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Dans mon chapeau...

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9 juillet 2010

"Il était une fois une petite fille…"

"Neiges de marbre" de Mohammed Dib41WT3WJJR0L__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Editions de la Différence/Minos, 2003, 221 pages, isbn 2729114939

Histoire d’un couple mixte - elle est du Nord, lui vient du Sud - qui se déchire après s’être aimé, renvoyant un homme à son exil et sa solitude, "Neiges de marbre" referme la boucle tracée par Mohammed Dib dans les deux premiers volets de sa trilogie nordique: le long poème du déracinement et de la lente dissolution d’une identité dans "Les Terrasses d’Orsol" et le récit d’une passion amoureuse nouée par-delà l’ordre social et les distances géographiques et culturelles dans "Le Sommeil d’Eve".

Mais plus encore que le récit de la fin d’un amour entre un homme et une femme, "Neiges de marbre" est le récit d’un amour entre un homme et sa fille - une toute petite fille encore et déjà un redoutable petit bout de femme -, qu’il ne voit que trop rarement: l’enfant est élevée par sa mère et sa grand-mère dans leur pays, la Finlande, où le père, étranger, ne peut séjourner, à chacune de ses visites, que pour un temps limité. Par-delà les barrières imposées par la différence de langue et les longues séparations, ce troisième volume de la trilogie nordique est donc avant tout une plongée dans l’intimité complice d’un père et de sa petite Lyyl (prononcez Lûûl) aux yeux d’ambre, les jeux qu’ils partagent, les fous rires, les contes qu’il lui lit ou ceux qu’il invente pour elle.

C’est un bijou de poésie, de fantaisie et d’inventivité, où même le cabas de la grand-mère se métamorphose en chapeau de prestidigitateur, "Du même cabas, à présent, la vieille dame extirpe trois livres, trois albums dont Lyyl ne se sépare jamais. Impossible de garantir ce qu’on peut voir apparaître de ce cabas: deux douzaines d’œufs, sait-on, un bouquet de roses, sait-on, un dragon crachant des flammes, la lune peut-être; une chose à la suite de l’autre ou toutes ensemble à tout moment et toutes aussi impossibles." (p. 13), laissant penser que Mohammed Dib a pu être, aussi, un merveilleux auteur de livres pour enfants. Et surtout, c’est un livre tout de pudeur et de tendresse retenue, sans la plus petite trace de mièvrerie: magnifique et bouleversant, tout simplement.

Extrait:

"Mais ce qu’on dit, ce qu’on fait, c’est toujours une histoire, ce qu’on voit, ce qu’on est, une histoire qui n’en finit pas de se raconter elle-même. Dans leurs va-et-vient, les hirondelles se font aiguilles et elles cousent toutes seules l’histoire, je veux dire sans aucune main pour les tenir. C’est comme ça. Elles cousent, elles cousent. Si bien qu’on ne sait pas quand elles vont s’arrêter. Peut-être pas avant des heures, une heure après l’autre pour faire un jour. Et peut-être qu’avec leur fil invisible elles cousent les feuilles aux arbres, les maisons aux maisons, les nuages au ciel, elles cousent le monde, elles en raccommodent les trous, c’est leur dentelle. En attendant, elles cousent et rient entre elles." (p. 38)

D'autres livres de Mohammed Dib, dans mon chapeau: "Les Terrasses d'Orsol", "Le Sommeil d'Eve" et "Le coeur insulaire"

Mohammed Dib était l'auteur des mois d'avril et mai 2010, sur Lecture/Ecriture.

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7 juillet 2010

"Une rose est une rose..."

"Une rose est une rose, mais de la rose d'Anacréon à la rose du Roman de la rose, de la rose des cathédrales aux bouquets de Renoir, s'expriment, s'excluent et se succèdent tous les points de vue possibles sur la rose et la vie."

Marguerite Yourcenar, "En pèlerin et en étranger", Gallimard, 1989, p. 168

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Dans le jardin d'Heythrop Park, Chipping Norton (Angleterre) (Cliché Fée Carabine)

6 juillet 2010

"Voilà le sens du mot «vengeance»"

"Julius Winsome" de Gerard Donovan5175ws7hdhL__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Seuil, 245 pages, isbn 9782020959131

(traduit de l’Anglais par Georges-Michel Sarotte)

Il n’y a sans doute pas d’homme plus paisible et solitaire que Julius Winsome. Engagés comme soldats lors des deux guerres mondiales, son grand-père et son père lui ont légué leur refus sans compromission de toute nouvelle violence – ainsi que le constate Julius: "Deux guerres mondiales ont détourné mon sang des armes à feu." (p. 38) – en même temps qu’un chalet isolé dans les forêts du Maine, dont les murs se doublent d’une bibliothèque de 3282 livres, et qu’un fusil qui avait jadis appartenu à un des meilleurs snipers des tranchées… Et la haine que les membres de la famille Winsome vouent à la violence n’a sans doute d’égal que leur amour des mots, des mots dont le père comme le fils ont mesuré à chaque jour de leur vie tout le poids de chair et de sens: "Nous avions vécu seuls tous les deux, car il ne s’était jamais remarié. Il disait qu’il était l’homme d’une seule femme, même si celle-ci était morte. Voilà comment j’ai appris le sens du mot «fidélité», comment envelopper de chair le terme nu et lui insuffler la vie." (p. 29)

Après la mort de son père, Julius Winsome est resté seul dans leur chalet, au milieu des livres et des arbres. Une femme est bien venue, un temps, partager sa solitude. Mais elle n'est pas restée. Depuis plusieurs années, Hobbes, son chien, est son unique et fidèle compagnon. Et lorsque celui-ci est massacré à bout portant par un chasseur, la vengeance de Julius – qui mesure tout le poids de ce mot-là comme de tous les autres -  tourne bien vite à la folie meurtrière: "La nuit m’a durci comme un bâton et m’a brandi contre le monde. J’étais un bâton menaçant l’univers. J’ai regardé ma main qui agrippait la crosse. J’étais le fusil. J’étais la balle, la cible, la signification d’un mot qui se dresse tout seul. Voilà le sens du mot «vengeance», même lorsqu’on le couche sur le papier." (p. 123)

Aucun mot, vraiment, n'est écrit à la légère dans ce récit âpre, noir et tragique où le déchaînement d'une violence impitoyable se mêle inextricablement à la sérénité des paysages du Maine et à la pureté de leur manteau de neige. C'est ce qui en fait toute l'âpreté, et toute la beauté.

Extrait:

"Le Maine, étoile blanche qui scintille à partir de novembre et domine un coin de ciel glacial. Seules les phrases courtes et les longues pensées peuvent survivre en ce lieu. Si vous n’êtes pas septentrional des pieds à la tête et habitué à passer de longs moments tout seul, ne vous aventurez plus alors dans cette contrée. Les distances s’effondrent, le temps vole en éclats. Les enfants inscrivent leur nom en patinant sur les lacs, des luges tirent des chiens devant elles. On combat l’hiver en lisant toute la nuit, tournant les pages cent fois plus vite que tournent les aiguilles, de petites roues en actionnant une plus grande pendant tous ces mois. Un hiver dure cinquante livres et vous fixe au silence tel un insecte épinglé, vos phrases se replient en un seul mot, le temps suspend son vol, midi ou minuit c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Chaque coup d’œil recontre de la neige. Chaque pas s’enfonce vers le nord. Voilà l’heure du Maine, l’heure blanche." (p. 89)

2 juillet 2010

Métaphysique du quotidien

"Dehors" de Bo Carpelan,312CFlyAAbL__SL500_AA300_
5 étoiles

Arfuyen, 2007, 163 pages, isbn 9782845901025

(traduit du Suédois par Pierre Grouix)

C'est sans doute mon grand coup de coeur poétique de l'année écoulée que ce recueil, un des jalons les plus récents dans la déjà longue carrière de l'auteur finlandais – mais d'expression suédoise - Bo Carpelan. Voici donc un livre que j'ai pris, dévoré, déposé, repris, re-déposé et à nouveau repris, lu et relu maintes et maintes fois depuis l'été dernier, ne l'abandonnant que pour y revenir dès que les circonstances lui redevenaient favorables. Et ce n'est certes pas parce que la poésie de Bo Carpelan s'y révèle d'un abord difficile ou rébarbatif, mais bien parce dans sa clarté et sa transparence mêmes, cette poésie est d'une telle richesse qu'elle exige de son lecteur une vraie disponibilité de coeur et d'esprit pour n'en rien laisser perdre.

Les intentions déclarées de Bo Carpelan – "Ce que je cherchais, c'était une poésie claire, simple, portant l'empreinte d'une expérience et, dans sa clarté, sujette à plusieurs interprétations", une poésie "apparemment simple mais forte des bonheurs et des échecs de toute une vie" (p. 10) – dévoilent en effet au fil des pages de "Dehors" toutes leurs possibilités. Sa poésie se nourrit de menus faits de notre quotidien à tous, d'images on-ne peut-plus simples et concrètes – l'eau qui s'échappe en tourbillonnant par la bonde d'un évier, les feuilles mortes saupoudrant la pelouse – mais on y lit tellement plus que ce qui est écrit, et avec une telle évidence, que je n'ai pu m'empêcher de la rapprocher à plusieurs reprises de la poésie tout aussi métaphysique mais tellement plus abstraite de Roberto Juarroz. Mais rien ne sert que je continue à discourir plus longuement à son sujet, alors qu'elle parle si bien d'elle-même...

Extrait:

"Om man kunde vara lika öppen som ett sommarrum
där vinden osedd går och hallonsnårens sträva doft
i värmen stiger upp mot svalors lek och barnens –
om man kunde nöja sig med gräset, dagens distraktion,
och leva lite, ta till vara det som händer obeaktat,
i ekens lövverk någonting som rör sig, en känsla
av skymning mellan träden som tidigt fanns där.
Att utan oro veta hur de glada timmarna försvinner,
hur barnen gömmer sig, moln dyker upp, en båt
stöts up på viken, du vid årorna och jag på aktertoften."

"Si l'on pouvait être aussi ouvert qu'une chambre d'été où le vent
file inaperçu et où le parfum rêche du fourré de framboises se dresse
dans la chaleur vers les jeux des hirondelles et des enfants –
si l'on pouvait se contenter d'herbe, la distraction du jour,
et vivre un peu, profiter de ce qui arrive sans crier gare.
Dans le feuillage du chêne, quelque chose bouge, un sentiment
crépusculaire entre les arbres qui se trouvaient là de bonne heure.
Savoir confiant comment les heures du bonheur disparaissent,
comment les enfants se cachent, les nuages font surface, un bateau
accoste sur le bord de la baie, toi tenant les rames, moi sur le banc de nage."

(pp. 84-85)

D'autres extraits de "Dehors", dans mon chapeau: "Un jardin, un jour en juin" et "L'envol de l'hirondelle"

1 juillet 2010

"L'auberge anglaise"

19347088_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20100319_023928"Unmade beds (London nights)" d'Alexis Dos Santos,
avec Déborah François et Fernando Tielve

Jeune cinéaste argentin installé à Londres, Alexis Dos Santos nous propose avec "Unmade beds" sa version toute personnelle - et beaucoup plus thrash - de l'auberge espagnole. Point de petit appartement propret mais un squat dans un ancien entrepôt. Point d'étudiants bobos sur les bords, aux plans de carrière bien tracés, mais des jeunes gens un peu paumés qui, comme Axl ou Véra, se cherchent un but, un père, un ami ou un amour, et qui, en attendant de les trouver, vivotent de petits boulots et sont prêts à tout - ou presque tout - expérimenter.

Ce scénario ne va pas sans longueur, ni une minceur qui confine par moments à l'inexistence. Mais la sincérité de l'auteur et de ses interprètes,- Déborah François et Fernando Tielve en tête - sauve finalement la mise de ce petit film brouillon, ébouriffé, imprévisible... et attachant, tout simplement.

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28 juin 2010

Un demi-siècle de cheminement intellectuel

"En pèlerin et en étranger" de Marguerite Yourcenar41JXMN1DWDL__SL500_AA300_
3 ½ étoiles

Gallimard, 1989, 265 pages, isbn 2070716708

Parcourant, de 1929 à 1987, plus d'un demi-siècle d'un cheminement intellectuel et traitant des sujets les plus divers, de l'oeuvre pictural de Poussin ("Une exposition Poussin à New York") ou d'Arnold Böcklin ("«L'Ile des Morts» de Böcklin"), à quelques impressions de Grèce et de Sicile ("Grèce et Sicile", une série de textes brefs à peu près contemporains des poèmes de "Feux" dont ils partagent l'atmosphère enfiévrée) ou à une critique d'un livre d'Anne Lindbergh, épouse du célèbre pionnier de l'aviation connu aussi pour ses sympathies pro-nazies ("Forces du passé et forces de l'avenir", article daté de 1940 où Marguerite Yourcenar témoigne d'un attachement sans faille aux valeurs démocratiques alors bien mises à mal par la montée en puissance des régimes fascistes), la vingtaine d'essais rassemblés ici sont à vrai dire très inégaux.

Aux côtés de pages magnifiques de sensibilité et d'intelligence consacrées à Virginia Woolf ("Une femme étincelante et timide") ou à Jorge Luis Borges ("Borges ou le voyant"), "Mozart à Salzbourg", "Ravenne ou le péché mortel" ou "Faust 1936" relèvent bien plutôt de ce que leur auteur elle-même devait qualifier, à des années de distance dans son discours de réception à l'académie française ("L'homme qui aimait les pierres"), de ces "quelques pages assez informes" ou encore d'"essai quelque peu hâtif" (p.181). Et l'on peine vraiment à reconnaître l'auteur des "Mémoires d'Hadrien" ou d'"Un homme obscur" dans la jeune femme qui écrivait, en 1929: "Ces gens d'autrefois eurent leurs peines; nous avons les nôtres; nourris de pensées toutes spéciales, pris dans l'écheveau des circonstances particulières, ils n'ont guère avec nous que la parenté viscérale des entrailles et du coeur; ils nous ressemblent surtout en cela qu'ils sont morts et que nous mourrons un jour; s'ils différaient de nous, nos problèmes nous suffisent sans nous charger des leurs; s'ils nous ressemblaient, nous n'avons que faire de portraits surannés de nous-mêmes." (p. 46) ou encore, "Il vient un jour où l'on se fatigue des voyages comme on s'est fatigué des livres, où l'on se lasse des vivants comme on s'est lassé des morts, Par un mouvement naturel qui n'a rien de beau, de rassurant aussi, on se détache de tout ce qu'on a connu, de tout ce qu'on a possédé (...)" (p. 54) ("L'Improvisation sur Innsbruck") tant celle-ci peut nous sembler lasse, désabusée ou même amère.

Mais quels que soient leurs qualités ou leurs défauts, tous les textes recueillis dans "En pèlerin et en étranger" ont le grand mérite de nous permettre de retracer les pas de Marguerite Yourcenar tout au long de sa vie d'adulte, dans ses contradictions et ses voltes-faces, dans sa cohérence et son inlassable exigence. Et cela seul suffirait à garantir leur intérêt...

Extrait:

[A propos de Virginia Woolf]

"Il faut se souvenir que son art est d'essence mystique, même si à ce mysticisme elle hésite à donner un nom. Le regard est plus important pour elle que l'objet contemplé, et dans ce va-et-vient du dedans au dehors qui constitue tous ses livres, les choses finissent par prendre l'aspect curieusement irritant d'appeaux tendus à la vie intérieure, de lacets où la méditation s'engage son cou frêle au risque de s'étrangler, de miroirs aux alouettes de l'âme. On peut se faire de l'univers une image bien différente de cet impressionnisme pathétique, mais il n'en est pas moins vrai que l'auteur de Vagues a su préserver, sous le flot multiforme, angoissant et léger des sensations, cette netteté limpide qui est l'équivalent formel de la sérénité. Ainsi, les rivières accueillent des choses une image toute superficielle et perpétuellement fuyante, qui ne trouble en rien la transparence de leurs profondeurs, ni la musique de leurs lentes coulées vers la mer." (p. 119)

Un autre livre de Marguerite Yourcenar, dans mon chapeau: "Un homme obscur" - "Une belle matinée"

Et d'autres livres encore, sur Lecture/Ecriture.

26 juin 2010

"Pastorale"

Tes yeux pensent: il fait éternel et doux.
Ta bouche tout en eau me salue et m'inonde.
Bouche vagabonde. Qui hésite.
Que couvre le silence.
Ne cesse de couler.

Quel message, cavalier?
Est-ce l'étoile?
Je te regarde et la regarde. Je crois en vous.
Gravissez la colline.
Cheminant par l'étendue. Ne cessez de venir et de repartir.
L'étoile est, nous le savons, dans sa secrète gloire.

Mohammed Dib, "Le coeur insulaire", Editions de la Différence/Clepsydre, 2000, p. 103

23 juin 2010

Inventaire historique

"Les mines de fer du pays gaumais" de Jean-Claude Delhez
3 étoiles
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Edité par Jean-Claude Delhez, 2004, 223 pages

Journaliste passionné par l’histoire de sa région à laquelle il a déjà consacré plusieurs ouvrages, Jean-Claude Delhez s’intéresse ici à une réalité quelque peu négligée, beaucoup moins étudiée en tout cas que les "usines à fer", celles des minières qui les alimentaient en matière première.

Pour l’essentiel, "Les mines de fer du pays gaumais" consiste donc en un inventaire des sites miniers d’une région qui offrait – notamment à Musson et Halanzy – de riches gisements de minette, ce minerai de fer phosphoreux qui fit la fortune de la Lorraine voisine, mais aussi d’autres variétés de minerais connues comme fer fort, tendre ou métis répondant ainsi à différents besoins et différents usages. S’appuyant dans un premier temps sur une enquête de terrain et sur les traces matérielles des anciennes exploitations (parfois de simples fosses ou tranchées), Jean-Claude Delhez a ensuite poursuivi ses recherches dans les archives souvent très laconiques, mais par contre des plus prolixes concernant les minières dont l’exploitation s’est poursuivie fort avant dans le courant du XXème siècle: les sites de Musson (fermé en 1971) et d’Halanzy (fermé en 1978), qui alimentèrent notamment – par chemin de fer - les hauts-fourneaux d’Ougrée, d’Espérance ou d’Athus. L’évocation de ces deux sites s’enrichit par ailleurs de témoignages de mineurs et de photographies qui en font une véritable tranche de vie, bien plus proche de nous et par là-même bien plus touchante que l’on ne pourrait le croire.

Ceci dit, cet inventaire constituant la seconde partie des "Mines de fer du pays gaumais" se prête sans doute mieux à une consultation ponctuelle qu’à une lecture d’une traite, qui, face à une longue litanie de litiges opposant les exploitants aux seigneurs ou aux communes ou les exploitants entre eux, pourrait laisser une impression de répétition un peu fastidieuse. Mais la première partie de l’ouvrage a l’immense mérite de proposer en guise d’introduction une présentation générale et assez claire des gîtes et des minerais ferrifères du Sud de la Belgique (et croyez-moi, cela n’avait rien d’évident !), ainsi qu’une évocation fort intéressante des conditions d’exploitation des minières au fil des âges, allant des obligations des exploitants au moment de la cessation d’activité (réhabiliter le site !) ou des tocages et autres dédommagements que ceux-ci devaient verser aux seigneurs ou aux communes.

19 juin 2010

Toute la vie d'une arrière-cour

MV5BNTE4MzAwMDM4MF5BMl5BanBnXkFtZTcwMjk1NzUxMQ____V1__SX99_SY140_"Fenêtre sur cour" d'Alfred Hitchcock,
avec James Stewart, Grace Kelly et Thelma Ritter

Immobilisé dans son minuscule appartement new yorkais par une jambe dans le plâtre, L.B. Jeffries, un photoreporter du genre baroudeur (incarné par James Stewart), se voit réduit à tuer le temps en observant les allées et venues de ses voisins. Intrigué par des mouvements inhabituels, il en vient à soupçonner l'un de ceux-ci d'avoir assassiné sa femme, puis de s'être débarrassé du corps.

Comme toujours, s'agissant d'un film d'Alfred Hichtcock, il serait dommage de trop parler de l'intrigue et de son enquête policière - impeccablement réglée, cela va de soi. Et du reste, "Fenêtre sur cour" est bien plus qu'un excellent film à suspense auquel on resterait scotché par le simple désir de connaître la fin de l'histoire. C'est bien sûr l'un des tout grands films d'Alfred Hitchcock qui y laisse libre cours à toute sa virtuosité dans l'art de l'omission - son art incomparable de manipuler le spectateur par ce qu'il ne lui montre pas... C'est tout autant une réflexion sur le voyeurisme auquel Jeffries n'est d'ailleurs pas le seul à se livrer, car sa petite amie Lisa (Grace Kelly) ou son infirmière (une savoureuse Thelma Ritter) se laissent elles aussi prendre au jeu, se prenant d'un intérêt passionné pour la vie grouillante de cette petite arrière-cour. Et il faut bien avouer que c'est à tout ce petit monde, aux peines de coeur de miss Lonelyheart ou à celles du compositeur qui occupe le studio d'artiste juste sous les toits, au remuant petit chien du couple du deuxième étage ou aux chorégraphies impromptues de miss Torso, que "Fenêtre sur cour" emprunte une bonne part de son intérêt inépuisable. Un film à voir et revoir sans modération!

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Les amants du capricorne", "Correspondant 17", "Mr and Mrs Smith", "Pas de printemps pour Marnie", "Sabotage", "Soupçons" et "Les trente-neuf marches"

18 juin 2010

Deux hommes et une femme, entre France et Finlande

"Le Sommeil d’Eve" de Mohammed Dib51TTM80EBZL__SL500_AA300_
4 étoiles

Editions de la Différence/Minos, 2002, 217 pages, isbn 2729114394

Deuxième étape de mes retrouvailles avec Mohammed Dib, auteur des mois d'avril et mai 2010 sur Lecture/Ecriture. Deuxième étape aussi de ma lecture de sa trilogie nordique...

Récit à deux voix d’une passion amoureuse – et d’ailleurs adultère - aux prises avec les obligations de la maternité et avec les lois implacables de la géographie et des différences culturelles, "Le Sommeil d’Eve" donne la parole tour à tour à chacun des deux amants: Faïna la Finlandaise et Solh l’Algérien. Ce deuxième volet de sa trilogie nordique offre donc à Mohammed Dib la possibilité de revenir, sur un mode sans doute plus facile d’accès, et certainement plus concret, sur quelques uns des thèmes abordés dans le premier volume de cette trilogie, "Les Terrasses d’Orsol": le déracinement bien sûr, dont nos héros installés en France font tous deux l’expérience, mais aussi l’incommunicabilité qui se manifeste à travers leurs deux récits, et leurs perceptions parfois contradictoires d’un même événement.

Mais parce qu’il est contraire à l’ordre, l’amour de Faïna et de Solh est aussi pour eux le temps d’une exploration de la part la plus sombre, animale, la part la plus sauvage de leur être: une exploration tout à la fois douloureuse et dangereuse, menant qux confins de la mélancolie la plus noire et de la dépression, et qui ouvre peut-être bien sur une voie sans issue, mais que Mohammed Dib pare ici de toute la poésie, tout le merveilleux inquiétant des rêves. Une exploration dont le seul fruit durable n’est peut-être rien d’autre que l’éclat d’une beauté inattendue, dans le sommeil de Faïna sous le regard de Solh: "Dans le sommeil, la beauté revient le mieux, le plus à soi, se montre le mieux, le plus à nu. L’état de veille lui est invariablement une torture. Ce n’est que dormant du sommeil d’Eve qu’elle s’abandonne aux mains de la joie. De sa joie." (p. 172)

Extrait:

"Jamais je n’ai eu plus l’impression d’être étrangère en ce monde, - inutile aussi, mal tombée. J’avais escompté que la naissance du bébé y changerait quelque chose. Rien de tel ne s’est produit. Au fur et à mesure qu’il grandit, je me prends à oublier qu’il est de ma chair. Je l’aime comme on aime un tendre petit animal sans protection, vulnérable. Mais sentir nos deux existences fondues comme au début, non, c’est fini. Nous formions alors une même pâte, nous n’étions que cette pâte. Une situation neuve pour moi, à l’époque, et qui me plongeait dans des abîmes d’étonnement, de trouble. L’arrivée d’Oleg, mes occupations à l’extérieur, le temps qui passe et ne se rattrape pas, ont accompli leur œuvre d’usure. Le fait sans doute aussi que Lex commence à manifester son indépendance, notamment par des cris aigus, tout à coup péremptoires. Il devient quelqu’un d’autre." (pp. 47-48)

D'autres livres de Mohammed Dib, dans mon chapeau: "Les Terrasses d'Orsol", "Neiges de marbre" et "Le coeur insulaire"

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