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Dans mon chapeau...
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27 février 2009

Femme en perdition

"Quai des Grands-Augustins" de Jean Rhys310121906391
5 étoiles

Gallimard/Folio, 1981, 219 pages, asin B0014LBROC

(traduit de l’Anglais par Jacques Tournier)

Au sortir de l’adolescence, Julia Martin a choisi de fuir sa famille et une vie conventionnelle. Elle s’est mariée contre leur gré, a eu un enfant qu’elle a perdu, a quitté son mari et vécu plus ou moins aux crochets d’amants successifs… Et au moment où nous faisons sa connaissance dans un modeste hôtel du Quai des Grands-Augustins, sa dernière rupture – avec un certain Mr Mackenzie -, l’a laissée comme cassée, sans force pour continuer sa route.

Au cours d’un bref séjour en Angleterre et d’une tentative avortée de renouer avec sa famille, puis d’un nouveau retour à Paris, nous partageons la vie d’une femme de plus en plus perdue, amère et endurcie d’une certaine façon sans que cela la protège des nouveaux coups du sort qui ne cessent de la frapper. Une femme dont l’âge commence à se marquer, dont les traits se fanent petit à petit, inéluctablement, ainsi que le constate d’ailleurs, sans pitié, son amant du moment : "La façon dont ce visage trahissait sa fatigue et son âge fascinait Mr Horsfield. C’était étrange d’imaginer l’existence d’une femme comme elle. De chercher quel genre d’image elle se faisait d’elle-même – lorsqu’elle se regardait dans une glace, par exemple. Où trouvait-elle la force de survivre, sinon dans quelques illusions déchirantes qu’elle était obligée d’entretenir savamment ? Se voyait-elle encore jeune, encore mince, encore capable de tout, persuadée qu’elle restait éternellement la même – par une sorte de miracle – alors que tout vieillissait autour d’elle ?" (p. 102). Une femme qui, doucement, lâche prise et dont Jean Rhys retrace le parcours au fil d’un texte dense et dépouillé, dépourvu de toute complaisance comme de tout pathos.

Je ne sais qu’ajouter qui ne reste de toute façon bien en-deçà de ce que j’ai éprouvé à la lecture de "Quai des Grands-Augustins". Et je crois qu’un texte d’une telle qualité parle si bien par lui-même qu’il se passe de longs commentaires. Mais force m’est pourtant de constater que mon admiration pour l’œuvre de Jean Rhys va croissant à chaque nouvelle rencontre avec un de ses livres. Voilà bien un auteur cantonné dans une discrétion imméritée et qui est à (re)découvrir!

Extrait :

"La tristesse de Julia n’était pas constante. Lorsqu’elle se calfeutrait dans sa chambre – au moment même où elle se calfeutrait dans sa chambre – elle avait l’impression d’être hors de danger. Elle lisait, la plupart du temps.

Mais certains jours elle commençait à réfléchir. La monotonie de son existence volait alors en éclats. Elle se mettait à avoir peur. Elle ne pouvait plus tenir en place. Il fallait qu’elle fasse les cent pas dans sa chambre, et la haine la dévorait. Haine qui s’adressait à tout l’univers ; à tous ceux qui y vivent – plus particulièrement à Mr Mackenzie. Elle parlait souvent tout haut, en marchant ainsi dans sa chambre.

Elle se sentait ensuite atrocement fatiguée. Elle s’allongeait sur son lit, restait longtemps immobile. Une rumeur montait peu à peu autour d’elle – rumeur venue de l’extérieur, qui lui rappelait le bruit de la mer." (p.12)

D'autres livres de Jean Rhys, dans mon chapeau: "L'Oiseau moqueur et autres nouvelles" et "Wide Sargasso Sea".

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