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Dans mon chapeau...

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14 janvier 2009

Apre et rude

“Lettres à Essenine” de Jim Harrison4114617WADL__SL160_AA115_
4 étoiles

10/18, 2003, 141 pages, isbn 2264036761

(traduit de l’Anglais par Brice Matthieussent)

Trente lettres adressées par Jim Harrison à Serge Essenine, dont la photo trône sur son bureau. Trente missives écrites par un auteur américain d’aujourd’hui à un poète russe né en 1895 à Riazan, qui chanta avec enthousiasme les espoirs de la révolution d’octobre puis qui se suicida, par pendaison, le 28 décembre 1925.

Trente lettres et autant de poèmes où Jim Harrison explore, comme en une plongée hypnotique, sa vision de l’écriture et de son cortège d’exigences – la dèche, le découragement, l’alcool, la drogue et la tentation du suicide mais aussi la solitude, le bonheur de vivre dans les grands espaces américains et les joies familales… Trente textes âpres, rudes, crus. Trente “poèmes qui pèsent lourd sur notre estomac comme aliments frits, puissants, viscéraux, aussi impurs que les corps qu’ils décorent” (p. 97) et qui nous révèlent une nouvelle facette, forte et fragile à la fois – sombre aussi -, de l’auteur de “Dalva” et de la “Route du retour”.

Extrait:

“Today we’ve moved back to the granary again and I’ve anointed the room with Petrouchka. Your story, I think. And music. That ends with you floating far above in St Petersburg’s blue winter air, shaking your fist among the fish and green horses, the diminutive yellowsun and chicken playing the bass drum. Your sawdust is spilled and you are forever borne by air. A simple story. Another madman, Nijinsky, danced your part and you danced his. None of us apparently is unique. Think of dying waving a fist full of ballpoints pens that change into small snakes and that your skull will be transposed into the cymbal it was always meant to be. But shall we come down to earth? For years I have been too ready to come down to earth. A good poet is only a sorcerer bored with magic who has turned his attention elsewhere. O let us see wonders that psylocibin never conceived of in her powdery head. Just now I stepped on a leaf that blew in the door. There was a buzzing and I thought it concealed a wasp, but the dead wasp turned out to be a tiny bird, smaller than a hummingbird or june bug. Probably one of a kind and I can tell no one because it would anger the swarm of naturalists so vocal these days. I’ll tuck the body in my hair where itwill remain forever a secret or tape it to the back of your picture to give you more depth than any mirror on earth. And another oddity: the record needle stuck just at the point the trumpet blast announced the appearance of your ghost in the form of Petrouchka. I will let it repeat itself a thousand times through the afternoon until you stand beside the desk in your costume. But I’ve no right to bring you back to life. We must respect you affection for the rope. You knew the exact juncture in your life when the act of dangling could be made a dance”

“Aujourd’hui nous nous sommes réinstallés au grenier et j’ai béni la pièce avec Petrouchka. Ton histoire, je crois. Et ta musique. A la fin tu flottes très haut dans l’air bleu hivernal de Saint-Pétersbourg, agitant le poing parmi poissons et chevaux verts, le minuscule soleil jaune et les poulets  jounat de la grosse caisse. Ta sciure est jetée, toujours tu côtoieras l’air. Histoire banale. Un autre fou, Nijinki, dansa ton rôle et toi le sien. Apparemment aucun de nous n’est unique. Mourir en brandissant un poing rempli de stylos-billes qui se transforment en menus serpents et ton crâne sera transposé en ces cymbales qu’il devait  toujours devenir. Mais redescendrons-nous sur terre ? Pendant des années, je n’ai été que trop prêt à redescendre sur terre. Un bon poète n’est qu’un sorcier las de la magie, qui a tourné son attention ailleurs. O laisse-nous voir des merveilles que la psylocibine ne conçut jamais dans sa tête poudreuse. Je viens de marcher sur un feuille entrée par la porte. Ça vrombissait et j’ai pensé à une guêpe cachée là, mais cette guête morte était en f ait un oiseau minuscule, plus petit qu’un colibri ou un scarabée. Sans doute une espèce bizarre, je n’en parlerai à personne, de peur d’irriter l’essaim des naturalistes si tonitruants ces temps-ci. Je glisserai ce corps dans mes cheveux où il restera à jamais un secret ou je le collerai au dos de ta photo pour te donner davantage de profondeur que tou miroir terrestre. Autre bizarrerie : l’aiguille du phono s’est bloquée sur la sonnerie de trompette annonçant l’apparition de ton fantôme sous la forme de Petrouchka. Je la laisserai se répéter mille fois cet après-midi jusqu’à ce que tu te campes en costume près du bureau. Mais je n’ai aucun droit de te ramener à la vie. Nous devons respecter ton affection pour la corde. Tu connaissais la jointure exacte de ta vie que cette traction pouvait transformer en danse.”  (pp. 52-53)

Jim Harrison était l'auteur des mois d'avril et mai 2006, sur Lecture/Ecriture.

Vous trouverez également, dans mon chapeau, des poèmes de Serge Essenine: ici et là.

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13 janvier 2009

"La vie au lendemain de ma vie avec toi..."

La vie au lendemain de ma vie avec toi
ne sera pas moins douce
ne sera pas moins belle
juste peut-être un peu plus courte
peut-être aussi moins gaie

La vie au lendemain de ma vie avec toi
ne sera pas ceci ne sera pas cela
ne sera pas souci ne sera pas fracas
ne sera pas couci ne sera pas couça
ne sera pas ici ne sera pas là-bas
Ma vie sera séquelle, sera ce qu'elle sera
ou ne sera plus rien

Certains jours, par défi,
je ferai de petits voyages sur nos traces
je ferai de petits voyages sur nos pas
Et là je te ferai de petites infidélités
tant pis si tu l'apprends
si tu dois m'en vouloir
si jamais tu m'en veux de te l'avoir appris
entre ces lignes-ci

J'irai revoir des lieux que nous aimions ensemble
Je ne tournerai pas en rond

Si ça tourne pas rond
je prendrai nos photos
dans la boîte à chaussures
sous le meuble en bois blanc
et je regarderai encore
par-dessus l'épaule du bonheur
combien tu étais belle
comment nous étions beaux

J'achèterai un chat
que j'appelerai Unchat
en hommage à l'époque où j'en étais bien sûr
incapable à tes yeux
Le thé refroidira; personne pour le boire
L'été refleurira; personne pour y croire

Je ne vais rien changer à l'ordre de mes livres
déplacer aucun meuble
J'expédierai nos cartes
qui disaient le destin
mais jamais l'avenir
à nos meilleurs amis
J'allongerai les jours
Je mettrai des tentures dans la chambre à coucher pour
allonger un peu également
le sommeil de mes nuits
mes nuits au lendemain de mes nuits avec toi

La vie au lendemain de ma vie avec toi
je la veux simple et bonne
je la veux douce et lisse
comme le plat d'une main qui ne possède rien
et ne désigne qu'elle

Karel Logist, "Si tu me disais viens et autres poèmes", Editions Ercée, 2007, pp. 14-16

D'autres poèmes de Karel Logist, dans mon chapeau: "Hier, tu ne savais pas quoi faire de ta colère...." et "Ceci ne sera pas un poème d'amour..."

12 janvier 2009

Un bijou indémodable

afte"Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany's)" de Blake Edwards,
avec Audrey Hepburn et George Peppard

En ce début d'année, les vieux classiques se suivent au petit écran et ne se ressemblent pas. Après un "Certains l'aiment chaud" qui m'avait laissée de glace, Arte a proposé lundi dernier un autre jalon du cinéma américain. Un bijou indémodable, celui-là, paré de toute l'élégance d'Audrey Hepburn.

Drôle, oui, mais aussi mélancolique et un peu amer. Croissant beurré et café noir. C'est un petit déjeuner devant les vitrines de Tiffany's, adapté du roman de Truman Capote, qui a conservé tout son charme. Le portrait faussement léger de la Big Apple, vibrante, pétillante, insouciante, et de ses habitants un peu perdus, au fond, à l'instar d'un petit chat roux sans nom ni collier qui fait le gros dos sous une pluie battante, comme elle ne bat qu'à New York...

7 janvier 2009

Un conte de fée pour adultes (pas trop) sages

"Battement d'ailes" de Milena Agus41mKiYPiCJL__SL160_AA115_
3 1/2 étoiles

Liana Lévi, 2008, 153 pages, isbn 9782867464676

(traduit de l'Italien par Dominique Vittoz)

Un petit coin de paradis, un bout de landes encore sauvages sur les côtes de Sardaigne, et seulement trois maisonnées: celle de l’ingénieur, celle de Madame et celle de la narratrice  - quatorze ans et une bonne dose d’esprit critique mêlée d’une pointe d’innocence et d’un fort soupçon d’impertinence. A travers les yeux de cette adolescente singulière, Milena Agus a su trouver un ton original et séduisant pour nous conter les mésaventures amoureuses de Madame. Ses relations compliquées avec les promoteurs immobiliers, qui voudraient tellement construire quelques immeubles à appartements au bord de cette si jolie plage. Et avec des voisins – la famille de l’ingénieur – catholiques-très-bon-teint ainsi qu’en témoigne leur longue ribambelle de marmots, des enfants qu’ils aiment, bien sûr, mais en général plutôt qu’en particulier. Des gens si pragmatiques, convenables et prévisibles qu’aux yeux du grand-père de la narratrice, ils semblent rien moins que totalement dépourvus d’intelligence.

Flirtant avec l’étrange, "Battement d’ailes" prend des allures de contes de fées pour adultes mais surtout, surtout, pour adultes pas trop sages ni trop conventionnels. C’est un conte gorgé de soleil, du parfum des landes et de la saveur de tomates comme on n’en fait plus aujourd’hui - des tomates comme on en faisait "quand les adultes étaient petits".

A défaut de compter parmi ces livres qui marquent durablement le lecteur de leur empreinte, "Battement d’ailes" est un vrai plaisir de lecture, un moment de gourmandise qui donne envie d’en redemander. De Milena Agus, j’avais complètement zappé le fameux "Mal de pierres", saturée par un bouche à oreille assourdissant, avant même d’en avoir tourné la première page. Mais après dégustation de son second roman, ma gourmandise pourrait bien finir par l’emporter sur mes envies d’aller voir ailleurs, si je suis bien là où la rumeur n’est pas…

Extrait:

"Mais la grand-mère des voisins est un être humain important parce qu'avec son cerveau plus petit qu'un petit pois, elle est la preuve ontologique de l'existence de Dieu. Comment pourrait-elle en effet, alors qu'elle manque autant de cervelle, marcher, parler, exprimer des pensées et éprouver des sentiments si l'âme n'existe pas? Donc l'âme existe. Donc Dieu existe." (p. 82)

Un autre livre de Milena Agus, dans mon chapeau: "Mon voisin"

6 janvier 2009

Van Dijk portraitiste

6293_vandyckExposition Van Dijk au musée Jacquemart-André

Proposer, catalogue à l'appui, la première exposition monographique consacrée à Anton Van Dijk en France, telle est l'ambition affichée des organisateurs de l'exposition qui se tient en ce moment - et jusqu'au 25 janvier - au musée Jacquemart-André. C'est culotté, alors que la grande rétrospective anversoise consacrée au peintre n'est pas très éloignée, ni dans l'espace ni dans le temps (1997, je pense ?). Et c'est d'autant plus culotté que l'exposition parisienne est consacrée exclusivement aux portraits du peintre flamand (très grands formats exclus compte tenu de l'exiguité des espaces d'exposition), passant totalement sous silence le reste de son oeuvre et notamment sa peinture religieuse. Mais ceci dit, même si la vision proposée est très partielle, même si on se marchait sur les pieds dans les salles minuscules et malgré un éclairage pour le moins brutal, les oeuvres rassemblées ici sont d'une telle qualité que cette exposition était un vrai régal, qui valait amplement le déplacement. Avec un coup de coeur pour ce portrait d'une famille de la bourgeoisie anversoise:

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Anton Van Dijk, Portrait de famille, 1620, Musée de l'Ermitage (Saint-Pétersbourg) (Source)

Préservant les collections artistiques de Nélie Jacquemart et d'Edouard André dans leur ancien hôtel de maître, le musée Jacquemart-André est un parfait exemple d'une muséologie d'un autre âge: une accumulation d'oeuvres d'art en quantité telle qu'on peine à les distinguer les unes des autres et cela se ressentait - jusqu'à un certain point - dans l'exposition temporaire comme dans les salles consacrée à la collection permanente. Mais en un temps où les grands musées ne cessent de revoir leurs normes d'exposition, cela peut être perçu comme une qualité, un intérêt supplémentaire: un témoignage de la pratique des collectionneurs et des musées au XIXème siècle. Et puis le lieu, qui semble toujours habité par l'esprit de ses anciens propriétaires, a infinement de charme... Bref, je ne suis peut-être pas tout à fait séduite par cette première visite... mais presque ;-).

Le site du musée Jacquemart-André

Et celui plus particulièrement consacré à l'exposition Van Dijk

NB: La Tate-Britain consacrera à son tour une exposition à Anton Van Dijk, à partir du 18 février 2009. Pour plus d'informations, voir ici.

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3 janvier 2009

Tout ça pour ça?

18455757"Certains l'aiment chaud" de Billy Wilder,
avec Marilyn Monroe, Jack Lemmon et Tony Curtis

Ce film, diffusé jeudi soir sur Arte, était devenu un mythe, à l'égal de son interprète féminine dont il avait contribué à lancer la carrière. Et il s'annonçait accompagné d'une pluie d'étoiles dans le programme TV.

Mais je dois être imperméable aux charmes de Marilyn... Quant aux terrrrribles gangsters de Chicago: même pas peur! Et si "Arsenic et vieilles dentelles" me fait mourir de rire à tous les coups, je ne peux pas en dire autant des prestations de Jack Lemmon et Tony Curtis en travestis.

Bref, j'ai très tôt fini par ne plus regarder la télévision que d'un seul oeil. Et mon avis tout subjectif tient en quatre petits mots: tout ça pour ça?

2 janvier 2009

Sortilège caraïbe

“Wide Sargasso Sea” de Jean RhysCouverture_Sargasses
4 1/2 étoiles

Penguin, 1970, 156 pages, isbn 0140028781

Jamaïque, XIXème siècle, nombreuses sont les familles de planteurs ruinées suite à l’abolition de l’esclavage, en butte au mépris des nouveaux venus européens, débarqués de métropole munis de capitaux frais, et à la haine tenace de leurs anciens serviteurs noirs et métis. Et la famille d’Antoinette Cosway compte parmi les plus pauvres, reléguée loin de tout dans une plantation à l’abandon où la jeune créole grandit en sauvageonne, courant les bois à longueur de journée, fuyant toutes traces de présence humaine.

Avec ce roman qui lui valut enfin une reconnaissance tardive, après trente années d’oubli et de silence, Jean Rhys retrouve la terre natale qu’elle avait quittée à l’âge de seize ans pour rejoindre l’Europe. Et elle en dresse un tableau d’une beauté sensuelle, frémissante, ensorcelante, un tableau pourtant trop troublant, trop inquiétant, pour qu’on se contente d’y voir l’image d’un paradis perdu. L’oppression y est omniprésente, qu’il s’agisse de celle des noirs par les blancs, de celle que le dédain des métropolitains fait peser sur les vieilles familles créoles usées par le climat des caraïbes et des générations d’unions consanguines, ou encore de la menace diffuse des sortilèges de l’obeah, cette magie vaudou à laquelle les blancs ne croient pas, disent-ils, mais dont ils ne craignent pas moins les effets.

Et à travers le destin de la jeune Antoinette Cosway, c’est aussi l’oppression que fait peser sur une femme trop fragile une société impitoyable envers celle qui refuse de se soumettre à ses conventions et au jeu des apparences, qui est au cœur de ce livre dont l’épilogue tragique est connu de tous les lecteurs de Jane Eyre. Car c’est bien l’histoire de la première Mrs Rochester que Jean Rhys a choisi de nous conter ici : Antoinette, dotée d’une coquette fortune et d’un nouveau nom suite au remariage de sa mère avec le riche Mr Mason, rebaptisée Bertha par son mari qui en est venu à lui vouer une haine viscérale, en même temps qu’il en est venu à haïr la beauté trop présente, trop troublante, des Caraïbes…

Tout comme lors de ma découverte de
“L’Oiseau-moqueur et autres nouvelles”, j’ai éprouvé un vrai bonheur à me replonger dans l’univers pourtant si noir et inquiétant de Jean Rhys. Et le bonheur comme le trouble instillés à la lecture de “Wide Sargasso Sea” sont de ceux, si rares, qui continuent longtemps à accompagner le lecteur… Cela vaut bien de prendre le risque de ne plus jamais pouvoir lire “Jane Eyre” (et regarder son Mr Rochester) du même œil qu'auparavant!

Extraits :

“Everything is too much, I felt as I rode wearily after her. Too much blue, too much purple, too much green. The flowers too red, the mountains too high, the hills too near.” (p. 59)

“It is not for you and not for me. It has nothing to do with either of us. That is why you are afraid of it, because it is something else. I found that out long ago when I was a child. I loved it because I had nothing else to love, but it is as indifferent as this God you call on so often.” (p. 107)

41NPA17JJ6L__SL160_AA115_En VF: “La prisonnière des Sargasses”
traduit de l’Anglais par Yvonne Davet
Gallimard/L’Imaginaire, 2004, 238 pages, isbn 9782070770854

Mais la vieille édition Penguin que j'ai dénichée à la bibliothèque propose en outre une bonne introduction de Francis Wyndham, retraçant de façon claire, concise et sensible, le parcours de Jean Rhys...

D'autres livres de Jean Rhys, dans mon chapeau: "L'Oiseau-moqueur et autres nouvelles" et "Quai des Grands-Augustins".

30 décembre 2008

Guitare-jazz

045966_w60_h_q80"Accords et désaccords" de Woody Allen,
avec Sean Penn, Samantha Morton et Uma Thurman

Le Woody Allen, cuvée 1999, était un vrai faux documentaire jazzy et pétillant contant la vie d'Emmet Ray, second (et totalement imaginaire) meilleur guitariste de jazz des années 1930...

Ce film, que je n'avais pas vu lors de sa sortie en salle, et que j'ai découvert vendredi dernier sur Plug RTL, s'inscrit dans la veine la plus légère mais néanmoins savoureuse du cinéaste américain, avec un Sean Penn délicieusement imbuvable et une bande-son définitivement irrésistible!

D'autres films de Woody Allen, dans mon chapeau: "Match Point", "Maris et femmes" et "Whatever works"

29 décembre 2008

Tout Kadaré en un clin d'oeil

"Invitation à un concert officiel et autres nouvelles" d'Ismaïl Kadaré418AZTDSF8L__SL500_AA240_
3 1/2 étoiles

Le livre de poche/Biblio, 1990, 316 pages, isbn 2253054909

(traduit de l'Albanais par Jusuf Vrioni et Alexandre Zotos)

Quatrième étape de mon exploration de l'oeuvre d'Ismaïl Kadaré, auteur des mois d'octobre et novembre 2008 sur Lecture/Ecriture.

De longueurs très variables, les neuf nouvelles rassemblées dans ce recueil couvrent aussi une grande variété de thèmes et d'époques. De l'Antiquité mythique avec une brève évocation de la figure de Prométhée, l'éternel révolutionnaire, à la période contemporaine (ou presque) et aux redoutables subtilités des relations sino-albanaises ("Invitation à un concert officiel"). En passant par les temps obscurs de l'occupation ottomane auxquels "La caravane des féredjés" offre une métaphore frappante, nous contant l'ultime mission d'un caravanier chargé par la Sublime Porte d'acheminer vers l'Albanie des milliers de ces lourds voiles noirs - ou féredjés - dont les Albanaises devront dorénavant dissimuler leurs visages. Sans oublier les terribles exigences du droit coutumier albanais et de son code de l'honneur menant - une fois de plus - à une tragédie dans "Le crime de Suzana".

La plupart des thèmes fétiches d'Ismaïl Kadaré sont sans doute abordés, d'une façon ou d'une autre, au fil de ces neuf nouvelles. En cela, "Invitation à un concert officiel" offre au lecteur qui ne la connaîtrait pas encore une bonne introduction à l'oeuvre de l'auteur albanais. Mais pour moi qui abordait ce recueil après avoir lu plusieurs de ses autres livres, ce ressassement thématique est parfois devenu, eh bien, disons-le... un peu ennuyeux. Non que la qualité des nouvelles rassemblées ici soit en cause (à l'exception peut-être de "Chronique séculaire des Hankoni", récit de la vie d'une famille étiré sur près de deux siècles qui m'a paru quelque peu longuet et répétitif). Mais si "La caravane des féredjés", "La commission des fêtes" ou surtout "Pour que vive encore quelque chose d'Ana" (texte magnifique que celui-là qui nous plonge, tout en justesse, dans les réflexions d'un jeune homme qui a accompagné la jeune fille qu'il aime - et qui se croit atteinte d'un cancer - à l'hôpital, dans l'attente d'un diagnostic définitif) m'ont passionnée, un discret sentiment de déjà-vu est venue émousser mon intérêt pour leurs compagnons...

Extrait:

"Quel bonheur, en effet, que ces féredjés ne dussent servir à voiler ni le ciel ni la mer, ni aucune des beautés que renfermait ce monde. Car autrement... «Autrement, quoi?» se reprit-il. Pourquoi ruminait-il de telles sottises? Et pourtant, malgré qu'il en eût, il ne parvenait plus à effacer de devant ses yeux la vision d'un homme - lui-même, en l'occurrence - traînant après lui un drap immense, long et pesant rideau noir dont il allait recouvrir les plaines et les lacs des pays traversés où chacun le maudissait dans son dos, comme on maudit le diable." (pp. 15-16)

D'autres livres d'Ismaïl Kadaré, dans mon chapeau: "La fille d'Agamemnon", "Le Successeur", "Eschyle ou l'éternel perdant" et "L'année noire - Le cortège de la noce s'est figé dans la glace".

28 décembre 2008

Un dîner teinté d'amertume

51AY04TXRNL__SL160_AA115_"Cuisine et dépendances" de Philippe Muyl,
avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri et Jean-Pierre Daroussin

La reprise de la première pièce d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri que j'avais pu voir il y a peu au Théâtre de Namur, dans une mise en scène de Daniel Hanssens, m'avait certes fait passé une soirée agréable - un réveillon avant la lettre -, mais je la soupçonnais de manquer un tout petit peu de mordant. Et l'envie m'était donc venue de comparer l'interprétation de Daniel Hanssens et de ses comparses avec celle de la bande à Agnès Jaoui - Jean-Pierre Bacri.

C'est à présent chose faite grâce au DVD du film réalisé en 1992 par Philippe Muyl. Le ton y est moins bonhomme, plus sérieux, et - toutes proportions gardées car cela reste une comédie - teinté d'amertume voire même d'une pointe de tragique. Et pour être honnête, j'ai trouvé d'avantage de saveur à ce dîner de haddock brûlé et trop salé dans sa version plus amère... Même si ce premier opus du tandem Jaoui-Bacri n'est pas à mes yeux le plus abouti et si je continue à lui préférer "Un air de famille" et peut-être plus encore "Comme une image".

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