi aux archives ou dans les ateliers d’un maître-imprimeur, ou encore, ce voyage en Arménie combien attendu, objet perpétuel de mes rêves…"
(p. 32)

Un autre extrait de "Voyage en Arménie", dans mon chapeau: ici

Vous trouverez sur Lecture/Ecriture d'autres suggestions de lecture de et autour d'Ossip Mandelstam:

27 juillet 2009

La bande à Robert

033575"A la vie, à la mort!" de Robert Guédiguian,
avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Daroussin, Jacques Gamblin et Gérard Meillan

Avec l'arrivée des belles journées d'été, c'est réglé comme du papier à musique, la saison théâtrale se termine et les programmes TV se désertifient. Mais heureusement, l'été c'est aussi la saison de l'écran total. Non, pas la crème solaire. Mais le festival de cinéma, organisé par l'Arenberg-Galeries et qui en vingt ans s'est imposé comme une véritable institution bruxelloise. Des derniers jours de juin aux premiers jours de septembre, l'Arenberg nous propose une programmation aussi diverse que passionnante, mêlant classiques (Losey, Hitchcock, Satyajit Ray, Ingmar Bergman...), inédits (avec un coup de projecteur sur les films sélectionnés pour la Quinzaine des réalisateurs au dernier festival de Cannes), documentaires et quelques reprises de l'année écoulée (le très beau film de James Gray "Two lovers" que je ne pourrais trop vous recommander).

C'est à ce festival que je dois sans doute quelques unes des plus belles découvertes cinématographiques de mon adolescence: celles qui m'ont fait aimer le cinéma, "L'eclisse", "Les fraises sauvages", "La soif du mal", "Kes" mais aussi des chefs-d'oeuvre inconnus tels "The shade" de Raphaël Nadjeri... Et cette année, vingtième anniversaire oblige, une section supplémentaire a été ajoutée au programme. "Vingt ans, vingt réalisateurs" retraçant vingt ans de cinéma à travers vingt films. Et pour l'année 1995: "A la vie à la mort!", sixième film et premier vrai succès public où Robert Guédiguian retrouve, une fois de plus, son quartier de l'Estaque et sa bande de fidèles. Ariane Ascaride, Jean-Pierre Daroussin et Gérard Meillan, ici renforcé par Jacques Gamblin infiniment vulnérable et touchant, donnent chair à un groupe d'amis gravitant autour du cabaret du Perroquet bleu, dont l'enseigne de néon jette ses derniers feux. Tous sont aux prises avec le chômage et les fins de mois difficiles, mais font face avec une solidarité indéfectible et cet optimisme délibéré qui relève de la combativité. Comme souvent chez Guédiguian, "A la vie, à la mort!" hésite entre la douceur de vivre et l'amertume qui, ici, l'emporte dans les dernières images. C'est véritablement poignant...

A lire, sur la toile, un article consacré à "A la vie, à la mort!".

Et pour le programme complet de l'écran total et toutes les informations pratiques, c'est ici.

25 juillet 2009

Amour-haine

"Liège" de Vera Feyder41wl9ylCrvL__SL160_AA115_
4 étoiles

Champ Vallon, 1992, 115 pages, isbn 2876731339

Née à Liège en 1939, et montée à Paris alors qu’elle était encore toute jeune, Vera Feyder n’a pas cessé d’entretenir avec sa ville natale une relation complexe. Tout au long des pages qu’elle lui consacre ici, son regard hésite continuellement entre tendresse et auscultation impitoyable. Entre le souvenir des modestes plaisirs de l’enfance – les excursions sur la Meuse, le poulailler de l’opéra – et celui de l’ignominie, la trahison qui a livré son père, le jeune poète Maurice Federman, à la Gestapo, et partant aux camps nazis et à la mort. Entre la vie chaleureuse des impasses populaires et les prétentions des beaux quartiers, tout en égratignant au passage les errements d’une politique urbanistique façon "du passé, faisons table rase" (les choses n’ont d’ailleurs pas tellement changé depuis la publication de ce livre, en 1992: pour le meilleur ou pour le pire, l’aménagement de la place St-Lambert est terminé, les musées Curtius et de la Vie Wallonne ont rouvert, mais que dire du nouveau chancre du Val Benoît, ou de l’interminable chantier de la gare des Guillemins?)

Cet amour-haine animant de bout en bout l’essai que Vera Feyder consacre à sa ville natale dans la collection "des villes", chez Champ Vallon, l’exercice de la promenade en compagnie d’un écrivain se trouve débarrassé de ce qu’il peut avoir, souvent, d’académique ou de convenu. "Liège" offre à ses lecteurs une véritable immersion dans les ruelles populaires de la vieille ville où l’auteur a passé son enfance dans les années d’après-guerre, et où l’on croirait presque pouvoir rencontrer, au détour d’une impasse, les fantômes échappés des livres de Georges Simenon - auquel Vera Feyder ne manque pas de rendre hommage – tout autant que les héros de son propre roman "Caldeiras". Loin des itinéraires trop balisés et des cartes postales, c’est bien l’âme de la ville qui vibre dans ces pages indispensables sans doute à la découverte de la cité ardente, indispensables aussi pour mesurer à quel point cette ville aimée-haïe a nourri l’œuvre de l’auteur, son incandescence comme ses révoltes et sa soif de vivre…

Extrait:

"Certes, le néon, les enseignes lumineuses, de nuit comme de jour, ont levé peu à peu le voile de détresse qui pesait sur certains lieux à vocation miséreuse, et reconnus comme tels. N’empêche qu’il est resté, pour qui reviendrait les hanter, sorties d’on ne sait quelle bouche fumigène, coupant d’étroites ruelles sans trottoirs, affaissés sous des porches ou dans l’arrière-salle d’estaminets venteux, de ces silhouettes incertaines que traquent soudain, comme le ferait une poursuite au théâtre, les feux mobiles d’une voiture, tandis que d’une façade qu’on croyait aveugle une porte soudain entrouverte rejette soudain à la rue, poignardé d’un rais lumineux, le dos en fuite d’un hors-la-loi, aussitôt repris par la nuit. Le Petit Homme d’Arkangelsk a travaillé peut-être bien dans cette échoppe douteuse que même les chats désertent; et tel Monsieur Hire est apparu, là, en décalcomanie grise derrière une fenêtre mal fermée où bat la pluie; Bergelon a pu, de n’importe quelle gare, prendre un train, et L’Homme qui les regarde passer se tenir, rue du Baneux, à l’écoute de l’express fonçant sous le bois des Carmélites, où vient mourir la prison Saint-Léonard. Cependant que Le Voyageur de la Toussaint se perdait, par le pont d’Amercoeur, sur la route de Robermont où les morts du cimetière répondent, les soirs d’orage, d’une colline à l’autre, à ceux de Sainte-Walburge." (pp. 51-52)

D'autres livres de Vera Feyder, dans mon chapeau: "Petite suite de pertes irréparables", "Règlements de contes" et "Caldeiras".

24 juillet 2009

La Renaissance à Prato

"Filippo et Filippino Lippi - La Renaissance à Prato",
Paris, musée du Luxembourg
Du 25 mars au 2 août 2009

Située à quinze kilomètres de Florence, la petite ville industrielle de Prato est tombée assez tôt dans la sphère d'influence de sa puissante voisine. Et la création artistique ne faisait pas exception à cette règle, car c'est à un moine florentin, fra Filippo Lippi, que furent confiés quelques unes des commandes les plus prestigieuses dont s'enorgueillit aujourd'hui encore la ville des bords du Bisenzio: le cycle des "Vies de Saint Etienne et de Saint Jean-Baptiste" dans le Duomo, mais aussi "La Vierge à la Ceinture, entre Saint Thomas, la commanditaire Bartolommea de Bovacchiesi, les saints Grégoire, Augustin, Tobie, Marguerite et l'archange Raphaël" du couvent de Sainte-Marguerite. C'est d'ailleurs pendant qu'il honorait cette dernière commande que Filippo Lippi devait tomber amoureux d'une jeune novice du couvent, Lucrezia Buti, qui lui donnera un fils, Filippino, et qui prêtera ses traits à Sainte-Marguerite et à la célèbre "Vierge à l'Enfant" des Offices.

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Filippo Lippi et Fra Diamante, "La Vierge à la Ceinture, entre Saint Thomas, la commanditaire Bartolommea de Bovacchiesi, les saints Grégoire, Augustin, Tobie, Marguerite et l'archange Raphaël", Prato, Museo Civico (source)

Mais l'exposition du Musée du Luxembourg ne se concentre pas sur ce seul scandale - fut-il un des plus fameux de la Renaissance italienne - ni d'ailleurs sur les seules oeuvres de Filippo Lippi, nous offrant aussi l'occasion de découvrir l'art de Prato avant et après l'arrivée du turbulent Florentin. L'exposition s'ouvre ainsi sur une brève évocation des prédécesseurs de Filippo Lippi, encore proches de la tradition gothique, et se referme en compagnie de ses disciples tout en nous permettant d'admirer un étonnant "Christ en croix" de Sandro Boticelli qui fut son élève et le "retable de l'Audience", oeuvre de son fils Filippino.

Seule (petite) fausse note: le texte des panneaux introductifs placés à l'entrée de chaque salle m'a paru bizarrement mal écrit, dans style si pesant que je n'ai pu m'empêcher d'y voir une mauvaise traduction...

Le site du Musée du Luxembourg

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23 juillet 2009

Les beaux fruits de l'été (1)

"Le verger: une classe de danse, pour arbres cette fois. La timidité écolière des pommes, l'érudition vermeille des cerises. Voyez plutôt leurs quadrilles, leurs pas de deux, leurs farandoles."

Ossip Mandelstam, "Voyage en Arménie", Mercure de France, 1984, p. 94 (traduit par André du Bouchet)

Les beaux fruits de l'été (2) et (3)

20 juillet 2009

Musique pour les offices londoniens

"Te Deum & Dixit Dominus",
par le Choeur de Chambre de Namur et les Agrémens sous la direction de Jean Tubéry

Eglise Saint-Loup, Namur, le 8 juillet

Avec l'Angleterre pour fil conducteur, le festival de Wallonie à Namur ne pouvait se dispenser ni de la présence d'Henry Purcell, ni de celle de Georg Friedrich Händel. Ces deux musiciens qui ont fait, chacun en leur temps, les beaux jours des scènes et des églises londoniennes, étaient donc réunis au programme de ce quatrième - et dernier - concert en l'église Saint-Loup. Le programme était aléchant, et j'aimerais pouvoir vous dire que la musique était magnifique - ce qu'elle était certainement - et que des interprètes en grande forme - ce qu'ils étaient probablement - lui ont prêté tout l'éclat et le lustre qui convenait... Et c'est peut-être ce que je vous aurais dit, si seulement j'avais pu écouter ce concert dans des conditions décentes.

Ce ne fut malheureusement pas le cas, et j'ai longuement hésité à donner d'autres titres à ce billet, tels que "Les principes élémentaires de l'acoustique expliqués aux aspirants-organisateurs de concerts". De ce point de vue, nous avions été surpris de découvrir, et ce dès le concert du 4 juillet, que la scène n'était plus installée dans le choeur, comme à l'habitude, mais bien dans le fond de l'église, juste devant la porte dissimulée par des panneaux réverbérants et une lugubre tenture noire. Et cette bizarrerie qui ne s'était pas montrée trop gênante tant que l'église était loin d'être comble et que tout le public pouvait trouver place dans la nef centrale, a eu un effet catastrophique lors du concert de ce 8 juillet où vu l'affluence, je me suis retrouvée installée dans la nef latérale, avec le résultat suivant:

  • Dans les oeuvres de Purcell, ma foi, j'ai fort bien entendu les trompettes (tout à fait brillantes, il faut bien le reconnaître) et lorsque celles-ci ne jouaient pas, j'ai pu apprécier toute la délicatesse du jeu du théorbe et du violoncelle. En revanche, les violons et le choeur auraient pu briller par leur absence sans que je n'en remarque rien, tant les rapports sonores entre les différents pupitres étaient déséquilibrés...
  • Quant à la musique de Händel, je ne l'ai littéralement entendue que d'une oreille, celle que je parvenais à tendre du côté de la nef centrale de l'église... 125 ans après les premières expérimentations de prises de son stéréophoniques, l'expérience était non seulement déstabilisante mais des plus déplaisantes! Et pour la cause, j'aurais mieux fait de rester tranquillement chez moi, et d'attendre l'automne pour écouter la retransmission de ce concert à la radio!

Ce serait déjà là un triste constat sur lequel rentrer chez soi après un concert, si les places - détestables, vous l'aurez compris - où j'ai dû subir ce véritable massacre acoustique n'avaient pas été vendues comme "de première catégorie" (et bien sûr, au prix correspondant). D'où le troisième titre que j'ai pensé donner à ce billet: "De l'inanité de vendre des places de deux catégories lorsque les sièges ne sont pas numérotés" (parce que, paraît-il, "cela prendrait trop de temps", tout petit détail dont on s'était du reste bien gardé de nous avertir au moment où nous avons réservé nos places.)  Ce qui m'amène à m'interroger non seulement sur l'amateurisme dont des symptômes récurrents viennent régulièrement entâcher l'organisation des événements culturels namurois (programmes qui ne sont pas imprimés à heure et à temps, changement de lieu de dernière minute pour des motifs à tout le moins bizarres...) - cafouillages d'autant plus surprenants que la programmation artistique est, elle, de très belle qualité -, mais aussi, ce qui est à mes yeux encore plus grave, sur ce que ces défaillances et ces pratiques commerciales pas très nettes révèlent de la considération (ou de l'absence de...) des organisateurs pour leur public. Et j'en tirerais peut-être un quatrième titre pour ce billet: "Faut pas non plus prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages"!

Dommage de refermer le dernier des billets consacrés au festival de Wallonie à Namur sur une note si négative - après mon coup de coeur de la soirée précédente pour le magnifique concert de l'ensemble Phoenix -, mais c'est comme ça...

17 juillet 2009

Volcans qui rêvent

"Caldeiras" de Vera Feydercaldeiras
5 étoiles

Stock, 1982, 451 pages, isbn 2234015669

Guère de points communs, à première vue, entre Nat et Tina. Nat, dissimulé derrière de multiples identités, fils d’un riche homme d’affaire britannique qu’un chagrin d’amour a poussé, de fil en aiguille, à se faire chasseur d’images, photo-reporter traquant à travers le monde les horreurs d’un siècle qui en eut sans doute plus que sa part. Et Tina, jeune orpheline exploitée sans vergogne, sous couvert de charité chrétienne, par la propriétaire – qui a tout des dames patronesses que chantait Jacques Brel - d’un modeste atelier de couture niché dans les sombres ruelles du Vieux Liège, à l’ombre de la Montagne de Bueren.

Et pourtant leurs destins, et quelques autres, vont se croiser au long de ce roman touffu où Vera Feyder a rassemblé en une véritable cour des miracles toute une galerie de personnages aussi émouvants qu’insolites, de Fatsolino, mineur italien que ses poumons rongés de silicose ont renvoyé dans une pauvre retraite, à un juge intègre mais qui survient trop tard dans l’histoire pour en infléchir le cours ou à Fenec, rescapé des camps nazis devenu majordome d’un palace new yorkais où il guette patiemment la moindre trace de ses anciens bourreaux. Autant de fragments d’humanité en mal d’amour et d’un peu de chaleur, et qui n’ont pas cessé de se révolter. Et de rêver. Jusqu’à ce que, un jour au l’autre: "toute la charge insurectionnelle stockée semaine après semaine depuis tant d’années dans le grand trou noir de [leurs] vie[s], explos[e] comme la caldeira d’un volcan que l’on croyait pour toujours assoupi. Eteint." (p. 295)

C’est un livre magnifique que ce gros roman volcanique, incandescent et imprévisible, nourri d’une révolte viscérale et qui m’a révélé une toute autre facette de l’œuvre de Vera Feyder. J’avais déjà beaucoup aimé "Petite suite de pertes irréparables" et "Réglements de contes", deux pièces de théâtre tout à la fois graves et pétillantes. Mais si l’humour cède ici la place à une ironie mordante, et si la concision s’est effacée au profit d’un grand souffle romanesque, j’ai bien retrouvé dans "Caldeiras" les qualités d’écriture qui m’avaient auparavant tellement impressionnée: un style incisif, rythmé, alliant l’élégance et la fluidité à une densité peu commune.

Avec ce troisième roman entraînant son lecteur des ruelles populaires de Liège à Bruxelles, et aux belles demeures de l’avenue Louise, et des chutes du Niagara à l’enfer des mines du Minas Gerai, Vera Feyder s’impose à mes yeux comme l’une des voix littéraires les plus fascinantes de cette fin du XXème siècle. Et la discrétion où son œuvre se voit cantonnée m’apparaît décidément de plus en plus incompréhensible…

Extrait:

"Instantanément, ses frayeurs tombèrent. Il en est toujours ainsi: quand la pitié relaie la peur, le pouvoir change de camp. Mais Tina l’ignorait. Quand l’homme prit soudain conscience du regard qu’elle portait sur lui, peut-être chercha-t-il, un instant, à fuir. Mais il ne le pouvait déjà plus. Regards singulièrement jumeaux: dans les yeux de Tina, ce fut non seulement son malheur qu’il y vit reflété, agrandi – et elle dans les siens, le sien – mais celui de leurs semblables, de toutes les espèces et de tous les règnes, auxquels le chien aussi bien appartenait. Au carrefour de ces trois errances, un seul désespoir était au rendez-vous : celui de n’avoir en ce monde ni feu ni lieu à partager.
Par un même élan de repli effaré, Fatsolino et Tina détournèrent leurs yeux en même temps.
Pour les reporter, ensemble, sur le chien."
(p. 118)

D'autres livres de Vera Feyder, dans mon chapeau: "Petite suite de pertes irréparables", "Règlements de contes" et "Liège".

16 juillet 2009

Nonagénaires en goguette

19056835"Le déjeuner du 15 août (Pranzo Di Ferragosto)" de Gianni di Gregorio,
avec Gianni di Gregorio, Luigi Marchetti, Valeria di Franciscis, Maria Cali, Marina Cacciotti et Grazia Cesarini Sforza

Rome, au milieu du mois d'août, c'est le désert. Tous les habitants qui le peuvent sont partis, laissant le champ libre aux touristes que l'on reconnait très facilement: sont tout blancs, lavés à l'eau de javel! Mais Gianni, lui, est resté pour prendre soin de sa maman, fringante (enfin, plus ou moins!) nonagénaire. Et en fait, il y a des années que ça dure, que Gianni ne travaille plus, que l'argent ne rentre pas et que les dettes s'accumulent notamment vis-à-vis de la co-propriété de l'immeuble qui les menace d'expulsion. Autant donc dire tout de suite que Gianni n'a pas le choix lorsque le gérant de l'immeuble lui propose de prendre en pension sa maman elle aussi nonagénaire, en échange de l'effacement d'une bonne part de son ardoise pharaonique! Et de fil en aiguille, ce n'est pas de deux mais bien de quatre petites dames aussi pétillantes de vie qu'elles ne sont accablées de rhumatismes que Gianni devra prendre soin avec la complicité de son ami le Viking.

Ces dames - faut-il le dire - lui en feront voir de toutes les couleurs: la première se relevant la nuit pour dévorer en catamini le restant des pasta al forno, pendant qu'une autre fait le mur pour se fumer tranquillement une cigarette à la fête du quartier. On ne s'ennuie pas une minute au récit de cette co-habitation d'abord un peu forcée puis de plus en plus chaleureuse, et ce "déjeuner du 15 août" s'impose d'un bout à l'autre comme un festin sans prétention mais tout à fait savoureux!

14 juillet 2009

Dans le cimetière du nord

L'eau. Le ciel.
Un rien de terre à vif, plus loin.
Les fleurs pâles en lisière de pelouse et, dans la véranda, cinq ou six plantes souffreteuses.
La proximité d'une route puis d'un chemin qui semble se perdre très au large des faubourgs, vers les brumes, les landes, l'océan, les bouleaux chétifs dont les feuillages frissonnent à la fraîcheur du soir.
Il ne m'en faut pas davantage pour me complaire aux charmes et malices de la mélancolie, ne ressentant d'autre désir que celui d'enfreindre la loi monotone des choses aujourd'hui, d'user le temps ou, d'un pas qu'aucune considération d'heure ni d'averse qui menace ne précipite, errer selon l'humeur, flâner, arpenter les allées du cimetière voisin - le "cimetière du nord" -, où repose Henri Thomas.

Lionel Bourg, "Le Chemin des écluses" , Folle Avoine/La petite bibliothèque, 2008, p. 10

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