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Dans mon chapeau...
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13 octobre 2010

L’éducation selon les mollahs

“Among the believers: an islamic journey” de V.S. Naipaul51CAXnFsbTL__SL500_AA300_
4 étoiles

Penguin books, 1982, 399 pages, isbn 9780140056174

Lorsqu’il entame en 1979 un long périple en Asie musulmane - deux pays où l’Islam fut imposé par la conquête arabe, l’Iran et le Pakistan, et deux autres où l’implantation de l’Islam fut bien plus tardive et le fait essentiellement de missionnaires, la Malaisie et l’Indonésie - , V.S. Naipaul se lance à la découverte d’un monde dont il ne sait pour ainsi dire rien, un monde de surcroît en plein bouleversement. Quelques mois auparavant, l’ayatollah Khomeini a en effet pris le pouvoir en Iran, tandis qu’au Pakistan un coup d’état militaire a amené la chute – et finalement la mort - d’Ali Bhutto et que là aussi le nouveau régime annonce très ouvertement sa volonté d’établir un état plus purement islamique. Et dès les premières notes du séjour iranien, première étape de ces six mois de voyage, une image s’impose qui deviendra le premier véritable leitmotiv du livre, l’image de l’Islam comme un mode de vie à part entière, un système total, non seulement religieux mais aussi social et politique: “Islam, almost from the start, had been an imperialism as well as a religion, with an early history remarkably like a speeded-up version of the history of Rome, developing from city state to peninsular overlord to empire, with corresponding stresses at every stage.” (pp. 11-12)*

A quoi un second leitmotiv vient très vite s’ajouter: une observation extrêmement attentive de l’enseignement islamique traditionnel. Abordé pour la première fois lors d’une journée de visite à Kom - un des centres de formation les plus prestigieux du monde musulman où l’ayatollah Khomeini s’était lui-même formé avant d’y enseigner à son tour -, cet enseignement où l’Histoire, la Logique, la Rhétorique… – les sept arts libéraux, sujets d’étude des universités de l’Europe du Moyen-Age, ne sont pas loin – se voient intégralement subordonnées et mises au service de la Foi, se trouve bien vite qualifié de médiéval. Un jugement que V.S. Naipaul ne modifiera pas au cours des étapes suivantes de son périple, au Pakistan, en Malaisie et enfin en Indonésie, où de nombreuses écoles villageoises se révèlent être les descendantes directes de centres soufis.

A bien des égards, le récit que V.S. Naipaul livre de son long périple s’est révélé pour moi perturbant, ou en tout cas difficile à appréhender. Le fait que V.S. Naipaul y ait fixé sur le papier les débuts d’un mouvement fondamentaliste qui n’a fait que s’amplifier au cours des trente années suivantes le rend certes incontournable, et témoigne sans nul doute d’une belle perspicacité. Et l’intérêt documentaire de ce livre nous montrant littéralement en direct Khomeini et ses mollahs confisquant une révolution iranienne qui fut à l’origine autant l’œuvre des démocrates convaincus et des militants communistes que celle des islamistes est bien sûr incontestable. Mais V.S. Naipaul s’y montre par moments si indécrottablement britannique, si agacé par les inconforts de son voyage, ou par la piètre maîtrise de l’Anglais qu’affichent bien souvent ses interlocuteurs, ses guides et ses interprètes, il est enfin tellement irrité de découvrir des travaux manuels au programme des écoles villageoises indonésiennes, et se montre si prompt à les juger, que l’on se doit aussi de se demander dans quelle mesure le parcours personnel de l’auteur, et en particulier les souvenirs de l’éducation qu’il a reçue à Trinidad et de ses limitations, pourrait interférer avec sa perception des faits qu’il nous rapporte. Et il faut sans doute chercher ailleurs – par exemple, dans “L’énigme de l’arrivée” - le compte-rendu de ce parcours pour découvrir dans ces petits agacements perpétuels de l’auteur le symptôme d’un déracinement dont les modalités et les conséquences restent encore à négocier, et la marque de nerfs restés à vif plutôt qu’un manque de cœur ou d’empathie.

Extrait:

“At lunch Nusrat said, ‘Give me your advice. Should I stay here? Or should I go to the West?’
‘What would you do there?’
‘I could do a master’s in mass communications in America.’
‘And afterwards?’
‘I wouldn’t teach. I would travel and write. Travel and write.’
‘ What you would write about?’
‘Various things. Afterwards I would get a job with some international body as an expert in third world media’
‘What would you do if you stay here?’
‘I would go into advertising.’
‘I should stay here and go into advertising.’
‘But it’s so dishonest.’
‘Is it more dishonest than what you do now?’
‘I wouldn’t like it.’
‘How much would you get in an advertising agency?’
‘Four thousand.’ Four hundred dollars. ‘Now I get 2,000. But I wouldn’t like it. You may not like the Morning News, but I am a free man on it. I couldn’t do public relations. Don’t you think that someone like me should go into third world media? Do you think the Americans and Canadians should be travelling around talking to us about third world media?’
‘Yes. They know what newspapers should do. You wouldn’t be able to tell us much.’
‘Why do you say that?’
‘You’ve told me yourself that Islam and the hereafter are the most important things to you.’
‘How small you make us feel.’
I had momentarily – a number of irritations coming together: the political virulence of his paper, his wish both to remain Islamic and to exploit the tolerance and openness of the other civilization – I had momentarily allowed myself to be aggressive with him. I felt guilty.”
(pp. 153-154)

*“L’Islam, dès le début, fut un impérialisme autant qu’une religion, et son histoire précoce ressemble de façon frappante à une version accélérée de l’histoire de Rome, se développant d’une cité-état à une puissance péninsulaire puis à un empire, avec les tensions correspondantes à chaque étape” (traduction Fée Carabine)

D'autres livres de V.S. Naipaul, dans mon chapeau: "Le regard de l'Inde", "Dans un état libre", "A la courbe du fleuve" et "L'énigme de l'arrivée"

V.S. Naipaul était l'auteur des mois de juin et juillet 2010 sur Lecture/Ecriture.

9782226011497En V.F.: "Crépuscule sur l'Islam - Voyage aux pays des croyants",
traduit de l'Anglais par Natalie Zimmermann et Lorris Murail,
Albin Michel, 1981, 446 pages

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