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Dans mon chapeau...
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13 août 2010

“L’œuvre qu’on ne peut pas finir”

51ksBHRIuWL__SL500_AA300_“Déluge” de Henry Bauchau
5 étoiles

Actes Sud, 2010, 170 pages, isbn 9782742789894

Réfugiée dans un petit port du Sud de la France, où des amis sont prêts à la soutenir face à la maladie qui l'atteint, Florence a trouvé plus vulnérable qu'elle en la personne de Florian, un peintre pyromane dont le génie flirte bien souvent avec la folie. Après bien des déboires, Florian s'est posé là pour tenter d'accomplir ce qui sera peut-être sa dernière oeuvre importante, sa vision du Déluge et de l'arche... Et s'engageant à ses côtés, Florence retrouve certes un but, mais surtout elle emprunte à son tour la voie de la création comme cheminement intérieur, chemin d'expérimentation, d'accomplissement et parfois même de délivrance ou de guérison. Vision du mur contre lequel on butte et que peut-être l'on finira par percer: “Il continue d’accumuler, les uns au-dessus des autres, les cartons qu’il dessine. Cela fait une sorte de muraille. Sur le dernier il y a le mur du bassin, celui qui est du côté de la mer. Il semble indestructible. La vie est trop courte, avec la maladie qui va me ronger bientôt, on n’arrivera jamais à percer ce mur. Jamais à revoir la pleine mer, du lieu d’immondices où on est. Le lieu qu’on ne doit pas quitter, qu’on ne veut pas quitter.” (p. 64)

"Déluge" est – simplement, si l'on veut, mais au fond rien n'est simple - le récit du travail de Florian, de Florence et de leurs amis, le récit non de la destruction d'un monde mais de sa création même si l'on ne pourrait que trop aisément basculer de l'un à l'autre, d'un mouvement porté par de grandes eaux souterraines. C'est le récit d'un cheminement éclairé de loin en loin par la thérapeute de Florian, le Dr Hellé, qui se retire insensiblement de la vie de son protégé, contrainte par la maladie qu'elle dépeint en ces termes: “Voilà que soudain je suis tombée dans mon corps comme on dégringole dans un trou, qu’on tombe à la renverse dans une passion déchirante ou un très grand amour. Ma pensée est seule à me soutenir encore.” (p. 167). Hellé qui s'impose ainsi comme la nouvelle incarnation - après la Sibylle, après Diotime, un peu différente, un peu la même – de Blanche Reverchon-Jouve* dans l'oeuvre de l'ancien patient qu'elle contribua à amener vers l'écriture au cours de la psychanalyse qu'ils poursuivirent ensemble de 1947 à 1951: le temps d'un ultime hommage qui est aussi l'acte d'accession à l'indépendance d'un homme et d'un artiste, désormais engagé sur son propre chemin de créateur.

Revisitant donc l'un de ses thèmes de prédilection, un thème qui irriguait déjà "Oedipe sur la route" et "L'enfant bleu" et dont toute la charge vécue se manifestait aussi dans "L'atelier spirituel", Henry Bauchau lui prête ici une forme dépouillée à l'extrême. Loin de moi l'idée de suggérer que ses précédents ouvrages se dispersaient en vaines enjolivures – ce n'était pas du tout le cas -, mais il n'y a ici plus un fait, plus un détail en trop. Tout est indispensable. Le moindre mot, la moindre phrase serrent au plus près, au plus nu la vie et l'expérience jusque dans ce qu'elles peuvent avoir de plus mouvant. Le moindre mot, la moindre phrase serrent au plus juste cette chose merveilleuse et incertaine qu'est “l’œuvre qu’on ne peut pas finir parce qu’elle va vers la vie. La vie qui continue et qui continuera sous des formes imprévisibles.” (p. 164)

* On retrouve d'ailleurs Blanche Reverchon-Jouve, décrite pratiquement dans les mêmes termes mais cette fois par la bouche de son époux, le poète Pierre-Jean Jouve, cité dans le journal d'Henry Bauchau en date du 29 juillet 1972: "(...) soudain avec cet accident elle est tombée dans son corps. Elle dépend de lui, elle y est enfermée..." (in "Les années difficiles (journal 1972-7983)", Actes Sud, 2009, p. 42)

Extrait:

“Il a peint là le squelette terrifiant de l’arche. Aucune chair, rien que des membrures en attente. Ce squelette est immense, il déborde la colline, il dépasse nos forces et la rapidité avec laquelle Florian l’a édifié montre que le déluge approche. Ce squelette de couleur claire dit la puissance de la vie, venue au secours de la race des hommes. Le ciel qui se couvre annonce le début du déluge, et on voit que Florian pense malgré lui : les hommes ne changeront pas. Ils seront toujours les mêmes, surchargés de désirs impossibles, et prêts à se précipiter, la tête haute, dans le malheur, les guerres et les famines. Ce que nous voyons sous le pinceau de Florian est triste, désespéré peut-être, mais admirable de force et de couleurs. Je pense : Oui, l’homme est quelque chose de terrible.” (pp. 135-136)

D'autres livres d'Henry Bauchau, dans mon chapeau: "Le régiment noir", "Diotime et les lions" et "La pierre sans chagrin"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture.

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Commentaires
F
Je l'avais découvert pour la première fois avec "Antigone", et je ne l'ai plus lâché depuis, même si je n'ai pas lu "Le boulevard périphérique"... mais je vais y penser ;-).
E
Grand auteur Bauchau.Je n'en ai lu que deux mais Oedipe sur la route et plus encore Le boulevard périphérique m'ont remué.
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