Entre bonheur et frustration
"Une Habanera à Paris" de Zoé Valdés
4 ½ étoiles
Gallimard/Du monde entier, 2005, 111 pages, isbn 2070773434
(traduit de l’Espagnol par Claude Bleton)
Si elle est surtout connue chez nous comme romancière, Zoé Valdés était bel et bien entrée en littérature par le biais de la poésie et d’un premier volume, "Repuestas para vivir", publié à Cuba en 1986. Mais son oeuvre poétique est – et c’est malheureux – peu traduite en Français, à l’exception d’une anthologie ("Les poèmes de La Havane", Antonio Soriano, 1997) et d’un unique recueil traduit dans son intégralité ("Compartiment fumeurs", Actes Sud, 1999).
Rassemblant des textes tirés de cinq recueils datés entre 1986 et 2002 ("Repuestas para vivir", "Todo para una sombra", "Vagón para fumadores", "Cuerdas para el lince" et "Breve beso de la espera"), "Une Habanera à Paris" vient donc combler une véritable lacune, et me laisse, en bout de course, partagée entre bonheur et frustration.
Bonheur car j’ai retrouvé dans ces poèmes de Zoé Valdés tout ce que ses romans (comme "La douleur du dollar" ou "Café Nostalgia"...) offrent de meilleur: un univers bouillonnant où le tragique se mêle à la joie, et le plaisir à la douleur. J’ai retrouvé une écriture sensuelle, puissamment évocatrice, crue parfois mais toujours intensément vivante. Et frustration, bien sûr à l’idée de ne pouvoir savourer ici qu’une petite partie d’une oeuvre poétique qui a tout pour transporter ses lecteurs. Des textes brefs et encore assez classiques de "Repuestas para vivir" aux formes plus longues et libres qui s’imposent dans "Vagón para fumadores", on peut certes se risquer à deviner une évolution, tout comme l’on peut apprécier la place que l’Europe prend petit à petit, aux côtés de Cuba, au fil de très beaux textes inspirés par Arthur Rimbaud, Egon Schiele ou Paris dans les recueils les plus récents. Mais on en est réduit, vraiment, aux conjectures, à la curiosité et à la gourmandise face à une oeuvre qui échappe hélas encore largement aux lecteurs francophones. Chers éditeurs, à quand donc une traduction exhaustive de la poésie de Zoé Valdés ?
Extrait:
Pas même rien
Ecoute il ne nous reste rien
Pas même ces bruits
Effrayants d’antan
Toi l’assassin de l’audace
Tu aurais dû explorer mon visage
Bien que j’aie tout effacé
Les traces de la soif
L’excès des vérités
Ecoute il ne reste rien
Pas même ce silence
De début de siècle
J’ai même effacé la nuit
Remplacée par une nuit plus durable
Par la douleur et le sang
C’est devenu une habitude
Même si personne ne pense à la douleur
Même si personne n’a l’audace de saigner
Ou presque de réfléchir à la mort
Ecoute il ne reste rien
Et rien de nous. (p. 91)
D'autres extraits de "Une Habanera à Paris", dans mon chapeau: "L'enfance était du pain chaud" et "Femmes des années folles".
Zoé Valdés était l'auteur des mois d'octobre et novembre 2009 sur Lecture/Ecriture.
D'autres livres de Zoé Valdés, dans mon chapeau: "Soleil en solde", "L'éternité de l'instant", "Café Nostalgia" et "Danse avec la vie"