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Dans mon chapeau...
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8 juin 2010

Un drame de la jalousie?

"Un soupçon légitime" de Stefan Zweig51MQT6xiCnL__SL500_AA300_
4 étoiles

Grasset, 2009, 140 pages, isbn 9782246756118

(traduit de l'Allemand par Baptiste Touverey)

Cette longue nouvelle – ou court roman -, située dans les environs de Bath où Stefan Zweig lui-même s'était installé en 1939, avant son départ pour le Brésil, doit sans doute beaucoup de son charme à ce cadre champêtre, ainsi qu'à la voix si particulière – flegmatique, attentive, bienveillante et pourtant très critique - de sa narratrice. A l'entrée dans l'âge mûr, cette dernière et son mari se sont fixés dans ce coin tranquille, espérant y jouir d'une vieillesse paisible. Mais c'était compter sans leurs nouveaux voisins, les Limpley, un couple plus jeune, mais sans enfant. Ou pour mieux dire, c'était compter sans la phénoménale énergie de Mr Limpley et sa capacité tout aussi extraordinaire à épuiser son entourage. Aussi c'est à la satisfaction générale que ces particularités trouvèrent une exutoire lorsque le jeune couple adopta un chien, Ponto, pour lequel son maître se prit d'une véritable passion.

Gâté hors de toute mesure, Ponto devient très vite complètement imbuvable. Il ne serait en fait pas exagéré de le qualifier de tyrannique et malfaisant, son plus grand plaisir étant de faire tomber dans le canal tout proche les paniers de linges fraîchement lessivés... Mais tout bascule lorsque Mrs Limpley se retrouve enceinte alors qu'elle avait abandonné tout espoir d'avoir un enfant. Et le drame – selon toutes apparences, un drame de la jalousie – peut dès lors dérouler sa mécanique irrésistible.

De cet argument très simple, Stefan Zweig tire le meilleur parti possible en déployant tout au long du récit toute sa finesse d'observation et d'analyse. Et sans rivaliser avec les plus grands chefs-d'oeuvre de l'auteur, "Un soupçon légitime" se révèle un très beau texte, qui méritait largement d'être tiré de l'oubli où il végétait.

Extrait:

"Parce que son coeur chaleureux, qui débordait, et donnait l'impression d'exploser sans cesse de sentiment, le rendait altruiste, il s'imaginait que pour tout le monde l'altruisme allait de soi, et il fallait déployer des trésors de ruse pour se soustraire à son oppressante bonhomie. Il ne respectait ni le repos ni le sommeil de qui que ce soit, parce que, dans son trop-plein d'énergie, il était incapable d'imaginer qu'un autre pût être fatigué ou de mauvaise humeur, et on aurait secrètement souhaité assoupir, au moyen d'une injection quotidienne de bromure, cette vitalité magnifique, mais guère supportable, afin de la faire revenir à un niveau normal. Il m'arriva souvent de choquer mon mari en lui faisant remarquer que, lorsque Limpley était assis une heure chez nous – en réalité, il ne restait pas assis, mais n'arrêtait pas de se relever d'un bond pour parcourir en trombe la pièce de long en large -, d'instinct la fenêtre s'ouvrait toute seule, comme si l'espace avait été surchauffé par la présence de cet homme dynamique qui avait en lui quelque chose de barbare. Tant qu'on se trouvait en face de lui et qu'on regardait ses yeux clairs, bons et même débordants de bonté, il était impossible de lui vouloir du mal; ce n'était qu'après, à bout de force, qu'on éprouvait l'envie de le vouer à tous les diables." (pp. 19-20)

D'autres livres de Stefan Zweig, dans mon chapeau: "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme", "Le Monde d'hier", "Lettre d'une inconnue" et "Un mariage à Lyon"

Et d'autres encore, sur Lecture/Ecriture

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