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Dans mon chapeau...

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16 octobre 2010

Mots d'amour et de désamour

"Un tango en bord de mer" de Philippe Besson,
avec Jean-Pierre Bouvier et Frédéric Nyssen, dans une mise en scène de Patrice Kerbrat

Théâtre du Blocry, Louvain-la-Neuve, le 8 octobre 2010

Quelques années plus tôt, Stéphane - la cinquantaine élégante, écrivain reconnu - et Vincent - vingt ans de moins, et tout du jeune chien fou - s'étaient aimés. Puis Vincent était parti, disparu sans un mot d'explication. Le hasard - mais est-ce bien lui? - vient de les remettre en présence, un soir, dans le bar d'un bel hôtel en bord de mer. Le temps d'une danse, de quelques verres et d'une longue conversation, les deux hommes ont enfin l'occasion de se dire ce qu'ils avaient tu des années plus tôt, de se pencher une dernière fois sur les pourquois de leur (dés)amour et - comme on dit, quoique que l'expression soit au fond des plus bizarres - de rattraper le temps perdu...

Aux retrouvailles des deux amants, Philippe Besson offre des phrases tantôt tendres tantôt âpres, et ce qu'il faut de simplicité sans pathos excessif ni esbrouffe. Le reste, dès lors, repose sur les épaules de ses interprètes, qui - Jean-Pierre Bouvier comme Frédéric Nyssen - sont tout simplement parfaits: sobres, justes, sans jamais forcer le geste ni la voix. Dans l'intimité de la petite salle du Théâtre du Blocry, les mots de Philippe Besson trouvent, grâce à eux, tout l'écho qui leur revient, et leur juste poids tout à la fois de pudeur et d'émotion.

Présentation du spectacle sur le site de l'Atelier Théâtre Jean Vilar.

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13 octobre 2010

L’éducation selon les mollahs

“Among the believers: an islamic journey” de V.S. Naipaul51CAXnFsbTL__SL500_AA300_
4 étoiles

Penguin books, 1982, 399 pages, isbn 9780140056174

Lorsqu’il entame en 1979 un long périple en Asie musulmane - deux pays où l’Islam fut imposé par la conquête arabe, l’Iran et le Pakistan, et deux autres où l’implantation de l’Islam fut bien plus tardive et le fait essentiellement de missionnaires, la Malaisie et l’Indonésie - , V.S. Naipaul se lance à la découverte d’un monde dont il ne sait pour ainsi dire rien, un monde de surcroît en plein bouleversement. Quelques mois auparavant, l’ayatollah Khomeini a en effet pris le pouvoir en Iran, tandis qu’au Pakistan un coup d’état militaire a amené la chute – et finalement la mort - d’Ali Bhutto et que là aussi le nouveau régime annonce très ouvertement sa volonté d’établir un état plus purement islamique. Et dès les premières notes du séjour iranien, première étape de ces six mois de voyage, une image s’impose qui deviendra le premier véritable leitmotiv du livre, l’image de l’Islam comme un mode de vie à part entière, un système total, non seulement religieux mais aussi social et politique: “Islam, almost from the start, had been an imperialism as well as a religion, with an early history remarkably like a speeded-up version of the history of Rome, developing from city state to peninsular overlord to empire, with corresponding stresses at every stage.” (pp. 11-12)*

A quoi un second leitmotiv vient très vite s’ajouter: une observation extrêmement attentive de l’enseignement islamique traditionnel. Abordé pour la première fois lors d’une journée de visite à Kom - un des centres de formation les plus prestigieux du monde musulman où l’ayatollah Khomeini s’était lui-même formé avant d’y enseigner à son tour -, cet enseignement où l’Histoire, la Logique, la Rhétorique… – les sept arts libéraux, sujets d’étude des universités de l’Europe du Moyen-Age, ne sont pas loin – se voient intégralement subordonnées et mises au service de la Foi, se trouve bien vite qualifié de médiéval. Un jugement que V.S. Naipaul ne modifiera pas au cours des étapes suivantes de son périple, au Pakistan, en Malaisie et enfin en Indonésie, où de nombreuses écoles villageoises se révèlent être les descendantes directes de centres soufis.

A bien des égards, le récit que V.S. Naipaul livre de son long périple s’est révélé pour moi perturbant, ou en tout cas difficile à appréhender. Le fait que V.S. Naipaul y ait fixé sur le papier les débuts d’un mouvement fondamentaliste qui n’a fait que s’amplifier au cours des trente années suivantes le rend certes incontournable, et témoigne sans nul doute d’une belle perspicacité. Et l’intérêt documentaire de ce livre nous montrant littéralement en direct Khomeini et ses mollahs confisquant une révolution iranienne qui fut à l’origine autant l’œuvre des démocrates convaincus et des militants communistes que celle des islamistes est bien sûr incontestable. Mais V.S. Naipaul s’y montre par moments si indécrottablement britannique, si agacé par les inconforts de son voyage, ou par la piètre maîtrise de l’Anglais qu’affichent bien souvent ses interlocuteurs, ses guides et ses interprètes, il est enfin tellement irrité de découvrir des travaux manuels au programme des écoles villageoises indonésiennes, et se montre si prompt à les juger, que l’on se doit aussi de se demander dans quelle mesure le parcours personnel de l’auteur, et en particulier les souvenirs de l’éducation qu’il a reçue à Trinidad et de ses limitations, pourrait interférer avec sa perception des faits qu’il nous rapporte. Et il faut sans doute chercher ailleurs – par exemple, dans “L’énigme de l’arrivée” - le compte-rendu de ce parcours pour découvrir dans ces petits agacements perpétuels de l’auteur le symptôme d’un déracinement dont les modalités et les conséquences restent encore à négocier, et la marque de nerfs restés à vif plutôt qu’un manque de cœur ou d’empathie.

Extrait:

“At lunch Nusrat said, ‘Give me your advice. Should I stay here? Or should I go to the West?’
‘What would you do there?’
‘I could do a master’s in mass communications in America.’
‘And afterwards?’
‘I wouldn’t teach. I would travel and write. Travel and write.’
‘ What you would write about?’
‘Various things. Afterwards I would get a job with some international body as an expert in third world media’
‘What would you do if you stay here?’
‘I would go into advertising.’
‘I should stay here and go into advertising.’
‘But it’s so dishonest.’
‘Is it more dishonest than what you do now?’
‘I wouldn’t like it.’
‘How much would you get in an advertising agency?’
‘Four thousand.’ Four hundred dollars. ‘Now I get 2,000. But I wouldn’t like it. You may not like the Morning News, but I am a free man on it. I couldn’t do public relations. Don’t you think that someone like me should go into third world media? Do you think the Americans and Canadians should be travelling around talking to us about third world media?’
‘Yes. They know what newspapers should do. You wouldn’t be able to tell us much.’
‘Why do you say that?’
‘You’ve told me yourself that Islam and the hereafter are the most important things to you.’
‘How small you make us feel.’
I had momentarily – a number of irritations coming together: the political virulence of his paper, his wish both to remain Islamic and to exploit the tolerance and openness of the other civilization – I had momentarily allowed myself to be aggressive with him. I felt guilty.”
(pp. 153-154)

*“L’Islam, dès le début, fut un impérialisme autant qu’une religion, et son histoire précoce ressemble de façon frappante à une version accélérée de l’histoire de Rome, se développant d’une cité-état à une puissance péninsulaire puis à un empire, avec les tensions correspondantes à chaque étape” (traduction Fée Carabine)

D'autres livres de V.S. Naipaul, dans mon chapeau: "Le regard de l'Inde", "Dans un état libre", "A la courbe du fleuve" et "L'énigme de l'arrivée"

V.S. Naipaul était l'auteur des mois de juin et juillet 2010 sur Lecture/Ecriture.

9782226011497En V.F.: "Crépuscule sur l'Islam - Voyage aux pays des croyants",
traduit de l'Anglais par Natalie Zimmermann et Lorris Murail,
Albin Michel, 1981, 446 pages

12 octobre 2010

Une voix dans les feuillages

Elm

For Ruth Fainlight

I know the bottom, she says. I know it with my great tap root:
It is what you fear.
I do not fear it: I have been there.

Is it the sea you hear in me,
Its dissatisfactions?
Or the voice of nothing, that was your madness?

Love is a shadow.
How you lie and cry after it
Listen: these are its hooves: it has gone off, like a horse.

All night I shall gallop thus, impetuously,
Till your head is a stone, your pillow a little truf,
Echoing, echoing.

Or shall I bring you the sound of poisons?
This is rain now, this big hush.
And this is the fruit of it: tin-white, like arsenic.

I have suffered the atrocity of sunsets.
Scorched to the root
My red filaments burn and stand, a hand of wires.

Now I break up in pieces that fly about like clubs.
A wind of such violence
Will tolerate no bystanding: I must shriek.

The moon, also, is merciless: she would drag me
Cruelly, being barren.
Her radiance scathes me.Or perhaps I have caught her.

I let her go. I let her go.
Diminished and flat, as after radical surgery.
How your bad dreams possess and endow me.

I am inhabited by a cry.
Nightly it flaps out
looking, with its hooks, for something to love.

I am terrified by this dark thing
That sleeps in me;
All day I feel its soft, feathery turnings, its malignity.

Clouds pass and disperse.
Are those the faces of love, those pale irretrievables?
Is it for such I agitate my heart?

I am incapable of more knowledge.
What is this, this face
So murderous in its strangle of branches?-

Its snaky acid hiss.
It petrifies the will. These are the isolate, slow faults
That kill, that kill, that kill.

Sylvia Plath, "Collected Poems", Faber and faber, 2002, pp. 192-193

La voix dans l'orme

Pour Ruth Fainlight

Je connais le fond, dit-elle. Je le connais par le pivot de ma grande racine:
C'est ce qui te fait peur.
Moi je n'en ai pas peur: je suis allée là-bas.

Est-ce l'océan que tu entends en moi,
Ses griefs, ses insatisfactions?
ou la voix du néant qui en un jour t'a rendue folle?

L'amour est une ombre.
Tes pleurs, tes mensonges ne sauraient le retenir
Ecoute: ce sont ses sabots: il s'est enfui comme un cheval.

Toute la nuit je galoperai avec la même fougue,
Jusqu'à ce que ta tête soit une pierre, ton oreiller un champ de course
Où l'écho viendra retentir.

A moins que je ne t'apporte le bruit sourd d'un poison?
Voici la pluie, et ce calme énorme est
Son fruit, couleur de fer blanc, comme l'arsenic.

J'ai subi les atrocités des couchers de soleil,
Me suis desséchée jusqu'à la racine
Et mes fibres brûlent, et je lève une main de barbelés rouges.

J'explose et mes éclats volent comme des massues.
Un vent d'une telle violence
Ne tergiverse pas: il faut que je hurle.

La lune non plus n'a pas de pitié: elle voudrait m'attirer
A elle, stérile et cruelle.
Sa splendeur me foudroie. Ou peut-être est-ce moi qui l'ai attrapée.

Je la laisse partir. Je la laisse partir.
Plate et diminuée comme après une cure radicale.
Combien tes mauvais rêves me possèdent, me ravissent.

Je suis cette demeure hantée par un cri.
La nuit, ça claque des ailes
Et part, toutes griffes dehors, chercher de quoi aimer.

Je suis terrorisée par cette chose obscure
Qui sommeille en moi;
Tout le jour je devine son manège, je sens sa douceur maligne.

Des nuages passent et se volatilisent.
Sont-ils les visages de l'amour, ces disparus livides?
Est-ce pourquoi j'ai le coeur bouleversé?

C'est là toute l'étendue de ma connaissance.
Qu'est-ce donc maintenant que ce visage
Sanguinaire dans son étranglement de branches? -

Son sifflement de serpents acides
Pétrifie la volonté. C'est la faille isolée, l'erreur lente
Qui tue, qui tue, qui tue.

Sylvia Plath, "Ariel", Gallimard/Du monde entier, 2009, pp. 31-33 (traduit de l'Anglais par Valérie Rouzeau)

10 octobre 2010

Une inextinguible soif d'amour

affiche_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20030612_015838"Love streams" de John Cassavetes,
avec John Cassavetes et Gena Rowlands

Epoux à la ville, John Cassavetes et Gena Rowlands incarnaient dans ce qui devait devenir l'avant-dernier film de John l'étonnant duo formé par un frère - Robert Harmon, écrivain qui, sous couvert de recherches pour son prochain livre traitant de la vie nocturne, passe ses nuits à faire la fête, histoire d'oublier sa peur de ces heures obscures - et d'une soeur - Sarah Lawson, en plein divorce, et qui ne sait littéralement plus à qui se consacrer, à présent que son (ex-)mari et leur fille adolescente se reconstruisent une vie sans elle.

Chacun pour soi dans un premier temps - Sarah se crapahutant à travers l'Europe avec une montagne de bagages, Robert tentant bien maladroitement de trouver un terrain d'entente avec son fils de huit ans, qu'il ne connait pratiquement pas -, puis ensemble, lorsque fatiguée de son périple tragicomique de l'autre côté de l'Atlantique, Sarah vient poser ses valises dans l'immense villa de Robert, le frère et la soeur s'efforcent vaille que vaille de satisfaire une soif d'amour qui s'affirme - sans échappatoire possible même dans les rêves en forme de comédies musicales, dans lesquels John Cassavetes déploie des trésors de fantaisie - comme totalement inextinguible. Agaçants, voire insupportables, et à coup sûr complètement givrés, les deux héros de "Love streams" en deviennent aussi, par la grâce de leurs deux merveilleux interprètes, terriblement touchants...

Et tant que vous êtes là, ne manquez pas d'aller lire chez la comtesse le très beau billet qu'Eeguab a consacré à "Love streams".

9 octobre 2010

Un fait divers très singulier

"Nagasaki" d'Eric Faye41MbNHwRF_2BL__SL500_AA300_
4 1/2 étoiles

Stock, 2010, 108 pages, isbn 9782234061668

D'un fait divers relaté par plusieurs quotidiens japonais en 2008 – un homme d'une cinquantaine d'années, habitant Nagasaki, a découvert à de menus faits, puis par webcam interposée qu'une femme sans domicile fixe squattait l'oshiiré* de sa chambre d'amis. Cette femme n'avait causé chez lui aucun dommage, n'avait rien détérioré ni volé, tout juste avait-elle chapardé de temps à autre un yaourt ou un peu de jus de fruit dans son frigo. Mais ainsi que le découvre Shimura-san après l'arrestation de son hôte indésirable, elle était là depuis près d'un an, tous les soirs ou presque, à deux pas de lui: "Près d'un an, Soudain, je n'ai plus entendu la fonctionnaire de police. Ça se brouillait dans ma tête. Je me remémorais tous ces soirs, toutes ces nuits quand je m'étais cru seul à l'abri du monde. Dans une bulle. Tanière, terrier, antre." (p. 51). Prise de conscience déstabilisante, agissant comme un révélateur, et dont les remous dans la vie de Shimura-san ne sont sans doute pas près de s'apaiser...

Rien de croustillant ni de sanglant donc dans ce fait divers, mais tout un monde de sentiments – peur, pitié, incompréhension et culpabilité - dont Eric Faye a su tisser son récit avec beaucoup de sensibilité et d'intelligence, en imposant une voix à nulle autre pareille – un rythme, un balancement des phrases, une élégance distanciée qui n'exclut pourtant pas l'émotion – et qui capte d'entrée l'attention du lecteur pour ne plus la lâcher jusqu'à la dernière page. Sous sa minceur trompeuse, ce court roman, alliant à la densité du propos la fluidité de l'écriture, et mêlant avec justesse intelligence et émotion, s'impose d'ores et déjà comme une des belles découvertes de la nouvelle rentrée littéraire. Ne passez pas à côté. Vous ne regretterez pas les quelques trop brèves heures de lecture passées en sa compagnie!

* le placard à futons

Extraits:

"Mes premiers soupçons, nés voici plusieurs semaines, s'étaient rapidement dissipés. Mais quelque temps plus tard, ils étaient revenus de façon subtile, comme des moucherons vibrionnent dans l'air du soir et s'éloignent avant que l'on comprenne à quoi l'on avait affaire. Tout avait commencé par la certitude d'avoir acheté tel aliment que je ne retrouvais pas. Mon premier réflexe avait bien évidemment été de douter de moi. Il est si facile de se persuader qu'on a déposé un article dans le caddie au supermarché, alors qu'on en était resté au stade de l'intention. Qu'il est tentant de mettre les tâtonnements de sa mémoire sur le compte de la fatigue... Que n'a-t-elle pas excusé, la fatigue!?" (pp. 14-15)

"L'un après l'autre, j'ai ouvert les tiroirs du salon et de ma chambre. Rien n'avait disparu, les quelques objets de valeur étaient là. Et ce constat, qui aurait dû me rassurer, n'a fait qu'accentuer mon inquiétude. J'avais affaire à un cas anormal et j'ai senti passer sur moi l'ombre de la peur. Qu'était-elle venue faire ici?" (p. 33)

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8 octobre 2010

Il était une fois... un pays surréaliste

"Il était une fois la Belgique" de Patrick Roegiers,
avec Michel de Warzée, Nicolas Pirson et Philippe Vauchel

Atelier Théâtre Jean Vilar, Louvain-la-Neuve, le 1er octobre 2010

Belge expatrié à Paris depuis plus de vingt ans, Patrick Roegiers doit une partie de son succès d'écrivain aux livres que lui a inspiré sa mère-patrie: "Le mal du pays", "La Belgique, le roman d'un pays" et "La spectaculaire histoire des rois des Belges". Et puisque ce succès s'est vu confirmé par de nombreuses lectures, en public ou à la radio, la tentation était bien grande d'en faire aussi une pièce de théâtre... dont acte avec ce spectacle intitulé "Il était une fois la Belgique" où trois excellents comédiens se repassent le fil d'un auto-portrait décousu, tout à la fois psychologique, gastronomique, linguistique, musical, culturel ou sportif, tantôt drôle, tantôt mélancolique, de cet étrange animal qu'est le Belge, compatriote de Breughel, Spilliaert ou Henri Michaux...

Toutes considérations politiques mises à part - lesquelles se faisaient discrètes si elles n'étaient pas tout à fait absentes -, la Belgique de Patrick Roegiers est, par moment du moins, bien plus proche de celle de papa ou de même de grand-papa que de celle d'aujourd'hui. Je ne connais en tout cas plus guère que ma grand-mère, saint-gilloise pure jus, pour encore évoquer les soixante victoires remportées à l'affilée par le club de foot de cette commune bruxelloise... entre 1933 et 1935. Et force est de constater que de nombreuses expressions bien de chez nous tombent insensiblement en désuétude, telle ce très joli "aller à la cour", qui était tout de même plus chic que le très prosaïque "aller aux toilettes". Mais on s'en consolera en réécoutant Jacques Brel - dont Nicolas Pirson évoquait en une tirade époustouflante les cent bonnes et moins bonnes raisons qu'il avait d'être belge -, et en dévorant les pistolets, les couques et les bolus du déjeuner du dimanche, repas qui, chez nous, ne saurait en aucun cas être petit ;-).

Présentation du spectacle sur le site de l'Atelier Théâtre Jean Vilar

5 octobre 2010

Toute la flamboyance du prêtre roux

"Vespro", psaumes pour les vêpres d'Antonio Vivaldi,
par le Choeur de chambre de Namur et les Agrémens,
sous la direction de Leonardo Garcia Alarcon

Eglise Saint-Loup, Namur, le 28 septembre 2010

Célèbre compositeur d'opéras et d'un nombre impressionnant de concertos, Antonio Vivaldi nous a aussi laissé une abondante oeuvre religieuse dont une large part était d'ailleurs destinée à ses élèves de l'Ospedale de la Pieta pour qui il écrivit, dans les années 1713-1717, une série de psaumes pour les Vêpres, pièces brillantes où le prêtre roux a laissé libre cours à toute sa fantaisie et à tout son éclat. Six de ces psaumes, complétés par le Magnificat RV 610 et le Dixit Dominus RV 807, oeuvre redécouverte récemment, constituaient justement le programme de ce concert somptueux quoique peut-être un peu long, surtout lorsqu'on se trouve contraint à une immobilité absolue, enregistrement oblige.

Loin des thèmes (trop?) connus des Quatre saisons, c'était une magnifique occasion de (re-)découvrir dans toute leur fraîcheur,  l'inventivité, et l'extraordinaire palette de couleurs sonores, du compositeur vénitien dont on oublie parfois à quel point il pouvait se montrer profondément original...

4 octobre 2010

Transgressif

"Karl et Lola" de Caroline Lamarche41_DyLJ_tNL__SL500_AA300_
3 étoiles

Gallimard, 2007, 162 pages, isbn 9782070784189

Karl et Lola sont frère et soeur, nés à deux ans d'intervalle dans une grande ville autrefois industrielle – ville jamais nommée, mais qui ressemble curieusement à Liège, son fleuve, ses usines sidérurgiques et jusqu'à son magasin Ikea. L'industrie lourde y cède petit à petit la place à d'autres activités - "Le destin de cette région se précipite comme un orage au bord de l'horizon, tout le paysage est en train de basculer. Là où, autrefois, des usines tournaient à plein régime, on a édifié en quelques mois Belle-Onde, un centre commercial. De quoi passer une après-midi entière dans un lieu devenu propre et sûr." (pp. 44-45) – offrant au roman de Caroline Lamarche un cadre de plus en plus aseptisé, stérile dans tous les sens du mot, où la relation fusionnelle et sado-masochiste qu'entretiennent Karl et Lola n'apparaît par contraste que plus transgressive: enfants déjà, il adore la gifler, elle adore qu'il la gifle et ce n'est là que le début de leur étrange histoire ...

On ne peut qu'admirer l'art consommé avec lequel Caroline Lamarche a conçu son livre, en jouant d'une série de motifs pour lui conférer une subtile architecture quasiment musicale. Mais si la sécheresse clinique de son écriture a l'immense mérite d'éviter que le récit ne se trouve entâché de la plus petite trace d'un voyeurisme complaisant et malsain, elle en exclut aussi toute trace d'émotion. En dépit de ses incontestables qualités littéraires, "Karl et Lola" est donc de ces livres qui se lisent avec un intérêt tout cérébral et intellectuel, mais qu'on ne peut, me semble-t-il, en aucun cas aimer. Et s'il n'était pas si court, sans doute faudrait-il même que son lecteur soit un tantinet masochiste pour le lire jusqu'au bout...

Extrait:

"Lola est née deux ans après Karl et il n'a pas tenté de l'étouffer comme on l'a prétendu. Il a simplement laissé tomber une serviette de bain sur son visage. Elle ne bougeait pas là-dessous, elle était comme un animal qu'on calme en l'aveuglant. L'erreur de Karl a été de proférer quelques mots supposés inconnus d'un enfant aimé de ses parents. Il répétait, semble-t-il, «Lola, je vais te tuer, je vais te tuer» en contemplant la serviette que n'agitait pas le moindre tremblement. Karl était persuadé que Lola, si petite qu'elle fût, avec sa tête comme un poing, le comprenait et qu'elle était contente, blottie dans cette pensée. Le jeu qu'il lui proposait était: «Je vais te tuer» et elle attendait, confiante, dans l'obscurité de l'étoffe jetée sur son visage." (p. 16)

D'autres livres de Caroline Lamarche sont présentés sur Lecture/Ecriture.

30 septembre 2010

Une porte ouvrant sur un avenir meilleur

"Une porte sur l'été" de Robert A. Heinlein41CvjBxAaNL__SL500_AA300_
3 ½ étoiles

Le livre de poche/SF, 2010, 281 pages, isbn 9782253023401

(traduit de l'Anglais par Régine Vivier)

Oui, je l'avoue, je fais partie de ces lecteurs trop gourmands qui ont la mauvaise habitude de lire plusieurs livres en même temps... Sauf que... Une fois n'est pas coutume: passant de nouvelles inédites de Raymond Carver ("Débutants") à "Une porte sur l'été", j'aurais parfaitement pu croire que je lisais toujours le même livre, à savoir l'histoire d'un pauvre type noyant dans l'alcool son chagrin d'avoir été trahi par la femme qu'il aimait.

Mais heureusement pour Danny B. Davis, le héros d'"Une porte sur l'été", le monde selon Robert A. Heinlein offre des possibilités inexistentes dans les USA de Raymond Carver. Avec la complicité de son chat Pete (diminutif de Petronius), et de Ricky Tikki-Tavi – non, ce n'est pas une mangouste*! C'est une petite fille -, grâce aux cures de long sommeil – trente ans au dodo en hypothermie, dont on se réveille sans avoir pris une ride – et aux voyages temporels – encore très expérimentaux -, Danny a au fond toutes les cartes en main pour se construire un avenir meilleur, et trouver sa porte sur l'été.

En dépit de l'humeur morose de son héros, du moins au moment où nous faisons sa connaissance, Robert A. Heinlein maintient de bout en bout un ton léger, désinvolte et pétillant, en évitant soigneusement toute réflexion métaphysique sur le libre arbitre, que le voyage dans le temps appelait pourtant du pied et à laquelle Hubert Lampo – un des grands représentants du réalisme magique en Belgique – a prêté une dimension proprement vertigineuse dans son excellente nouvelle "De geboorte van een god"**. Il n'y a donc rien de cela dans "Une porte sur l'été", mais un bon petit roman, bien enlevé: juste ce qu'il faut pour passer un agréable moment de détente.

* Même si Rikki-Tikki-Tavi en est bien une, de mangouste, sous la plume de Rudyard Kipling ;-).
** "La naissance d'un dieu", nouvelle qui, à ma connaissance, n'est malheureusement pas disponible en traduction française.

Extrait:

"Durant son enfance de chaton, alors qu'il n'était encore qu'une boule duveteuse et bondissante, Pete s'était élaboré une philosophie toute personnelle: j'avais la charge du logis, de la nourriture et de la météorologie. Lui était chargé du reste. Il me rendait tout particulièrement responsable du temps qu'il faisait. Les hivers du Connecticut ne sont jolis que sur les cartes de Noël. Cet hiver-là, très régulièrement, Pete allait jeter un coup d'oeil à sa chatière, et, se refusant à emprunter ce chemin recouvert d'une déplaisante matière blanche – il n'était pas fou -, venait me tanner jusqu'à ce que je lui ouvre une porte.
Il avait la conviction inébranlable que l'une d'elles, au moins, devait s'ouvrir en plein soleil – s'ouvrir sur l'été. Il me fallait donc, chaque fois, faire le tour des onze portes en sa compagnie, les lui ouvrir l'une après l'autre, et lui faire constater que l'hiver sévissait également, tandis que ses critiques sur mon organisation défectueuse s'élevaient crescendo à chaque déception."
(p. 8)

D'autres romans de l'âge d'or de la SF vous sont proposés sur Lecture/Ecriture où il s'agissait du thème des mois d'août et septembre 2010.

29 septembre 2010

Potales namuroises (2)

Mais il arrive aussi que la Vierge se fasse plus imposante et se pare de quelques couleurs...

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Potale décorant une façade au coin de la rue de l'Ouvrage et de la rue Basse Marcelle, Namur (Cliché Fée Carabine)

Potales namuroises (1) et (3)

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