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Dans mon chapeau...

Dans mon chapeau...
9 avril 2010

Pas si anglais...

"Made in England",
Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, sous la direction de Jean-François Chamberlan
avec Vineta Sareika, violon

Théâtre Royal de Namur, le 2 avril 2010

Avec deux compositeurs britanniques - Henry Purcell et Benjamin Britten - et deux autres, nés en Allemagne mais qui connurent un très grand succès outre-Manche - Georg Friedrich Haendel et Félix Mendelssohn, le programme de ce concert intitulé "Made in England" ne comporte finalement qu'un seul invité-surprise: Camille Saint-Saens et son Introduction et Rondo Capricioso dont la présence ne semble se justifier que par le fait de nous donner une occasion supplémentaire d'écouter le violon, très chantant, aux sonorités amples et chaudes, de Vineta Sareika - ce dont, ma foi, l'on ne se plaindra pas.

Ce programme est du reste bien moins disparate qu'il n'y paraît à première vue, car les cinq oeuvres qui le composent - outre le rondo de Saint-Saens, une suite tirée du "Didon et Enée" d'Henry Purcell, le concerto pour violon en ré mineur de Félix Mendelssohn, un des concerti grossi op. 6 de G.F. Haendel et la Simple Symphony de B. Britten -, toutes très lyriques et ménageant de beaux effets dramatiques, ont en commun de sonner magnifiquement dans la grande salle du Théâtre Royal de Namur - une très belle salle à l'italienne mais dont l'acoustique ne se prête vraiment pas à tous les répertoires - pour nous offrir un très beau moment musical.

Présentation du concert sur le site du Théâtre Royal de Namur

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8 avril 2010

Autoportrait d'un "pater familias"

"La Dodge" de William Cliff411C8XBTM8L__SL500_AA300_
5 étoiles

Anatolia/Editions du Rocher, 2004, 107 pages, isbn 2268049728

On ne peut se dérober à l’autorité de ce pater familias qui s’adresse d’entrée à nous, ses lecteurs : un homme poussé dans la glèbe et les étendues à perte de vue du plateau brabançon (jamais nommé, mais entre Flamands, Wallons et champs de betteraves, on ne s’y trompera pas) où il a à son tour pris ses envies d’extension, d’agrandir de proche en proche sa pratique médicale et de semer l’un après l’autre ses neuf enfants. Et notre homme mérite sans doute d’autant plus ce qualificatif de pater familias qu’il se reconnaît si bien dans la culture classique découverte pendant ses années de collège - "Cicéron. Virgile. Tite-Live. Les Romains. Lesquels furent des hommes de conquête et d'extension. L'esprit des Romains ne rêvait que possession du monde. Leur empire désirait toute la terre. Cet esprit convenait à mon esprit qui trouvait à boire ainsi et à se désaltérer dans les vastes espaces. L'immensité du monde était leur rêve et mon rêve fut et a été la possession du monde." (p. 12). Un rêve qui s’est incarné, littéralement, dans la première voiture de la famille, une Dodge achetée dans les années 1930, qui transbahuta tout la petite tribu jusqu’à Toulouse, sur les routes de l’exode, avant de passer tout le reste du conflit soigneusement dissimulée et de reprendre du service à la Libération pour mener la famille qui s’était entretemps encore agrandie à la découverte du vaste monde.

Récit des aspirations, et de la vie professionnelle et familiale d’un homme profondément enraciné dans son terroir, et donc récit intime par son essence-même, "La Dodge" mêle indissolublement à cette "petite" histoire la "grande", celle de la seconde guerre mondiale dans ses batailles les plus cruciales, fussent-elles lointaines, tout autant que dans la vie quotidienne rendue tellement plus difficile, la débrouille et les petits arrangements, la complicité silencieuse des voisins, la solidarité parfois, l’égoïsme, la cupidité et la lâcheté aussi. Et c’est que vue par la lorgnette de l’expérience quotidienne, du bon sens très terrien et des solides principes de notre héros, la "grande" histoire ne perd rien de sa grandeur ni de son intensité dramatique mais qu’elle touche bien au contraire à l’universel.

La voix de ce patriarche brabançon sonne si vrai, elle est si chargée de vécu et si proche des quelques récits de la deuxième guerre mondiale qui courent dans ma propre famille, que je soupçonnerais volontiers l’auteur - lui-même fils d’un dentiste brabançon, né à Gembloux en 1940 et quatrième enfant d’une fratrie de neuf, de n’avoir rien imaginé – ou si peu – et d’avoir beaucoup puisé dans sa propre histoire familiale, non sans faire au passage un clin d’œil à un père qui souhaitait peut-être à son petit quatrième un autre destin que celui de poète: "Le précédent, le salisseur de culottes, me rappelait, lui, mon oncle instituteur qui m'enfonça dans le crâne l'alphabet et le calcul à coups de taloches. Lui, je le surnommai du prénom de cet oncle. Ecrirait-il aussi des poésies? Dieu l'en préserve." (p. 52) Mais qu’il soit autobiographique ou au contraire inventé de toutes pièces, c’est un texte magnifique que celui-ci, qui nous rend tant de vie et d’histoire en si peu de mots.

Extrait:

"Mais sa trop longue dormition avait nui à ses organes. L'humidité du garage s'était insinuée en elle. Nous la poussâmes en courant. Nous nettoyâmes ses bougies. Nous fîmes tourner vigoureusement sa longue manivelle. Enfin, brusquement elle lâcha un grand pet rempli des odeurs du passé, elle brûla beaucoup d'huile, elle chauffa et ranima ses organes et dégagea des nuages de fumée noire. Son moteur entra en transe, ses pistons se mirent à monter et descendre dans la gaine de six cylindres d'acier: le moteur tournait. Ah! divine musique! je sautai sur le siège couvert de velours gris, j'actionnai le débrayage et passai en première: en avant! Adieu la guerre et ses misères! Adieu le vent, le gel, la pluie, la neige! En avant vers le soleil, vers les routes bénies de la paix retrouvée, en avant avec ma femme et mes six enfants rassemblés dans la Dodge, en avant vers un autre temps et d'autres moeurs, et vers de nouveaux pays, en avant, en avant!" (p. 83)

D'autres livres de William Cliff sont présentés sur Lecture/Ecriture.

6 avril 2010

La collection de Dolores Olmedo

"Frida Kahlo y su mundo",
Palais des Beaux-Arts, Bruxelles
Jusqu'au 18 avril 2010

Il y a une certaine ironie dans le fait que la fondation Dolores Olmedo possède aujourd'hui ce qui est la plus importante collection privée d'oeuvres de Frida Kahlo. Lorsqu'elles étaient jeunes, les deux femmes rivalisèrent en effet pour l'attention d'Alejandro Gomez Arias, qui fut le premier grand amour de Frida. Et ce ne fut que sur les instances de Diego Rivera, dont elle devint sur le tard une amie très proche, que Dolores Olmedo racheta cette collection d'une vingtaine de tableaux, afin d'éviter leur dispersion.

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Carl Van Vechten, Frida Kahlo et Diego Rivera (source: wikimedia commons)

Et si cette collection actuellement exposée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles est bien loin d'offrir une rétrospective exhaustive de l'oeuvre de l'artiste mexicaine, elle n'en vaut pas moins le déplacement. Les autoportraits (le très célèbre "La colonne brisée" ou "Autoportrait au petit singe") y côtoient d'autres tableaux d'inspiration autobiographique ("Hôpital Henry Ford", "Quelques petites piqûres") et surtout quelques très beaux portraits tels celui de doña Rosita Morillo ou encore celui de la petite Virginia, dont la robe verte bien trop grande est fermée par une épingle de nourrice. Et l'ensemble se voit complété de deux diaporamas plutôt intéressants présentant pour le premier des photos de la vie quotidienne de Frida Kahlo notamment à Coyoacán, et pour le second un parcours à travers son journal, abondamment illustré.

Compte tenu de l'exiguité des espaces d'exposition, l'entrée se fait à heure fixe, et pour une durée d'une heure.

 

Présentation de l'exposition, sur le site du Palais des Beaux-Arts.

Et un beau dossier dans la revue Connaissance des arts

Quelques suggestions de lecture autour de Frida Kahlo, dans mon chapeau: "Frida Kahlo - "Je peins ma réalité" de Christina Burrus et "Diego et Frida" de J.M.G. Le Clézio

5 avril 2010

Un roman d'un nouveau genre

"Le dernier samouraï" d'Helen Dewitt41DLNj19lzL__SL500_AA300_
4 étoiles

Robert Laffont/Pavillons poche, 2009, 607 pages, isbn 0786866683

(traduit de l'Anglais par Pierre Guglielmina)

Sibylla est issue d'une famille de surdoués: comme ses parents, elle est excessivement brillante, et comme eux inadaptée à la vie dans nos sociétés si bien formatées. Et comme ses parents, elle vivote d'un travail bien en-deça de ses possibilités qui suffit à peine à les faire vivre, elle et son fils Ludo: un boulot de dactylo payée à la page qui couvre leur loyer mais pas toujours le chauffage les envoyant tous deux se dégeler dans la touffeur d'une rame du métro londonien, tournant en boucle sur la Circle Line, où les activités du gamin – à cinq ans, il lit déjà l'Odyssée dans le texte original et s'est mis en tête d'apprendre le Japonais – ne vont pas sans susciter d'abondants commentaires, pour ou contre, de la part des autres usagers.

Ludo ne connaît pas son père, dont Sibylla refuse obstinément de lui révéler le nom, lui proposant en lieu et place de figure paternelle les héros du film d'Akira Kurosawa "Les sept samouraïs". Mais ce subterfuge ne fait qu'un temps, et le fil rouge de ce roman si original est bel et bien la quête de Ludo pour se trouver un père, une quête qui l'amène à envisager successivement plusieurs candidats, chacun à sa manière brillant et pourtant perdu, paumé, manquant bizarrement d'un quelque chose d'indéfinissable.

L'extraordinaire galerie de personnages qui défilent dans ce "dernier samouraï" ne cesse de surprendre, mais pas autant que le texte lui-même. Littéralement truffé de références, de petits bouts d'un peu de tout mais pas de n'importe quoi, de l'Harmonielehre d'Arnold Schoenberg, de pages entières tirées de grammaires grecques ou japonaises, de récits de voyage chez les Inuits ou au coeur de Bornéo, il se boit pourtant comme du petit lait, composant un roman captivant mais qui semble aussi répondre au questionnement de Sibylla sur l'art: "Si vous dites que dans un livre les Italiens doivent parler italien parce que dans le monde réel ils parlent italien et que les Chinois devraient parler chinois parce que les Chinois parlent chinois, vous avez une conception plutôt naïve d'une oeuvre d'art; c'est comme si vous pensiez voici la seule façon de peindre: le ciel est bleu. Je vais peindre le ciel en bleu. Le soleil est jaune. Je vais peindre le soleil en jaune. L'arbre est vert. Je vais peindre l'arbre en vert. Et de quelle couleur est le tronc? Brun. Alors quelle couleur utilisez-vous? Ridicule. Même en laissant de côté la peinture abstraite, il est plus véridique de dire qu'un peintre pense à la surface qu'il veut sur la toile, au type de lumière et de lignes, aux relations des couleurs, et qu'il est attiré par le fait de peindre des objets qui pourraient être représentés avec ces propriétés. De la même façon, un compositeur ne pense pas pour l'essentiel qu'il voudrait imiter tel ou tel son – il pense qu'il veut la tessiture d'un piano avec un violon, ou d'un piano avec un violoncelle, ou quatre instruments à cordes ou six, ou encore un orchestre symphonique; il pense aux relations entre les mots." (pp. 77-78)

"Le dernier samouraï" apparaît donc comme le prototype-même du roman rêvé par son héroïne - "(...) tout l'après-midi je n'ai cessé d'entendre dans ma tête des fragments de livres qui pourraient exister dans trois ou quatre cents ans. Il y en avait un avec des personnages du nom de Hakkinen, Hintikka et Yu - situé provisoirement à Helsinki - avec en toile de fond de la neige et des masses de sapins noirs, un ciel noir & des étoiles scintillantes, une narration ou peut-être un dialogue avec nominatif génitif partitif essif inessif adessif illatif abaltif allatif & translatif, des gens diraient Hyvää päivää pour bonjour il y aurait un accident de voiture de sorte que le mot tieliikenneonnettomuus pourrait faire son apparition, puis dans l'esprit de Yu des caractères chinois, qui correspondraient à Sapin Noir Neige Blanche, c'était absolument magnifique." (pp. 78-79). Un roman composé comme une symphonie en fonction des rapports entre les mots, les images et les sonorités qu'ils suggèrent. Un roman pourtant bien du goût des lecteurs d'aujourd'hui, dont les six cents pages se dévorent d'une traite. Un roman étonnant de bout en bout.

1 avril 2010

Un festin sonore

75531Sonates de Domenico Scarlatti,
interprétées par Vincent Boucher,
sur l'orgue Karl Wilhelm de l'Eglise du Très Saint Rédempteur (Montréal)

Un CD Atma Classique SACD2 2341

Né en 1685 à Naples où son père Alessandro fut l'un des compositeurs d'opéra les plus en vue de son époque, Domenico Scarlatti fit lui l'essentiel de sa carrière musicale dans la péninsule ibérique. D'abord comme maître de chapelle du roi Jean V de Portugal et professeur de sa fille, l'infante Maria Barbara, puis à Madrid où il suivit son élève devenue reine d'Espagne par son mariage avec Ferdinand VI.

Et c'est sans doute pour Maria Barbara, réputée pour avoir été une excellente claveciniste, qu'il composa bon nombre de ses 555 sonates pour le clavier qu'une mémorable "intégrale" par Scott Ross nous a permis de redécouvrir dans les années 1980. Mais c'est une version un peu différente de dix-huit de ces pièces que je vous invite à découvrir ici, en compagnie de Vincent Boucher qui a choisi de les interpréter sur l'orgue de l'Eglise du Très Saint Rédempteur de Montréal. En leur prêtant des accents tantôt méditatifs, tantôt dignes d'un véritable feu d'artifice sonore, le jeune organiste canadien offre à ces sonates de nouvelles couleurs qui ne peuvent que séduire par la richesse de leur palette.

Vous pouvez du reste écouter quelques extraits de cet enregistrement ici.

Et pourquoi ne pas retrouver aussi Scott Ross là-bas.

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31 mars 2010

Paradoxe temporel

“Le retour des caravelles” d’António Lobo Antunes51MXHXJPWNL__SL500_AA240_
3 ½ étoiles

Points, 2003, 291 pages, isbn 978020526524

(traduit du Portugais par Michelle Guidicelli et Olinda Kleiman)

C'est un vrai dépaysement que cette première étape de mes retrouvailles avec l'écrivain portugais António Lobo Antunes, auteur des mois de février et mars 2010 sur Lecture/Ecriture.

En abordant avec ce livre, une dizaine d'années à peine après l'implosion de l'empire colonial portugais, le sujet du retour des colons dans leur Mère-Patrie, António Lobo Antunes nous offre un roman atypique en comparaison du reste de sa production. Pendant moderne des "Lusiades", le grand poème épique du siècle des découvertes, oeuvre de Luis de Camões, délaissant l'analyse des horreurs de la guerre ou des sentiments humains bouillonnant dans la touffeur familiale, "Le retour des caravelles" nous entraîne à la suite de toute une galerie de personnages les plus divers – modeste fonctionnaire, petit commerçant ou trafiquant de diamants – auxquels António Lobo Antunes a imaginé de redonner les noms des grands héros des explorations maritimes du XVème siècle, en un paradoxe temporel aux effets saisissants.

Dans le port de Lisbonne, les caravelles jouent au coude à coude avec les tankers irakiens. Les autocars pleins de touristes se mêlent aux charettes des tailleurs de pierre pour créer un gigantesque embouteillage aux abords du chantier du couvent des Hiéronymites. Diogo Cão, explorateur des côtes occidentales de l'Afrique dans les années 1485-1486, se double ainsi d'un employé de la Compagnie des Eaux angolaise, tandis que François-Xavier, missionnaire jésuite en Extrême-Orient et saint patron de Setubal, se révèle aussi un proxénète au demeurant fort peu sympathique... Et quant au roi Manuel 1er et à son compère Vasco de Gama - "ce couple de vieillards déguisés qui portaient les costumes extravagants d'un carnaval ancien, un poignard en fer-blanc à la ceinture, des mocassins pointus en velours, des pourpoints à rayures et de longues mèches sentant l'origan d'arrière-cuisine dans lesquelles pullulaient des parasites de siècles révolus" (p. 143) –, ils ne suscitent que des regards effarés de la part de leurs concitoyens d'un état désormais devenu républicain.

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Panneau d'azulejos décorant une façade du vieux Porto (Cliché Fée Carabine)

Le résultat est décapant et par moments des plus cocasse. Mais l'impression qui domine en fin de compte est celle d'un très fort sentiment d'amertume, si bien que l'on ne peut que souscrire à cette constatation formulée par une vieille prostituée, amie de Diogo Cão: “je n’ai jamais croisé d’hommes aussi amers qu’à cette époque douloureuse où les paquebots rentraient au royaume pleins à craquer de gens rageurs et désespérés, avec, pour tout bagage, un baluchon à la main et une aigreur incurable au fond du cœur (…)” (pp. 234-235).

Extrait:

“Le premier ami qu’ils se firent à l’hôtel Apôtre des Indes dormait trois matelas plus loin, il s’appelait Diogo Cão, avait travaillé en Angola comme agent de la Compagnie des Eaux, et quand, l’après-midi, une fois que la mulâtresse était partie au bar, il venait s’asseoir avec le petit et moi sur les marches de l’hôtel pour regarder sur les voliges des toits la frénésie des tourterelles, il m’annonçait, d’une voix déjà incertaine, tout en buvant au goulot d’une bouteille cachée dans la doublure de son manteau, que trois cents, quatre cents ou cinq cents ans plus tôt, il avait commandé les vaisseaux de l’Infant tout au long de la côte africaine. Il m’expliquait la meilleure façon d’étouffer dans l’oeuf des mutineries de marins, de saler la viande et de naviguer à la bouline, et combien il était difficile de vivre en ces temps rudes de huitains épiques et de dieux en colère, et je faisais semblant de le croire pour ne pas froisser la susceptibilité de ses emportements d’ivrogne, jusqu’au jour où il a ouvert sa valise devant moi et où, sous les chemises, les gilets et les caleçons tachés de vomissures et de lie de vin, j’ai vu apparaître des cartes anciennes toutes moisies et un carnet de bord en lambeaux.” (pp. 82-83)

D'autres livres d'António Lobo Antunes, dans mon chapeau: "Exhortation aux crocodiles" et "N'entre pas si vite dans cette nuit noire"

29 mars 2010

"L'oeil du graveur sur la ville"

102Meryon et Canaletto,
Musée de Louvain-la-Neuve,
jusqu'au 18 avril 2010

Il y a aujourd'hui un risque d'ambiguïté à parler du musée de Louvain-la-Neuve, mais c'est que le musée de l'Université catholique de Louvain a longtemps été le seul musée de la plus jeune des villes belges - jusqu'à l'ouverture l'année dernière d'un concurrent bien plus médiatisé et dont la stratégie de communication, selon l'expression en vigueur, a de quoi laisser perplexe. Le nom de musée de Louvain-la-Neuve lui est donc resté et c'est très bien ainsi, car ses collections disparates, résultats de donations et de legs divers, sa disposition en patchwork dans des espaces devenus quelque peu exigus (un nouveau bâtiment est en projet, qui devrait être implanté sur les bords du lac) ne sont pas dénués de charme, quand ils ne réservent pas à leurs visiteurs de magnifiques surprises - ce qui est justement le cas de l'exposition actuellement consacrée à Charles Meryon et à Canaletto sous le titre "L'oeil du graveur sur la ville".

Nul besoin, sans doute, de présenter ici Giovanni Antonio Canal, plus connu sous le surnom de Canaletto, que ses célèbres vues de Venise ont fait passer à la postérité. Ce ne sont pourtant pas ces tableaux qui nous sont présentés ici, mais bien quelques unes des gravures que Canaletto avait réalisé sur les mêmes thèmes, en réponse à une commande d'un de ses principaux mécènes britanniques, le marchand et collectionneur Joseph Smith.

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Charles Meryon, La morgue (source: wikimedia commons)

Ces Vedute sont en outre placées en regard d'un choix de gravures de Charles Meryon. Ce fils illégitime d'un médecin anglais et d'une danseuse de cabaret parisienne s'étant consacré exclusivement à la gravure après avoir longuement roulé sa bosse un peu partout, et s'être découvert daltonien - ce qui lui interdit définitivement la pratique de la peinture -, révèle ici un sens étonnant de la lumière et de la profondeur. Ses vues parisiennes empreintes de raffinement et d'une belle vivacité feraient presque paraître plates par comparaison les Vedute de Canaletto. Ne manquez donc pas cette occasion de les découvrir, vous ne le regretterez pas!

Pour en savoir plus sur Charles Meryon, vous pouvez vous reporter aux fiches qui lui sont consacrées sur wikipedia, en Français, ou en Anglais (fiche bien plus complète). 

Présentation de l'exposition sur le site du musée.

28 mars 2010

Noir, amer, fondant en bouche...

"Le chemin des écoliers" de Marcel Aymé418X4T78SML__SL500_AA300_
4 étoiles

Gallimard/Folio, 2005, 253 pages, isbn 2070361438

Avec ce roman publié tout juste après la deuxième guerre mondiale, en 1946, Marcel Aymé délaisse les campagnes et les paysans madrés qui formaient l'univers de "La jument verte" au profit des petits bourgeois parisiens, et le second empire pour l'occupation allemande, sans rien rabattre de son impertinence ni de sa sensualité piquante, sans renoncer surtout à pourfendre l'hypocrisie ambiante dès que l'occasion s'en présente. Et pourtant, il est bien difficile de croire que "le chemin des écoliers" est né de la même plume que "La jument verte" tant ces deux livres sont différents, tant le premier, en somme, offre à foison ce dont la seconde manquait à mes yeux cruellement: des personnages terriblement humains et un vrai regard de bonne grosse tendresse pour leurs innombrables défauts et manquements.

Car bien sûr, tout émoustillés par les longues jambes de Solange, leur secrétaire, les (anti-)héros de Marcel Aymé ne sont pas exactement des maris fidèles. Ils sont gourmands, fricotent tant et plus au marché noir – les temps sont durs et il faut bien vivre. Ils préfèrent tant que c'est possible reporter à plus tard l'achat d'une nouvelle paire de chaussures pour le fiston afin de pouvoir payer leurs cigarettes et ne sont que trop enclins à engouffrer au petit-déjeuner bien plus que leurs trois tartines beurrées réglementaires. Mais au fond, Michaud et Lolivier, son ami et associé de la S.G.I. ou Société de Gérance des fortunes Immobilières de Paris, ne sont pas des mauvais bougres. Ils sont même pleins de bonnes intentions, et de la bonne grosse tendresse, il y en tant dans leurs rapports qu'elle envahit jusqu'à leurs engueulades les plus sonores.

Au travers de la vie familiale et professionnelle de nos deux bonshommes, Marcel Aymé nous invite à la découverte de tout un petit monde grouillant de vie dans le Paris de l'occupation. On y croisera tour à tour soldats occupants et patriotes convaincus, cocottes et petits collabos, rapaces ou antisémites qui s'ignorent plus ou moins, autant de seconds rôles dont le destin nous est révélé en des notes de bas de pages souvent désopilantes alors même qu'elles apportent au "Chemin des écoliers" une incontestable touche de noirceur que vient encore renforcer le récit des penchants sadiques du fils Lolivier...

Tendre à faire fondre et pourtant bien sombre, voici un livre comme une tablette de chocolat: noir, amer, fondant en bouche... Et ça, franchement, ça me plaît bien. Voilà donc que je ne suis plus tout à fait fâchée avec Mr Aymé ;-), auteur des mois de décembre 2009 et janvier 2010 sur Lecture/Ecriture.

25 mars 2010

Des nouvelles de Glasthule

"Les Bons Chrétiens" de Joseph O’Connor51exrFuEobL__SL500_AA240_
4 ½ étoiles

Phébus/Libretto, 2010, 237 pages, isbn 9782752904331

(traduit de l’Anglais par Pierrick Masquart et Gérard Meudal)

Outre un lever de rideau à Belfast et quelques détours londoniens, l’essentiel des treize nouvelles rassemblées ici nous entraînent à Glasthule, modeste banlieue de Dublin, pour y partager les drames, les chagrins et les insatisfactions de gens ordinaires. "Taxi Blues" nous livre ainsi le récit tout simple de la très mauvaise journée d’un chauffeur de taxi. Le jeune garçon narrateur de la nouvelle qui donne son titre au recueil devient quant à lui le témoin de la séparation de ses parents, puis de la mort solitaire d’une vieille femme qu’il avait l’habitude de rencontrer tous les dimanches à l’église, tandis que le héros de "La liberté de la presse" dont l’épouse vient de mourir dans un accident de train est bouleversé de découvrir que sa compagne de toute une vie lisait ce jour-là le Daily Sentinel et non le Telegraph dont il pensait que c’était son journal habituel: "Je veux dire, imaginez un peu: avoir connu quelqu’un pendant toutes ces années. Avoir affronté tant de choses ensemble, tout ce qu’on a pu affronter, et ne même pas avoir deviné ce petit faible pour le Daily Sentinel, de temps en temps, comme s’il y avait du mal à cela. Ça vous en dit long – comme on se connaît peu, je veux dire." (pp. 193-194)

Dès la toute première de ces nouvelles - "Les collines aux aguets", récit de la liaison homosexuelle entre Danny Sullivan, militant de l’IRA, et Henry Woods, un soldat britannique -, le ton est donné. Aucun sujet n’est trop difficile pour Joseph O’Connor. Et tous sont traités avec autant d’humanité que de sobriété et de justesse. Que ce soit l’obsession malsaine d’un homme pour sa voisine du rez-de-chaussée dont il a pris l’habitude de voler le courrier ("Ailsa"), obsession qui devient par la bande le révélateur des frustrations que lui laisse son propre couple. Ou encore, dans "Les mères sont toutes les mêmes", le récit par un jeune Irlandais débarquant pour la première fois à Londres pour y chercher du travail, de sa rencontre avec l’une de ses compatriotes venue de toute évidence en Angleterre pour s’y faire avorter, récit qui tire sa force peu commune du fait que son narrateur ne comprend rien de rien à ce qui se passe…

Chacune des treize nouvelles rassemblées dans ce recueil mériterait sans doute d’être évoquée plus en détails ici car toutes sont de très grande qualité. Et je ne peux me défendre d’être très impressionnée, vraiment, à l’idée que ces textes comptent parmi les tous premiers publiés par Joseph O’Connor au début des années 1990. Voilà donc un auteur à suivre et auquel je reviendrai assurément dans un proche avenir !

Extrait :

"La deuxième mission fut l’expédition punitive. En se rendant au parc, la fois suivante, il repensait à la conversation qu’il avait eue. Il se rappelait la tache de sang qui s’étendait sur le sol. Il se rappelait le visage implorant et terrifié du revendeur de drogue. Il se souvenait du son mat que faisaient les os lorsqu’on les brisait. C’était la première fois qu’il brisait un genou. Mais ils n’avaient pas utilisé de pistolet. Ils avaient pris des blocs de ciment pour fracasser les jambes de leur victime. C’était absurde. Dans les autres pays on se souvient de son premier jour d’école, de sa première visite chez le dentiste à la rigueur, de son premier baiser.
- Mais putain, qu’est-ce que l’Irlande a à foutre de moi ? avait ensuite demandé Danny Sullivan."
(pp. 28-29)

D'autres livres de Jospeh O'Connor sont présentés sur Lecture/Ecriture.

23 mars 2010

L'habitat suédois au fil des âges - Carnet de Stockholm (15)

44448632"Skansen",
Djurgården, Stockholm

Visiter Skansen par un beau dimanche ensoleillé de septembre, c'est s'exposer à entrer à tout moment en collision avec une petite tête blonde dissimulée derrière une énorme barbe à papa ou un cornet de glace dégoulinant. Car par un beau dimanche de fin d'été, Skansen est un lieu de sortie privilégié des familles suédoises, mélange d'excursion éducative (un peu) et de kermesse populaire (beaucoup).

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Maisonnette provenant du quartier de Södermalm, Parc de Skansen, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

Mais les touristes de passage à Stockholm y trouveront aussi, sans quitter la ville, un avant-goût de la campagne suédoise, de ses fermes traditionnelles et de ses petites églises en bois. Car le parc de Skansen, fondé en 1891 par Artur Hazelius, est avant tout un musée en plein air s'attachant à retracer cinq siècles d'histoire de l'habitat suédois en préservant pour les générations futures des écoles, des fermes, des ateliers d'artisans, bref des maisons des plus modestes (telle cette maisonnette au toit gazonné que l'on pouvait trouver dès le début du XVIIIème siècle et jusque dans les années 1920 dans le faubourg de Södermalm) aux plus prestigieuses et chargées d'histoire, à l'exemple de ce pavillon ornant le jardin du philosophe et théologien Emmanuel Swedenborg qui s'y installait pour écrire pendant les beaux jours.

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Pavillon d'Emmanuel Swedenborg, Parc de Skansen, Stockholm (Cliché Fée Carabine)

Le site du musée de Skansen.

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