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Dans mon chapeau...
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27 juillet 2010

"La trace de l’oiseau dans l’air"

"Le cœur insulaire " de Mohammed Dib31TT87R7B6L__SL500_AA300_
3 ½ étoiles

Editions de la Différence/Clepsydre, 2000, 111 pages, isbn 2729112855

Les deux grandes sections de ce recueil m’ont laissé des impressions si différentes qu’il m’est bien difficile d’en parler. L’ensemble témoigne pourtant d’une même volonté d’économie. Et ce n’est certainement pas un hasard si Mohammed Dib a choisi de dédier "Le cœur insulaire" à celui qui fut le complice de ses expériences finlandaises, le poète breton Eugène Guillevic, adepte lui aussi de l’économie et de la concision. Mais voilà… Des moyens très semblables m’ont pour une partie plutôt ennuyée, et pour l’autre vraiment séduite.

Brefs et d’un minimalisme poussé à l’extrême, les poèmes de la première section du "Cœur insulaire" - "Le chant du sable" – semblent tendre tout entier à fixer le plus impalpable, le plus évanescent, l’empreinte d’un pas sur la plage, que la marée est sur le point de venir effacer, "la trace de l’oiseau dans l’air" chère à Marcel Schwob qu’Hugo von Hofmannsthal avait à son tour si joliment couchée sur le papier dans une nouvelle intitulée "Les chemins et les rencontres". Cette première partie du recueil est décidément si dépouillée  - décharnée même -, si minimaliste et si évanescente que je n’ai pu me défendre d’une impression de ressassement, d’une pointe d’ennui aussi, face à ces textes devenus, à force de dépouillement, si semblables les uns aux autres. Et il me semble finalement que la meilleure façon de les aborder est encore de venir les picorer, un à un, au hasard et dans le désordre, et surtout pas par une lecture séquentielle, fut-elle très lente et menée à tous petits pas.

Tout à l’inverse, les poèmes de la seconde partie du "Cœur insulaire" – intitulée "O ombra del morir", en référence à un sonnet de Michel-Ange – organisés selon sept suites bien distinctes, demandent vraiment à être lus dans le bon ordre. Explorant pas à pas une image primordiale – un marcheur dans la forêt, le grondement d’un torrent… -, chacune de ces suites est d’une grande richesse et Mohammed Dib s’y révèle, par-delà l’économie des moyens mis en œuvre, comme un véritable maître de la variation.

Extraits:

Feu instant

Révélation si matin
au sortir du désastre.

Preuve dans le sable
qu'un oiseau a marché.

L’insolation délicate
l'envol d’un fou de bassan.

L’empreinte sans bruit
la sérénité sans lieu.

("Le chant du sable", p. 30)

Qui a marcheur pour nom

1

Qui ordonne et laisse
ton sang crier?
N’interroge pas.

Dans le dos
les couteaux frapper,
tuer derrière.

La forêt là-bas.
Tu t’y rends toi
les yeux fermés.

2

Les arbres opposent
leur grille serrée
à la même lueur rouge.

Tous pourtant
sont étrangers
l’un à l’autre.

Arbres remués
arbres immobiles
déportant le regard.

3

Qui sait
qui saigne?

Qui va devant
qui va tomber?

Et verra la forêt
sur pied marcher?

Se fermer au détour?
N’interroge pas.

("O ombra del morir", pp. 85-87)

D'autres livres de Mohammed Dib, dans mon chapeau: "Les terrasses d'Orsol", "Le sommeil d'Eve", "Neiges de marbre"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture où Mohammed Dib était l'auteur des mois d'avril et mai 2010.

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19 juillet 2010

"Une renaissance en papier"

"I Medici", les vêtements des Médicis du XVème au XVIIIème siècles par Isabelle de Borchgrave,
Musées Royaux d'Art et d'Histoire, Bruxelles
Jusqu'au 29 août 2010

Styliste réputée pour ses reconstitutions en papier de vêtements anciens - parures de la cour des Savoie au XVIIIème siècle ou modèles du styliste espagnol installé à Venise Mariano Fortuny -, Isabelle de Borchgrave s'est attachée plus récemment à recréer les costumes somptueux de la Florence des Médicis tels qu'on peut les découvrir à travers les peintures de Benozzo Gozzoli, Sandro Boticelli ou encore du Bronzino...

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Flore, d'après Le printemps de Sandro Boticelli (Cliché Fée Carabine)

Les parures exposées en ce moment aux Musées du Cinquantenaire impressionnent certes par leur raffinement, et par la virtuosité technique et l'inventivité dont elles témoignent. S'appuyant sur une documentation rigoureuse, elles nous permettent aussi de parcourir, sous un angle de vue insolite, trois siècles de l'histoire politique et artistique de Florence.

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Détail du corsage et de la coiffure d'Anne de Médicis, fille du grand-duc Cosme II (Cliché Fée Carabine)

Le site officiel de l'exposition

18 juillet 2010

Le violon, dans sa langue maternelle

"Oeillades italiennes", sonates pour violon dans le style italien
par Hélène Schmitt, Eric Bellocq et Laurent Stewart

Eglise Saint-Loup, Namur, le 13 juillet 2010

Violoniste formée à Paris, puis à Bâle auprès de Chiara Banchini, Hélène Schmitt se consacre tout particulièrement à la redécouverte d'un vaste répertoire baroque pour violon soliste, parfois négligé au profit du répertoire pour grands ensembles. Et ce sont tout justement quelques sonates pour violon soliste - sonates dont le point commun est d'être composées dans le style italien développé notamment par Arcangelo Corelli et qu'Hélène Schmitt décrit comme la langue maternelle du violon - qui étaient mises à l'honneur lors de ce concert du 13 juillet 2010.

Aux côtés de la très célèbre Follia du maître du genre, Arcangelo Corelli, les oeuvres de Francesco Antonio Bonporti, Jean-Baptiste Loeillet et Jean-Marie Leclair ont permis à Hélène Schmitt et à ses complices, Eric Bellocq (guitare et luth) et Laurent Stewart (clavecin), d'imposer une belle éloquence, une clarté et un sens de la conduite du discours qui séduisent,  insensiblement, même s'ils s'affirment parfois aux dépens des couleurs et de la chaleur du son. S'exprimant dans sa langue maternelle, le violon d'Hélène Schmitt parle avant même que de chanter, mais il n'en est pas moins émouvant...

Le site officiel du festival de Wallonie à Namur 

16 juillet 2010

Un homme engagé, et d'une curiosité hors du commun

"Emile Gallé, le magicien du verre" de Philippe Thiébaut51DY43M8ZFL__SL500_AA300_
3 ½ étoiles

Gallimard/Découvertes, 2004, 128 pages, isbn 9782070301324

Né en 1846 dans une famille de commerçants – propriétaires d'un magasin de porcelaines -, Emile Gallé devait s'imposer comme un des grandes figures de l'industrie nancéienne, bien sûr comme maître verrier, dans la droite ligne de la tradition familiale, mais aussi – et plus largement – comme l'un des principaux artisans de l'essor que l'Art Nouveau, et les arts décoratifs, devaient connaître dans la ville du duc Stanislas au tournant du XIXème et du XXème siècles.

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Emile Gallé, Vase à décor de primevères (détail), Collection particulière (p. 67)

La - bonne – biographie que lui consacre Philippe Thiébaut dans la collection Découvertes des éditions Gallimard rend certainement justice à ce chef d'entreprise qui sut toujours s'entourer d'excellents collaborateurs pour maintenir un haut niveau de qualité artistique tout en diversifiant à bon escient ses activités, créant notamment de nouveaux ateliers d'ébénisterie et de marqueterie.

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Emile Gallé, "L'ébénisterie", panneau de marqueterie ornant le buffet des métiers, Musée de l'Ecole de Nancy, Nancy, (p. 37) 

Mais Philippe Thiébaut fait plus encore en nous donnant à découvrir un homme doté d'une curiosité hors du commun, grand lecteur, passionné de sciences naturelles et tout particulièrement de botanique – le monde végétal fut sans contestation possible l'une de ses principales sources d'inspiration – et surtout un homme engagé dans les grands débats sociaux et politiques de son temps. Chef d'entreprise soucieux du sort de ses employés, au point de ne pouvoir se résoudre à procéder à des licenciements, ainsi que le constatait son épouse, dans une lettre qu'elle lui adressait dans la foulée de la grande exposition universelle de 1900 - "J'ai bien peur que tu ne puisses jamais te résoudre à faire des économies dans notre affaire. Autant tu mettras d'entrain à augmenter, à entreprendre, autant l'idée de réduire te sera antipathique" (pp. 52-53) –, Emile Gallé fut aussi un dreyfusard convaincu, ce qui lui valut quelques inimitiés tenaces dans la très conservatrice  Lorraine française de la fin du XIXème siècle.

14 juillet 2010

Tout le charme des chansons de Mathieu Rosmarin

"Romerico Florido, chansons d'amour de Matheo Romero",
par l'Ensemble Clematis

Eglise Saint-Loup, Namur, le 10 juillet 2010

Comme chaque année au début du mois de juillet, le festival de Wallonie a repris ses quartiers à Namur- notamment dans l'église Saint-Loup - pour un programme qui fait la part belle aux musiques anciennes. Et qui nous offre, pour commencer, une belle découverte d'un répertoire venu tout droit du Madrid de la Renaissance.

Né en 1575 à Liège, le jeune Mathieu Rosmarin fut en effet recruté dès 1586 comme choriste de la prestigieuse Capilla flamenca - la chapelle musicale de la cour des Habsbourg fondée en 1515 par Charles Quint. Adulte, il y poursuivit une brillante carrière qui devait le mener finalement au poste de maître de chapelle. Comme tel, il nous a bien entendu laissé une abondante oeuvre religieuse, mais il eut aussi l'originalité de s'inspirer des folias et autres seguidillas de la musique populaire espagnole pour composer des chansons profanes - chansons d'amour, heureux ou malheureux, chansons tendres, coquines ou tragiques - au charme irrésistible. Et l'on ne peut que remercier l'ensemble Clematis pour avoir exhumé de la poussière des bibliothèques cette bien jolie musique quelque peu oubliée...

Le site officiel du festival de Wallonie à Namur

Le site de l'ensemble Clematis

Et un article dans La libre Belgique

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9 juillet 2010

"Il était une fois une petite fille…"

"Neiges de marbre" de Mohammed Dib41WT3WJJR0L__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Editions de la Différence/Minos, 2003, 221 pages, isbn 2729114939

Histoire d’un couple mixte - elle est du Nord, lui vient du Sud - qui se déchire après s’être aimé, renvoyant un homme à son exil et sa solitude, "Neiges de marbre" referme la boucle tracée par Mohammed Dib dans les deux premiers volets de sa trilogie nordique: le long poème du déracinement et de la lente dissolution d’une identité dans "Les Terrasses d’Orsol" et le récit d’une passion amoureuse nouée par-delà l’ordre social et les distances géographiques et culturelles dans "Le Sommeil d’Eve".

Mais plus encore que le récit de la fin d’un amour entre un homme et une femme, "Neiges de marbre" est le récit d’un amour entre un homme et sa fille - une toute petite fille encore et déjà un redoutable petit bout de femme -, qu’il ne voit que trop rarement: l’enfant est élevée par sa mère et sa grand-mère dans leur pays, la Finlande, où le père, étranger, ne peut séjourner, à chacune de ses visites, que pour un temps limité. Par-delà les barrières imposées par la différence de langue et les longues séparations, ce troisième volume de la trilogie nordique est donc avant tout une plongée dans l’intimité complice d’un père et de sa petite Lyyl (prononcez Lûûl) aux yeux d’ambre, les jeux qu’ils partagent, les fous rires, les contes qu’il lui lit ou ceux qu’il invente pour elle.

C’est un bijou de poésie, de fantaisie et d’inventivité, où même le cabas de la grand-mère se métamorphose en chapeau de prestidigitateur, "Du même cabas, à présent, la vieille dame extirpe trois livres, trois albums dont Lyyl ne se sépare jamais. Impossible de garantir ce qu’on peut voir apparaître de ce cabas: deux douzaines d’œufs, sait-on, un bouquet de roses, sait-on, un dragon crachant des flammes, la lune peut-être; une chose à la suite de l’autre ou toutes ensemble à tout moment et toutes aussi impossibles." (p. 13), laissant penser que Mohammed Dib a pu être, aussi, un merveilleux auteur de livres pour enfants. Et surtout, c’est un livre tout de pudeur et de tendresse retenue, sans la plus petite trace de mièvrerie: magnifique et bouleversant, tout simplement.

Extrait:

"Mais ce qu’on dit, ce qu’on fait, c’est toujours une histoire, ce qu’on voit, ce qu’on est, une histoire qui n’en finit pas de se raconter elle-même. Dans leurs va-et-vient, les hirondelles se font aiguilles et elles cousent toutes seules l’histoire, je veux dire sans aucune main pour les tenir. C’est comme ça. Elles cousent, elles cousent. Si bien qu’on ne sait pas quand elles vont s’arrêter. Peut-être pas avant des heures, une heure après l’autre pour faire un jour. Et peut-être qu’avec leur fil invisible elles cousent les feuilles aux arbres, les maisons aux maisons, les nuages au ciel, elles cousent le monde, elles en raccommodent les trous, c’est leur dentelle. En attendant, elles cousent et rient entre elles." (p. 38)

D'autres livres de Mohammed Dib, dans mon chapeau: "Les Terrasses d'Orsol", "Le Sommeil d'Eve" et "Le coeur insulaire"

Mohammed Dib était l'auteur des mois d'avril et mai 2010, sur Lecture/Ecriture.

7 juillet 2010

"Une rose est une rose..."

"Une rose est une rose, mais de la rose d'Anacréon à la rose du Roman de la rose, de la rose des cathédrales aux bouquets de Renoir, s'expriment, s'excluent et se succèdent tous les points de vue possibles sur la rose et la vie."

Marguerite Yourcenar, "En pèlerin et en étranger", Gallimard, 1989, p. 168

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Dans le jardin d'Heythrop Park, Chipping Norton (Angleterre) (Cliché Fée Carabine)

6 juillet 2010

"Voilà le sens du mot «vengeance»"

"Julius Winsome" de Gerard Donovan5175ws7hdhL__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Seuil, 245 pages, isbn 9782020959131

(traduit de l’Anglais par Georges-Michel Sarotte)

Il n’y a sans doute pas d’homme plus paisible et solitaire que Julius Winsome. Engagés comme soldats lors des deux guerres mondiales, son grand-père et son père lui ont légué leur refus sans compromission de toute nouvelle violence – ainsi que le constate Julius: "Deux guerres mondiales ont détourné mon sang des armes à feu." (p. 38) – en même temps qu’un chalet isolé dans les forêts du Maine, dont les murs se doublent d’une bibliothèque de 3282 livres, et qu’un fusil qui avait jadis appartenu à un des meilleurs snipers des tranchées… Et la haine que les membres de la famille Winsome vouent à la violence n’a sans doute d’égal que leur amour des mots, des mots dont le père comme le fils ont mesuré à chaque jour de leur vie tout le poids de chair et de sens: "Nous avions vécu seuls tous les deux, car il ne s’était jamais remarié. Il disait qu’il était l’homme d’une seule femme, même si celle-ci était morte. Voilà comment j’ai appris le sens du mot «fidélité», comment envelopper de chair le terme nu et lui insuffler la vie." (p. 29)

Après la mort de son père, Julius Winsome est resté seul dans leur chalet, au milieu des livres et des arbres. Une femme est bien venue, un temps, partager sa solitude. Mais elle n'est pas restée. Depuis plusieurs années, Hobbes, son chien, est son unique et fidèle compagnon. Et lorsque celui-ci est massacré à bout portant par un chasseur, la vengeance de Julius – qui mesure tout le poids de ce mot-là comme de tous les autres -  tourne bien vite à la folie meurtrière: "La nuit m’a durci comme un bâton et m’a brandi contre le monde. J’étais un bâton menaçant l’univers. J’ai regardé ma main qui agrippait la crosse. J’étais le fusil. J’étais la balle, la cible, la signification d’un mot qui se dresse tout seul. Voilà le sens du mot «vengeance», même lorsqu’on le couche sur le papier." (p. 123)

Aucun mot, vraiment, n'est écrit à la légère dans ce récit âpre, noir et tragique où le déchaînement d'une violence impitoyable se mêle inextricablement à la sérénité des paysages du Maine et à la pureté de leur manteau de neige. C'est ce qui en fait toute l'âpreté, et toute la beauté.

Extrait:

"Le Maine, étoile blanche qui scintille à partir de novembre et domine un coin de ciel glacial. Seules les phrases courtes et les longues pensées peuvent survivre en ce lieu. Si vous n’êtes pas septentrional des pieds à la tête et habitué à passer de longs moments tout seul, ne vous aventurez plus alors dans cette contrée. Les distances s’effondrent, le temps vole en éclats. Les enfants inscrivent leur nom en patinant sur les lacs, des luges tirent des chiens devant elles. On combat l’hiver en lisant toute la nuit, tournant les pages cent fois plus vite que tournent les aiguilles, de petites roues en actionnant une plus grande pendant tous ces mois. Un hiver dure cinquante livres et vous fixe au silence tel un insecte épinglé, vos phrases se replient en un seul mot, le temps suspend son vol, midi ou minuit c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Chaque coup d’œil recontre de la neige. Chaque pas s’enfonce vers le nord. Voilà l’heure du Maine, l’heure blanche." (p. 89)

2 juillet 2010

Métaphysique du quotidien

"Dehors" de Bo Carpelan,312CFlyAAbL__SL500_AA300_
5 étoiles

Arfuyen, 2007, 163 pages, isbn 9782845901025

(traduit du Suédois par Pierre Grouix)

C'est sans doute mon grand coup de coeur poétique de l'année écoulée que ce recueil, un des jalons les plus récents dans la déjà longue carrière de l'auteur finlandais – mais d'expression suédoise - Bo Carpelan. Voici donc un livre que j'ai pris, dévoré, déposé, repris, re-déposé et à nouveau repris, lu et relu maintes et maintes fois depuis l'été dernier, ne l'abandonnant que pour y revenir dès que les circonstances lui redevenaient favorables. Et ce n'est certes pas parce que la poésie de Bo Carpelan s'y révèle d'un abord difficile ou rébarbatif, mais bien parce dans sa clarté et sa transparence mêmes, cette poésie est d'une telle richesse qu'elle exige de son lecteur une vraie disponibilité de coeur et d'esprit pour n'en rien laisser perdre.

Les intentions déclarées de Bo Carpelan – "Ce que je cherchais, c'était une poésie claire, simple, portant l'empreinte d'une expérience et, dans sa clarté, sujette à plusieurs interprétations", une poésie "apparemment simple mais forte des bonheurs et des échecs de toute une vie" (p. 10) – dévoilent en effet au fil des pages de "Dehors" toutes leurs possibilités. Sa poésie se nourrit de menus faits de notre quotidien à tous, d'images on-ne peut-plus simples et concrètes – l'eau qui s'échappe en tourbillonnant par la bonde d'un évier, les feuilles mortes saupoudrant la pelouse – mais on y lit tellement plus que ce qui est écrit, et avec une telle évidence, que je n'ai pu m'empêcher de la rapprocher à plusieurs reprises de la poésie tout aussi métaphysique mais tellement plus abstraite de Roberto Juarroz. Mais rien ne sert que je continue à discourir plus longuement à son sujet, alors qu'elle parle si bien d'elle-même...

Extrait:

"Om man kunde vara lika öppen som ett sommarrum
där vinden osedd går och hallonsnårens sträva doft
i värmen stiger upp mot svalors lek och barnens –
om man kunde nöja sig med gräset, dagens distraktion,
och leva lite, ta till vara det som händer obeaktat,
i ekens lövverk någonting som rör sig, en känsla
av skymning mellan träden som tidigt fanns där.
Att utan oro veta hur de glada timmarna försvinner,
hur barnen gömmer sig, moln dyker upp, en båt
stöts up på viken, du vid årorna och jag på aktertoften."

"Si l'on pouvait être aussi ouvert qu'une chambre d'été où le vent
file inaperçu et où le parfum rêche du fourré de framboises se dresse
dans la chaleur vers les jeux des hirondelles et des enfants –
si l'on pouvait se contenter d'herbe, la distraction du jour,
et vivre un peu, profiter de ce qui arrive sans crier gare.
Dans le feuillage du chêne, quelque chose bouge, un sentiment
crépusculaire entre les arbres qui se trouvaient là de bonne heure.
Savoir confiant comment les heures du bonheur disparaissent,
comment les enfants se cachent, les nuages font surface, un bateau
accoste sur le bord de la baie, toi tenant les rames, moi sur le banc de nage."

(pp. 84-85)

D'autres extraits de "Dehors", dans mon chapeau: "Un jardin, un jour en juin" et "L'envol de l'hirondelle"

1 juillet 2010

"L'auberge anglaise"

19347088_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20100319_023928"Unmade beds (London nights)" d'Alexis Dos Santos,
avec Déborah François et Fernando Tielve

Jeune cinéaste argentin installé à Londres, Alexis Dos Santos nous propose avec "Unmade beds" sa version toute personnelle - et beaucoup plus thrash - de l'auberge espagnole. Point de petit appartement propret mais un squat dans un ancien entrepôt. Point d'étudiants bobos sur les bords, aux plans de carrière bien tracés, mais des jeunes gens un peu paumés qui, comme Axl ou Véra, se cherchent un but, un père, un ami ou un amour, et qui, en attendant de les trouver, vivotent de petits boulots et sont prêts à tout - ou presque tout - expérimenter.

Ce scénario ne va pas sans longueur, ni une minceur qui confine par moments à l'inexistence. Mais la sincérité de l'auteur et de ses interprètes,- Déborah François et Fernando Tielve en tête - sauve finalement la mise de ce petit film brouillon, ébouriffé, imprévisible... et attachant, tout simplement.

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