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Dans mon chapeau...
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13 mai 2009

Trésors turinois

"De Van Dijk à Bellotto",
Palais des Beaux-Arts, Bruxelles
Du 20 février au 24 mai 2009

Ducs de Savoie, princes de Piémont et enfin rois d'Italie, les membres de la famille de Savoie ont aussi, chacun à leur façon, été des amateurs d'arts et des collectionneurs avertis. Quelques unes des plus belles pièces qu'ils ont rassemblées entre le XVème et le XVIIIème siècle sont à présent conservées à la Galleria Sabauda de Turin, et ce musée aujourd'hui en cours de restauration a accepté de prêter certaines de ces oeuvres au Palais des Beaux-Arts pendant le temps des travaux, fournissant la matière d'une exposition pour le moins éclectique mais impeccablement présentée et par là-même passionnante.

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Orazio Gentileschi, Annonciation (source)

S'ouvrant par une salle consacrée aux portraits officiels - souvent hiératiques et figés - de quelques uns des membres les plus influents de la famille de Savoie, l'exposition se poursuit en alternant présentations chronologiques et thématiques (une salle étant réservée aux natures mortes et une autre à la peinture de paysage). Il y en a vraiment pour tous les goûts: deux beaux manuscrits enluminés (prêtés par la Bibliothèque royale de Bruxelles, où ils avaient abouti dans l'héritage de Marguerite d'Autriche, la tante de Charles Quint, gouvernante des Pays-Bas et veuve de Philibert de Savoie), une Vierge à l'Enfant de Mantegna (en très mauvais état, ce pourquoi il faut remercier Napoléon 1er et sa bande de pillards), une splendide Annonciation, chef-d'oeuvre d'Orazio Gentileschi, une très belle Vue de Turin où Bernardo Bellotto déploie toute la précision coutumière de son maître Canaletto, et bien sûr un magnifique portrait des enfants royaux d'Angleterre, peints par Van Dijk, un cadeau de la reine Henriette, l'épouse de Charles 1er, à sa soeur Christine de Savoie...

 

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Bernardo Bellotto, Turin vue depuis les jardins royaux (source)

C'est à voir au palais des Beaux-Arts de Bruxelles jusqu'au 24 mai, du mardi au dimanche et de 10h à 18h (nocturne le jeudi jusque 21h). Et la SNCB a la bonne idée de proposer un billet conjoint train+expo à prix réduit, qu'on se le dise ;-).

Présentation de l'exposition sur le site du Palais des Beaux-Arts

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13 octobre 2009

Romantique et féroce, mais surtout fort drôle

18364807"Intolérable cruauté" de Joel et Ethan Coen,
avec Catherine Zeta-Jones et George Clooney

Que les frères Coen se risquent dans les plates-bandes de la comédie romantique et l'on peut s'attendre à voir débouler choux et cactées en tout genre au milieu des sages pétunias...

Et ma foi, ce serait bien vu, car si "Intolérable cruauté" respecte bien la grande règle canonique du genre - à savoir nous conter l'histoire de deux héros faits l'un pour l'autre mais qui passent près de deux heures à jouer au chat et à la souris avant d'accepter l'inéluctable -, il l'assaisonne d'une satire aussi féroce que savoureuse de ces avocats que l'on qualifie bizarrement de spécialistes du droit matrimonial alors que leur grande affaire, c'est plutôt le divorce. Un scénario réglé au millipoil et quelques superbes numéros d'acteurs - George Clooney, Catherine Zeta-Jones mais aussi Billy Bob Thornton, impayable dans le rôle d'un (prétendu) milliardaire texan - ne gâtent rien.

Voilà donc un bon divertissement, peut-être un peu méchant mais certainement pas bête, et dont seule une chaîne comme TF1 peut avoir l'idée farfelue de le diffuser en seconde partie de soirée!

D'autres films d'Ethan et Joel Coen, dans mon chapeau: "A serious man", "Burn after reading" et "O'Brother, Where Art Thou?"

14 octobre 2009

Sobre et juste

"Une année étrangère" de Brigitte Giraud41Ry46J50sL__SL160_AA115_
4 étoiles

Stock, 2009, 208 pages, isbn 9782234063464

C'est au prétexte de perfectionner sa connaissance de l'Allemand que Laura, dix-sept ans, est partie passer six mois dans le Nord de l'Allemagne comme jeune fille au pair. Quoiqu'à y regarder de plus près, l'envie d'échapper à une atmosphère familiale oppressante a dû, sans doute, jouer un rôle non négligeable dans sa décision. Laura ne peut savoir, au moment de quitter les siens, que la famille qui l'attend un bon millier de kilomètres plus au Nord, est elle aussi, à sa manière très différente, éprouvée et dysfonctionnelle. Et elle ne peut pas non plus prévoir qu'elle retrouvera là-bas, en reprenant la lecture cette fois dans le texte original, le livre qui lui tenait chaud pendant les longues soirées des derniers mois de sa vie française: "La Montagne magique" de Thomas Mann.

Tout, au long des six mois du séjour allemand de Laura, nous renvoie à ce roman monumental de Thomas Mann, jusqu'au patronyme de sa famille d'accueil – "Bergen" – et même au nom de leur chien - "Naphta". Et surtout ce constat de Laura qui, tout comme Hans Castorp, a quitté une vie active et réglée comme du papier à musique, pour découvrir une forme de laisser-aller ou de passivité: "Je me laisse engloutir par la puissance paradoxale des Bergen, leur manque d'énergie et de rigueur m'absorbe et me ligote." (p. 108). Un constat qui m'a  ramenée à mes propres impressions à la lecture de "La Montagne magique", alors que j'avais à peu de choses près l'âge de l'héroïne de Brigitte Giraud: mélange d'ennui, d'incompréhension et d'une fascination quelque peu morbide mais irrésistible.

Brigitte Giraud nous offre ainsi, avec "Une année étrangère" un magnifique exemple d'"intertextualité", telle que la définit David Lodge: le fait de tisser un texte "à partir de fils pris à d'autres textes" ou de recycler des "oeuvres littéraires antérieures pour donner forme à [une] présentation de la vie contemporaine, ou y ajouter des harmoniques."*. Et son récit, sobre et juste, fin et sensible, du parcours initiatique d'une jeune fille au sortir de l'adolescence, s'en trouve enrichi d'échos aux possibilités infinies sans pourtant rien perdre de son naturel.

Ce fut donc un beau moment de lecture que cette "Année étrangère" qui, ceci dit, me laisse bien ennuyée: en proie à l'envie de relire "La Montagne magique" mais sans savoir où diable je pourrai trouver le temps pour son millier de pages bien tassées ;-)!

* David Lodge, "L'Art de la fiction", Rivages, 1996, pp. 134-135 (traduit de l'Anglais par Michel et Nadia Fuchs)

Extrait:

"J'ai découvert dans les dépliants qui m'ont été envoyés que la ville dans laquelle j'allais vivre était celle de Thomas Mann, et cette information m'a rassurée, je ne peux dire exactement pourquoi, sans doute parce que le roman du prix Nobel de littérature, conseillé par notre professeur de philosophie, est l'un des rares événements advenus pendant les derniers mois qui m'a touchée, pas tant le livre dont je n'ai lu que la moitié et dont je me souviens davantage de l'atmosphère que de ce qui s'y passe, mais la façon dont mon professeur en parlait, debout derrière le bureau, les bras parfois écartés, la poitrine en avant, le débit effréné, les yeux brillants, oui c'est le seul événement qui a détourné mon attention de ce qui arrivait alors à la maison, et pendant que papa et maman mettaient en scène leurs éternels reproches à longueur de soirée, je tentais de me concentrer sur la lecture de La Montagne magique, allongée sur mon lit, je tournais les pages, tendant souvent l'oreille pour entendre ce qui se disait de l'autre côté de la cloison. La Montagne magique était mon refuge et j'ignorais que ce livre allait se trouver sur ma route et me sauver une nouvelle fois." (pp. 45-46)

24 juillet 2009

La Renaissance à Prato

"Filippo et Filippino Lippi - La Renaissance à Prato",
Paris, musée du Luxembourg
Du 25 mars au 2 août 2009

Située à quinze kilomètres de Florence, la petite ville industrielle de Prato est tombée assez tôt dans la sphère d'influence de sa puissante voisine. Et la création artistique ne faisait pas exception à cette règle, car c'est à un moine florentin, fra Filippo Lippi, que furent confiés quelques unes des commandes les plus prestigieuses dont s'enorgueillit aujourd'hui encore la ville des bords du Bisenzio: le cycle des "Vies de Saint Etienne et de Saint Jean-Baptiste" dans le Duomo, mais aussi "La Vierge à la Ceinture, entre Saint Thomas, la commanditaire Bartolommea de Bovacchiesi, les saints Grégoire, Augustin, Tobie, Marguerite et l'archange Raphaël" du couvent de Sainte-Marguerite. C'est d'ailleurs pendant qu'il honorait cette dernière commande que Filippo Lippi devait tomber amoureux d'une jeune novice du couvent, Lucrezia Buti, qui lui donnera un fils, Filippino, et qui prêtera ses traits à Sainte-Marguerite et à la célèbre "Vierge à l'Enfant" des Offices.

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Filippo Lippi et Fra Diamante, "La Vierge à la Ceinture, entre Saint Thomas, la commanditaire Bartolommea de Bovacchiesi, les saints Grégoire, Augustin, Tobie, Marguerite et l'archange Raphaël", Prato, Museo Civico (source)

Mais l'exposition du Musée du Luxembourg ne se concentre pas sur ce seul scandale - fut-il un des plus fameux de la Renaissance italienne - ni d'ailleurs sur les seules oeuvres de Filippo Lippi, nous offrant aussi l'occasion de découvrir l'art de Prato avant et après l'arrivée du turbulent Florentin. L'exposition s'ouvre ainsi sur une brève évocation des prédécesseurs de Filippo Lippi, encore proches de la tradition gothique, et se referme en compagnie de ses disciples tout en nous permettant d'admirer un étonnant "Christ en croix" de Sandro Boticelli qui fut son élève et le "retable de l'Audience", oeuvre de son fils Filippino.

Seule (petite) fausse note: le texte des panneaux introductifs placés à l'entrée de chaque salle m'a paru bizarrement mal écrit, dans style si pesant que je n'ai pu m'empêcher d'y voir une mauvaise traduction...

Le site du Musée du Luxembourg

5 septembre 2009

"Quand l'enfant paraît..."

"Le vaste monde (Le retour à la terre, tome 3)" de Jean-Yves Ferri et Manu Larcenet
4 étoiles8290_0

Dargaud/Poisson pilote, 2007, 48 pages, isbn 9782205056259

Cette fois, c'est officiel: Mariette et Manu vont bientôt devenir parents. Et que de soucis en perspective, quand on vit à la campagne! Car les achats usuels - berceau, layette, langes... - ne suffisent pas. Il faut aussi prévoir une poussette adaptée c'est à dire tous terrains. Sans oublier de bien repérer l'itinéraire menant à la maternité (à ce sujet, notez la "leçon nº1: ne pas confondre clef de voiture et clef de boîte à lettres!" (p. 33)). Puis, comme si tout cela ne suffisait pas, il faut encore faire face sereinement aux pronostics du voisinage: "Feuilles à tes trousses, fille blonde ou rousse." (p. 5), "Papillon orange (NDFC: comme le noeud des cheveux de Mariette?), deux garçons en langes." (p. 4). Quand on ne vous prédit pas carrément des triplés!

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, Manu s'est aussi vu attribuer un prix pour son dernier album: la prestigieuse gomme de bronze du festival de BD de Château-Moignon - bibelot (en bronze) aussi inutile qu'encombrant et dont je pressens qu'il n'a pas fini de nous faire rire et sourire. Pas plus d'ailleurs que les aventures de Manu Larssinet et de sa petite famille!

Extrait:

 

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(p. 33)

Les autres épisodes: "La vraie vie (Le retour à la terre, tome 1)", "Les projets (Le retour à la terre, tome 2)", "Le déluge (le retour à la terre, tome 4)" et "Les révolutions (Le retour à la terre, tome 5)"

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9 novembre 2009

Captivant, drôle et politiquement engagé

18781665_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20070702_050538"Correspondant 17" d'Alfred Hitchcock,
avec Joel McCrea et Laraine Day

Avec ce "Correspondant 17", tourné en 1940 et situé entre Londres et Amsterdam dans les jours qui précèdent le début de la deuxième guerre mondiale, Hitchcock nous offre à la fois un impeccable film d'espionnage, et un film engagé qui se referme sur un vibrant plaidoyer du héros, jeune reporter américain tête brûlée mais très sympathique, pour l'entrée en guerre des Etats-Unis.

C'est évidemment captivant, mais aussi - et c'est plus surprenant - par moment très drôle, preuve s'il en est qu'Alfred Hitchcock pouvait bel et bien briller dans le registre de la comédie même si le film qui est généralement considéré comme sa seule incursion dans le genre - "Mr and Mrs Smith" - ne rend pas justice à son talent.

Bref, c'était une jolie découverte - un vrai plaisir de cinéma comme on les aime - que ce "Correspondant 17". Et ce n'est pas fini: Arte continue en effet son exploration de l'oeuvre du maître du suspense avec "Sabotage", ce soir à 20h45, et surtout avec le chef-d'oeuvre incontesté de sa période anglaise, "Les 39 marches", qui sera diffusé jeudi soir, toujours à 20h45.

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Pas de printemps pour Marnie", "Les amants du capricorne", "Soupçons", "Mr and Mrs Smith", "Sabotage", "Les 39 marches" et "Fenêtre sur cour"

11 janvier 2010

Une Chine fantasmée

"L’éternité de l’instant" de Zoé Valdés41BSTwQfYZL__SL160_AA115_
3 étoiles

Gallimard/Folio, 2008, 401 pages, isbn 9782070358571

(traduit de l’Espagnol par Albert Bensoussan)

Troisième étape de mes retrouvailles avec Zoé Valdés, auteur des mois d'octobre et novembre 2009 sur Lecture/Ecriture.

Le grand-père de Zoé Valdés était d’origine chinoise, et la romancière cubaine nous convie ici à retracer les pas de son aïeul, remontant le fil de leur histoire familiale à travers l’évocation du sort des ouvriers chinois "importés" massivement dans les Caraïbes où ils vécurent un véritable esclavage, et jusqu’à leurs lointaines racines asiatiques.

Le récit procède par sauts et par bonds, dans un désordre apparent, reflet des failles de la mémoire de Maximiliano Megía qui autrefois s’est appelé Mo Ying, dans la petite ville du Sichuan où il avait grandi, dans une famille d’artistes. Reflet aussi des tours et détours de la charade sino-cubaine, jeu de hasard venu de Chine puis adapté à Cuba et où les joueurs – tout comme parfois les héros de "L’éternité de l’instant" – se laissent guider par leurs rêves. L’onirisme et le fantastique viennent ainsi se mêler à l’histoire familiale au fil d’un roman qui regorge de surprises et de rebondissements.

Je ne me suis pas ennuyée une minute, et j’ai été touchée par les rapports, tendres et un peu fous, qui se nouent sur le tard entre Maximiliano Megía et sa petite-fille Lola - sans doute l’alter ego de l’auteure. Mais je n’ai pas pu croire à leur histoire, ou en tout cas pas vraiment. Dès les premières pages, je suis restée sur le pas de la porte, incrédule, face à la Chine fantasmée, dans les premiers temps vraiment trop belle pour être vraie – trop sage, trop sereine, trop parfaite -, où Zoé Valdés nous emmène faire la connaissance des futurs parents de Maximiliano-Mo Ying. Et d’un bout à l’autre, "L’éternité de l’instant" m’a laissée sur cette même impression en demi-teinte.

Extrait:

"Cependant, sa mémoire lui tendait de terribles pièges, tentait sur l’échiquier de mauvais coups au lieu de stratégies. Maximiliano ne parvenait pas à replacer en ordre chronologique les années, confondant l’avant et l’après, ce qui brouillait encore plus son esprit et le faisait sortir de ses gonds. Irrité, il s’abandonna à la pipte d’opium; la placidité que lui apportait la drogue situait son passé en terrain neutre, là où la chronologie n’avait plus la moindre importance, car c’était saisir l’événement qui devenait réellement indispensable, le revivre, en jouir à distance jusqu’à sa plus haute expression; après quoi il transmettait tout cela à Lola, grâce au pouvoir de l’imagination et de l’écriture." (pp. 260-261)

Une interview de Zoé Valdés, parue à l'occasion de la publication de "L'éternité de l'instant".

D'autres livres de Zoé Valdés, dans mon chapeau: "Soleil en solde", "Une Habanera à Paris", "Café Nostalgia" et "Danse avec la vie"

21 novembre 2009

Une traversée des instincts fauves

"Le régiment noir" d'Henry Bauchau51PD0ZjKMCL__SL500_AA240_
4 étoiles

Labor/Espace Nord, 1992, 425 pages, isbn 2804007669

Le régiment noir, c'est le premier du nom, celui qui fut formé par des affranchis et des esclaves fugitifs, engagés au service des armées nordistes pendant la guerre de Sécession. Mais si le roman d'Henry Bauchau nous entraîne bel et bien à travers les grandes batailles de la guerre civile américaine, de Bull Run à Gettysburg et à l'incendie d'Atlanta, ce n'est pas un roman historique. Le lecteur est d'ailleurs prévenu d'entrée: ici, rien n'est vrai. Et la matière du "régiment noir" est le passé qu'un fils, dans la tranquillité d'une petite ville brabançonne - "ses maisons de brique, ses maisons de pierre et la vie, un peu tiède, un peu manquée" (p. 188) - rêve pour son père au mépris de la vérité factuelle et même de la chronologie la plus élémentaire, puisque ce père, en réalité, n'est venu au monde que bien après la fin de la guerre civile.

Récit rêvé, et où le rêve tient d'ailleurs une place cruciale, guidant continuellement les héros et leur dictant même, à la veille de la bataille de Gettysburg, la stratégie qui leur assurera la victoire, "Le régiment noir" apparaît bien plutôt comme un roman initiatique dont les héros - le jeune Pierre, père rêvé du narrateur, et ses compagnons d'armes – se voient formés insensiblement par la confrontation avec d'autres façons d'être au monde, celles des racines africaines, oubliées puis retrouvées, et celles des amérindiens qu'incarne la figure un peu magicienne, tout à la fois bienveillante et dangereuse, de Shenandoah. Au coeur des horreurs de la guerre et de ses impulsions mortifères, c'est aussi le récit d'une traversée des instincts les plus primitifs, qui culmine, déjà, dans la rencontre de l'homme avec les grands fauves, les lions qui réapparaîtront plus tard, reprenant le même rôle, dans le très beau récit intitulé "Diotime et les lions".

Roman psychanalytique, écrit à l'issue de la seconde analyse de l'auteur menée en compagnie de Conrad Stein, roman nourri déjà de toute la puissance du mythe, "Le régiment noir" n'atteint pas à la force ni à l'étrange sentiment d'évidence d'"Oedipe sur la route", d'"Antigone ou de "L'enfant bleu" qu'il préfigure pourtant à bien des égards. Mais s'il ne s'impose que très progressivement, et s'il peut en effet paraître moins abouti que les oeuvres ultérieures d'Henry Bauchau, "Le régiment noir" n'en distille en fin de compte qu'un trouble plus intense, doublé d'un réel pouvoir de fascination. Et l'on aurait bien tort de croire ce récit d'une colère qui cesse d'être souterraine et d'une révolte contre l'ordre bourgeois, froid et calculateur, complètement déconnecté du monde où il a vu le jour. Après tout, ainsi que le souligne justement Myriam Watthee-Delmotte dans la lecture qui complète cette édition du "régiment noir", ce n'est sans doute pas un hasard si Henry Bauchau entreprit l'écriture de ce qui devait devenir son deuxième roman en 1968.

Extrait:

"Les hommes épuisés qui se couchaient hier n'importe où, se redressent, se rassurent, le choc des armes les excite, le mouvement des ordres et le martèlement des pas les entraînent. Nous ne sommes plus dix, plus cent, plus mille. Nous sommes dix mille, vingt mille, trente mille qui allons dans le même sens, qui voulons la même chose. Matin, masse, puissance, le chant est le bord des lèvres, la plaisanterie jaillit, les intestins s'apaisent, le coeur est riche et rapide. Sur le seuil de la caverne, l'esprit blessé hésite encore un instant entre le doute et l'impatience. Le corps tranche cet état insupportable, d'un coup de masse il jette son poids dans la balance. La gorge profère sourdement des sons, des cris: En avant, à la baïonnette et autres fariboles, mais sous ces manifestations de détresse, Pierre entend que le corps en a pris son parti et qu'il y a longtemps, oui, très longtemps, qu'il est intérieurement en marche. Pour aborder l'ennemi, le mordre, l'abattre, lui couper son phallus. Et le coeur étreint déjà cette grande nature, blanche et carnivore, que le couteau devine pleine de sang." (p. 48)

D'autres livres d'Henry Bauchau, dans mon chapeau: "Diotime et les lions", "Déluge" et "La pierre sans chagrin"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture.

13 novembre 2009

Du terrorisme et de ses conséquences tragiques

18869594_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20070907_032932"Sabotage" d'Alfred Hitchcock,
avec Sylvia Sidney et Oscar Homolka

Adaptation sobre et terriblement efficace du roman "L'agent secret" de Joseph Conrad, "Sabotage" nous fait partager quelques jours de la vie de Carl Verloc, dont les dehors de modeste propriétaire d'un petit cinéma londonien dissimulent bien mal l'engagement - qui d'ailleurs ne tarde pas à le dépasser complètement - auprès des milieux anarchistes. Les terroristes du début du XXème siècle, c'étaient eux. Et si la violence aveugle change de nom, ses conséquences tragiques, elles, ne changent décidément pas de visage. Carl Verloc et sa famille en feront la terrible expérience.

Oscar Homolka et Sylvia Sidney, interprétant respectivement Mr Verloc et son épouse, s'y révèlent tous deux de magnifiques tragédiens. Et la mise en scène d'Alfred Hitchcock offre un bel écrin à leur jeu très expressif, encore très proche des canons du cinéma muet mais d'une justesse irréprochable. C'est donc un autre très beau Hitchcock de la période anglaise que nous propose ici Arte dans son cycle consacré au maître du suspense!

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Pas de printemps pour Marnie", "Les amants du capricorne", "Soupçons", "Mr and Mrs Smith""Correspondant 17", "Les 39 marches" et "Fenêtre sur cour"

24 novembre 2009

De la difficulté à vivre et à mourir

"Un homme obscur" "Une belle matinée" de Marguerite Yourcenar4142E42TEXL__SL500_AA240_
4 étoiles

Gallimard/Folio, 1998, 228 pages, isbn 2070388344

Fils d'un charpentier hollandais, embauché aux chantiers maritimes de Greenwich et fixé en Angleterre, Nathanaël est l'homme obscur du titre: un homme ordinaire en somme, confronté à la très ordinaire difficulté à vivre, seul ou au milieu de ses semblables, puis à la difficulté à mourir. En cela, il n'est guère différent des autres héros célèbres de Marguerite Yourcenar que sont Hadrien ou Zénon. Mais si les années de formation que Nathanaël a passées d'abord auprès du maître d'école de Greenwich, qui voulait faire de lui son assistant, puis comme correcteur dans l'imprimerie de son oncle Elie à Amsterdam, ont fait de lui un lettré, ce n'est que de justesse, et cet homme obscur est bien loin de traîner l'abondant bagage philosophique et intellectuel de l'empereur ou du philosophe. Aussi, le regard attentif qu'il pose sur le monde et sur ses frères humains reste-t-il toujours ancré dans les réalités du monde sensible. Marguerite Yourcenar s'explique d'ailleurs dans sa postface, avec une clarté et une concision parfaites, au sujet de la genèse de son personnage: "L'idée première du personnage de Nathanaël est à peu près contemporaine de celle du personnage de Zénon; de très bonne heure, et avec une précocité qui m'étonne moi-même, j'avais rêvé de deux hommes, que j'imaginais vaguement se profilant sur le fond des anciens Pays-Bas: l'un, âprement lancé à la poursuite de la connaissance, avide de tout ce que la vie aura à lui apprendre, sinon à lui donner, pénétré de toutes les cultures et de toutes les philosophies de son temps, et les rejetant pour se créer péniblement les siennes; l'autre, qui en un sens «se laisse vivre», à la fois endurant et indolent jusqu'à la passivité, quasi inculte, mais doué d'une âme limpide et d'un esprit juste qui le détournent, comme d'instinct, du faux et de l'inutile, et mourant jeune sans se plaindre et sans beaucoup s'étonner, comme il a vécu." (pp. 217-218)

L'auteur ayant si justement dépeint son personnage, il n'est pas besoin d'ajouter de longs commentaires, sinon pour souligner qu'à travers les yeux de Nathanaël - éveillés par quatre années de voyages au long cours qui l'emmenèrent jusqu'aux Amériques, et plus sensibles finalement aux beautés de la nature qu'à celles de la littérature - Marguerite Yourcenar nous offre quelques évocations admirables de "son" île des Monts-Déserts ou encore des rivages frisons – et l'occasion de rappeler à quel point la romancière aimait ces paysages sauvages qui semblaient ne pas encore avoir été touchés par l'homme.

Le long récit qu'est "Un homme obscur" se voit ici accompagné par un autre texte beaucoup plus bref – "Une belle matinée" – qui nous entraîne à la rencontre de Lazare, le fils supposé de Nathanaël et de Saraï, la prostituée juive dont il avait un temps partagé la vie. Resté orphelin très jeune, élevé dans la maison de sa grand-mère putative, Mevrouw Loubah, et initié aux subtilités de l'art dramatique par un comédien anglais séjournant chez cette dernière, Lazare ne rêve rien tant que d'arpenter les planches à son tour. Et nous faisons sa connaissance en ce matin précis où le jeune garçon s'apprête à se sauver de chez son aïeule pour rejoindre une troupe d'acteurs en tournée aux Pays-Bas et au Danemark, au moment, donc, où il se trouve à l'aube d'une nouvelle vie qui l'amènera – peut-être – à jouer tous les rôles du théâtre élisabéthain et, tour à tour homme ou femme, jeune ou vieux, victime ou criminel, à tout expérimenter...

Extrait:

"Nathanaël s'émerveillait que ces gens, dont il ne savait rien un mois plus tôt, tinssent maintenant tant de place dans sa vie, jusqu'au jour où ils en sortiraient comme l'avaient fait la famille et les voisins de Greenwich, comme les camarades de bord, comme les habitants de l'Ile Perdue, comme les commis d'Elie et les femmes de la Judenstraat. Pourquoi ceux-ci et non pas d'autres? Tout se passait comme si, sur une route ne menant nulle part en particulier, on rencontrait des voyageurs eux aussi ignorants de leur but et croisés seulement l'espace d'un clin d'oeil. D'autres, au contraire, vous accompagnaient un petit bout de chemin, pour disparaître sans raison au prochain tournant, volatilisés comme des ombres. On ne comprenait pas pourquoi ces gens s'imposaient à votre esprit, occupaient votre imagination, parfois même vous dévoraient le coeur, avant de s'avouer pour ce qu'ils étaient: des fantômes. De leur côté, ils en pensaient peut-être autant de vous, à supposer qu'ils fussent de nature à en penser quelque chose. Tout cela était de l'ordre de la fantasmagorie et du songe." (p. 93)

Un autre livre de Marguerite Yourcenar, dans mon chapeau: "En pèlerin et en étranger"

Et d'autres livres encore sur Lecture/Ecriture.

19 décembre 2009

Entre bonheur et frustration

"Une Habanera à Paris" de Zoé Valdés41NT6E10EXL__SL500_AA240_
4 ½ étoiles

Gallimard/Du monde entier, 2005, 111 pages, isbn 2070773434

(traduit de l’Espagnol par Claude Bleton)

Si elle est surtout connue chez nous comme romancière, Zoé Valdés était bel et bien entrée en littérature par le biais de la poésie et d’un premier volume, "Repuestas para vivir", publié à Cuba en 1986. Mais son oeuvre poétique est – et c’est malheureux – peu traduite en Français, à l’exception d’une anthologie ("Les poèmes de La Havane", Antonio Soriano, 1997) et d’un unique recueil traduit dans son intégralité ("Compartiment fumeurs", Actes Sud, 1999).

Rassemblant des textes tirés de cinq recueils datés entre 1986 et 2002 ("Repuestas para vivir", "Todo para una sombra", "Vagón para fumadores", "Cuerdas para el lince" et "Breve beso de la espera"), "Une Habanera à Paris" vient donc combler une véritable lacune, et me laisse, en bout de course, partagée entre bonheur et frustration.

Bonheur car j’ai retrouvé dans ces poèmes de Zoé Valdés tout ce que ses romans (comme "La douleur du dollar" ou "Café Nostalgia"...) offrent de meilleur: un univers bouillonnant où le tragique se mêle à la joie, et le plaisir à la douleur. J’ai retrouvé une écriture sensuelle, puissamment évocatrice, crue parfois mais toujours intensément vivante. Et frustration, bien sûr à l’idée de ne pouvoir savourer ici qu’une petite partie d’une oeuvre poétique qui a tout pour transporter ses lecteurs. Des textes brefs et encore assez classiques de "Repuestas para vivir" aux formes plus longues et libres qui s’imposent dans "Vagón para fumadores", on peut certes se risquer à deviner une évolution, tout comme l’on peut apprécier la place que l’Europe prend petit à petit, aux côtés de Cuba, au fil de très beaux textes inspirés par Arthur Rimbaud, Egon Schiele ou Paris dans les recueils les plus récents. Mais on en est réduit, vraiment, aux conjectures, à la curiosité et à la gourmandise face à une oeuvre qui échappe hélas encore largement aux lecteurs francophones. Chers éditeurs, à quand donc une traduction exhaustive de la poésie de Zoé Valdés ?

Extrait:

Pas même rien

Ecoute  il ne nous reste rien
Pas même ces bruits
Effrayants d’antan
Toi  l’assassin de l’audace
Tu aurais dû explorer mon visage
Bien que j’aie tout effacé
Les traces de la soif
L’excès des vérités
Ecoute  il ne reste rien
Pas même ce silence
De début de siècle
J’ai même effacé la nuit
Remplacée par une nuit plus durable
Par la douleur et le sang
C’est devenu une habitude
Même si personne ne pense à la douleur
Même si personne n’a l’audace de saigner
Ou presque de réfléchir à la mort
Ecoute  il ne reste rien
Et rien de nous.
(p. 91)

D'autres extraits de "Une Habanera à Paris", dans mon chapeau: "L'enfance était du pain chaud" et "Femmes des années folles".

Zoé Valdés était l'auteur des mois d'octobre et novembre 2009 sur Lecture/Ecriture.

D'autres livres de Zoé Valdés, dans mon chapeau: "Soleil en solde", "L'éternité de l'instant", "Café Nostalgia" et "Danse avec la vie" 

11 novembre 2009

Images, matières, textures....

Tessa1"L'incendiée, l'approchant" de Francis Tessa
3 étoiles

L'arbre à paroles, 1999, 120 pages, isbn 287406047x

Chacune des six sections de ce recueil se veut hommage ou invocation à l'oeuvre d'un artiste, artistes plasticiens pour les cinq premières - Véronique Boseret, Annie Gaukema, Dominique Grodos, Claire Mambourg, Carlo Fia, dont je ne connais pas du tout les oeuvres -, poète enfin pour la sixième partie qui nous entraîne dans les pas d'André Doms.

Chacune des six sections de ce recueil apparaît comme une suite de textes très courts, tout au plus deux ou trois lignes - le terme de vers ne convenant pas ici -, dont certains se font éminemment suggestifs d'images, de matières, de textures, de sensations, et d'autres non. Il est troublant d'associer ainsi à des textes un monde probablement très différent de celui qui les a inspirés et nourris, et qu'ils revendiquent ouvertement. Et c'est peut-être ce trouble qui, gênant le lecteur aux entournures, explique somme toute ce simple fait: certains des textes de "L'incendiée, l'approchant" vivent de leur vie propre, et d'autres non.

Extraits:

spirale écrite (sur des tableaux de Véronique Boseret)

"Et la mer n'est plus la mer, mais ciel peut-être: nommer est gageure ou vêtement provisoire comme on se dévêt pour aimer" (p. 16)

Matière éclose (Sur l'oeuvre d'Annie Gaukema)

"Blé et ocre, sinople, couleurs de terre où l'espace reflété se conjugue, éclate, se recompose. Vivre est une sensation pulsante" (p. 21)

échelles, échancrures (sur l'oeuvre de Dominique Grodos)

"Fusains, cercles et courbes. Chevaux captent l'espace, projettent cerceaux, volutes; hanches et cuisses. Toute ressemblance serait douleur" (p. 36)

vitraux (en suivant le sculpteur, peintre et verrier Carlo Fia)

"A l'ouest la montagne ferme l'horizon et dénoue l'histoire. Des cascades de pierres disent l'immense à jamais effleuré" (p. 57)

"Dans la tiédeur des noyers tout est clos par le midi d'été. Battent seulement les poitrines, touches dispersées en silence" (p. 61)

"Parfum de cyclamens. Un vin - fragolino peut-être - court dans le sang comme une saveur rêvée. Nous attendrons le soir" (p. 67)

"Oliviers plantés dans les moraines. La géologie des terres bouleversées pour dire à l'homme ses limites" (p. 72)

et l'infini pénètre (André Doms)

"Regarde, nous sommes la fraîcheur des volets clos. La bouche de l'âtre où couvent feux sous cendre" (p. 80)

"(De mémoire nous fîmes enfances communes de fondrières, d'ajoncs, de glanes)" (p. 82)

"Ton corps au frémissement des paumes pour que s'envolent gazelles en plein midi" (p. 91)

"Le silence ensuite où les bruits se meurent sur l'ombre des persiennes. Ainsi l'on se déchausse dans l'attente que l'infini pénètre" (p. 94)

"A l'aube, double gisant, nous sommes dunes tièdes en un seul champ de blé" (p. 119)

19 octobre 2009

Sentimental

18388214_jpg_r_160_214_f_jpg_q_x_20041103_123210"Les amants du capricorne" d'Alfred Hitchcock,
avec Ingrid Bergman, Joseph Cotten et Michael Wilding

Dernier film d'une série de collaborations entre Alfred Hitchcock et Ingrid Bergman - qui y reprend à peu de choses près son rôle de jeune femme alcoolique des "Enchaînés", avant de partir rejoindre Roberto Rosselini en Italie -, "Les amants du capricorne" furent reniés par leur créateur, déçu par son échec commercial et surtout par un casting à ses yeux de second choix, Joseph Cotten ayant repris le rôle de Sam Flusky initialement destiné à Burt Lancaster. Et il est vrai que cet imbroglio amoureux planté en Nouvelle-Galles du Sud, au XIXème siècle, étonne par un sentimentalisme auquel le grand Alfred ne nous avait guère habitué. Ce film, présenté lundi dernier sur Arte, n'a donc rien d'indispensable mais il se laisse regarder, en attendant la diffusion de "Soupçons" ce soir à 20h45.

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Pas de printemps pour Marnie", "Soupçons", "Mr and Mrs Smith", "Correspondant 17", "Sabotage", "Les 39 marches" et "Fenêtre sur cour"

9 janvier 2010

Une belle balade en forêt

"Les peintres de la forêt de Soignes",
Musée Communal d'Ixelles (Bruxelles)

Considérée aujourd'hui encore comme le "poumon vert de Bruxelles", la forêt de Soignes a aussi inspiré de nombreux artistes, belges et étrangers, qui prirent dès les années 1850 l'habitude de venir y peindre "sur le motif", suivant en cela l'exemple des membres de l'école de Barbizon. Leurs oeuvres sont aujourd'hui rassemblées le temps d'une belle exposition au musée communal d'Ixelles, où elles se voient regroupées non selon leur chronologie ou leur appartenance à l'une ou l'autre école mais bien suivant les lieux qui y sont représentés, nous offrant ainsi une belle balade des alentours de l'avenue de Tervueren jusqu'aux chaussées de Waterloo et d'Alsemberg.

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Joseph-Théodore Coosemans, Le chemin des Loups à Tervueren, Museum Hof van Melijn, Tervueren (source: Emmanuel Van de Putte, "Les peintres de la forêt de Soignes", Racine, 2009, p. 41)

C'est un vrai bonheur que de se promener ainsi dans un si bel écrin de verdure. Un bonheur qui ne va d'ailleurs pas sans un véritable sentiment de dépaysement devant la diversité des styles des artistes que l'on croisera au cours de cette promenande, et - aussi - tant certains des lieux portraiturés ont changé depuis le milieu du XIXème siècle.

Cette très belle exposition referme déjà ses portes demain soir. Courez-y vite, vraiment, ce n'est que du bonheur!

Présentation de l'exposition, sur le site du musée communal d'Ixelles

23 octobre 2009

Quand la suspicion s'installe...

18364503_jpg_r_160_214_f_jpg_q_x_20031014_045615"Soupçons" d'Alfred Hitchcock,
avec Joan Fontaine et Cary Grant

Lina McKinlaw a épousé Johnnie Aysgarth contre l'avis des siens, et pour cause: notre homme n'a pas un sous vaillant et n'en dépense pas moins libéralement l'argent qu'il n'a pas. Mais cela n'entame en rien le bonheur de Lina jusqu'à ce qu'elle découvre, d'abord insensiblement puis avec une clarté aveuglante, en même temps que le penchant prononcé de son  mari pour les romans policiers, ses innombrables mensonges.

Il fallait bien toute la maîtrise consommée d'Alfred Hitchcock, tous les talents conjugués de Joan Fontaine et de Cary Grant, pour nous dépeindre de façon si convaincante la très lente montée du soupçon dans l'esprit de la jeune mariée: Johnnie l'a-t-il, oui ou non, épousée pour ses espérances d'héritage. Et surtout a-t-il, oui ou non, l'intention de la tuer, poussé par la cupidité? Le suspense va croissant jusqu'au tout dernier plan, et ce n'est certes pas moi qui vous vendrai la mèche. Si vous ne connaissez pas ce film du grand Alfred, allez-y donc voir, vous ne le regretterez pas...

Et le cycle Alfred Hitchcock d'Arte se poursuit, avec "Mr and Mrs Smith", qui sera diffusé lundi prochain (26/10) à 20h45.

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Pas de printemps pour Marnie", "Les amants du capricorne", "Mr and Mrs Smith", "Correspondant 17""Sabotage", "Les 39 marches" et "Fenêtre sur cour"

2 novembre 2009

Cette fois, je passe!

18701874_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20061212_112929"Mr and Mrs Smith" d'Alfred Hitchcock
avec Carole Lombard et Robert Montgomery

Troisième étape du cycle Alfred Hitchcock proposé en ce moment sur Arte, "Mr and Mrs Smith" nous est présenté comme la seule incursion d'Alfred Hitchcock dans le genre de la comédie - c'est oublier le délicieux et très très drôle "Qui a tué Harry?" et je ne suis donc pas tout à fait d'accord... - et néanmoins comme un chef-d'oeuvre du genre, digne de rivaliser avec les films d'Ernst Lubitsch ou Frank Capra. Et là, non, mille fois non, "Mr and Mrs Smith" est à mon humble avis bien loin de pouvoir soutenir la comparaison avec les bijoux que sont "The shop around the corner" ou "Mr Smith goes to Washington".

Les mimiques appuyées de Carole Lombard et de Robert Montgomery peuvent prêter à rire, certes, mais le récit des déboires conjugaux de ce couple qui découvre tout à coup que, suite à une erreur administrative, il n'est pas vraiment marié manque cruellement d'une vraie tension dramatique et de vraies zones d'ombre (un comble pour un film d'Alfred Hitchcock!). Faute d'un véritable enjeu, cette comédie n'a pas tardé à perdre à mes yeux tout intérêt. Et j'ai fini par délaisser le petit écran pour me replonger dans ma lecture, sans remords ni regrets...

Mais qu'à cela ne tienne, le cycle Alfred Hitchcock continue ce soir à 20h45, avec "Correspondant 17": suite au prochain épisode ;-).

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Pas de printemps pour Marnie", "Les amants du capricorne", "Soupçons", "Correspondant 17", "Sabotage", "Les 39 marches " et "Fenêtre sur cour"

18 novembre 2009

Le design dans tous ses états - Carnet de Stockholm (8)

IMG_1360rLe musée national,
Blasieholmen,
Stockholm

Petit musée, lorsqu'on le compare à ses collègues internationaux - le Louvre ou encore les National Gallery de Londres et d'Ottawa - le musée national de Stockholm ne manque pourtant pas d'arguments pour retenir l'attention des visiteurs, selon des lignes de force qui reflètent les politiques d'acquisition récentes mais aussi - surtout - les goûts, les intérêts et les passions des amateurs d'art qui lui ont légué leurs collections, tels le roi Gustave III ou le comte Carl Gustav Tessin. On pourra ainsi y admirer deux apôtres du Greco, quelques très belles toiles de Rembrandt et une remarquable collection de peintures françaises des XVIIIème et XIXème siècles. Mais ce sont sans doute les oeuvres des artistes suédois qui attireront le plus sûrement le regard du touriste venu d'ailleurs: des peintres paysagistes parmi lesquels l'on retrouvera August Strindberg, ou des peintres de la vie quotidienne, des scènes villageoises ou de l'intimité familiale tel, bien sûr, Carl Larsson.

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Carl Larsson, Pontus, Stockholm, Musée national (source)

Dans la section des arts appliqués, les cabinets de curiosité, les majoliques italiennes et les faïences de Delft donnent la réplique au design suédois du XXème siècle. Ces dernières salles recèlent de quoi satisfaire tous les goûts et les dégoûts, du beau et du pratique à l'extravagant et à l'horrible, de la production la plus courante (la cireuse électrolux de ma grand-mère ou du moins sa petite soeur, ou encore la table lack d'Ikea) aux objets les plus luxueux (le service à dîner des réceptions Nobel), sans oublier de superbes tissus d'ameublement.

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Tissu créé par Maija et Kristina Isola pour Marimekko (source)

Le site officiel du musée [en Anglais]

1 janvier 2010

Biiip trrrrrt!

18948378_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20080610_114123"Wall-e" des studios Pixar,
sous la direction d'Andrew Stanton

Ce fut une double surprise que le scénario de ce cru Pixar 2008, "loupé' en salle et "rattrapé" en DVD: une double surprise par sa noirceur autant que par sa minceur! Car passé le premier étonnement de voir proposer à nos chères têtes blondes la vision très sombre d'une terre envahie par les déchets au point que ses habitants ont dû trouver refuge dans l'espace, il faut bien reconnaître qu'il ne se passe plus grand chose et que le béguin du gentil robot Wall-e pour la jolie sonde Eve, fut-il contrarié par un méchant ordinateur de bord, n'offre qu'un argument bien maigre pour un film de 1 heure 37 minutes!

Le charme de ce film - et il en a - tient, outre la qualité de l'animation, à son extraordinaire bande-son et aux biiip et trrrrrrt si expressifs de Wall-e. Le travail des ingénieurs du son fait d'ailleurs l'objet d'un bonus rien que pour eux sur le DVD: coup de projecteur amplement mérité et tout à fait passionnant.

13 avril 2010

Les chants de l'innocence perdue

51APPAEE47L__SL500_AA240_"Exhortation aux crocodiles" d'António Lobo Antunes
4 étoiles

Points, 2001, 500 pages, isbn 2020400723

(traduit du Portugais par Carlos Batista)

Cette deuxième étape de mon périple en compagnie d'António Lobo Antunes - auteur des mois de février et mars 2010 sur Lecture/Ecriture - est bien plus proche de ce que je connaissais déjà de lui: un livre politique sans l'être mais qui l'est tout de même, et surtout un récit qui plonge au plus intime, au plus vulnérable aussi, de l'esprit de ses personnages.

On s'en serait bien douté: au Portugal, dans les années 1970, les changements amenés par la Révolution des Oeillets n'ont pas plu à tout le monde. Sauriens tout droit venus d'un autre âge, celui de l'estado novo d'António de Oliveira Salazar, soutenus par quelques militaires espagnols et par l'ambassadeur des Etats-Unis très soucieux de barrer la route aux rouges, les crocodiles qui donnent son titre à ce roman d'António Lobo Antunes sont d'ailleurs déterminés à s'y opposer par tous les moyens. Même illégaux. Même violents. L'évêque qui est un de leurs chefs voit dans leur combat une guerre sainte qui excuse tout, y compris le pire, le meurtre et l'action terroriste. Et, complices ou témoins impuissants de leurs crimes, les femmes – épouse, maîtresse, nièce ou domestique... - qui partagent leur vie se voient contraintes au silence, muselées par la peur de la prison ou des représailles de leurs hommes, par la peur aussi de l’explosion prématurée d’une de ces bombes qu’ils bricolent dans le fond d'un garage.

Mais quatre de ces femmes – Mimi, Fatima, Celina et Simone – retrouvent ici la parole qui leur avait été confisquée, chacune à son tour assurant la narration d’un chapitre. La plume d’António Lobo Antunes épouse leurs monologues intérieurs jusque dans leurs méandres les plus déroutants, souvenirs, rêves et fantasmes venant se mêler en un flot souvent enfiévré à une perception de la réalité qui ne va pas sans nous réserver déjà quelques surprises, notamment dans le chef de Mimi qui, passée au-delà des faux-semblants, se mourant d’un cancer, et malgré - ou justement grâce à - sa surdité, nous révèle un autre discours derrière celui des mots réellement prononcés par son entourage.

Organisés suivant un contrepoint extrêmement complexe, les mots de ces quatre voix solistes ont étrangement pour effet de repousser à l’arrière-plan les crocodiles du titre, renvoyés dans le chœur et réduits à quelques interventions discrètes. Et il en découle qu’"Exhortation aux crocodiles" n’est pas – ou du moins pas directement – un réquisitoire contre ces hommes prêts à tout pour s’opposer au changement, à la démocratisation du pays et à la fin de son empire colonial. Car à travers les mots de ces femmes, qui toutes les quatre semblent vouloir faire un retour nostalgique vers des enfances qui n’avaient pourtant rien d’idyllique, c’est bien plutôt une émouvante lamentation à la mémoire d’une innocence perdue sans retour qui se fait jour dans les pages de ce livre. Un livre qui n’en devient peut-être que plus poignant et troublant, à un degré qu’aucun réquisitoire tiré au cordeau n’aurait pu atteindre.

Extrait:

"Je ne comprends pas quand les autres parlent et les autres ne comprennent pas ce que je comprends: j'entends des mots différents de ceux que les gens perçoivent tout comme ma grand-mère entendait ses enfants à travers leurs sourires, leur gentillesse, leurs
- Oui mère
- Comme vous voudrez mère
- Tout de suite mère
souhaiter sa mort afin d'hériter du restaurant et de l'argent dont ils disposeraient après, mon oncle malade avec son transistor à piles sur l'oreille, ma tante du Canada qui nous écrivait des cartes postales pleines d'espérance plus couvertes de timbres que de salutations
- Le médecin est toujours préoccupé par le coeur de notre mère Rosário?
une belle-soeur qui débarquait chez nous avec un petit paquet de dragées destinées à raviver son diabète et qui les refilait à ma grand-mère en cachette
- Cadeau d'ami Mémé Alicia
brûlant de la voir ouvrir le paquet, sucer le sucre et tomber sur le côté (...)"
(p. 63)

D'autres livres d'António Lobo Antunes, dans mon chapeau: "Le retour des caravelles" et "N'entre pas si vite dans cette nuit noire"

6 décembre 2009

"La réconciliation de l'âme avec son corps sauvage"

"Diotime et les lions" d'Henry Bauchau51HQK21135L__SL500_AA240_
5 étoiles

Actes Sud/Babel, 1997, 61 pages, isbn 2760918386

Inéluctablement, la lecture du "régiment noir" – et tout particulièrement de cette scène extraordinaire où les hommes et les fauves chassent de concert – devait me ramener à l'histoire de Diotime et de son clan, une histoire que j'avais découverte pour la première fois dans la foulée des deux grands romans "grecs" d'Henry Bauchau.

Aux confins des mondes perse et hellénique, Cambyse et les siens s'affichent en effet comme les descendants des dieux lions, qu'ils affrontent chaque année au cours d'une guerre rituelle que suit une cérémonie de réconciliation des hommes et des grands fauves, "réconciliation - aussi - de l'âme avec son corps sauvage" (p. 23). Petite-fille de Cambyse, personnage secondaire des romans "Oedipe sur la route" et  "Antigone", où elle apparaît comme une figure bienfaisante, un peu magicienne, un peu guérisseuse, Diotime trouve dans ce bref récit un passé de très jeune fille rebelle et passionnée, déterminée à énoncer ses propres règles et à définir elle-même sa place dans la société. Elle se révèle par là le double d'Antigone, incarnant une même féminité teintée de sauvagerie autant que de douceur.

Mais relu à la lumière du "régiment noir", le destin de Diotime révèle d'autres accents. Et  dans sa recherche d'un accord entre la lignée fauve qui est celle de son père Kyros et de son grand-père Cambyse et "l'aspiration grecque à ordonner le monde à la mesure humaine" (p. 14) qu'incarnent sa mère et son fiancé Arsès, notre jeune héroïne apparaît comme celle qui mène à une étape ultérieure le cheminement qui fut celui de Pierre dans "Le régiment noir". Elle est celle qui, non contente de retrouver simplement la "terrible voix du sang" (p. 44), du sang qui "est mouvement, mouvement de la vie elle –même qui ne peut s'arrêter qu'à la mort" (p. 13), la ramène à plus de conscience et d'humanité.

Si dense et si riche, déjà, pour qui le découvre hors des repères de l'oeuvre d'une vie, "Diotime et les lions" apparaît ainsi, une fois recadré par l'évolution de son auteur, comme décidément inépuisable, à un point que sa brièveté et sa fausse simplicité ne peuvent laisser soupçonner...

Extrait:

"Tout à coup, j'ai su, une danse très lente s'est emparée de moi et elle était comme un chant. Un voile rouge et obscur s'est étendu sur mes yeux, je suis devenue sourde et j'ai été pénétrée par l'odeur du lion et par le goût de son sang sur mes lèvres. Je descendais en dansant la pente d'un temps très obscur, je traversais des millénaires et je parvenais jusqu'à l'antre des ancêtres, au milieu des dieux lions. Le sang du lion, mêlé au mien, me faisait entrer dans une dimension où il n'y avait plus de passé, plus de futur ni aucune séparation entre le fauve et moi, car la barrière de la mort était abolie. Parfois, pour quelques instants, je revenais à la conscience, à la vue, et je découvrais sans surprise que nous dansions tous, dans la grotte originelle d'où les dieux lions étaient sortis un jour pour nous mettre au monde et avoir enfin des adversaires dignes d'eux." (p. 21)

D'autres livres d'Henry Bauchau, dans mon chapeau: "Le régiment noir", "Déluge" et "La pierre sans chagrin"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture.

6 février 2010

Hiératique et figé

18740179_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20070206_030816"La cité interdite" de Zhang Yimou,
avec Gong Li et Chow Yun-Fat

Adaptant de la pièce "L'orage" du dramaturge chinois Cao Yu tout en en transposant très librement l'action sous le règne de la dynastie Tang, Zhang Yimou nous propose ici un film qui frappe dans un premier temps par ses décors et ses costumes somptueux, les dorures et les couleurs sursaturées qui flirtent continuellement avec l'éblouissement.

Mais las! L'intrigue de ce drame sanguinaire qui n'a rien à envier aux chefs-d'oeuvre les plus gore du théâtre élisabéthain - voyez "Titus Andronicus" ou "La duchesse d'Amalfi" - ne décolle jamais vraiment. Et l'impression qui domine est finalement celle d'un film de bout en bout hiératique et figé, alors même que tout ce petit monde s'entre-étripe joyeusement (et que ceux qui ne s'entre-étripent pas s'entre-empoisonnent). Les mouvements de masse des grandes scènes de bataille, confinant à l'abstraction, permettent sans doute de comprendre pourquoi Zhang Yimou s'est vu confié la mise en scène de la cérémonie d'ouverture des J.O. de Pékin, mais vraiment pas ce qui lui vaut d'être considéré comme un des grands cinéastes chinois d'aujourd'hui: pour cela, cherchez plutôt du côté de "Vivre!" ou du "Sorgho rouge"...

Une fiche très complète consacrée à "La cité interdite" sur wikipedia.

13 février 2010

Naufrage complet!

"Danse avec la vie" de Zoé Valdés41pcnFCf9SL__SL500_AA240_
½ étoile

Gallimard/Du monde entier, 2009, 279 pages, isbn 978207014213

(traduit de l'Espagnol par Albert Bensoussan)

C'était la dernière étape de mes retrouvailles avec Zoé Valdés, auteur des mois d'octobre et novembre 2009 sur Lecture/Ecriture. Ou comment ne pas finir en beauté...

Dans la première partie de "Danse avec la vie", l'histoire d'une romancière en mal d'inspiration s'entrelace à l'intrigue du roman qu'elle est en train d'écrire, et que la quatrième de couverture nous présente comme le récit d'un triangle amoureux impliquant deux danseurs et un photographe, même s'il s'agit plutôt d'un polygone dont j'ai fini par renoncer à compter les côtés. Se voulant d'abord érotique, ce roman dans le roman change ensuite de genre, se faisant policier puis historique, au gré des souhaits de son futur éditeur suspendu aux caprices de la mode, et tout en s'entremêlant de façon de plus en plus étroite à la vie de sa créatrice jusqu'à ce qu'une seconde partie de "Danse avec la vie" ne vienne tenter (!?) de remettre l'ensemble en perspective...

Voilà de quoi planter rapidement le décor d'un billet dont je ne sais, au fond, comment l'entamer. La bonne éducation voudrait en effet qu'on ne dise pas qu'une chose - disons par exemple, les choux de Bruxelles - est mauvaise, mais plutôt qu'on n'aime pas cette chose parce que les goûts et les couleurs, n'est-ce pas... Mais ceci dit, je suis d'avis que lorsque les choux de Bruxelles ont été si bien cuits, recuits et rerecuits qu'ils sont complètement desséchés et carbonisés, on a parfaitement le droit de dire qu'ils sont mauvais sans autre forme de procès. Et telle est bien la situation dans laquelle je me trouve au moment de refermer "Danse avec la vie". Roman où j'ai cru reconnaître, ça et là, des figures déjà croisées dans d'autres livres de Zoé Valdés, mais qui se trouvent ici réduites à des silhouettes sans épaisseur, et où l'érotisme parfois cru mais toujours si sensuel qui était l'une des marques de fabrique de la romancière cubaine cède la place à des pages entières d'une pornographie aussi vulgaire que dénuée de toute sensualité.

En un mot comme en cent, je ne vois rien à sauver du naufrage. Rien de rien: pas un personnage, pas une phrase, pas une formule un peu originale et qui m'aurait tapé dans l'oeil. En fait, après une telle lecture, il ne reste plus qu'à passer à autre chose. Et vite!

D'autres livres de Zoé Valdés, dans mon chapeau: "Soleil en solde", "Une Habanera à Paris", "L'éternité de l'instant" et "Café Nostalgia".

21 avril 2010

Une auscultation aussi tendre qu'impitoyable

"Mrs Henderson et autres histoires" de Francis Wyndham511VP8tdQmL__SL500_AA300_
5 étoiles

Christian Bourgois, 2010, 178 pages, isbn 9782267020885

(traduit de l'Anglais par Dephine Martin)

Un narrateur unique – sans doute très proche de l'auteur - imprime tout à la fois originalité et unité à ces cinq nouvelles qui nous permettent de le retrouver aux différents âges de sa vie, enfant, adolescent et enfin adulte. Mais plus que le parcours d'un homme, c'est le portrait d'un milieu privilégié – cette bourgeoisie aisée ou aristocratie campagnarde de l'Angleterre des années 1920 à 1970, qui ne déparerait pas dans un roman d'Agatha Christie ou de Patricia Wentworth, bref ce milieu qui fut capable de produire "la figure typique de l'artistocrate britannique excentrique qui manifeste un penchant romantique pour l'Islam: les noms de Burton, de Blunt et de Lawrence furent invoqués" (p. 56) – que Francis Wyndham a choisi de nous offrir ici. Et rien ne semble lui échapper de ses modèles: rien de leurs inquiétudes face aux tourments du siècle, de leurs errements entre l'Angleterre et les Etats-Unis ou de leurs engagements - contre le fascisme ou dans le mouvement pour les droits civiques -, rien de leurs qualités, mais rien non plus de leurs douces manies, petits travers et gros défauts.

Ecrivain bien trop rare, et qui s'est longtemps consacré à d'autres activités – comme journaliste, critique ou éditeur -, Francis Wyndham fait preuve ici de toute la clairvoyance, toute l'intelligence, toute la pudeur et toute la sensibilité que l'on pouvait s'attendre à trouver sous la plume de celui qui tira la merveilleuse Jean Rhys* de l'oubli injuste où elle avait sombré, de celui aussi qui contribua à faire connaître des écrivains de la trempe de Bruce Chatwin ou V.S. Naipaul. Une acuité d'observation hors du commun, associée à une tendresse qui ne dit pas son nom, font des cinq nouvelles de "Mrs Henderson et autres histoires" autant de bijoux mêlant émotion, douceur, humour, mélancolie et gravité.

Et si la plume de Francis Wyndham sait se faire impitoyable, notamment lorsqu'elle croque dans la nouvelle «Aux grands voyageurs» un savoureux personnage de romancière égocentrique et fort mécontente de l'accueil que les critiques ont réservé à son dernier ouvrage: "Je ne m'attends pas à ce qu'ils me décernent le prix Nobel, bon sang – je ne connais que trop bien mes limites, hélas! -, mais n'est-il pas assez étrange que pas un seul d'entre eux n'ait encore compris l'évidence même, qu'il s'agit en fait d'une allégorie du Bien et du Mal?" (p. 148), ou avec plus de virulence encore, "Pas étonnant que ce bigot ignare ne comprenne pas que si je mets l'accent sur le thème des menstruations, c'est pour donner une réinterprétation du Petit chaperon rouge sur un mode post-moderne! Ce que je trouve ahurissant, c'est qu'ils font tous la même grossière erreur et se plaignent de ce que je n'ai pas écrit un roman aux antipodes de celui que j'ai entrepris d'écrire." (pp. 148-149), refusant pour autant la caricature, elle ne se départit jamais de son élégance ni d'une profonde attention pour des héros dont les fêlures percent discrètement sous les dehors policés qu'ils maintiennent en toutes circonstances.

Que dire de plus? Ces nouvelles sont parfaites...

Extrait:

"Elle raconta son dilemme actuel; celui d'une pacifiste convaincue que la haine du nazisme poussait parfois à espérer que la guerre éclate. «As-tu déjà ressenti ce sentiment détestable d'être comme un caméléon sur un patchwork? C'est à peine si l'on sait encore quoi penser ou souhaiter. Je me rappelle avoir connu cela pour la première fois il y a des années, lorsqu'il m'était apparu que devenir végétarienne était la seule chose sensée à faire et que je ne m'y étais finalement pas tenue vu que je devais continuer à acheter de la viande pour mes chéris, mes chiens et mes chats! Mais là, la situation est bien sûr incomparablement plus dramatique. La perspective des massacres qu'une autre guerre ne manquerait pas d'entraîner m'est insoutenable... Mais voilà, si toute l'Europe devient fasciste, quel tableau tout aussi horrible!»" (p. 88)

* Vous trouverez, dans mon chapeau, plusieurs billets consacrés à ses livres: "L'Oiseau moqueur et autres nouvelles", "La prisonnière des Sargasses" et "Quai des Grands-Augustins"

Un autre livre de Francis Wyndham, dans mon chapeau: "L'autre jardin"

1 mars 2010

Ni cet excès d'honneur...

"La jument verte" de Marcel AyméJument
2 1/2 étoiles

Gallimard, 19xx, 255 pages, sans isbn

Je l'avoue: je n'avais jusqu'ici jamais lu Marcel Aymé, mes quelques tentatives de me plonger dans ses contes du chat perché ayant très vite tourné court, faute de susciter, dans mon chef, la plus petite trace d'intérêt. Les choses en seraient sans doute restées là si Marcel Aymé n'avait été choisi comme le nouvel auteur du mois sur Lecture/Ecriture, et si je ne m'étais par conséquent mise en demeure de lire non plus ces fameux contes, mais sa célèbre jument verte... Une jument à la robe d'un très joli vert émeraude qui, pour dire vrai, passe de vie à trépas dès les premières pages du roman qui lui emprunte son titre, non sans avoir auparavant assuré la fortune de son propriétaire, le vieil Haudouin, maquignon au village de Claquebue. Et non sans s'être fait aussi tirer le portrait, un tableau désormais accroché en bonne place dans la maison familiale, aux premières loges pour épier les secrets d'alcôve et les moeurs sexuelles - pour le moins hautes en couleurs - de ses habitants: des goûts et dégoûts où Marcel Aymé semble d'ailleurs vouloir trouver l'alpha et l'oméga de toute la vie, politique, sociale, économique, du petit village de Claquebue dans les dernières années du second empire et les premières de la troisième république.

Et voici donc que venue à bout de cette lecture - non sans mal, car je n'étais cette fois encore que trop portée à me laisser distraire par le premier chat qui passait par là, que ce chat ait pour nom Zweig, Williams, Delaive ou McInerney -, je me trouve bien embarrassée au moment de coucher mes impressions sur le papier... car d'impressions, justement, je n'en ai guère.

Même sans l'avoir jamais lu, il est bien difficile d'ignorer complètement l'oeuvre de Marcel Aymé: promu "classique" des lettres françaises, il a ses admirateurs enthousiastes et ses détracteurs acharnés. Pour ma part, je dois bien confesser à ce stade mon incompréhension complète des uns comme des autres, n'ayant pas trouvé ici de quoi fouetter un chat, ni rien décidément qui vaille de s'exciter. Bien sûr, on ne peut pas dire objectivement que ce roman soit mauvais. Il est même bien meilleur que beaucoup d'autres, très joliment écrit assurément, et j'imagine sans peine que la sensualité piquante dont il est imprégné d'un bout à l'autre a pu paraître terriblement rafraîchissante à certains des lecteurs qui le découvrirent en 1933, année de sa première parution, tout comme il a dû alors en choquer d'autres. Mais en ce début de l'an de grâce 2010, ces temps-là sont bel et bien révolus. Et les impertinences de Marcel Aymé, tant vantées par ses admirateurs, me semblent décidément bien émoussées. Elles ne suffisent pas en tout cas à racheter à mes yeux le manque flagrant d'humanité de ses personnages de paysans madrés et libidineux - à moins que ce ne soit l'inverse - ni la minceur d'une intrigue réduite au rôle de prétexte.

Non, vraiment, au vu de cette jument verte, je ne comprends ni les éloges des uns, ni les condamnations des autres, et Marcel Aymé ne mérite à mes yeux et pour citer je ne sais plus qui "ni cet excès d'honneur, ni cet indignité" auquel d'aucuns veulent le réduire. Et il ne me reste donc plus qu'à faire une autre tentative...

Extrait:

"Racaille révolutionnaire (le père Dur). Cafards de réactionnaires (Berthier). Mon oeil. Mon oeil de jument. Comme s'il était possible, entre deux familles, de se regarder, chien et chat pendant soixante ans de vie, sans autre raison allante que de politique ou de confessionnal. Des Berthier, des Dur, des Corenpot, des Rousselier, qui suent seize heures par jour sur la terre, qui n'attendent rien que de la peine de leur corps, n'ont pas le temps de regarder l'Eternel ou la politique étrangère avec une loupe. A Claquebue, les convictions sincères, religieuses ou politiques, naissaient dans le bas du ventre; celles qui poussaient dans la cervelle n'étaient que des calculs, des ruses provisoires qui n'engageaient ni la haine ni l'amitié; on en changeait à l'occasion, comme le vieil Haudouin savait le faire. Les gens sautaient sur le radicalisme, sur le cléricalisme, le royalisme ou le général Boulanger, comme ils sautaient sur le prétexte d'une borne mitoyenne, pour affirmer que, dans leurs familles, on s'entendait à faire l'amour d'une certaine façon. Les Messelon se montraient enragés pour l'Alsace-Lorraine, la chasse aux tyrans et aux curés, parce que c'était pour eux une manière de faire l'amour; pour le vieux Philibert, c'était même la seule, et il en usait jusqu'à la fin de souffle." (p. 203)

Un autre livre de Marcel Aymé, dans mon chapeau: "Le chemin des écoliers"

13 mai 2010

Un artiste aux prises avec la Femme, séduisante et fatale...

"L'oeuvre secret de Gustav-Adolf Mossa",
Musée Félicien Rops, Namur,
Jusqu'au 16 mai 2010

Après la visite de la magnifique exposition consacrée au symbolisme en Belgique, aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, pourquoi ne pas rester dans la mouvance la plus baudelairienne de ce courant artistique en compagnie d'un artiste généralement considéré comme le dernier peintre symboliste français. Né à Nice en 1883, fils du directeur du musée des beaux-arts de la ville, un poste auquel il accéda à son tour en 1926, Gustav-Adolf Mossa eut en effet une courte mais très intense période symboliste entre 1904 et 1911, où la figure féminine, aussi séduisante que mortifère, tient une place centrale.

Elle

Gustav-Adolf Mossa, Elle, Musée des Beaux-Arts de Nice (Cliché M. Anssens, source)

Trop(?) provocante et sulfureuse, tenue secrète par son auteur qui la dissimula dans les réserves du musée des beaux-arts de sa ville natale où elle ne fut redécouverte que tout récemment, l'oeuvre symboliste de Gustav-Adolf Mossa impressionne les visiteurs d'aujourd'hui par la richesse et la précision de ses détails autant que par sa réelle force expressive. Et elle s'expose jusqu'au 16 mai au musée provincial Félicien Rops à Namur, très petit musée aux moyens certes modestes mais qui ne cesse d'emporter l'adhésion de ses habitués par une politique très intelligente et fort bien mise en oeuvre, réservant une large part à des expositions temporaires toutes aussi passionnantes les unes que les autres.

Le site officiel de l'exposition.

Et pour en savoir plus au sujet de Gustav-Adolf Mossa, un autre très beau site conçu par un passionné.

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Dans mon chapeau...
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