Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans mon chapeau...
Dans mon chapeau...
22 janvier 2011

Le meilleur sinon rien…

"Le naufragé" de Thomas Bernhard41S1N5A3EHL__SL500_AA300_
4 étoiles

Gallimard/Folio, 188 pages, isbn 9782070385867

(traduit de l’Allemand par Bernard Kreiss)

Ils étaient trois jeunes et brillants pianistes, mais dès le moment où ils eurent rencontré Glenn Gould, venu comme eux à Salzbourg pour y suivre les cours d'Horowitz, le narrateur et son ami Wertheimer renoncèrent à leurs carrières de virtuoses: "Nous commençons comme pianistes virtuoses et nous devenons des fouineurs et des farfouilleurs en sciences humaines et en philosophie et nous nous dégradons. Parce que nous n’avons pas poussé jusqu’à l’extrême et au-delà de l’extrême, pensai-je, parce que nous renoncé en rencontrant un génie dans notre spécialité." (pp. 20-21) Et à présent, il ne reste plus que le narrateur, Wertheimer ayant fini par se suicider après avoir appris la mort soudaine de Glenn... "Ah, si nous n’avions pas rencontré Glenn, dit Wertheimer. Si le nom d’Horowitz n’avait rien signifié pour nous. Si nous n’étions pas allés à Salzbourg! dit-il. Dans cette ville, nous avons trouvé la mort, en étudiant chez Horowitz et en faisant la connaissance de Glenn Gould. Notre ami a signifié notre mort. Nous étions meilleurs que la plupart de ceux qui étudiaient chez Horowitz mais Glenn était meilleur qu’Horowitz lui-même, dit Wertheimer, je l’entends encore, lui non. Tant de gens de son entourage étaient morts jusque-là, tant de parents, d’amis, de connaissances, aucun de ces décès ne l’avait ébranlé le moins du monde alors que la mort de Glenn avait été un coup mortel, le mot mortel fut articulé par lui avec une terrible précision. Après tout, il n’est pas besoin de vivre dans la proximité immédiate d’un homme pour être attaché à lui plus qu’à nul autre, dit-il." (pp. 39-40)

Ils étaient trois jeunes et brillants pianistes, donc, mais leurs destinées n'en prirent pas moins des allures de naufrage. Musicien génial, Glenn Gould sombra dans une misanthropie pathologique, tandis que ses deux amis se détournaient de la musique à défaut de pouvoir, chacun, être le meilleur pianiste du monde, préférant somme toute une existence velléitaire, radicalement inaboutie, aux seconds rôles sur la scène musicale. Ce fut leur malheur. Un malheur que le narrateur ne cesse de ressasser pour lui-même, seul dans une petite auberge de village, l'après-midi de l'enterrement de Wertheimer. Rythmé par le motif continuellement répété de ses "disait-il pensai-je", brassant pêle-mêle quelques uns des thèmes chers à Thomas Bernhard – la musique, le système judiciaire, le conformisme social ou encore la révolte contre la famille... -, son long monologue n'en paraît que plus obsessionnel et désespéré, annonçant à bien des égards – par sa noirceur, mais aussi par son art subtil des variations infinétisémales dans le ressassement -, et en à peine moins ébouriffant, l'époustouflant exercice d'exécration des "Maîtres anciens".

Extrait:

"Ce qui le fascinait, c’étaient les hommes dans leur malheur, ce n’étaient pas les hommes proprement dit qui l’avaient attiré mais leur malheur, et ce malheur il le rencontrait partout où il y avait des hommes, pensai-je, il était avide d’hommes parce qu’il était avide de malheur. L’homme c’est le malheur, disait-il sans cesse, pensai-je, il n’y a que les sots pour prétendre le contraire. C’est un malheur que de naître, disait-il, et aussi longtemps que nous vivons, nous ne faisons que prolonger ce malheur, seule la mort y met un terme. Mais cela ne signifie pas que nous sommes seulement malheureux, notre malheur est la condition préalable en vertu de laquelle nous pouvons aussi être heureux, il n’y a que par le détour du malheur que nous pouvons être heureux, disait-il, pensai-je." (pp. 74-75)

D'autres livres de Thomas Bernhard, dans mon chapeau: "Un enfant", "Avant la retraite", "Maîtres anciens" et "Des arbres à abattre".

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture où Thomas Bernhard était l'auteur des mois d'octobre et novembre 2010.

Publicité
Commentaires
Dans mon chapeau...
Publicité
Archives
Publicité