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Dans mon chapeau...
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31 décembre 2009

Sexe, drogue et rock'n roll

"Moi tout craché" de Jay McInerney41MOIozEfZL__SL500_AA240_
4 1/2 étoiles

Editions de l'Olivier, 2009, 301 pages, isbn 9782879296715

(traduit de l'Anglais par Agnès Desarthe)

Enfin, pour le rock'n roll, je ne sais pas: les années 1980 ont connu d'autres modes musicales. Mais le sexe et la drogue, c'est sûr, la génération perdue de ces années-là, dont Jay McInerney nous conte les destinées au long de ce qui nous est présenté comme un recueil presque complet de ses nouvelles, ne pourrait pas s'en passer. Car que pourrait-elle opposer d'autre à son ennui, son insatisfaction lancinante et son mal de vivre?

On comprend dès lors que d'aucuns aient pu rapprocher Jay McInerney de Francis Scott Fitzgerald, et de son évocation d'une autre jeunesse en mal de repères, celle des années 1920 et de "Tendre est la nuit". Et à vrai dire les grands enfants trop gâtés, perdus entre les clubs de Manhattan, les bleds les plus paumés du fin fond du Nebraska et les montagnes du nord de l'Afghanistan, héros de ces seize nouvelles de l'écrivain new yorkais, ne sont a priori guère plus susceptibles que leurs devanciers d'éveiller mon intérêt et ma sympathie. Comme chez Francis Scott Fitzgerald, tout, ici, tient dans la manière: un style franc, rapide et tout à la vivacité de l'expression et du sentiment, qui fait de la lecture des nouvelles de "Moi tout craché", en dépit de leur noirceur et de leur désespoir, un grand régal revigorant.

Pour tout dire, je n'ai que rarement eu l'occasion de me plonger dans un recueil de nouvelles qui maintienne tout du long un tel niveau de qualité. Même chez les auteurs les plus doués, il vient presque toujours un moment où l'on repère un début de répétition, un personnage qui réapparaît une fois de trop, se muant ainsi en stéréotype, une ficelle ou une astuce qui devient par trop apparente. Mais je n'ai rien vu de tout cela dans ce recueil qui couvre pourtant près de trente années d'écriture, de 1982 à 2008, et où des textes qui, à première vue, pouvaient sembler ressasser des thèmes très proches - ces histoires de couples usés et aigris par de trop nombreux coups de canifs de l'un ou de l'autre dans le contrat de la fidélité conjugale - s'ouvrent en définitive sur des mondes de sentiments et d'émotions complètement différents. Un tel poids d'humanité et de vécu, sans un poil de graisse excédentaire. Vraiment, c'est un régal!

Extrait:

"Nous vivons dans un coin où la première chose qu'on vous demande quand vous rencontrez quelqu'un c'est à quelle église vous allez, une ville qui compte plus d'églises que de saloons. La plupart des bibles du pays sont publiées ici, pareil pour les chansons folk. Nous avons aussi plus de boîtes de strip-tease, de salons de massage et de librairies pour adulte que vous ne pouvez l'imaginer, tout ça bien rangé au centre-ville, juste à la sortie du carrefour où l'autoroute croise la rocade*. Les gens du cru vous diront que c'est rien que des étrangers là-dedans, mais je ne suis pas convaincu. On pourrait peut-être établir une corrélation entre l'ampleur de cette industrie du sexe et le nombre d'églises, mais je ne me risquerais pas à le faire en public, dans la mesure où il y a aussi pas mal d'armes à feu par chez nous. J'ai, moi-même, un .38, entre le matelas et le sommier, et un fusil à pompe Remington calibre 12, dans le cabinet d'armurie, ce qui correspond à peu près à la moyenne. Pour l'instant, je ne me suis jamais servi du .38, mais je me sens plus en sécurité de la savoir là, même si les statistiques affirment le contraire. J'utilise le calibre 12 pour la chasse aux canards; tous les hivers, je pars avec mes vieux potes de la fac à Reelfoot Lake." (pp. 110-111)

* Plutôt bizarre, soit dit en passant, que l'apparition du terme typiquement hexagonal de "rocade" dans le contexte d'une petite ville américaine. C'est sinon un vrai contre-sens, du moins un choix de coloris malheureux et qui ne sonne pas juste du tout à mes oreilles sourcilleuses...

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25 décembre 2009

Un très heureux Noël à tous!

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Rogier Van der Weyden, L'Adoration des Mages (source: wikimedia commons)

25 décembre 2009

"Christmas"

La neige est sur Noël et Noël sur la neige
Avec un soleil d'or qui dessine des arbres
Des maisons des autos des enfants qui se cabrent
En glissant sur les fesses une pente en arpège

Aménagée au coin Montarville et Saint-Charles
Jerry a étrenné son beau paletot beige
Et sort avec Rita dans la lumière grège
Que Noël fait couler aux hanches des érables

Le jour est lumineux comme un regard d'enfant
On oublie qu'on est vieux que le monde est dément
Moins dément que la vie Plus vivant que la mort

La lumière parfois cisèle un diamant
Et vous le jette à l'oeil tel un simple trésor
C'est gratuit à Noël Comme l'amour et l'or

Jean O'Neil, "Montréal by foot", Editions Libre Expression, 2005, p. 80

Un autre poème de Jean O'Neil, dans mon chapeau: "Now is the time"

24 décembre 2009

Pour les petits et les grands enfants...

"Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer" de Claude Ponti9782211093750
5 étoiles

L'école des loisirs, 2008, 45 pages, isbn 9782211093750

Avec les fêtes de fin d'année, voici venu le temps des réunions familiales, leurs joies mais aussi leur cortège de petites tensions et agacements. Et, quel que soit votre âge, le moment viendra peut-être où vous éprouverez une grosse envie de changer de parents. Si tel est le cas, ce magnifique album est fait pour vous!

Pensez donc! Trente-cinq modèles de parents bourrés d'options et de gadgets en tout genre, tels les parents aventuriers, munis de "nombreuses poches, de toutes tailles avec fermeture de sécurité, éclairage intérieur et doublure étanche. Valise suiveuse. Siège d'épaule. Microscope de campagne. Eolienne serre-tête. Couteaux suisses, belges et vosgiens. Pirogue pliante. Pagaies à voile. Dépanneuse multifonction. Tente Catalogue©: salon/salle à manger, trois chambres, salle d'étude de jeux, piscine et jardin. Lecteur multimédia. Internet. Lits instantanés. Manuel de conversation avec les oiseaux. Dictionnaire de traces de pas. Dictionnaire français/étranger. Biscuits vitaminés, nourriture bio, médicaments non transgéniques, tisanes de plantes végétales, moules et casseroles. Gros mots de voyage. Localisation permanente par OUKISSON." (p. 9).

Trente-cinq modèles de parents désopilants, attendrissants, minuscules ou géants, jetables et biodégradables, discrets, tristes et même, ce qui est bien triste, des parents pour enfants orphelins. Sans oublier quelques modèles en solde que la maison, franchement, ne vous recommande pas, et des combinaisons - seul(e) ou composées - bien d'aujourd'hui. La livraison est gratuite et garantie "dans les quarante tuiteures".

Tout à la fois drôle et grave, cet album n'est que du bonheur pour tous les enfants de 6 à 106 ans... Ah, et j'oubliais: vos parents d'origine vous seront rendus sur simple demande, tout frais, reposés, lavés et repassés (enfin, non, pas repassés... parce qu'après tout, on les aime bien quand même ;-).)

Ponti

Les trankilous (p. 27)

22 décembre 2009

A la tombée du jour (2) - Carnet de Stockholm (10)

... et la tour de l'hôtel de ville se profile, trait noir sur l'or du ciel et de l'eau.

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La tour de l'hôtel de ville et Kungsholmen, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

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21 décembre 2009

Une blanche épure

"Neige", chorégraphie de Michèle Anne de Mey

Théâtre Royal de Namur, le 16 décembre 2009

S'ouvrant sur les notes de la septième symphonie de Ludwig van Beethoven - celle que Richard Wagner avait surnommée "l'apothéose de la danse" -, la nouvelle chorégraphie de Michèle Anne de Mey nous offre bien plutôt une blanche épure où les mouvements des danseurs se réduisent au plus simple, au plus nu. Les corps s'y perdent dans le blanc, doux ou hostile. Ils tracent d'étranges messages dans l'épaisse couche des flocons, se muent en chasse-neige ou se figent dans une attente immobile pour nous offrir un spectacle dépouillé, d'une grande et austère beauté.

Présentation du spectacle sur le site du Théâtre Royal de Namur

19 décembre 2009

Entre bonheur et frustration

"Une Habanera à Paris" de Zoé Valdés41NT6E10EXL__SL500_AA240_
4 ½ étoiles

Gallimard/Du monde entier, 2005, 111 pages, isbn 2070773434

(traduit de l’Espagnol par Claude Bleton)

Si elle est surtout connue chez nous comme romancière, Zoé Valdés était bel et bien entrée en littérature par le biais de la poésie et d’un premier volume, "Repuestas para vivir", publié à Cuba en 1986. Mais son oeuvre poétique est – et c’est malheureux – peu traduite en Français, à l’exception d’une anthologie ("Les poèmes de La Havane", Antonio Soriano, 1997) et d’un unique recueil traduit dans son intégralité ("Compartiment fumeurs", Actes Sud, 1999).

Rassemblant des textes tirés de cinq recueils datés entre 1986 et 2002 ("Repuestas para vivir", "Todo para una sombra", "Vagón para fumadores", "Cuerdas para el lince" et "Breve beso de la espera"), "Une Habanera à Paris" vient donc combler une véritable lacune, et me laisse, en bout de course, partagée entre bonheur et frustration.

Bonheur car j’ai retrouvé dans ces poèmes de Zoé Valdés tout ce que ses romans (comme "La douleur du dollar" ou "Café Nostalgia"...) offrent de meilleur: un univers bouillonnant où le tragique se mêle à la joie, et le plaisir à la douleur. J’ai retrouvé une écriture sensuelle, puissamment évocatrice, crue parfois mais toujours intensément vivante. Et frustration, bien sûr à l’idée de ne pouvoir savourer ici qu’une petite partie d’une oeuvre poétique qui a tout pour transporter ses lecteurs. Des textes brefs et encore assez classiques de "Repuestas para vivir" aux formes plus longues et libres qui s’imposent dans "Vagón para fumadores", on peut certes se risquer à deviner une évolution, tout comme l’on peut apprécier la place que l’Europe prend petit à petit, aux côtés de Cuba, au fil de très beaux textes inspirés par Arthur Rimbaud, Egon Schiele ou Paris dans les recueils les plus récents. Mais on en est réduit, vraiment, aux conjectures, à la curiosité et à la gourmandise face à une oeuvre qui échappe hélas encore largement aux lecteurs francophones. Chers éditeurs, à quand donc une traduction exhaustive de la poésie de Zoé Valdés ?

Extrait:

Pas même rien

Ecoute  il ne nous reste rien
Pas même ces bruits
Effrayants d’antan
Toi  l’assassin de l’audace
Tu aurais dû explorer mon visage
Bien que j’aie tout effacé
Les traces de la soif
L’excès des vérités
Ecoute  il ne reste rien
Pas même ce silence
De début de siècle
J’ai même effacé la nuit
Remplacée par une nuit plus durable
Par la douleur et le sang
C’est devenu une habitude
Même si personne ne pense à la douleur
Même si personne n’a l’audace de saigner
Ou presque de réfléchir à la mort
Ecoute  il ne reste rien
Et rien de nous.
(p. 91)

D'autres extraits de "Une Habanera à Paris", dans mon chapeau: "L'enfance était du pain chaud" et "Femmes des années folles".

Zoé Valdés était l'auteur des mois d'octobre et novembre 2009 sur Lecture/Ecriture.

D'autres livres de Zoé Valdés, dans mon chapeau: "Soleil en solde", "L'éternité de l'instant", "Café Nostalgia" et "Danse avec la vie" 

17 décembre 2009

De grands enfants trop gâtés

"Tendre est la nuit" de Francis Scott Fitzgerald51ckfBYesjL__SL160_AA115_
4 étoiles

Le livre de poche, 2008, 415 pages, isbn 9782253052296

(traduit de l'Anglais par Jacques Tournier)

Lorsque Rosemary Hoyt a fait la connaissance de Nicole et de Dick Diver, sur une plage de la Riviera, elle est instantanément tombée sous le charme de l'atmosphère de raffinement, de luxe et d'oisiveté qui entourait ce couple si éloigné de ce qui constituait son monde habituel et sa vie de jeune actrice à l'aube d'une brillante carrière, tout entière centrée sur son travail. Tout au plaisir de la découverte, elle n'a tout d'abord rien deviné du lourd secret que cachaient ses nouveaux amis, un secret que la quatrième de couverture "lâche" bien malencontreusement mais que Francis Scott Fitzgerald, lui, nous dissimule jusque bien avant dans le déroulement de "Tendre est la nuit", se contentant de nous suggérer sa présence par de toutes petites touches d'une grande délicatesse. Une dispute au motif bien énigmatique qui met fin à une soirée, une liste de courses (qui a, à juste titre, retenu l'attention de David Lodge), quelques propos presque anodins tenus ici ou là, sont autant de signes, ténus puis de plus en plus clairs et menaçants, des failles qui courent sous la surface scintillante de la vie des Diver et de leur petit cercle d'intimes.

Au fil des pages et des points de vue qui changent au gré des trois sections de ce roman, le vernis des apparences se craquèle insensiblement laissant remonter au jour les souvenirs de la première guerre mondiale et les blessures familiales, l'amertume et le désoeuvrement de ces jeunes américains – la "génération perdue" - trompant leur ennui sur les routes européennes des années 1920. Tout le charme et l'intérêt de ce portrait de grands enfants trop gâtés, englués dans une vie de luxe et d'oisiveté, est là, dans l'élégance et le raffinement de la prose de Francis Scott Fitzgerald, dans son art subtil de la suggestion, et dans le mystère soigneusement entretenu, le secret si longtemps maintenu à l'état de simple pressentiment (et l'indiscrétion de la quatrième de couverture n'en est sans doute que plus regrettable...). Tout, ici, est dans la manière, l'art, le style. Et quel style!

Extrait:

"Elle était d'une telle naïveté que la fastueuse simplicité des Diver la touchait au coeur, incapable encore d'en saisir la complexité, le manque absolu d'innocence, incapable de deviner qu'il s'agissait pour eux d'un choix de qualité, et non de quantité, dans le clinquant de l'univers, et que cette assurance, cette simplicité, cette ouverture d'esprit, presque enfantine en apparence, la façon qu'ils avaient d'exagérer les qualités les plus banales, faisaient partie d'un marchandage désespéré avec les dieux, et n'avaient été obtenus qu'à la suite de violents conflits, qu'elle ne pouvait pas soupçonner." (p. 37)

Une autre génération perdue, celle des années 1980, s'anime sous la plume de Jay McInerney dans "Moi tout craché".

15 décembre 2009

Jeux d'enfants

"Rain - comme une pluie dans tes yeux",
par le Cirque Eloize

Théâtre Royal de Namur, le 10 décembre 2009

Inspiré par les souvenirs d'enfance du metteur en scène, Daniele Finzi, "Rain - comme une pluie dans tes yeux" déroule un fil ténu: un univers, le monde insouciant et grave des jeux de l'enfance, des histoires changeantes que l'on s'invente entre les lignes d'un spectacle mêlant cirque, musique et théâtre plutôt qu'une intrigue unique, écrite noir sur blanc.

La troupe québécoise du cirque Eloize y déploie une étourdissante multiplicité de talents, ses membres se révélant comédien(ne)s et poètes tout autant qu'athlètes complets pour nous offrir un très très beau moment, débordant d'émotions, d'humour et de poésie, en un équilibre perpétuellement instable entre grâce et dérision.

Présentation du spectacle sur le site du Théâtre Royal de Namur.

Un autre spectacle du cirque Eloize, dans mon chapeau: "iD"

14 décembre 2009

Kaboul au quotidien

19069708_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20090305_053723"Kabuli Kid" de Barmak Akram,
avec Hadji Gul

Kaboul après-guerre - pour autant que celle-ci soit vraiment finie -, à quelques instants à peine du début du couvre-feu, Khaled découvre que sa dernière cliente, soigneusement dissimulée sous une burqa bleue, a abandonné son bébé à l'arrière de son taxi.

Au long des trois jours de la quête de Khaled pour retrouver la mère du petit garçon, Barmak Akram nous offre tout à la fois un documentaire sur la vie quotidienne des Kaboulis, marquée par la débrouille et le système D, et une incursion dans la vie d'une famille ordinaire qui surnage de justesse. Khaled souffre de n'avoir que des filles, et l'arrivée d'un petit garçon - ne serait-ce que pour quelques jours - réveille dans sa maison familiale bien des sentiments enfouis. Le poids des traditions se fait là lourdement sentir, non sans se mêler au désir de changements.

Loin des simplifications faciles, Barmak Akram nous propose un portrait tout en demi-teintes et débordant d'humanité d'un monde encore un peu perdu, quelque part au milieu du gué... C'est sensible, touchant, et c'est à voir absolument pour porter sur Kaboul un autre regard que celui, toujours trop rapide et sélectif, des flashs infos.

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