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Dans mon chapeau...
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14 novembre 2008

La naissance d'un mythe

"L'invention de la Vénus de Milo" de Takis Théodoropoulos
4 étoiles51H_hHlLBgL__SL160_AA115_

Sabine Wespieser, 2008, 216 pages, isbn 9782848050645

(traduit du Grec par Michel Grodent)

Par un beau jour du printemps 1820, un paysan de la petite île grecque de Milo a trouvé par hasard dans son champ les deux morceaux - buste et jambes - d'une statue qui est aujourd'hui une des stars incontestées du musée du Louvre. Et c'est le parcours de cette sculpture, d'un modeste champ à un palais, que Takis Théodoropoulos entreprend de nous conter ici. Une invention, vraiment, plutôt qu'une découverte. Et une invention qui emprunte autant à l'esprit du début du XIXème siècle qu'aux qualités plastiques indéniables de celle que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de Vénus de Milo.

L'époque était à l'évidence très particulière. La Grèce était sur le point d'entamer sa guerre d'indépendance contre l'occupant ottoman, et dans le même temps à l'affut de toutes les traces de son prestigieux passé qui pourraient l'aider à se refaire une fierté nationale. Mais les patriotes grecs n'étaient pas les seuls à se passionner pour l'art antique: tous les grands de ce monde - rois de France ou de Bavière - étaient pris de la même fièvre, et pour tous, c'était une question de prestige plus encore peut-être que d'esthétique... Et les complexités de la géopolitique de se mêler ainsi aux ambitions et aux agendas secrets des uns et des autres.

Takis Théodoropoulos a si bien su capturer le génie de cette période agitée "durant laquelle l'avenir envahit brutalement le présent, saccageant les vies humaines au nom de l'Histoire" (pp. 99-100), que son "invention de la Vénus de Milo" se lit comme un document, une merveilleuse leçon d'histoire de l'art qui réussit même à faire oublier qu'elle est une leçon. Tout, absolument tout dans ce livre semble parfaitement vrai*. Et pourtant ce récit est romanesque en diable, avec sa fabuleuse galerie de personnages: un paysan grec roublard, son apprenti trop bavard, un jeune aspirant de marine français malheureux en amour et l'épouse du consul de France à Milo, qui s'ennuie, mais qui s'ennuie (et qui en plus est allergique au soleil, alors la Grèce, vous pensez bien...) Sans oublier un prince ottoman collectionneur acharné et son factotum, un moine grec défroqué et voleur, ou un jeune Jules Dumont d'Urville, le futur explorateur des mers australes ici portraituré en opportuniste sans scrupule. Tous feraient de merveilleux personnages de roman, ce que d'ailleurs ils sont peut-être. Mais au fond, peu importe. Car le ton doucement caustique et pince-sans-rire de Takis Théodoropoulos fait de son "invention de la Vénus de Milo" un vrai petit régal de lecture. Alors réalité ou fiction, qui s'en soucie, vraiment ;-)?

*Et de fait, toutes les informations que j'ai pu recouper se sont révélées exactes.

Extrait:

"Les coutumes du IIe siècle de notre ère, c'est une chose. C'en est une autre de croire que Vénus est la déesse appropriée aux élans amoureux. Et les moeurs du XIXe siècle, c'en est encore une troisième, dans l'environnement sévèrement orthodoxe des Grecs de Milo où la sobre figure de la Vierge, avec son déficit de féminité, fixait les critères de la beauté féminine. Il y a une différence entre une statue intacte et surtout revêtue de couleurs qui contribuent à sa vraisemblance et un tronc brisé, exempt de bras, allongé dans votre champ parmi les pierres, souillé encore de terre, d'herbe et d'humidité. Loin de moi, l'idée de méconnaître l'impression qu'a dû faire sur Yorgos Kendrôtas et sur son apprenti, l'apparition inattendue parmi les ombres matinales d'une gorge dénudée de femme. Quand toujours sous l'effet du sommeil et sans nourrir le moindre soupçon, ils se dépêchaient de ramasser leurs pierres histoire d'en finir une heure plus tôt! Cela s'appelle un viol du quotidien et cela montre la manière dont une oeuvre d'art, issue de la lointaine réalité qui la vit naître, s'inscrit dans le présent comme une fissure créée à la surface du temps. L'impression est d'autant moins contrôlable que l'oeuvre surgit dans la nature, comme un élément quasi vivant en somme, bien avant d'être rangée dans une quelconque salle de musée, parmi ces créatures sexuellement interchangeables exhibées à l'intention des visiteurs avertis." (pp. 38-39)

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