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Dans mon chapeau...
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30 juin 2009

Un pastiche plutôt réussi

18675043"The Good German" de Steven Soderbergh,
avec Cate Blanchett, George Clooney et Tobey Maguire

Steven Soderbergh a décidément la patte pour réaliser des films alliant en un juste dosage une histoire prenante et une vraie recherche formelle. Bref, c'est un maître ès cinéma populaire de qualité, et il le prouve une fois de plus avec ce film sorti en 2006 mais que je viens tout juste de découvrir à l'occasion de sa diffusion sur la RTBF, la semaine dernière.

A l'été 1945, la guerre se poursuit encore dans le Pacifique, mais l'Allemagne a capitulé et Berlin est désormais divisée en quatre zones d'occupation. Ce sont les grands jours du marché noir où les fortunes se font et se défont. Et c'est le temps des premiers procès en dénazification. Dans le rôle d'un journaliste américain, George Clooney retrouve ainsi une ville - où il avait vécu avant la guerre - complètement métamorphosée, tout comme Lena Brandt qu'il avait aimé en ces années qui paraissent à présent si lointaines.

Filmé en noir et blanc, "The Good German" s'ouvre comme un polar et se termine comme un film d'espionnage où des secrets d'état peu reluisants prêtent corps à un sentiment de culpabilité à la fois individuel et collectif, Steven Soderbergh nous offrant avec ce film un pastiche plutôt réussi des grands films noirs des années 1940, tel "Le troisième homme" de Carol Reed. Cela ne renouvelle certes pas un genre qui a fourni son lot de chefs-d'oeuvre, mais c'est vraiment un très bon moment de cinéma.

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27 juin 2009

Parer l’ordinaire de la magie du conte

"Le maître des jardins noirs" d’André-Marcel Adamekjardinsnoirs
4 étoiles

Pré aux sources/Editions Bernard Gilson, 1993, 115 pages, isbn 2872690433

Dans une campagne marquée par les rudesses de son climat, la dureté et les pièges de ses roches traversées de failles – ce pourrait être dans les Ardennes chères au cœur de l’auteur, mais rien ne le dit clairement, et libre à chacun d’imaginer ce qu’il veut -, une famille venue de la ville s’installe dans une ancienne ferme, longtemps restée abandonnée, sous l’œil sceptique de leurs voisins, un vieux couple d’agriculteurs.

"Le maître des jardins noirs" nous offre avant tout l’histoire de ces deux mondes qui s’ignoraient, et qui, soudain mis en présence, se lisent l’un l’autre à grands renforts de contresens. C’est une histoire toute simple, ordinaire et pour ainsi dire universelle, mais qui se déroule ici sans rien de prévisible ni de convenu, car André-Marcel Adamek a su déployer tout son talent pour la parer d’un parfum de danger – ce parfum discret émanant des jardins noirs, ces grandes friches où se dissimulent les restes d’un village ravagé par la peste en 1709 – et de toute la magie des contes, dans le sillage de la silhouette de la Bichelle, qui mit autrefois au monde un enfant monstrueux et fut chassée du village pour s’être unie à un cerf.

Ni vrai récit du terroir, ni vrai conte fantastique – même s’il y a ici un peu de tout cela -, "Le maître des jardins noirs" est tout simplement une belle histoire de destinées humaines qui se frôlent, se touchent et, pour le bien ou pour le mal, se changent au contact les unes des autres. Et c’est un récit captivant qu’il est bien difficile de lâcher avant d’en avoir tourné la dernière page.

Extrait:

"A trois kilomètres du hameau, de l’autre côté de la vallée, les jardins noirs s’étendent sur deux cents hectares. C’est ainsi qu’on appelle les friches qui entourent l’ancien village de Champleure, anéanti par l’épidémie de peste de 1709. Quelques pans de muraille survivent parmi les roncières, les cytises et les prunelliers épineux. La charpente dénudée de la chapelle, où des fragments d’ardoises s’accrochent encore, se hérisse la nuit d’effraies au plumage neigeux qui lancent aux étoiles leur cri de torture. La vieille fontaine y coule toujours, ensevelie sous les broussailles, et il arrive que par des nuits très pures, dans l’absence totale du vent, on l’entende chanter jusqu’ici. Je possède à deux pas des décombres quelques dizaines d’arpents achetés pour une croûte de pain à l’époque où je croyais encore en l’avenir. J’y ai tenté une plantation d’épicéas, car on ne sème pas l’épeautre sur un ossuaire de pestiférés. Les jeunes plants n’ont pas tenu deux ans : une pourriture grisâtre les a gangrenés par les racines. Leurs aiguilles ont pâli, bientôt emportées par le vent. Sur cette terre noire et putride ne poussent que les fleurs de la mort : la belladone, la jusquiame et la lauréole y abondent. On y trouve aussi, à l’automne, les amanites les plus vénéneuses et des bolets satans pansus comme des outres." (pp. 29-30)

26 juin 2009

Le premier atlas scientifique de Belgique

"Le grand atlas de Ferraris",
Bibliothèque royale de Belgique (Palais de Charles de Lorraine)

Le grand atlas des Pays-Bas méridionaux, réalisé entre 1771 et 1778 par le comte de Ferraris, en réponse à une commande de l'impératrice Marie-Thérèse, est passé à la postérité comme le premier véritable atlas scientifique de ce qui deviendrait plus tard la Belgique. Et ce document de première importance, qui nous renseigne aussi bien sur les ressources naturelles (mines, forêts...) que sur l'urbanisme ou la topographie du pays à la fin du XVIIIème siècle, vient d'être réédité conjointement par Racine et Lanoo, en même temps que l'intégralité des cartes qui le constituent étaient rendues accessibles en ligne, sur le site de la Bibliothèque Royale.

L'événement méritait bien une célébration particulière. La Bibliothèque Royale a donc mis les petits plats dans les grands pour nous proposer, dans le décor somptueux de l'ancien palais de Charles de Lorraine (qui fut gouverneur des Pays-Bas de 1741 à 1780, au nom de sa belle-soeur, l'impératrice Marie-Thérèse, et l'un des promoteurs du projet du comte de Ferraris), une exposition - petite mais fort intéressante - replaçant le grand atlas dans le contexte, en particulier politique et scientifique, de son époque. On y découvrira, aux côtés d'anciens traités d'arpentage et du matériel de dessin (planchettes, pantographe...) alors en usage, des réimpressions en grand format de quelques cartes significatives de l'atlas de Ferraris: c'est l'occasion de découvrir Ostende bien avant la grande vogue des bains de mer, en minuscule ville de garnison, enserrée dans ses murailles, ou encore la présence monumentale de la cathédrale Saint-Lambert (détruite lors de la Révolution liégeoise, à la fin du XVIIIème siècle) dominant la ville épiscopale.

Cette exposition est gratuite, et accessible deux après-midis par semaine:

  • Les mercredi et jeudi, de 13h à 17h, pendant les mois de juillet et août.
  • Les mercredi et samedi, de 13h à 17h, durant le mois de septembre.

C'est à Bruxelles, dans l'ancien palais de Charles de Lorraine, situé place des musées, à deux pas des Musées Royaux des Beaux-Arts et du tout nouveau Musée Magritte.

Pour en savoir plus:

23 juin 2009

A hauteur d’homme

"Les Hauts Plateaux" de Lieve Joris414lQAeGjuL__SL160_AA115_
4 étoiles

Actes Sud, 2009, 135 pages, isbn 97827472783717

(traduit du Néerlandais par Marie Hooghe)

Depuis un premier voyage, dix-neuf ans plus tôt, dans la région du Bas-Congo où son oncle fut missionnaire, Lieve Joris n’a plus cessé d’explorer l’ancienne colonie belge, y revenant à plusieurs reprises tout en progressant lentement vers l’est. Aussi, ce dernier périple dans les hauts plateaux proches de la frontière rwandaise prend la figure d’un aboutissement, d’autant plus que cette région dépourvue de route et privée d’électricité, et dont les habitants – majoritairement de l’ethnie des banyamulenge – sont réputés pour leur fierté ombrageuse, est l’une des plus inhospitalière du pays.

Riches en ressources naturelles (or, notamment), sillonnés par les soldats des milices Interahamwe, venus du Rwanda voisin, et diverses milices congolaises plus ou moins rivales, les hauts plateaux de l’est congolais s’imposent comme une région d’une importance cruciale dans la géopolitique de notre époque, ainsi que le pointe justement la quatrième de couverture. Mais si Lieve Joris ne passe pas ce fait sous silence, elle ne cache pas que la motivation de son voyage est ailleurs, selon ses propres termes: "(…) chemin faisant, je regarderais autour de moi et visiterais les marchés des hauts plateaux, tout en essayant de comprendre comment vivaient les gens dans cette partie inhospitalière du Congo" (pp. 9-10). Le récit qu’elle nous ramène de son périple de Minembwe à Uvira se révèle bel et bien comme un portrait de la région à hauteur d’homme. Un portrait ancré dans le quotidien de villages dont la vie simple et rude nous renvoie aux temps bibliques : "Abraham, qui devenait père alors qu’il était déjà vieux et gris ; Caïn, le cultivateur, qui tuait son frère Abel, l’éleveur, parce qu’il le jalousait – c’étaient des récits qui acquéraient une signification nouvelle dans cet environnement pastoral." (p. 93). L’écriture de Lieve Joris épouse joliment cette simplicité, ressuscitant par la même occasion les souvenirs de son enfance dans la campagne flamande, en une belle rencontre insolite et surprenante.

Extrait:

"Monter, descendre, souvent sur un terrain inégal, rocheux – nous avancions péniblement et étions de plus en plus silencieux. Le soleil brillait, un vent frais soufflait et j’entendais le murmure d’une rivière en contrebas. L’air sentait l’herbe et les fleurs sauvages. Personne ne m’avait parlé des plaisirs de ce voyage – pourquoi mes amis ne m’avaient-ils prévenue que des difficultés ?
Des souvenirs tourbillonnaient dans ma tête, souvenirs des étés d’autrefois quand nous allions cueillir des myrtilles à Overpelt. Les aiguilles séchées des sapins crissaient sous nos pieds, les baies tombaient avec un bruit creux dans nos gobelets en plastique. La voiture blanche des revendeurs était garée à l’entrée du bois. Combien gagnions-nous, deux francs belges le kilo? Pourtant, nous recommencions chaque été. Boire du Coca tiède sur l’accotement, voir détaler un écureuil à la queue rousse, manger des myrtilles jusqu’à en avoir la langue et les lèvres toutes bleues. Puis, vers le soir, rentrer à vélo à la maison où ma mère frottait le seuil alors qu’à l’intérieur tout sentait le savon vert."
(p. 63)

22 juin 2009

"commentaire IV (sainte thérèse)"

et parmi oisillons et sifflements dans la /
partie supérieure de la pensée / ou la tête / et rumeurs
en la tête comme une mer / ou plaintes /
ou vents ou mouvements / soleils

qui s'entrechoquent / s'éteignent / brûlent / ou puissances
comme milliers de bêtes piétinant
les faubourgs de l'âme / c'est-à-dire souffrant
les plus terribles peines / même ainsi

entière en sa quiétude apparaît l'âme /
ou le désir / la clarté non touchée
par la peine / le mépris / la misère /
la douleur ou la vilenie / alors

c'est quoi cette paix sans vengeance / cette mémoire
de ciel à venir / cette tendresse
qui descend de tes mains / fontaine
où les oisillons de la partie supérieure de la pensée

viennent boire / pépient doucement / ou se taisent
tel du clair qui coulerait de toi / petite aile
qui douce survole la guerre et la fatigue
comme un vol de la passion elle-même?

Juan Gelman, "L'opération d'amour", Gallimard/Du monde entier, 2006, pp. 30-31 (traduit de l'Espagnol par Jacques Ancet)

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19 juin 2009

Une lente montée des émotions

19086684"London River" de Rachid Bouchareb,
avec Brenda Blethyn et Sotigui Kouyaté

Elisabeth, agricultrice à Guernesey, et Ousmane, qui a quitté son Afrique natale pour se fixer en France où il est devenu garde forestier - la première chrétienne, le second musulman -, sont sans nouvelle de leurs enfants, installés à Londres, depuis le matin du 7 juillet 2005 et les attentats qui ont ensanglanté la capitale britannique.

Au fil de leurs errances inquiètes dans la ville endeuillée, leurs chemins se croisent et se recroisent à plusieurs reprises. Et petit à petit, ces deux êtres apeurés - chacun pour des raisons complexes, qui sont un peu différentes mais aussi un peu les mêmes - en viennent à s'apprivoiser. La rencontre l'emporte ainsi sur la peur de l'autre dans ce film sobre, presque serein par moments mais finalement déchirant, les émotions y montant lentement, et comme à retardement, pour ne prendre que plus de force.

Vu il y a peu de temps encore au cinéma, et déjà diffusé sur Arte ce mardi soir, "London River" est de ces films qui s'imposent discrètement mais durablement, fixant sur la pellicule l'esprit d'un temps troublé - temps de douleur et plus encore temps marqué par la peur - d'un regard humaniste sans aucune naïveté. Bien loin de l'hystérie d'une bande-annonce à mon sens complètement ratée, c'est simplement poignant. Et surtout, surtout: d'une justesse parfaite et par là-même inoubliable.

18 juin 2009

Un tout petit espace à l’ombre de l’océan

"La véranda au frangipanier" de Mia Couto41F9Q7AR3JL__SL160_AA115_
5 étoiles

Albin Michel/Les grandes traductions, 2000, 203 pages, isbn 2226114564

(traduit du Portugais par Maryvonne Lapouge-Pettorelli)

Ermelindo Mucanga est mort loin de chez lui, alors qu’il travaillait comme menuisier dans la citadelle des Portugais, à São Nicolau, et au moment-même où son pays, le Mozambique, accédait à l’indépendance. Et, croyez le ou non, ce fut le début de tous ses ennuis!

Mettez-vous à sa place, aussi… Il était mort, certes privé des funérailles d’usage mais enterré bien tranquillement sous son frangipanier, près de la véranda du fort, aux premières loges pour observer les allées-et-venues des pensionnaires de la maison de retraite qui avaient remplacé l’occupant européen. Mais voilà tout à coup que le nouveau gouvernement s’est mis en tête de faire de notre macchabée un héros national, tandis qu’un inspecteur de police, répondant au doux nom d’Izidine Naïta et formé aux méthodes de travail occidentales, est envoyé au fort en provenance de la capitale pour enquêter sur la mort mystérieuse du directeur de l’asile. Et l’esprit d’Ermelindo de ne plus faire ni une ni deux, et de se glisser dans le corps du policier dans l’espoir d’échapper à sa canonisation abusive.

Dans ce décor isolé du monde – le fort de São Nicolau est coincé entre des terres encore infestées des mines de la dernière guerre d’un côté et une mer hostile de l’autre -, Ermelindo se fait ainsi le rapporteur de l’enquête d’Izidine. Mais déployant toute la prodigieuse inventivité stylistique et l’imagination qui ont fait sa réputation comme un des meilleurs romanciers contemporains dans le monde lusophone, Mia Couto renouvelle complètement cette intrigue d’apparence classique. Et la sombre histoire de meurtre, de traffic d’armes et d’abus de biens sociaux s'égare petit à petit vers le merveilleux des contes et des traditions populaires qui hantent les récits et les témoignages des pensionnaires de la maison de retraite. Sous ses fausses allures de roman policier, "La véranda au frangipanier" – "ce tout petit espace (…) à l’ombre de l’océan" (p. 66) - se révèle progressivement comme la métaphore transparente d’un pays pris en flagrant délit de renier son passé, africain ou portugais indifféremment. Un passé qu’"Il importe de conserver (…). Sinon le pays reste sans sol sous les pieds." (p. 136), ainsi que le constate Marta, l’infirmière de l’asile. Un passé dont les remous – complexes, multiples, imprévisibles -, ne cessent de se répercuter dans un présent troublé.

Mia Couto nous offre avec ce roman d’une richesse étonnante, et d’une lecture pourtant aisée, un monde chatoyant et coloré dont la découverte vous procurera sans nul doute un plaisir phénoménal. Courez-y vite !

Extrait:

"Ma vie s’est enivrée du parfum de ses fleurs blanches au cœur jaune. En ce moment il ne sent rien, en ce moment ce n’est pas le temps des fleurs. Vous êtes noir, inspecteur. Vous ne pouvez pas comprendre combien j’ai toujours aimé ces arbres. C’est qu’ ici, dans votre pays, il est le seul qui perde ses feuilles. De tous les arbres le frangipanier est le seul qui se dénude ainsi, il fait comme si allait survenir un Hiver. Lorsque je suis arrivé en Afrique, après je n’ai plus jamais senti l’Automne. C’était comme si le temps arrêtait son cours, comme si c’était toujours la même éternelle saison. Seul le frangipanier me restituait ce sentiment du passage du temps. Non que j’aie encore besoin aujourd’hui de sentir passer les jours. Mais le parfum de cette véranda me guérit des nostalgies des années que j’ai vécues en Mozambique. Et quelles années ce furent !" (pp . 63-64)

Un autre livre de Mia Couto, dans mon chapeau: "Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre".

14 juin 2009

La petite fille la plus gâtée du monde?

"Cash-Cache (Mademoiselle Louise, tome 4)" d’André Geerts et Sergio Salma
4 étoiles51igiM69NEL__SL160_AA115_

Dupuis, 2009, 46 pages, isbn 9782800143477

A sept ans, la petite Louise a presque tout ce dont une petite fille peut rêver: poupées, piscines, court de tennis… Son milliardaire de papa peut tout lui offrir, et quand son petit trésor lui demande pour son anniversaire un petit restaurant sans chichis, il ne fait ni une ni deux et lui achète tout le restaurant! Mais le hic, c’est qu’il n’est jamais à la maison, et que la petite Louise n’a presque pas d’amis de son âge à l’exception de Richard, dont le papa est au chômage et sans le sou, et personne sur qui compter sinon Millie, sa nounou toute en rondeur qui l'adore et se coupe en quatre pour elle.

Une savoureuse galerie de personnages secondaires vient compléter ce tableau, et fournir le prétexte de gags en cascade: Mr Scanaire, l’hyper-efficace secrétaire du papa de Louise, et surtout Dédé-la-veine, un pauvre paumé qui voit dans la petite fille – et la rançon qu’il espère en obtenir - son assurance-retraite dorée, à ceci près qu’il échoue lamentablement dans toutes ses tentatives de kidnapping!

Mlle_Louise

A des lieues des familles ordinaires de Cédric ou de Boule (et Bill), Geerts et Salma ont créé avec Louise une petite fille riche à un point improbable, mais parfaitement adorable dans sa candeur et ses envies d’une vie normale (et d’un papa à domicile). C’est très tendre, mignon tout plein, et pour tout public: des petits filles gâtées aux papas gâteaux ;-)…

11 juin 2009

Eve, Salomé ou Marie

"Femmes des longs matins" d’Andrée Sodenkampcouverture_Sodenkamp
4 ½ étoiles

André De Rache, 1965, 68 pages, ASIN B0014PBD0G

Il est sans doute d’innombrables façons de définir une œuvre – littéraire - classique, parmi lesquelles celle bien connue qui dit qu’il s’agit d’un livre dont tout le monde parle mais que plus personne ne lit. Sous ses allures iconoclastes, cette définition recèle sans doute sa part de vérité. Et si l’on y ajoute que l’œuvre classique est aussi celle qui laisse surpris et ébloui le lecteur qui se décide enfin à en franchir le seuil, cette description convient parfaitement à l’œuvre d’Andrée Sodenkamp. Cette grande dame des lettres francophones de Belgique est une présence obligée de toute anthologie poétique du plat pays, mais exception faite de ces quelques extraits choisis, on ne la lit plus guère, et il n’est d’ailleurs pas facile de se procurer ses livres souvent anciens et/ou distribués de manière très confidentielle.

Je dois en fait à l’heureuse manie des bibliothèques universitaires de tout conserver – même une modeste plaquette défraîchie par ses plus de quarante années d’existence – d’avoir enfin pu découvrir cette oeuvre, sans filtre ni barrière, avec ce recueil publié en 1965 et où Andrée Sodenkamp a mêlé les évocations des multiples visages du féminin – Eve, Salomé, les tentatrices, les violentes, les "porteuses de foudre" (p. 24) mais aussi les mères et les épouses, dignes et tranquilles dans leurs "vêtements aux longs plis assemblés" (p. 13) – et celles de tableaux (de Van Eyck ou de Watteau) ou des lieux (Vézelay) chers à son cœur.

Dans sa perfection formelle, la poésie d’Andrée Sodenkamp se révèle ici aussi intemporelle qu’elle n’est, peut-être comme son auteure, et suivant ses mots-mêmes, d’un autre temps :

"Je suis du temps des lents et vieux romans d’amour,
Des grands Meaulnes poussant des portes solennelles.
On se mangeait le cœur en guettant sur la tour
Un pays balancé de bois et d’hirondelles.

C’étaient les temps heureux des grandes fautes tendres
Des confessionnaux pleins de voix murmurées,
Et de chagrins si beaux qu’on ne pouvait attendre
Pour les souffrir déjà de n’être plus aimée."
(p. 25)

Et surtout, elle se révèle éblouissante, traversée de foudres et de déchirures, hantée par la mort et l’amour dont la poétesse a su fixer, avec une élégance infinie mais totalement dénuée de pudibonderie, les traits contradictoires: la chair, l’absolu, l’éternel, la passion, le bonheur et la fièvre mais aussi la lassitude, l’usure et l’ennui… Racine s’y était pris tout autrement, mais il n’avait pas fait beaucoup mieux, au fond. Bref et en un mot comme un cent, c’est une magnifique découverte que cette œuvre qui possède tout de ce qui fait un classique - un vrai, un grand.

Extrait:

Voyage

"Quand je te vis, je sus, qu’engourdi du voyage
Tu n’étais, Bien-Aimé, pas encor revenu.
Tu rapportais chez nous ton poids de paysages
Et pailletés de froid, des objets saugrenus.

Mais où était resté cet amant sans raison,
Celui qui seul gémit, la nuit, sous les délices ?
Mes doigts suivaient encor des courbes d’horizon
Sur ton front détourné et sur ta lèvre triste.

Tu ramenais sur toi l’odeur de l’étrangère,
Des songes entêtés te faisaient les yeux las.
Mon âme est bien rangée en la vie coutumière,
Et mes pas mesurés te blessaient comme un glas.

Ensemble nous pleurions sur ton désir perdu,
Et mon corps quelquefois plaisait à ton malheur.
Tu caressais ton rêve, au hasard d’un sein nu,
Sur ma bouche, le soir, tu te mordais le cœur."
(p. 52)

D'autres poèmes d'Andrée Sodenkamp, dans mon chapeau: "Tes calmes mains sur toi" et "Van Eyck".

sodenkamp150Pour une édition plus récente de la poésie d'Andrée Sodenkamp, on peut se reporter aux "Poèmes choisis" publiés en 1999 par l'Académie Royale de Langue et de Littérature française de Belgique, 268 pages, isbn 2803200317

10 juin 2009

Du foot, des heures de prière et de longs trajets en bus...

19056189"Une famille brésilienne (Linha de passe)" de Walter Salles,
avec Sandra Corveloni et Vinicius de Oliveira

Cleusa vit dans une banlieue pauvre de Sao Paulo. Elle gagne son pain et celui de ses quatre gamins (qui n'ont pas tous le même père) en faisant des ménages, dans le noir le plus complet - fiscalement s'entend -, et sans la moindre couverture sociale, laquelle serait pourtant bienvenue maintenant qu'elle attend un cinquième enfant (dont le père, une fois de plus, a disparu du paysage). C'est donc la vie d'une famille brésilienne qui arrive de justesse à garder la tête hors de l'eau que Walter Salles nous raconte dans ce film où il retrouve Vinicius de Oliveira (qui incarnait le héros de son premier film, "Central do Brazil"), et où il donne aussi sa chance à une actrice débutante, Sandra Corveloni qui tient tout en sobriété le rôle de Cleusa (et qui s'est vue d'entrée de jeu récompensée par un prix d'interprétation au festival de Cannes en 2008).

C'est un film sans esbrouffe ni effet de manche pour des histoires de vies ordinaires, celles d'une femme et de ses quatre fils qui tentent chacun à leur manière de se construire un nid, ou un parcours. Dans la délinquance, la religion, le foot ou dans le sentiment de puissance et de liberté que l'on peut trouver au volant d'un de ses gros autobus qui sillonnent la mégapole de Sao Paulo, son traffic démentiel et ses kilomètres de bouchons... Et c'est bien là que Walter Salles nous invite à suivre ses personnages: à l'église, dans le bus ou au stade pour de très longs moments. Tant et si bien que pour apprécier pleinement cette histoire d'une "famille brésilienne", il vaut mieux vraiment aimer le foot. Ou s'armer d'un peu de patience, et tenter de conserver toute son attention pour ce qui fait de "Linha de passe" une oeuvre originale et un véritable film d'auteur: un vrai point de vue (social, esthétique...) qui tour à tour intrigue, irrite ou émeut, ennuie un peu, à la rigueur, mais ne laisse en aucun cas indifférent.

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