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Dans mon chapeau...
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7 novembre 2010

Le malaise identitaire d’une génération

"Un juste repos" d’Amos Ozun_juste_repos20100424
4 étoiles

Gallimard/Folio, 2007, 465 pages, isbn 9782070389346

(traduit de l’Hébreu par Guy Seniak)

"Un juste repos", ou plutôt leur juste place, c’est ce que recherchent tout aussi bien Jonathan Lifschitz ou Azaria Guitline, fut-ce par des voies diamétralement opposées. Car, alors que Jonathan n’a de cesse de quitter le kibboutz où il est né, et de partir sans se retourner laissant derrière lui ses parents et son épouse Rimona, Azaria, lui, aussi épouvantable bavard que Jonathan n’était taiseux – un trait de caractère qu’Amos Oz nous restitue de manière criante de vérité, non sans flirter avec l’insupportable ;-) -, n’a de cesse de se faire admettre parmi les membres de ce même kibboutz et de cette famille qu’il a choisie pour sienne.

Mais s’il croise ici les destinées contraires de ces deux hommes, avec en toile de fond un tableau doucement ironique de la vie d’un kibboutz, de ses rivalités rentrées, ses cancans et médisances, Amos Oz dépeint plus sûrement encore dans "Un juste repos" le malaise d’une génération qui est en fait la sienne, la deuxième génération de colons juifs en Palestine, la deuxième génération de citoyens israéliens qui ne se reconnait plus dans les aspirations, les combats et le mode de vie que ses aînés lui avaient inculqués depuis son plus jeune âge, ainsi que le constate Jonathan: "Ses principes et ses convictions s’effaçaient, laissant la place à une terrible douleur. Une douleur semblable au hurlement perçant des sirènes et qui, même quand elle faiblissait – pendant sa journée de travail ou ses parties d’échecs – lui vrillait encore le ventre, la poitrine, la gorge." (pp. 23-24)

Au travers des soubresauts que connaissent les vies de Jonathan, d’Azaria et de leur entourage – qu’ils relèvent de leur intimité ou d’une situation politique tendue, marquée d’ailleurs par le déroulement de la guerre des six jours -, c’est donc un véritable mal être qui se fait jour au fil des pages d’"Un juste repos", en même temps qu’un cheminement – peut-être - vers l’apaisement. C’est une aventure humaine, en somme l'une des mieux partagées au monde, dont Amos Oz recrée ici tous les méandres sans rien omettre de sa complexité, de ses hésitations, ni de ses tâtonnements, y dégageant la matière d'un roman subtil et juste qui, s’il ne vous séduira sans doute pas d’un bout à l’autre – Ah, les épouvantables logorrhées d’Azaria! – continuera néanmoins à distiller ses richesses longtemps encore après que vous en ayez tourné la dernière page.

Extraits:

"Et toi, tu vas changer totalement d’existence, tourner une nouvelle page. Tu seras libre. Et ce monde que tu abandonneras continuera à vivre, sans toi: une foule d’objets personnels qui te seraient inutiles là où tu iras, des proches qui se sont toujours conduits à ton égard comme si tu leur appartenais – simple outil entre leurs mains pour la réalisation d’un idéal qui te demeure incompréhensible; des odeurs que tu as appris à aimer, le journal des sports que tu as l’habitude de lire de la première à la dernière ligne. En voilà assez. Abandonne cette vie à elle-même! Il ne t’est plus possible de faire encore et toujours des concessions. Tu dois enfin ne dépendre que de toi, car tu n’appartiens qu’à toi." (p. 33)

"Pour moi, je n’ai pas honte de l’écrire, qu’ai-je à faire d’une vision, d’une envergure? Ma vie s’est déroulée ici au rythme d’une fanfare martiale comme si la mer, la montagne, les étoiles n’existaient pas, comme si l’on avait réussi à bannir définitivement de ce monde la souffrance, la vieillesse et la mort et que l’univers entier ne fût plus que le théâtre d’affrontements idéologiques entre factions rivales. J’ai depuis longtemps renoncé à engager Julek et sa vieille garde à faire preuve d’un peu de compassion. De la compassion, voilà ce qui me reste après leurs glorieuses marches. Nous en avons tous besoin car sans cela l’envergure et la vision risquent de se nourrir de chair humaine." (p. 288)

D'autres livres d'Amos Oz, dans mon chapeau: "Une histoire d'amour et de ténèbres", "Les voix d'Israël", "Mon Michaël" et "Scènes de vie villageoise".

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture.

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