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Dans mon chapeau...

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16 juin 2010

Un artiste touche-à-tout

visuel_van_de_woestyne"Gustave van de Woestyne",
Gand, Musée des Beaux-Arts,
Du 27 mars au 27 juin 2010

Au moment où les Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles mettent tout particulièrement à l'honneur le très riche mouvement symboliste, le musée des Beaux-Arts de Gand nous permet quant à lui de découvrir le parcours d'un artiste qui fut très actif (quoique pas exclusivement) dans le cadre de ce courant et qui est d'ailleurs représenté dans l'exposition bruxelloise: Gustave van de Woesyne.

Mais si je ne dois apposer qu'un seul qualificatif à ce peintre qui fut un véritable touche-à-tout - ce que ses détracteurs lui ont précisément reproché -, c'est bien la versatilité peu commune qui lui permit de passer très vite, et parfois pendant une seule et même période de sa carrière, d'un symbolisme éthéré (dans certains de ses paysages des années 1910) à une naïveté touchante (dans quelques scènes directement inspirées par sa vie familiale, telles "La table des enfants") ou à un expressionisme cru (dans certaines des oeuvres religieuses auxquelles il ne cessa pas de revenir tout au long de sa vie, ou encore dans les trognes de ses papeters ou mangeurs de bouillie).

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Gustave van de Woestyne, Le Christ nous offrant son sang, Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles (source)

Si les oeuvres de Gustave van de Woestyne rassemblées à Gand peuvent bel et bien paraître inégales, elles ne cessent aussi de nous surprendre et de nous émouvoir. Et c'est à une vraie, belle redécouverte que le musée des Beaux-Arts de Gand nous invite ici.

Le site officiel du musée

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15 juin 2010

Des vies très ordinaires

"Scènes de vie villageoise" d’Amos Oz51XPY4NiyRL__SL500_AA300_
3 étoiles

Gallimard/Du monde entier, 2010, 203 pages, isbn 9782070127214

(traduit de l’Hébreu par Sylvie Cohen)

Le temps de huit nouvelles, Amos Oz nous invite à partager quelques moments de la vie de huit des habitants de Tel-Ilan. Un temps d’attente en compagnie de Gili Steiner, la très compétente doctoresse du village, dont le neuveu Gideon devrait arriver par le prochain bus ("Les proches"). Un temps d’émoi amoureux en compagnie d’un jeune adolescent, Kobi Ezra, qui s’efforce de rassembler assez de courage pour avouer ses sentiments à sa bibliothécaire préférée ("Les étrangers"). Un moment musical, le temps d’une soirée consacrée au chant choral chez les Levine ("Chanter")…

Depuis sa fondation par des pionniers juifs, avant même la création de l’état hébreu, Tel-Ilan est resté un village très tranquille et champêtre, dont les habitants vivent avant tout de l’agriculture. Et le développement de la spéculation immobilière et d’un tourisme du week-end n’ont pour l’essentiel pas changé ce mode de vie, en dépit des efforts de l’agent immobilier du coin, Yossi Sasson, héros malheureux de la nouvelle "Perdre" qui flirte avec une sorte de fantastique inabouti, de mystère inquiétant et irrésolu, tout comme d’ailleurs "Les héritiers" ou "Attendre".

La vie est si tranquille à Tel-Ilan, que seuls viennent l'animer quelque peu les cancans suscités par Rachel Franco, une veuve encore jeune, enseignante au lycée local, et son pensionnaire, un étudiant arabe fils d’un ami de son défunt mari, venu se mettre au vert pour préparer ses examens et surtout travailler à un projet de livre, une étude comparative de la vie dans un village juif et un village arabe ("Creuser")… Mais pour tout dire, la vie à Tel-Ilan, la vie dans tous ces petits villages agricoles qu’ils soient juifs ou arabes, est si tranquille, si ordinaire, qu’il n’y a guère de différences entre les uns et les autres. Et Amos Oz a si bien réussi à fixer sur le papier cette vie si tranquille et ordinaire que je dois avouer m’être un petit peu ennuyée à la lecture de ces "Scènes de vie villageoise" pourtant si finement observées et tracées d’une plume dont l’élégance ne tombe jamais en défaut.

Extrait:

"La maison et ses dépendances, ce village lugubre, sa vie qu’elle gâchait entre ses élèves qui bâillaient d’ennui et son père assommant tapaient sur les nerfs de Rachel. Jusqu’à quand allait-elle rester coincée ici? Ne pourrait-elle prendre le large un de ces jours ? Elle embaucherait une infirmière pour veiller sur le vieillard et confierait la propriété au jeune étudiant. Elle reprendrait sas études et terminerait sa thèse sur l’illumination et la révélation dans l’œuvre d’Izhar et d’Amalia Kahana-Carmon. Elle renouerait avec d’anciennes relations, voyagerait, irait à Bruxelles et en Amérique voir Osnath et Yipheath, elle recommencerait à zéro et changerait de vie du tout au tout." (p. 84)

D'autres livres d'Amos OZ, dans mon chapeau: "Une histoire d'amour et de ténèbres", "Les voix d'Israël", "Mon Michaël" et "Un juste repos"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture

12 juin 2010

Le temps des découvertes

"Lisbonne hors les murs: 1415-1580, l'invention du monde par les navigateurs portugais", ouvrage collectif sous la direction de Michel Chandeigne
4 étoiles51YW4V997YL__SL500_AA300_

Editions Autrement/Mémoires, 1990, 285 pages, isbn 2862603090 

"Comprendre la société dans laquelle nous vivons"*, telle est, depuis leur création en 1975, la devise des éditions Autrement. Et la collection Mémoire s'inscrit pleinement dans cette ligne de conduite, qui s'attache à prendre le pouls d'une ville à un moment précis de son existence où elle se révèle exemplaire d'un bouleversement ou d'une rupture dans l'histoire du monde. Ainsi la Tolède des XIIème et XIIIèmes siècles devint le symbole de la Reconquête de la Péninsule ibérique mais aussi d'une brève période de coexistence, plus ou moins pacifique, entre les trois religions du Livre, tandis que la Rome des années 1920-1945 devint l'exemple-même de la montée et de la chute du fascisme. Et dans le cas du livre qui nous occupe aujourd'hui, les grandes découvertes maritimes des XVème et XVIème siècles qui bouleversèrent de fond en comble notre vision du monde, se voient abordées à travers le prisme de l'histoire lisboète.

Après un prologue, sous la plume de Paul Teyssier, qui refixe brièvement les grands jalons chronologiques de la période des Découvertes, allant de la prise de Ceuta par le roi de Portugal Jean 1er, en 1415, et de la politique d'exploration maritime mise en place par son fils, l'Infant Henri (dit le Navigateur), à l'implantation des Portugais à Macao et au développement de leur commerce avec le Japon, vers le milieu du XVIème siècle, "Lisbonne hors les murs" s'organise en trois grandes sections: "Naviguer", "Découvrir" et "Conquérir" qui abordent successivement les progrès des techniques de navigation, qui rendirent possibles les grands voyages d'exploration, ainsi que le développement sans précédent de la cartographie, les découvertes proprement dites et les premiers contacts entre les navigateurs portugais et les populations indigènes, et enfin le développement des relations commerciales, les luttes d'influence et les combats qui en furent très souvent le corollaire...

Lisbonne

Brésil, Atlas Miller de Lopo Homem-Reinel, Bibliothèque Nationale de Paris (p. 87)

Les études d'historiens contemporains voisinent ici avec les témoignages anciens tels la lettre datée du printemps 1500 par laquelle Pêro Vaz de Caminha, compagnon de route de Pedro Alvares Cabral, annonce au roi Manuel 1er la découverte du Brésil, l'"Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux-Indes" de l'abbé Raynal, intellectuel français du siècle des Lumières, proche de Denis Diderot, et qui livre là ce qui est sans doute la première étude critique du colonialisme, ou encore la monumentale "Pérégrination" de Fernão Mendes Pinto. Ce personnage haut en couleurs, tour à tour marin, marchand, pirate, escroc à la petite semaine ou, pendant un temps, aspirant-jésuite, nous a en effet laissé un extraordinaire ouvrage autobiographique mêlant sans vergogne réalité et fiction, mais qui reste un document essentiel sur le développement des implantations portugaises en Extrême-Orient, lorsqu'il ne flirte pas avec le roman picaresque...

"Lisbonne hors les murs" présente certes les défauts coutumiers de ce genre d'ouvrage collectif: il y a bien ça et là quelques redites et la lecture n'en est pas aussi fluide que celle d'un roman. Mais l'ouvrage a néanmoins l'immense mérite de nous faire entrer de plein pied dans toute la complexité d'un monde en plein bouleversement, sans sacrifier pour autant la clarté de l'exposé. Et c'est un beau complément à la vision des Découvertes, si caustique et désabusée, que propose António Lobo Antunes dans son roman "Le retour des caravelles".

* Cfr le site des éditions Autrement.

11 juin 2010

Rock'n roll et rose bonbon

18612765"Marie-Antoinette" de Sofia Coppola,
avec Kirsten Dunst et Jason Schwartzman

Déjà diffusé sur Canvas (télévision belge flamande) il y a de cela quelques semaines, le dernier film en date de Sofia Coppola est à nouveau programmé ce vendredi (11 juin) sur La deux-RTBF et ce dimanche (13 juin) sur France 3. Mais comment dire? Présenté comme l'adaptation de l'ouvrage consacré à la reine Marie-Antoinette par la biographe britannique Antonia Fraser, le "Marie-Antoinette" de Sofia Coppola s'apparente bien plus à une soupe-opéra rock'n roll et rose bonbon qu'à une biographie filmée en bonne et due forme à l'instar de ce que Saul Dibb avait réalisé avec "The Duchess".

Au long d'un interminable défilé de costumes somptueux, de froufrous, de dentelles et de perruques poudrées plus extravagantes les unes que les autres, les acteurs engagés pour ressusciter le Versailles des années 1770 à 1789 s'agitent à qui mieux mieux sur un fond sonore de musique rock alternative où quelques éclats des oeuvres de Rameau ou de Vivaldi semblent s'être irrémédiablement perdus. Les grandes comédies musicales sauce Broadway ne sont pas très loin, l'émotion en moins car d'émotion, non, vraiment, je n'en ai pas ressenti le plus petit frisson en dépit des efforts - vains il faut bien le dire - de Kirsten Dunst pour nous restituer les chagrins et les frustrations d'une jeune femme qui, si elle a beaucoup cherché à s'étourdir, fut au fond plutôt malheureuse.

Bref, autant j'ai apprécié "The Virgin suicides" et surtout "Lost in translation" (que j'ai  pris plaisir à revoir à plusieurs reprises), autant ce "Marie-Antoinette" noyé de crème et de sucre glace me semble décidément très dispensable... Alors, pourquoi ne pas plutôt passer la soirée en compagnie d'un bon livre?

9 juin 2010

Une chronique familiale intimiste, sur fond de blessures de guerre

51SPZG1FT8L__SL500_AA300_"Rhapsodie en août" d'Akira Kurosawa,
avec Sachiko Murase, Hisashi Igawa et Richard Gere

En adaptant assez librement "Le Chaudron" de Kiyoko Murata, Akira Kurosawa délaisse quelque peu le questionnement sur les héritages familiaux, les lois de l'hérédité et les fameux petits pois de Gregor Johan Mendel au coeur de ce très beau texte, pour inscrire cette jolie chronique familiale sur la toile de fond douloureuse de la deuxième guerre mondiale et du bombardement de Nagasaki.

Grand-mère Kane a accueilli ses petits-enfants pendant leurs vacances d'été, tandis que leurs parents sont partis à Hawaï rendre visite à l'oncle Suzujiro, un frère aîné de Kane qui avait émigré là-bas avant la guerre. A l'article de la mort, Suzujiro souhaite renouer avec la dernière survivante de sa famille restée au Japon, sans savoir que sa jeune soeur avait  perdu son mari à Nagasaki en ce funeste jour du 9 août 1945... Avec "Rhapsodie en août", Akira Kurosawa nous offre donc tout à la fois une chronique intimiste, teintée de douceur et de mélancolie, annonçant le très beau "Madadayo" qui verra le jour deux ans plus tard, et un long poème célébrant la réconciliation d'une famille par-delà les blessures de la guerre, une réconciliation symbolisée par la visite que Clark, le fils de Suzujiro et neveu d'Amérique, ici incarné par Richard Gere, rendra finalement à sa tante Kane. C'est un film tout de fraîcheur, de spontanéité. Pudique. Touchant. Et beau, finalement, sans ostentation...

Un autre film d'Akira Kurosawa, dans mon chapeau:  "Les sept samouraïs"

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8 juin 2010

Un drame de la jalousie?

"Un soupçon légitime" de Stefan Zweig51MQT6xiCnL__SL500_AA300_
4 étoiles

Grasset, 2009, 140 pages, isbn 9782246756118

(traduit de l'Allemand par Baptiste Touverey)

Cette longue nouvelle – ou court roman -, située dans les environs de Bath où Stefan Zweig lui-même s'était installé en 1939, avant son départ pour le Brésil, doit sans doute beaucoup de son charme à ce cadre champêtre, ainsi qu'à la voix si particulière – flegmatique, attentive, bienveillante et pourtant très critique - de sa narratrice. A l'entrée dans l'âge mûr, cette dernière et son mari se sont fixés dans ce coin tranquille, espérant y jouir d'une vieillesse paisible. Mais c'était compter sans leurs nouveaux voisins, les Limpley, un couple plus jeune, mais sans enfant. Ou pour mieux dire, c'était compter sans la phénoménale énergie de Mr Limpley et sa capacité tout aussi extraordinaire à épuiser son entourage. Aussi c'est à la satisfaction générale que ces particularités trouvèrent une exutoire lorsque le jeune couple adopta un chien, Ponto, pour lequel son maître se prit d'une véritable passion.

Gâté hors de toute mesure, Ponto devient très vite complètement imbuvable. Il ne serait en fait pas exagéré de le qualifier de tyrannique et malfaisant, son plus grand plaisir étant de faire tomber dans le canal tout proche les paniers de linges fraîchement lessivés... Mais tout bascule lorsque Mrs Limpley se retrouve enceinte alors qu'elle avait abandonné tout espoir d'avoir un enfant. Et le drame – selon toutes apparences, un drame de la jalousie – peut dès lors dérouler sa mécanique irrésistible.

De cet argument très simple, Stefan Zweig tire le meilleur parti possible en déployant tout au long du récit toute sa finesse d'observation et d'analyse. Et sans rivaliser avec les plus grands chefs-d'oeuvre de l'auteur, "Un soupçon légitime" se révèle un très beau texte, qui méritait largement d'être tiré de l'oubli où il végétait.

Extrait:

"Parce que son coeur chaleureux, qui débordait, et donnait l'impression d'exploser sans cesse de sentiment, le rendait altruiste, il s'imaginait que pour tout le monde l'altruisme allait de soi, et il fallait déployer des trésors de ruse pour se soustraire à son oppressante bonhomie. Il ne respectait ni le repos ni le sommeil de qui que ce soit, parce que, dans son trop-plein d'énergie, il était incapable d'imaginer qu'un autre pût être fatigué ou de mauvaise humeur, et on aurait secrètement souhaité assoupir, au moyen d'une injection quotidienne de bromure, cette vitalité magnifique, mais guère supportable, afin de la faire revenir à un niveau normal. Il m'arriva souvent de choquer mon mari en lui faisant remarquer que, lorsque Limpley était assis une heure chez nous – en réalité, il ne restait pas assis, mais n'arrêtait pas de se relever d'un bond pour parcourir en trombe la pièce de long en large -, d'instinct la fenêtre s'ouvrait toute seule, comme si l'espace avait été surchauffé par la présence de cet homme dynamique qui avait en lui quelque chose de barbare. Tant qu'on se trouvait en face de lui et qu'on regardait ses yeux clairs, bons et même débordants de bonté, il était impossible de lui vouloir du mal; ce n'était qu'après, à bout de force, qu'on éprouvait l'envie de le vouer à tous les diables." (pp. 19-20)

D'autres livres de Stefan Zweig, dans mon chapeau: "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme", "Le Monde d'hier", "Lettre d'une inconnue" et "Un mariage à Lyon"

Et d'autres encore, sur Lecture/Ecriture

5 juin 2010

Fascinations

"Reflets dans un œil d’or" de Carson McCullers41625WSVH8L__SL500_AA300_
4 étoiles

Stock/La cosmopolite, 2001, 174 pages, isbn 2234054273

(traduit de l’Anglais par Pierre Nordon)

Désir ou répulsion, amour ou haine. Ces passions ne s'exacerbent jamais autant que dans un monde refermé sur lui-même, alors que ceux qui en sont la proie ne peuvent leur opposer la moindre dérivation. Et il en va bien ainsi des héros de "Reflets dans un oeil d'or": le capitaine Penderton, sa femme et l'amant de cette dernière, le commandant Langdon dont la propre épouse, Alison, ne s'est jamais remise de la mort de leur petite fille et ne trouve quelque consolation que grâce aux attentions de son domestique philipin, Anacleto, tandis qu'ignoré des autres personnages, le simple soldat Elgee Williams se prend d'une véritable fascination pour Mrs Penderton.

Avec ce roman situé dans le huis-clos d’une garnison du Sud des Etats-Unis, Carson McCullers nous offre un drame tendu et resserré, d’une extrême économie. Un drame à six personnages que leurs obsessions, leurs angoisses et leurs fascinations inavouables – de celles que l’on n’ose même pas s’avouer à soi-même mais que vient pourtant incarner dans leurs rêves "un paon d’un vert sinistre, avec un immense œil d’or. Et dans cet œil les reflets d’une chose minuscule…" (p. 121) - mèneront inéluctablement vers une issue tragique. Un drame qui tient toute son intensité de la franchise avec laquelle l'auteur aborde les ressorts les plus secrets des comportements de ses héros - sans pour autant sombrer dans l'impudeur – par la grâce d'une écriture aussi sobre que précise.

C'est dire que si le deuxième roman de Carson McCullers ne partage pas la notoriété de son devancier, "le coeur est un chasseur solitaire", ou des nouvelles de "La Ballade du café triste", dont il ne possède peut-être pas la grâce, il n'en mérite pas moins toute notre attention!

Extrait:

"L’agitation du capitaine avait ce soir de nombreuses causes. Il possédait à certains égards une personnalité peu banale. Il entretenait une curieuse relation avec les trois aspects fondamentaux de l’existence que sont la vie elle-même, le sexe et la mort. Sexuellement, il présentait une subtile ambivalence entre les deux sexes, mais sans manifester l’activité de l’un ou de l’autre. Pour un être enclin à se tenir un peu à l’écart de l’existence et à relativiser ses impulsions affectives pour se livrer à une activité impersonnelle, de nature artistique ou simplement excentrique, la recherche de la quadrature du cercle, par exemple, est une condition tout à fait supportable. Le capitaine avait son travail et il ne se ménageait pas; on lui prédisait une brillante carrière. Peut-être sans sa femme n’aurait-il pas souffert de ce manque ou de cet excès. Mais il souffrait en sa compagnie. Il avait une funeste tendance à s’éprendre des amants de son épouse." (p. 20)

4 juin 2010

"Alebrijes" (2)

Mais parfois aussi les alebrijes dressent un portrait libre et très coloré d'animaux réels, et le résultat est alors beaucoup plus sympathique;-)!

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Alebrije, Museo de Arte Popular, Mexico, en prêt au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Cliché Fée Carabine)

Alebrijes (1)

2 juin 2010

Un film de genre, et selon toutes les règles de l'art.

200px_Ghostwriterlarge"The Ghost Writer" de Roman Polanski,
avec Ewan McGregor et Pierce Brosnan

On ne présente plus le dernier film en date de Roman Polanski, thriller politique que la réalité est venue rattraper au tournant. Et je pense d'ailleurs qu'il ne faut surtout pas trop en dire au sujet d'une intrigue impeccablement ficelée, et dont les rebondissements constituent les principales surprises d'un film qui pour le reste respecte à la lettre les règles du genre. Tant et si bien qu'on s'y sent toujours bien installés, en terrain familier en somme, et cela malgré les retournements du scénario.

"The Ghost Writer" ne bouleversera certes pas le cinéma contemporain, la façon d'en faire pas plus que la façon de le regarder, mais il est si parfaitement réalisé et interprété par d'excellents acteurs, tous irréprochables - Ewan McGregor en tête dans le rôle de l'enquêteur ingénu où l'on s'était peut-être trop habitué à retrouver Matt Damon, et Pierce Brosnan bien sûr, à qui le costume du politicien charismatique mais pas tout à fait net convient comme un gant - , qu'on aurait bien tort de bouder son plaisir!

"The Ghost Writer" fait l'objet d'une fiche très détaillée (voire même un peu trop) sur wikipedia [en Anglais].

1 juin 2010

Un exilé en perdition

"Les Terrasses d’Orsol" de Mohammed Dib5192TGFNH0L__SL500_AA300_
3 ½ étoiles

Editions de la Différence/Minos, 2002, 223 pages, isbn 2729114068

Né à Tlemcen en 1920, exilé en France dès 1959, Mohammed Dib s'est imposé à moi, dès la lecture des deux magnifiques recueils de nouvelles que sont "Au café" et "Le talisman", comme un des plus grands écrivains d'expression française au cours du siècle qui vient de se terminer. C'est donc avec plaisir que je l'ai retrouvé comme auteur des mois d'avril et mai 2010 sur Lecture/Ecriture...

Poussé par l’épreuve de la maladie et la dissolution de son mariage, le narrateur de ce premier roman nordique de Mohammed Dib s’est résolu à quitter Orsol, sa ville natale, "la grandeur de ces nuits lessivées de lune sur [ses] blanches et tranquilles terrasses! Et les effluves de jasmin, ces effluves qui les hantent comme un secret lancinant jusqu’à ce que déferle avec l’aube l’odeur nue, aérée du large. Souffles et parfums, ainsi que la violente risée de bonheur qu’ils vident sur la terre (…)" (pp. 87-88), et son poste d’enseignant à l’université – son récit ne se départit d’ailleurs jamais d’une pointe de préciosité et même de pédanterie, trace sans doute de son ancien emploi -, pour une mission de longue durée dans la ville lointaine de Jarbher. Sa nouvelle vie s’y était d’ailleurs ouverte sous le signe d’un enthousiasme sans faille pour la gravité bienveillante de ses nouveaux concitoyens, et pour l’atmosphère sereine de leur cité, au point que notre héros se laisse emporter à constater: "En fait hors de cet endroit, personne ne connaît la vie dans sa vérité, ni dans cette vie la joie de vivre." (p. 37)

Et pourtant… Quelque soit l’enthousiasme de notre guide, Jarbher ne semble pas pouvoir faire exception au proverbe selon lequel toute médaille doit avoir son revers. L’envers de la ville si ordonnée se révèle en l’occurence un véritable gouffre poussant son dédale sous ses rues, ouvrant sur la mer et ses flots grondants et peuplé de créatures étranges. Et à mesure que le temps passe et que les premiers mois d’apprentissage et de découverte cèdent le pas à une période de stagnation, à ce moment où le visiteur comprenant qu’il ne peut pas pénétrer plus avant l’esprit du lieu et de ses habitants, achoppe sur le caillou de l’incommunicabilité, cette face cachée s’impose comme une véritable obsession pour notre héros, et comme le révélateur des métamorphoses que subit sa personnalité, à chaque jour plus incertaine, sous les effets conjugués de l’exil et de la solitude.

L’argument des "Terrasses d’Orsol" est au fond aussi simple que cela. C’est le récit, sous une forme extrêmement élaborée et poétique, et que des commentaires de l’auteur - que seul  distingue l’usage de l’italique - viennent encore régulièrement recadrer, de la transformation d’un homme déraciné qui perd insensiblement ses repères, sa mémoire et, enfin, jusqu’à ce qui fait le cœur de son identité. Un récit allégorique où le lecteur finit, il faut bien l’avouer, par se perdre à son tour à mesure que ses fondements-mêmes - les émotions du héros et son expérience de l’exil - se trouvent dissimulés sous les voiles d’une songerie de plus en plus fluctuante, noyée de métaphores et de symboles au sens de plus en plus incertain. C’est un récit, enfin, dont la conclusion, brutale et hallucinée, laisse penser que l’auteur lui aussi en a quelque peu perdu le fil, nous livrant, plutôt qu’un roman dans les règles de l’art – et qu’y a-t-il d’étonnant à cela puisque Mohammed Dib était aussi poète, et peut-être même était-il poète avant d’être romancier? -, un long, un très long poème, reflet d’une expérience si personnelle, intime et incommunicable qu’elle ne cesse de lui échapper en dépit de tous ses efforts pour la fixer sur le papier.

Extrait:

"Je touche le parapet de pierre blanche, je m’y tiens. Il m’arrive à la taille. Je me plonge dans la contemplation de l’océan. A croire que je suis venu pour ça. Mais c’est que toute la lumière est là, liquéfiée. Un infini de lumière et il déroule ses lourds plis brillants, ne cesse de se mouvoir, de se rapprocher sans jamais arriver. Médusé par ce spectacle Il était partagé entre ce qu’il voyait dehors, cette lumière, cette malédiction, et ce qu’il voyait en dedans, le même lumière, la même malédiction, je reste là. Malgré moi pourtant mes yeux se mettent à chercher, à fureter, vont d’un coin à un autre, entreprennent ce pour quoi je suis de retour en ces lieux. Et que fait l’océan pendant ce temps, il joue. Je le considère, intrigué mais à moitié seulement, étonné mais seulement à moitié : à quel jeu joue-t-il?Il appelle, dirait-on, n’en finit pas d’appeler. Qui pourrait-il appeler, ou quoi?Attirer l’attention, c’est ce qu’il veut? Il fixe sur moi des yeux presque humains, des yeux par milliers, il en est couvert, je ne me vois pas scruté par cette folle quantité d’yeux épars. Ou il essaye de calmer, d’endormir en lui quelque chose qui le travaille et il laisse aller ses regards dans tous les sens, c’est ça, une chose qui demeurera toujours inconnue de nous." (pp. 13-14)

"Les Terrasses d’Orsol" constitue le premier volet d’une trilogie nordique qui fut inspirée à Mohammed Dib par plusieurs longs séjours en Finlande, et qui se poursuit avec "Le Sommeil d’Eve" et "Neiges de marbre". Vous trouverez également, dans mon chapeau, un billet consacré au "coeur insulaire"

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