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Dans mon chapeau...
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14 octobre 2009

Sobre et juste

"Une année étrangère" de Brigitte Giraud41Ry46J50sL__SL160_AA115_
4 étoiles

Stock, 2009, 208 pages, isbn 9782234063464

C'est au prétexte de perfectionner sa connaissance de l'Allemand que Laura, dix-sept ans, est partie passer six mois dans le Nord de l'Allemagne comme jeune fille au pair. Quoiqu'à y regarder de plus près, l'envie d'échapper à une atmosphère familiale oppressante a dû, sans doute, jouer un rôle non négligeable dans sa décision. Laura ne peut savoir, au moment de quitter les siens, que la famille qui l'attend un bon millier de kilomètres plus au Nord, est elle aussi, à sa manière très différente, éprouvée et dysfonctionnelle. Et elle ne peut pas non plus prévoir qu'elle retrouvera là-bas, en reprenant la lecture cette fois dans le texte original, le livre qui lui tenait chaud pendant les longues soirées des derniers mois de sa vie française: "La Montagne magique" de Thomas Mann.

Tout, au long des six mois du séjour allemand de Laura, nous renvoie à ce roman monumental de Thomas Mann, jusqu'au patronyme de sa famille d'accueil – "Bergen" – et même au nom de leur chien - "Naphta". Et surtout ce constat de Laura qui, tout comme Hans Castorp, a quitté une vie active et réglée comme du papier à musique, pour découvrir une forme de laisser-aller ou de passivité: "Je me laisse engloutir par la puissance paradoxale des Bergen, leur manque d'énergie et de rigueur m'absorbe et me ligote." (p. 108). Un constat qui m'a  ramenée à mes propres impressions à la lecture de "La Montagne magique", alors que j'avais à peu de choses près l'âge de l'héroïne de Brigitte Giraud: mélange d'ennui, d'incompréhension et d'une fascination quelque peu morbide mais irrésistible.

Brigitte Giraud nous offre ainsi, avec "Une année étrangère" un magnifique exemple d'"intertextualité", telle que la définit David Lodge: le fait de tisser un texte "à partir de fils pris à d'autres textes" ou de recycler des "oeuvres littéraires antérieures pour donner forme à [une] présentation de la vie contemporaine, ou y ajouter des harmoniques."*. Et son récit, sobre et juste, fin et sensible, du parcours initiatique d'une jeune fille au sortir de l'adolescence, s'en trouve enrichi d'échos aux possibilités infinies sans pourtant rien perdre de son naturel.

Ce fut donc un beau moment de lecture que cette "Année étrangère" qui, ceci dit, me laisse bien ennuyée: en proie à l'envie de relire "La Montagne magique" mais sans savoir où diable je pourrai trouver le temps pour son millier de pages bien tassées ;-)!

* David Lodge, "L'Art de la fiction", Rivages, 1996, pp. 134-135 (traduit de l'Anglais par Michel et Nadia Fuchs)

Extrait:

"J'ai découvert dans les dépliants qui m'ont été envoyés que la ville dans laquelle j'allais vivre était celle de Thomas Mann, et cette information m'a rassurée, je ne peux dire exactement pourquoi, sans doute parce que le roman du prix Nobel de littérature, conseillé par notre professeur de philosophie, est l'un des rares événements advenus pendant les derniers mois qui m'a touchée, pas tant le livre dont je n'ai lu que la moitié et dont je me souviens davantage de l'atmosphère que de ce qui s'y passe, mais la façon dont mon professeur en parlait, debout derrière le bureau, les bras parfois écartés, la poitrine en avant, le débit effréné, les yeux brillants, oui c'est le seul événement qui a détourné mon attention de ce qui arrivait alors à la maison, et pendant que papa et maman mettaient en scène leurs éternels reproches à longueur de soirée, je tentais de me concentrer sur la lecture de La Montagne magique, allongée sur mon lit, je tournais les pages, tendant souvent l'oreille pour entendre ce qui se disait de l'autre côté de la cloison. La Montagne magique était mon refuge et j'ignorais que ce livre allait se trouver sur ma route et me sauver une nouvelle fois." (pp. 45-46)

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