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Dans mon chapeau...
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1 avril 2009

Ces deuils que l’on ne fait jamais vraiment

"Un week-end dans le Michigan (Frank Bascombe, I)" de Richard Ford Un_week_end_dans_le_Michigan
4 ½ étoiles

Points, 2002, 491 pages, isbn 9782020564892

(traduit de l’Anglais par Brice Matthieussent)

Première rencontre avec l'oeuvre de Richard Ford, le nouvel auteur du mois de Lecture/Ecriture. Et première rencontre avec Frank Bascombe, héros récurrent de trois de ses romans, tous situés à Haddam, confortable banlieue résidentielle du New Jersey. Sans l'avoir du tout planifié, Richard Ford a en effet retrouvé Frank Bascombe dans "Indépendance" puis dans "L'Etat des lieux", qui forment donc avec "Un week-end dans le Michigan" une sorte de trilogie que je prévois de continuer à explorer dans les prochaines semaines...

Après une carrière d’écrivain avortée – un recueil de nouvelles publié et un roman abandonné à mi-parcours -, Frank Bascombe est devenu journaliste pour un magazine sportif new yorkais. Père de trois enfants – dont l’aîné, Ralph, est mort quatre ans plus tôt des suites du syndrome de Reye* -, il est séparé de leur mère avec laquelle il est resté en assez bons termes et il fréquente depuis quelques mois une infirmière, elle aussi divorcée, Vicki Arcenault. "Un week end dans le Michigan" est, entre autres choses, le récit du premier week end qu’il passe avec cette dernière, à Detroit, en profitant du congé pascal: un petit voyage romantique qui a pour eux – et pour le couple qu’ils formeront peut-être, ou peut-être pas - valeur de test. Un voyage et des rencontres qui fournissent aussi à Richard Ford un prétexte pour évoquer la vie des banlieues de la middle class américaine, leur confort matériel et bien sûr ce qui se cache sous leur vernis brillant. Et c’est justement par là que ce "week-end dans le Michigan" se révèle un roman à la fois profondément original et passionnant. Car s’il gratte bien la peinture pour aller voir ce qu’il y a dessous, Richard Ford n’emprunte pas les mêmes chemins que certains de ses confrères. Et il ne se rend pas là où le lecteur l’attendait au tournant.

Pas question ici d’une grande charge vitriolée contre le matérialisme effréné des banlieues middle class, à la façon de l’"American Beauty" de Sam Mendes. Si matérialiste et vaine qu’elle puisse paraître, cette vie est parée aux yeux de Frank Bascombe de nombreux bienfaits dont le moindre n’est certainement pas de lui permettre de passer un jour de plus, puis un autre, et de continuer à vivre, dans le confort rassurant de son traintrain routinier, puisque selon ses termes: "Un sens aigu du rituel rend parfois la vie supportable, alors qu’on pourrait être bien tenté de se flinguer." (p. 50) - piètre parade, certes, et qui ne marche pas tout le temps, ni pour tout le monde, mais qui vaut mieux que rien du tout... 

Et qu’on ne s’y trompe pas, le regard que Richard Ford pose ici sur la vie tranquille de son héros n’a rien de superficiel car c’est bel et bien un gouffre que l’on découvre sous le vernis : celui qu’a ouvert dans la vie de Frank Bascombe l’expérience primordiale et inéluctable de la mort et du deuil, un gouffre auquel Frank tente vaille que vaille de faire face du mieux qu’il peut.

L’expérience est si largement partagée et si universelle qu’on ne peut pas ne pas se sentir concerné par l’histoire de Frank Bascombe, par le chagrin qui ne l’a pas lâché depuis la mort de son fils et auquel d’innombrables signes ne cessent de le ramener, du suicide d’un de ses amis au simple déroulement d’une conversation avec sa compagne de voyage: "dans le récit de Vicki, je me retrouve confronté aux émotions crues d’une mort réelle, et, tandis que je roule sur la bretelle de l’autoroute, je ressens la même chose que lors du matin que je viens d’évoquer [NDFC: celui de la mort de Ralph]: un deuil immense, et la crainte d’une dépossession plus grande encore." (p. 86)

Bref, c’est là une expérience essentielle que Richard Ford aborde avec tant d’humanité, en donnant tant d’épaisseur et de vérité à son héros, qu’on ne peut tout simplement pas lâcher "Un week end dans le Michigan" avant d’en avoir tourné la dernière page. Ce livre vous captivera de bout en bout, même si, comme moi, la seule évocation du mot sport vous fait baîller d’ennui et si la profession du héros vous inciterait – bien à tort – à prendre la fuite…

Extrait :

"Loin au-delà de Grand River, je suis frappé par ce qui ressemble à des milliers de restaurants et par l’attachement de cette population pour ces lieux publics. Tout autant que les voitures, les repas constituent l’obsession la plus commune. Mais ces endroits ont chacun leur modeste part de gloire revigorante – grills, gargotes, tavernes, restaurants, cafés, tous de bonne qualité. Une partie de l’essence de l’existence se trouve là. Et par une maussade soirée printanière, un détour rapide vers l’un d’eux suffit parfois à rendre l’affreuse solitude supportable un soir de plus. Pour l’essentiel, je vous l’assure, le Michigan sait exactement ce qu’il fait. Il connaît l’ennemi et sait parer à ses attaques surprises." (pp. 199-200)

* Cette affection rare, qui se déclenche généralement chez les enfants et les adolescents à la suite d’une infection virale (grippe, varicelle…) touche le système nerveux et le foie, et peut encore souvent se révéler mortelle surtout si elle n’est pas diagnostiquée rapidement.

D'autres livres de Richard Ford, dans mon chapeau: "Indépendance (Frank Bascombe, II)" et "L'état des lieux (Frank Bascombe, III)"

Richard Ford était l'auteur des mois de février et mars 2009 sur Lecture/Ecriture.

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Commentaires
F
Merci, Nymphette :-)! Et bienvenue!
L
J'ai lu ce roman il y a six mois environ. J'avais bien aimé le personnage et surtout la plume de R FORD. Comme tu le dis si bien sa peinture des banlieues américaines est originale car teinté de tendresse pour ces gens qui prennent la vie par le bon bout. J'aime beaucoup ta critique!
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