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Dans mon chapeau...
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21 avril 2010

Une auscultation aussi tendre qu'impitoyable

"Mrs Henderson et autres histoires" de Francis Wyndham511VP8tdQmL__SL500_AA300_
5 étoiles

Christian Bourgois, 2010, 178 pages, isbn 9782267020885

(traduit de l'Anglais par Dephine Martin)

Un narrateur unique – sans doute très proche de l'auteur - imprime tout à la fois originalité et unité à ces cinq nouvelles qui nous permettent de le retrouver aux différents âges de sa vie, enfant, adolescent et enfin adulte. Mais plus que le parcours d'un homme, c'est le portrait d'un milieu privilégié – cette bourgeoisie aisée ou aristocratie campagnarde de l'Angleterre des années 1920 à 1970, qui ne déparerait pas dans un roman d'Agatha Christie ou de Patricia Wentworth, bref ce milieu qui fut capable de produire "la figure typique de l'artistocrate britannique excentrique qui manifeste un penchant romantique pour l'Islam: les noms de Burton, de Blunt et de Lawrence furent invoqués" (p. 56) – que Francis Wyndham a choisi de nous offrir ici. Et rien ne semble lui échapper de ses modèles: rien de leurs inquiétudes face aux tourments du siècle, de leurs errements entre l'Angleterre et les Etats-Unis ou de leurs engagements - contre le fascisme ou dans le mouvement pour les droits civiques -, rien de leurs qualités, mais rien non plus de leurs douces manies, petits travers et gros défauts.

Ecrivain bien trop rare, et qui s'est longtemps consacré à d'autres activités – comme journaliste, critique ou éditeur -, Francis Wyndham fait preuve ici de toute la clairvoyance, toute l'intelligence, toute la pudeur et toute la sensibilité que l'on pouvait s'attendre à trouver sous la plume de celui qui tira la merveilleuse Jean Rhys* de l'oubli injuste où elle avait sombré, de celui aussi qui contribua à faire connaître des écrivains de la trempe de Bruce Chatwin ou V.S. Naipaul. Une acuité d'observation hors du commun, associée à une tendresse qui ne dit pas son nom, font des cinq nouvelles de "Mrs Henderson et autres histoires" autant de bijoux mêlant émotion, douceur, humour, mélancolie et gravité.

Et si la plume de Francis Wyndham sait se faire impitoyable, notamment lorsqu'elle croque dans la nouvelle «Aux grands voyageurs» un savoureux personnage de romancière égocentrique et fort mécontente de l'accueil que les critiques ont réservé à son dernier ouvrage: "Je ne m'attends pas à ce qu'ils me décernent le prix Nobel, bon sang – je ne connais que trop bien mes limites, hélas! -, mais n'est-il pas assez étrange que pas un seul d'entre eux n'ait encore compris l'évidence même, qu'il s'agit en fait d'une allégorie du Bien et du Mal?" (p. 148), ou avec plus de virulence encore, "Pas étonnant que ce bigot ignare ne comprenne pas que si je mets l'accent sur le thème des menstruations, c'est pour donner une réinterprétation du Petit chaperon rouge sur un mode post-moderne! Ce que je trouve ahurissant, c'est qu'ils font tous la même grossière erreur et se plaignent de ce que je n'ai pas écrit un roman aux antipodes de celui que j'ai entrepris d'écrire." (pp. 148-149), refusant pour autant la caricature, elle ne se départit jamais de son élégance ni d'une profonde attention pour des héros dont les fêlures percent discrètement sous les dehors policés qu'ils maintiennent en toutes circonstances.

Que dire de plus? Ces nouvelles sont parfaites...

Extrait:

"Elle raconta son dilemme actuel; celui d'une pacifiste convaincue que la haine du nazisme poussait parfois à espérer que la guerre éclate. «As-tu déjà ressenti ce sentiment détestable d'être comme un caméléon sur un patchwork? C'est à peine si l'on sait encore quoi penser ou souhaiter. Je me rappelle avoir connu cela pour la première fois il y a des années, lorsqu'il m'était apparu que devenir végétarienne était la seule chose sensée à faire et que je ne m'y étais finalement pas tenue vu que je devais continuer à acheter de la viande pour mes chéris, mes chiens et mes chats! Mais là, la situation est bien sûr incomparablement plus dramatique. La perspective des massacres qu'une autre guerre ne manquerait pas d'entraîner m'est insoutenable... Mais voilà, si toute l'Europe devient fasciste, quel tableau tout aussi horrible!»" (p. 88)

* Vous trouverez, dans mon chapeau, plusieurs billets consacrés à ses livres: "L'Oiseau moqueur et autres nouvelles", "La prisonnière des Sargasses" et "Quai des Grands-Augustins"

Un autre livre de Francis Wyndham, dans mon chapeau: "L'autre jardin"

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