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Dans mon chapeau...
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5 avril 2010

Un roman d'un nouveau genre

"Le dernier samouraï" d'Helen Dewitt41DLNj19lzL__SL500_AA300_
4 étoiles

Robert Laffont/Pavillons poche, 2009, 607 pages, isbn 0786866683

(traduit de l'Anglais par Pierre Guglielmina)

Sibylla est issue d'une famille de surdoués: comme ses parents, elle est excessivement brillante, et comme eux inadaptée à la vie dans nos sociétés si bien formatées. Et comme ses parents, elle vivote d'un travail bien en-deça de ses possibilités qui suffit à peine à les faire vivre, elle et son fils Ludo: un boulot de dactylo payée à la page qui couvre leur loyer mais pas toujours le chauffage les envoyant tous deux se dégeler dans la touffeur d'une rame du métro londonien, tournant en boucle sur la Circle Line, où les activités du gamin – à cinq ans, il lit déjà l'Odyssée dans le texte original et s'est mis en tête d'apprendre le Japonais – ne vont pas sans susciter d'abondants commentaires, pour ou contre, de la part des autres usagers.

Ludo ne connaît pas son père, dont Sibylla refuse obstinément de lui révéler le nom, lui proposant en lieu et place de figure paternelle les héros du film d'Akira Kurosawa "Les sept samouraïs". Mais ce subterfuge ne fait qu'un temps, et le fil rouge de ce roman si original est bel et bien la quête de Ludo pour se trouver un père, une quête qui l'amène à envisager successivement plusieurs candidats, chacun à sa manière brillant et pourtant perdu, paumé, manquant bizarrement d'un quelque chose d'indéfinissable.

L'extraordinaire galerie de personnages qui défilent dans ce "dernier samouraï" ne cesse de surprendre, mais pas autant que le texte lui-même. Littéralement truffé de références, de petits bouts d'un peu de tout mais pas de n'importe quoi, de l'Harmonielehre d'Arnold Schoenberg, de pages entières tirées de grammaires grecques ou japonaises, de récits de voyage chez les Inuits ou au coeur de Bornéo, il se boit pourtant comme du petit lait, composant un roman captivant mais qui semble aussi répondre au questionnement de Sibylla sur l'art: "Si vous dites que dans un livre les Italiens doivent parler italien parce que dans le monde réel ils parlent italien et que les Chinois devraient parler chinois parce que les Chinois parlent chinois, vous avez une conception plutôt naïve d'une oeuvre d'art; c'est comme si vous pensiez voici la seule façon de peindre: le ciel est bleu. Je vais peindre le ciel en bleu. Le soleil est jaune. Je vais peindre le soleil en jaune. L'arbre est vert. Je vais peindre l'arbre en vert. Et de quelle couleur est le tronc? Brun. Alors quelle couleur utilisez-vous? Ridicule. Même en laissant de côté la peinture abstraite, il est plus véridique de dire qu'un peintre pense à la surface qu'il veut sur la toile, au type de lumière et de lignes, aux relations des couleurs, et qu'il est attiré par le fait de peindre des objets qui pourraient être représentés avec ces propriétés. De la même façon, un compositeur ne pense pas pour l'essentiel qu'il voudrait imiter tel ou tel son – il pense qu'il veut la tessiture d'un piano avec un violon, ou d'un piano avec un violoncelle, ou quatre instruments à cordes ou six, ou encore un orchestre symphonique; il pense aux relations entre les mots." (pp. 77-78)

"Le dernier samouraï" apparaît donc comme le prototype-même du roman rêvé par son héroïne - "(...) tout l'après-midi je n'ai cessé d'entendre dans ma tête des fragments de livres qui pourraient exister dans trois ou quatre cents ans. Il y en avait un avec des personnages du nom de Hakkinen, Hintikka et Yu - situé provisoirement à Helsinki - avec en toile de fond de la neige et des masses de sapins noirs, un ciel noir & des étoiles scintillantes, une narration ou peut-être un dialogue avec nominatif génitif partitif essif inessif adessif illatif abaltif allatif & translatif, des gens diraient Hyvää päivää pour bonjour il y aurait un accident de voiture de sorte que le mot tieliikenneonnettomuus pourrait faire son apparition, puis dans l'esprit de Yu des caractères chinois, qui correspondraient à Sapin Noir Neige Blanche, c'était absolument magnifique." (pp. 78-79). Un roman composé comme une symphonie en fonction des rapports entre les mots, les images et les sonorités qu'ils suggèrent. Un roman pourtant bien du goût des lecteurs d'aujourd'hui, dont les six cents pages se dévorent d'une traite. Un roman étonnant de bout en bout.

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