"Sur l’Ararat, tout est tradition..."
"La légende du Mont Ararat" de Yachar Kemal
3 étoiles
Gallimard/Du monde entier, 1998, 144 pages, isbn 2070746046
(traduit du Turc par Munevver Andac)
Impression mitigée pour cette première étape d'une découverte, cette première rencontre avec un auteur que je n'avais encore jamais lu, et qui m'a laissé au final de ces deux mois qui lui étaient consacrés sur Lecture/Ecriture, une impression... à tout le moins très mitigée.
Par un beau matin, un cheval blanc richement harnaché s’est présenté à la porte d’Ahmet, modeste berger du Mont Ararat. Par trois fois, Ahmet l’a éloigné, et par trois fois, le cheval est revenu, s’affirmant ainsi comme un don du ciel qui, selon la tradition, ne pourra en aucun cas être rendu à son ancien propriétaire. "Sur l’Ararat, tout était tradition et personne ne pouvait s’écarter de la tradition." (p. 57) Cette coutume a donc pour les montagnards force de loi, mais Mahmout Khan, le cruel pacha de Beyazit, légitime propriétaire du cheval blanc et homme de la plaine, ne l’entend pas de cette oreille. Entre les montagnards et le pacha, le conflit est désormais inéluctable, et il ne fera que s’envenimer davantage lorsque Gulbahar, la fille du pacha, tombée amoureuse d’Ahmet emprisonné dans le cachot du château de son père, se mettra en tête de sauver le jeune homme d’une mort certaine.
"La légende du Mont Ararat" ne laisse à son lecteur guère d’espoir d’assister à un happy end. Et il faut sans doute porter au crédit de la réelle puissance de conteur de Yachar Kemal l’envie irrépressible que l’on a de tourner une page après l’autre, et jusqu’à la dernière, de ce bref récit. Mais pourtant... Une fois tournée cette dernière page, force m’est de reconnaître que je suis loin d’être tout à fait séduite, voire même un peu agacée par la litanie des "comme" répétés çà et là jusqu’à satiété – à croire que Yachar Kemal ne connaît pas d’autre formule pour introduire une métaphore -, et par ces personnages brossés à gros traits, taillés à l’emporte-pièce mais sans vraie profondeur, avec à leur tête Gulbahar la Souriante, surnom dont l’ironie – involontaire? – prête en effet à sourire se trouvant ainsi accolé au prénom d’une héroïne qui passe l’essentiel du livre à se morfondre et à pleurnicher.
Extrait:
"L’Ararat est un univers à part, majestueux et grave, qui domine notre univers à nous. La plupart du temps, son front se perd dans les nuages. Parfois, des pluies d’étoiles viennent prendre la place des nuages. Des étoiles en masses, qui tournoient, s’envolent en tempête. Après les longues nuits, le soleil surgit brusquement sur le flanc de la montagne, comme un brasier écarlate.
La nuit, l’Ararat paraît encore plus grand, plus massif et majestueux. Vous avez l’impression que le monde entier n’est plus que l’Ararat. Des grondements terrifiants déchirent le silence sans bornes, d’une extrémité à l’autre de la montagne... L’Ararat bouillonne dans le silence. Par les nuits les plus sombres, l’Ararat ne s’efface pas, il ne disparaît pas dans l’obscurité, telle une autre nuit, encore plus sombre, encore plus solitaire, il avance doucement dans le ciel, en scintillant légèrement. La nuit, son aspect est impressionnant. Ses ténèbres sont épaisses comme des murailles. Dans les nuits les plus noires, sans étoiles, des grondements étouffés montent de la montagne; ils semblent surgir d’un passé de milliers d’années." (pp. 97-98)
D'autres livres de Yachar Kemal, dans mon chapeau: "L'herbe qui ne meurt pas (Au-delà de la montagne, tome 3)" et "Tu écraseras le serpent"