Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans mon chapeau...
Dans mon chapeau...
30 novembre 2010

(Auto)portrait d’un petit vaurien, ou plutôt de sa famille

"Un enfant" de Thomas Bernhard41XVTMVX7BL__SL500_AA300_
4 étoiles

Gallimard/Folio, 2003, 153 pages, isbn 2070388379

(traduit de l’Allemand par Albert Kohn)

Ouvrant "Un enfant" par le récit d'un des exploits les plus marquants de ses huit ans – une escapade sur la bicyclette de son beau-père, bicyclette irrémédiablement endommagée dans l'aventure -, Thomas Bernhard entame ce dernier titre d'une série de cinq livres autobiographiques par ce qui pourrait bien passer par son autoportrait en jeune vaurien, dont le premier et peut-être bien le pire des crimes reste sa naissance illégitime. A cette naissance cachée aux Pays-Bas, et au poids que celle-ci fit toujours peser sur ses relations avec sa mère, Thomas Bernhard consacre d'ailleurs ici des pages aussi belles que douloureuses.

Mais par-delà ses souvenirs d'une enfance turbulente, indisciplinée et très, très solitaire, il nous livre avant tout le portrait d'une famille – sa famille maternelle - divisée entre ses aspirations à la prospérité et à la respectabilité d'une part, et d'autre part l'esprit libertaire qui animait ses grands-parents et tout particulièrement son grand-père, athée, anarchiste et misanthrope, l'écrivain Johannes Freumbichler. Une déchirure qui fut jusqu'à s'incarner dans le paysage environnant, alors que la famille de Thomas Bernhard s'était installée en Bavière, Thomas vivant, avec sa mère et son beau-père, dans la petite ville de Traunstein tandis que ses grands-parents s'étaient établis à Ettendorf: "Traunstein, en bas, est situé sur une colline de moraine mais Ettendorf est situé encore beaucoup plus haut; de la montagne de la Sagesse, on abaissait pour ainsi dire les regards sur les bas-fonds de la petite-bourgeoisie, dans laquelle, comme mon grand-père disait infatigablement le catholicisme brandissait son sceptre stupide. Ce qui était au-dessous d’Ettendorf ne méritait que le mépris. Le petit esprit des affaires, le petit esprit en général, la bassesse et la sottise. Stupides comme des moutons les petits boutiquiers se groupent autour de l’église et se tuent à bêler jour après jour. Rien n’était plus répugnant que la petite ville et précisément une petite ville du genre de Traunstein était ce qu’il y avait de plus écoeurant." (pp. 30-31)

Traunstein, c'est aussi l'école, que Thomas déteste, et ce qui est pire encore, dans l'Allemagne de la fin des années 1930, les séances obligatoires d'entraînement du Jungvolk, l'équivalent pour les enfants des jeunesses hitlériennes. Par contraste, les moments que le jeune garçon passe avec son grand-père dont les opinions bien tranchées l'influencèrent durablement, et leurs promenades qui "n’étaient constamment pas autre chose qu’histoire naturelle, que philosophie, mathématiques, géométrie, pas autre chose qu’un enseignement qui remplissait de bonheur." (p. 77), n'apparaissent que plus lumineux, des instants de répit sans lesquels Thomas Bernhard n'aurait peut-être – du moins le pensait-il - pas résisté à la barbarie ambiante de cette période. Ce sont à vrai dire les rares points lumineux dans la longue coulée verbale qu'est "Un enfant" dont le texte s'étire en un seul et unique paragraphe sur plus de 150 pages. Un récit souvent âpre et dur qui, sans nul doute, en dit long, très long, sur son auteur, son goût de la solitude et sa détestation de ce qu'il désignait sous le nom d'esprit petit-bourgeois.

Extrait:

"J’avais atteint un échelon dangereux de ma carrière de criminel. J’avais démoli la précieuse bicyclette, sali et déchiré mes vêtements, trahi de la façon la plus abjecte toute la confiance mise en moi. Le mot de repentir, instantanément je le trouvai déplacé. Tout en poussant mon vélo à travers l’Enfer, je calculais et recalculais tout sans cesse du commencement à la fin, j’additionnais, divisais, soustrayais, le verdict devait être effrayant. Le mot impardonnable marquait constamment ces pensées. A quoi cela servait-il que je pleure et que je me maudisse? J’aimais ma mère mais je n’étais pas pour elle un fils chéri, rien n’était simple avec moi, tout ce qu’il y avait de compliqué de mon côté était au-dessus de ses forces. J’étais cruel, j’étais abject, j’étais sournois et, c’est le pire, j’avais été fait ni vu ni connu. Quand je pensais à moi-même, j’étais rempli de dégoût." (pp. 17-18)

D'autres livres de Thomas Bernhard, dans mon chapeau: "Avant la retraite", "Maîtres anciens", "Le naufragé" et "Des arbres à abattre".

Thomas Bernhard était l'auteur des mois d'octobre et novembre sur Lecture/Ecriture.

Publicité
Commentaires
Dans mon chapeau...
Publicité
Archives
Publicité