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Dans mon chapeau...
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18 octobre 2008

De mots et de pénombre

"Une histoire d'amour et de ténèbres" d'Amos Oz

4 étoiles41FHGCVT3EL__SL500_AA240_

Gallimard/Folio, 2005, 853 pages, isbn 9782070318551

(traduit de l'Hébreu par Sylvie Cohen)

Amos Oz était l'auteur des mois d'août et septembre 2008 sur Lecture/Ecriture. Pour moi, c'était une découverte complète, que j'ai entamée avec ce livre monumental (plus de 850 pages). Et à la réflexion, je me dis que ce n'était pas une très bonne idée de commencer justement par ce livre-ci, qui ne prend tout son sens qu'à la lumière d'une oeuvre romanesque qu'il vient à son tour éclairer... Un livre sans aucun doute indispensable à une connaissance en profondeur de l'oeuvre d'Amos Oz, mais qu'il vaut mieux lire plus tard au fil de l'exploration de cette oeuvre.

Ni roman - ce n'est pas une oeuvre de fiction -, ni autobiographie car l'auteur y parle finalement fort peu de lui-même, "Une histoire d'amour et de ténèbres" est un livre inclassable. C'est le récit, touffu et foisonnant, d'une quête des origines qui suit bien des méandres, emprunte bien des détours, s'égare à plusieurs reprises en autant d'atermoiements de l'auteur pour éviter - mais en vain, puisqu'il s'y résoudra finalement à la page 843 - d'avoir à écrire la mort de sa mère, d'une overdose de somnifères, alors qu'il avait douze ans.

"Une histoire d'amour et de ténèbres" est peut-être la trace de la tentative d'Amos Oz pour comprendre le geste de sa mère, comprendre qui elle était, qui était son père et l'échec sans drame, sans un haussement de voix, de leur mariage. C'est un livre qui se perd à tenter l'impossible: raviver les souvenirs, replonger dans la pénombre du minuscule appartement de Kerem Avraham et mettre le doigt sur les signes qui avaient échappé à l'enfant d'autrefois sans la liberté qu'offre la fiction de "donner une seconde chance à ce qui n'en avait et ne pouvait en avoir" (p. 48), percer le secret d'un couple qui n'extériorisait guère ses sentiments même s'il maniait les mots avec la virtuosité et la justesse que seule peut conférer la passion du langage. Une passion des mots que les parents d'Amos Oz ont transmise à leur fils: s'il y a une passion, un amour, dans ce livre, c'est bien celui-là, l'amour des mots, de leur flux, de leur respiration, de l'art de les sertir dans une phrase et de l'espace qu'il faut savoir leur laisser... Et s'il y a un fil conducteur dans ce livre, c'est aussi celui des mots, guidant l'auteur vers ce qu'il ne se sait pas savoir, vers un dénouement et une révélation qu'il découvre en même temps que son lecteur:"Je comprenais enfin d'où je venais: d'un morne écheveau de chagrin et de faux-semblants, de nostalgie, d'absurde, de misère et de suffisance provinciale, d'éducation sentimentale et d'idéaux anachroniques, de peurs rentrées, de résignation et de désespoir. Un désespoir du genre acerbe, domestique où de minables imposteurs se prenaient pour de dangereux terroristes et d'héroïques défenseurs de la liberté (...)" (p. 787)

C'est un livre étonnant: pas vraiment une réussite, ou plutôt pas exactement ce que l'on a l'habitude d'associer à la notion de réussite. Un livre beaucoup trop long, et répétitif à un point irritant: on y retrouve à plusieurs reprises des phrases entières, presque sans variation, les mêmes personnages nous sont présentés, puis re-présentés 200 pages plus loin, presque dans les mêmes termes. Peut-être que l'âge venant, et la mémoire se débinant en proportion, je deviendrai plus indulgente à cet égard. Mais en attendant j'ai trouvé ce travers franchement irritant: je ne vois pas d'autres mots. Et pourtant, le temps passant depuis que j'ai tourné la dernière page d' "Une histoire d'amour et de ténèbres", et à mesure que l'image que je conserve de ce livre se modifie, ce sentiment d'irritation s'estompe pour céder la place à l'admiration devant les subtiles nuances de gris qui s'y déploient. Amos Oz a su développer une palette d'une infinie richesse - avec si peu de couleurs - pour nous dépeindre la vie d'un milieu à la fois provincial et cosmopolite, étriqué et curieux du monde... Si bien qu'à la fin - et cela ne s'explique pas - ce qui fait qu' "Une histoire d'amour et de ténèbres" n'est pas un livre réussi est exactement ce pour quoi il faut le lire.

Extrait:

"Tous deux avaient débarqué à Jérusalem directement du XIXème siècle: papa avait été nourri à un romantisme national, théâtral, sanguinaire et belliqueux (le printemps des peuples, Sturm und Drang) et, sur ces sommets de massepain, giclait, pareil à un flot de champagne, quelque chose de la frénésie virile de Nietzsche. Ma mère, elle vivait un romantisme d'un autre type, un mélange d'introversion, de mélancolie, de solitude sur le mode mineur, imprégné de la souffrance poignante et sensible des solitaires, dans les parfums d'automne affadis d'une décadence «fin de siècle»." (p. 419)

D'autres extraits: ici et là.

D'autres livres d'Amos Oz, dans mon chapeau: "Les voix d'Israël", "Mon Michaël", "Scènes de vie villageoise" et "Un juste repos"

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