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Dans mon chapeau...
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2 janvier 2009

Sortilège caraïbe

“Wide Sargasso Sea” de Jean RhysCouverture_Sargasses
4 1/2 étoiles

Penguin, 1970, 156 pages, isbn 0140028781

Jamaïque, XIXème siècle, nombreuses sont les familles de planteurs ruinées suite à l’abolition de l’esclavage, en butte au mépris des nouveaux venus européens, débarqués de métropole munis de capitaux frais, et à la haine tenace de leurs anciens serviteurs noirs et métis. Et la famille d’Antoinette Cosway compte parmi les plus pauvres, reléguée loin de tout dans une plantation à l’abandon où la jeune créole grandit en sauvageonne, courant les bois à longueur de journée, fuyant toutes traces de présence humaine.

Avec ce roman qui lui valut enfin une reconnaissance tardive, après trente années d’oubli et de silence, Jean Rhys retrouve la terre natale qu’elle avait quittée à l’âge de seize ans pour rejoindre l’Europe. Et elle en dresse un tableau d’une beauté sensuelle, frémissante, ensorcelante, un tableau pourtant trop troublant, trop inquiétant, pour qu’on se contente d’y voir l’image d’un paradis perdu. L’oppression y est omniprésente, qu’il s’agisse de celle des noirs par les blancs, de celle que le dédain des métropolitains fait peser sur les vieilles familles créoles usées par le climat des caraïbes et des générations d’unions consanguines, ou encore de la menace diffuse des sortilèges de l’obeah, cette magie vaudou à laquelle les blancs ne croient pas, disent-ils, mais dont ils ne craignent pas moins les effets.

Et à travers le destin de la jeune Antoinette Cosway, c’est aussi l’oppression que fait peser sur une femme trop fragile une société impitoyable envers celle qui refuse de se soumettre à ses conventions et au jeu des apparences, qui est au cœur de ce livre dont l’épilogue tragique est connu de tous les lecteurs de Jane Eyre. Car c’est bien l’histoire de la première Mrs Rochester que Jean Rhys a choisi de nous conter ici : Antoinette, dotée d’une coquette fortune et d’un nouveau nom suite au remariage de sa mère avec le riche Mr Mason, rebaptisée Bertha par son mari qui en est venu à lui vouer une haine viscérale, en même temps qu’il en est venu à haïr la beauté trop présente, trop troublante, des Caraïbes…

Tout comme lors de ma découverte de
“L’Oiseau-moqueur et autres nouvelles”, j’ai éprouvé un vrai bonheur à me replonger dans l’univers pourtant si noir et inquiétant de Jean Rhys. Et le bonheur comme le trouble instillés à la lecture de “Wide Sargasso Sea” sont de ceux, si rares, qui continuent longtemps à accompagner le lecteur… Cela vaut bien de prendre le risque de ne plus jamais pouvoir lire “Jane Eyre” (et regarder son Mr Rochester) du même œil qu'auparavant!

Extraits :

“Everything is too much, I felt as I rode wearily after her. Too much blue, too much purple, too much green. The flowers too red, the mountains too high, the hills too near.” (p. 59)

“It is not for you and not for me. It has nothing to do with either of us. That is why you are afraid of it, because it is something else. I found that out long ago when I was a child. I loved it because I had nothing else to love, but it is as indifferent as this God you call on so often.” (p. 107)

41NPA17JJ6L__SL160_AA115_En VF: “La prisonnière des Sargasses”
traduit de l’Anglais par Yvonne Davet
Gallimard/L’Imaginaire, 2004, 238 pages, isbn 9782070770854

Mais la vieille édition Penguin que j'ai dénichée à la bibliothèque propose en outre une bonne introduction de Francis Wyndham, retraçant de façon claire, concise et sensible, le parcours de Jean Rhys...

D'autres livres de Jean Rhys, dans mon chapeau: "L'Oiseau-moqueur et autres nouvelles" et "Quai des Grands-Augustins".

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