Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

Dans mon chapeau...

Dans mon chapeau...
14 novembre 2008

La naissance d'un mythe

"L'invention de la Vénus de Milo" de Takis Théodoropoulos
4 étoiles51H_hHlLBgL__SL160_AA115_

Sabine Wespieser, 2008, 216 pages, isbn 9782848050645

(traduit du Grec par Michel Grodent)

Par un beau jour du printemps 1820, un paysan de la petite île grecque de Milo a trouvé par hasard dans son champ les deux morceaux - buste et jambes - d'une statue qui est aujourd'hui une des stars incontestées du musée du Louvre. Et c'est le parcours de cette sculpture, d'un modeste champ à un palais, que Takis Théodoropoulos entreprend de nous conter ici. Une invention, vraiment, plutôt qu'une découverte. Et une invention qui emprunte autant à l'esprit du début du XIXème siècle qu'aux qualités plastiques indéniables de celle que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de Vénus de Milo.

L'époque était à l'évidence très particulière. La Grèce était sur le point d'entamer sa guerre d'indépendance contre l'occupant ottoman, et dans le même temps à l'affut de toutes les traces de son prestigieux passé qui pourraient l'aider à se refaire une fierté nationale. Mais les patriotes grecs n'étaient pas les seuls à se passionner pour l'art antique: tous les grands de ce monde - rois de France ou de Bavière - étaient pris de la même fièvre, et pour tous, c'était une question de prestige plus encore peut-être que d'esthétique... Et les complexités de la géopolitique de se mêler ainsi aux ambitions et aux agendas secrets des uns et des autres.

Takis Théodoropoulos a si bien su capturer le génie de cette période agitée "durant laquelle l'avenir envahit brutalement le présent, saccageant les vies humaines au nom de l'Histoire" (pp. 99-100), que son "invention de la Vénus de Milo" se lit comme un document, une merveilleuse leçon d'histoire de l'art qui réussit même à faire oublier qu'elle est une leçon. Tout, absolument tout dans ce livre semble parfaitement vrai*. Et pourtant ce récit est romanesque en diable, avec sa fabuleuse galerie de personnages: un paysan grec roublard, son apprenti trop bavard, un jeune aspirant de marine français malheureux en amour et l'épouse du consul de France à Milo, qui s'ennuie, mais qui s'ennuie (et qui en plus est allergique au soleil, alors la Grèce, vous pensez bien...) Sans oublier un prince ottoman collectionneur acharné et son factotum, un moine grec défroqué et voleur, ou un jeune Jules Dumont d'Urville, le futur explorateur des mers australes ici portraituré en opportuniste sans scrupule. Tous feraient de merveilleux personnages de roman, ce que d'ailleurs ils sont peut-être. Mais au fond, peu importe. Car le ton doucement caustique et pince-sans-rire de Takis Théodoropoulos fait de son "invention de la Vénus de Milo" un vrai petit régal de lecture. Alors réalité ou fiction, qui s'en soucie, vraiment ;-)?

*Et de fait, toutes les informations que j'ai pu recouper se sont révélées exactes.

Extrait:

"Les coutumes du IIe siècle de notre ère, c'est une chose. C'en est une autre de croire que Vénus est la déesse appropriée aux élans amoureux. Et les moeurs du XIXe siècle, c'en est encore une troisième, dans l'environnement sévèrement orthodoxe des Grecs de Milo où la sobre figure de la Vierge, avec son déficit de féminité, fixait les critères de la beauté féminine. Il y a une différence entre une statue intacte et surtout revêtue de couleurs qui contribuent à sa vraisemblance et un tronc brisé, exempt de bras, allongé dans votre champ parmi les pierres, souillé encore de terre, d'herbe et d'humidité. Loin de moi, l'idée de méconnaître l'impression qu'a dû faire sur Yorgos Kendrôtas et sur son apprenti, l'apparition inattendue parmi les ombres matinales d'une gorge dénudée de femme. Quand toujours sous l'effet du sommeil et sans nourrir le moindre soupçon, ils se dépêchaient de ramasser leurs pierres histoire d'en finir une heure plus tôt! Cela s'appelle un viol du quotidien et cela montre la manière dont une oeuvre d'art, issue de la lointaine réalité qui la vit naître, s'inscrit dans le présent comme une fissure créée à la surface du temps. L'impression est d'autant moins contrôlable que l'oeuvre surgit dans la nature, comme un élément quasi vivant en somme, bien avant d'être rangée dans une quelconque salle de musée, parmi ces créatures sexuellement interchangeables exhibées à l'intention des visiteurs avertis." (pp. 38-39)

Publicité
13 novembre 2008

Un homme parmi tant d'autres...

411"Un Faust" de Jean Louvet
Atelier Théâtre Jean Vilar, Louvain-la-Neuve, le 12 novembre 2008

On peut - et d'ailleurs on le fait souvent - situer Jean Louvet en deux mots en le présentant comme le grand dramaturge wallon du XXème siècle. Ce n'est pas faux, car son oeuvre théâtrale est bel et bien ancrée dans l'histoire industrielle, économique et sociale de cette région. Mais cela ne dit rien de ce qu'une pièce comme "Conversation en Wallonie", évoquant la vie d'une famille ouvrière de La Louvière après la deuxième guerre mondiale, peut avoir d'émouvant, de profondément humain et donc d'universel...

Et la pièce de Jean Louvet que j'ai découverte hier soir, à l'Atelier Théâtre Jean Vilar, se prête si possible encore moins à ce genre de simplifications faciles. "Un Faust" conte somme toute l'histoire d'un homme parmi beaucoup d'autres: la cinquantaine tout juste bedonnante et dégarnie, militant de gauche qui a presque tout sacrifié à son combat politique et qui commence à se sentir fatigué, désabusé, un peu amer... Mais cette pièce est si poétique et si peu dramatique que c'est déjà mentir un peu que de dire qu'elle raconte une histoire, car c'est plutôt une succession d'instants, de fulgurances, d'images et d'émotions. Le texte, sans doute, est magnifique. Mais ce n'est pas un texte facile à défendre, et à projeter par-dessus la rampe, quand la moitié de la salle toussotte à qui-mieux-mieux. Et ce n'est pas un texte facile à suivre quand vos voisins récalcitrants l'assaisonnent de commentaires intempestifs (avant qu'ils ne se décident enfin à quitter la salle et que ne l'ont-ils fait plus tôt!). On en perd des lambeaux entiers, et un peu de la magie du spectacle s'envole sans espoir de retour...

Et pourtant, j'ai aimé la lecture d'"Un Faust" proposée par Lorent Wanson, où tout - le décor, la musique...- était en parfait accord avec la poésie du texte de Jean Louvet. Et j'ai été touchée aussi par le Faust si vulnérable de Christian Crahay, la fraîcheur de la Marguerite d'Edwige Bailly... et même par le Méphisto roublard et patelin de Jean-Marie Pétiniot, un Méphisto presque pathétique, ne sachant littéralement plus à quel saint se vouer tant Marguerite lui en met plein les mains!

 

NB: La photo illustrant l'affiche du spectacle est un cliché de C. Junius, d'après John Vachon - Travailleur dans une mine de charbon.

Présentation du spectacle sur le site de l'Atelier Théâtre Jean Vilar

12 novembre 2008

Un pas-de-deux avec le diable...

18947036"Valse avec Bachir" d'Ari Folman

Je crois qu'on ne remerciera jamais assez certaines petites salles de cinéma de continuer à proposer certains films parfois plusieurs mois après leur sortie. C'est en tout cas à une de ces petites salles que je dois d'avoir enfin pu découvrir hier le film d'Ari Folman, qui était sorti en salle l'été dernier et que j'avais depuis réussi à rater avec une belle persistance largement involontaire!

Et je suis bien contente d'avoir comblé cette lacune, même si les premières minutes du film m'ont fait craindre de m'être fourvoyée dans un de ces dessins animés japonais apocalyptiques à l'animation aussi minimaliste que stéréotypée, et qui ont le don de m'horripiler. "Valse avec Bachir" embarque en effet le spectateur en plein cauchemar, sous la menace d'une meute de chiens aux yeux phosphorescents. Et c'est bien d'un cauchemar qu'il s'agit, de celui qui hante chacune des nuits d'un des personnages du film, depuis quelques années déjà, ce que nous découvrons dès la seconde scène...

Le 14 septembre 1982, le président libanais, Bachir Gemayel, est assassiné dans un attentat à la bombe. Sa mort sera vengée quelques jours plus tard par les phalangistes ou milices chrétiennes dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, encerclés par l'armée israëlienne. C'est en fait ce pas-de-deux de Tsahal avec le diable qui est au coeur de "Valse avec Bachir". La compromission de certains membres de l'état-major et du gouvernement israëlien dans ce massacre. Et le sentiment de culpabilité qui ronge, aujourd'hui encore, certains de leurs complices involontaires. Car ce sont eux, les jeunes appelés d'alors, qui étaient entrés au Liban en toute inconscience des horreurs qui les y attendaient et qui se débattent aujourd'hui avec les conséquences de ces événements, qui sont les héros du film d'Ari Folman.

Passé la première séquence de cauchemar, et malgré quelques autres scènes oniriques, "Valse avec Bachir" ne tarde pas à se révéler comme un remarquable documentaire - car telle est bien la lecture qui s'impose et si ce n'en est pas un, c'est que l'illusion est parfaite! Un documentaire auquel la forme très particulière du dessin animé confère une distance inhabituelle. Le cinéma a souvent montré les jeunes recrues partant pour le front - Normandie, Pacifique, Corée, Vietnam... - comme pour un fête, mais il a rarement offert un tel espace à la réflexion sur les horreurs de la guerre et leurs conséquences. Pour cette raison, "Valse avec Bachir" est un film à voir. Et c'est aussi un film qui ne laisse pas son spectateur indemne.

La page consacrée à "Valse avec Bachir", dans wikipedia

11 novembre 2008

Couleurs automnales (1)

La dernière feuille est restée seule, comme un oiseau sur sa branche...

IMG_1014

Louvain-la-Neuve (Cliché Fée Carabine)

Couleurs automnales (2), (3) et (4)

10 novembre 2008

Désillusion conjugale

9782070389322"Mon Michaël" d'Amos Oz

4 étoiles

Gallimard/Folio, 1995, 320 pages, isbn 2070389324

(traduit de l'Hébreu par Rina Viers)

Troisième lecture d'Amos Oz, auteur des mois d'août et septembre 2008 sur Lecture/Ecriture. C'est ma première véritable rencontre avec son univers romanesque, mais je ne me suis pas trouvée le moins du monde dépaysée car la Jérusalem des années 1950 qu'il ressuscite ici est aussi celle de son autobiographie "Une histoire d'amour et de ténèbres". Deux livres en résonance, qui s'éclairent mutuellement...

Tout commence à Jérusalem en 1950. Hanna vient de trébucher dans les escaliers de l'université. Un jeune homme l'a rattrapée par le bras. Un rendez-vous suit, le même soir et quelques semaines - et un léger émoi - plus tard, Hanna se retrouve fiancée à son sauveur, Michaël, étudiant en géologie. Dès lors, une question ne cessera plus de la tarauder: "Que lui as-tu trouvé à cet homme, et que sais-tu de lui? Et si un autre que lui t'avait pris par le bras lorsque tu as trébuché dans l'escalier de Terra Sancta?" (p. 135)

De son enfance, de ses lectures de Jules Verne et de ses jeux avec les enfants des voisins arabes, deux garçons jumeaux, Hanna a gardé des rêves de princesse aux pieds nus, des envies de confort et de fantaisie que la Jérusalem des années cinquante, et Michaël, si terne, terre-à-terre et raisonnable, peinent à satisfaire... Tout au long de "Mon Michaël", le lecteur se voit ainsi embarqué dans un va-et-vient entre les fantasmes d'Hanna et la réalité de sa vie quotidienne: l'argent qui manque, la grossesse difficile puis les confrontations avec son petit garçon, Yaïr, aussi épouvantablement raisonnable que son père ce qui ne manque pas d'horripiler sa mère. Bref, "Mon Michaël" dresse en quelque sorte l'inventaire des désillusions de son héroïne, pressenties dès avant son mariage dans la multiplication des signes de mauvais augures, et constatées ensuite simplement, d'un ton tout juste amer et désabusé...

Je mentirais si je disais que ce livre m'a passionnée ou enthousiasmée outre mesure. J'ai plutôt l'impression d'être restée sur le pas de la porte, observant à distance prudente les errements d'Hanna. C'est que l'héroïne de "Mon Michaël" est si bien perdue dans son propre monde, et que ses rêves conservent quelque chose de si enfantin ou pour mieux dire d'immature, qu'il me semble fort difficile de s'en approcher ou de s'y projeter. Mais cela ne m'a pas empêchée de poursuivre ma lecture de ce livre avec beaucoup d'intérêt. En fait, "Mon Michaël" m'a paru étonnant à plus d'un titre. D'abord, par son sujet et ce choix - surprenant pour un jeune écrivain, puisque qu'il s'agissait là seulement du deuxième roman d'Amos Oz - de se plonger dans la vie intérieure d'une femme aux prises avec le vieillissement qu'impose les aspirations inassouvies et les désillusions d'une vie étriquée, jusque et y compris dans les attentes de son corps, ses flambées de désir et ses envies brutales et soudaines de séduction. Enfin, par la maîtrise avec laquelle l'auteur conduit ce récit, les beautés et les richesses de son écriture, témoignant - déjà - d'un talent incontestable.

Extrait:

"Je dois écrire aussi ceci. A la fin de la soirée mon mari essaya de m'embrasser par surprise dans le cou. Il s'était approché de moi en catimini, par-derrière. Peut-être ses amis étudiants lui en avaient-ils donné l'idée. Au même instant je tenais un verre plein de vin que mon frère m'avait mis dans la main. Au moment où ses lèvres touchèrent ma peau j'eus très peur. Le vin éclaboussa ma robe blanche de mariée ainsi que le tailleur marron de tante Génia. Ce détail est-il important? Depuis le matin où ma propriétaire, Mme Tarnopoler, m'avait parlé après mes cris de la nuit, les signes n'avaient pas manqué. C'est comme mon père. Mon père savait écouter. Il a traversé l'existence comme si elle était un stage de préparation au cours duquel les leçons vous permettent d'acquérir une expérience en prévision de l'au-delà." (p. 63)

D'autres livres d'Amos Oz, dans mon chapeau: "Une histoire d'amour et de ténèbres", "Les voix d'Israël", "Scènes de vie villageoise" et "Un juste repos"

Publicité
7 novembre 2008

L'art de l'ellipse

"Ritournelle de la faim" de J.M.G. Le Clézio41MlqXcvsYL__SL500_AA240_
5 étoiles

Gallimard, 2008, 207 pages, isbn 9782070122837

L'histoire semble si simple. Un narrateur qui est et n'est pas l'auteur conte l'histoire d'une jeune fille - Ethel Brun - qui est et n'est pas la mère de J.M.G. Le Clézio. L'histoire d'une petite fille, d'une adolescente puis d'une jeune femme dans la France des années 1930 à 1945, avec ses emprunts à la mémoire familiale de l'auteur mais aussi la liberté de la fiction. Et simples, le ton et la conduite du récit semblent l'être aussi. L'écriture s'est dépouillée du lyrisme qui n'était pas pour peu dans le charme d'autres livres de J.M.G. Le Clézio, tandis que la narration prend toutes les apparences d'une histoire racontée très spontanément, en suivant les tours et les détours de la mémoire, passant ici et là du coq à l'âne, filtrée parfois par la compréhension qu'une enfant pouvait avoir des événements...

Puis, petit à petit, on comprend qu'un pan essentiel de l'histoire n'apparaît qu'en creux, ne nous est raconté que dans les silences et les ellipses de ce récit qui semblait au premier abord si simple et décousu.

C'est toute la vie d'une famille d'abord, la vie la plus secrète des parents d'Ethel qui surgit des pages de ce livre, alors même qu'aux yeux de la jeune fille, "Il était trop tard pour savoir la vérité, pour connaître leur vraie histoire, comment ils s'étaient connus, pourquoi ils avaient voulu se marier, ce qui leur avait donné l'idée de mettre une fille au monde." (p. 175) Inexpliquée, irréductiblement mystérieuse, leur vie est pourtant là, qui nous est donnée à pressentir, de la même façon que nous pouvons, en découvrant de vieilles photos de famille de bien avant notre naissance, avoir l'intuition de cette part de la vie de nos parents qui échappe à notre connaissance et même à notre imagination.

Et c'est toute la vie d'une époque, aussi, qui ressuscite dans ces pages. La vie d'une certaine bourgeoisie française des années trente, son anti-sémitisme rampant, son attitude ambiguë envers Hitler ou tout simplement sa molle et égoïste indifférence. Tant de livres ont déjà été consacrés à cette sombre période. Des livres intelligents et/ou bouleversants. Mais on n'a sans doute jamais serré d'aussi près le poison insidieux qui imprégnait ces années, et sans lequel l'Impensable n'aurait peut-être pas été possible. On n'a sans doute jamais apporté tant de justice, d'humanité et d'intelligence à l'évocation de l'héroïsme sans phrase ou de la médiocrité verbeuse qui faisaient l'ordinaire de ces années-là.

Sous ses dehors d'une fausse simplicité, "Ritournelle de la faim" est un livre extraordinairement intelligent.

Et incroyablement fort.

Extrait:

"Est-ce qu'elle voyait les restes de la guerre, le long de la route, ces pans de mur à demi effondrés sur lesquels on pouvait lire un nom, un slogan, les trous noirs dans les champs, les épaves de voitures calcinées, une carriole sans roues, un squelette de cheval à demi dressé contre une barrière, couleur de suie rouge, ses dents ricanant aux moineaux et aux choucas? Peu de chose en vérité par rapport aux ruines de Dunkerque, de Verdun, de Châlons, aux ponts effondrés à Orléans, à Poitiers. Mais ici, le long de cette route sans fin, ce n'étaient pas des photos, des images tremblantes sur les films du Pathé-Journal. Aucune voix pour mentir, pour érailler le réel. Ce qui était étrange, angoissant même, c'était plutôt ce calme excessif, ces champs si beaux, ce ciel si bleu, une paix exsangue, ou, plus réalistement, le vide vertigineux de la défaîte." (p. 147)

J.M.G. Le Clézio était l'auteur du mois de mars 2006, sur Lecture/Ecriture

Un autre extrait de "Ritournelle de la faim", dans mon chapeau:

5 novembre 2008

Simple question d'imagination

"Il a bien fallu que quelqu'un imagine la laine ailleurs que sur le dos des moutons, le coton hors des champs, pour que nous ayons des châles au cou et de beaux draps pour couver nos amours."

Fatou Diome, "Inassouvies, nos vies", Flammarion, 2008, p. 16

"Le peu d'informations dont elle disposait, à propos de ceux qu'elle observait, alimentait ses interrogations. Dans sa tête, des lianes folles poussaient, dopées par l'engrais de son imagination. La curiosité est un maître de ballet qui préfère l'alacrité d'une franche bourrée aux langueurs délicates d'une sarabande."

Idem, p. 20

4 novembre 2008

En ces temps obscurs...

"Man in the Dark" de Paul Auster41Ki89prbDL__SL160_AA115_
4 étoiles

Faber and faber, 2008, 180 pages, isbn 9780571240760

Un homme est seul dans la nuit, en proie à l'insomnie. Sa fille et sa petite-fille sont allongées sous le même toit, sans doute tout aussi réveillées que lui. Leur maison est une maison endeuillée. Et pour tenir à distance le chagrin et l'horreur dans cette longue nuit solitaire, notre homme ne trouve pas de meilleure parade que de se raconter une histoire: celle d'un jeune homme ordinaire qui se voit transporté, à son corps défendant, dans une réalité parallèle où les Etats-Unis d'Amérique présentent un visage bien différent de celui que nous leur connaissons aujourd'hui. Ils sont toujours en guerre, mais cette fois avec eux-mêmes, car les états favorables à Al Gore, lors des élections présidentielles d'il y a tout juste huit ans, n'y ont pas accepté la victoire de Georges W. Bush provoquant ainsi l'éclatement du pays et des scènes d'Apocalypse dignes des pires séries B...

"Man in the Dark" nous promène constamment entre la songerie d'August Brill, puisque tel est le nom de notre insomniaque, et ses retours à une réalité pénible et douloureuse. La construction du nouveau roman de Paul Auster se révèle à cet égard assez simple et linéaire, mais aussi diablement efficace. La tension entre la médiocrité de l'histoire que se raconte August Brill et ce que nous découvrons peu à peu de sa vie réelle - il fut un critique littéraire aussi intransigeant qu'enthousiaste, et il s'est depuis quelques temps laissé entraîner par la passion de sa petite-fille pour ce que le cinéma peut offrir de meilleur, les chefs-d'oeuvre des Renoir, de Sica, Ray ou Ozu... - tire sans cesse l'attention vers l'avant. Vers une conclusion qui claque comme une gifle et qui impose presque brutalement je ne dirai pas le sens de cette fable surprenante - car c'est bien plutôt d'une absence de sens qu'il faudrait parler - mais sa cohérence.

Voici un roman qui pourrait marquer un tournant dans l'oeuvre de Paul Auster. Peut-être vers plus de simplicité et d'efficacité, ici en faveur d'un engagement manifeste car "Man in the Dark" est, entre autres choses, une prise de position politique portée à un degré d'intensité dramatique inégalé.

Extrait:

"Renoir then cuts to Gabin and Dalio running through the woods*, and I'd bet money that every other director in the world would have stayed with them until the end of the film. But not Renoir. He has the genius - and when I say genius I mean the understanding, the depth of heart, the compassion - to go back to the woman and her little daughter, this young widow who has already lost her husband to the madness of war, and what does she have to do? She has to go back into the house and confront the dining room table and the dirty dishes from the meal they've just eaten. The men are gone now, and because they're gone, those dishes have been transformed into a sign of their absence, the lonely suffering of women when men go off to war, and one by one, without saying a word, she picks up the dishes and cleans the table." (pp. 17-18)

* Dans "La Grande Illusion"

Paul Auster était l'auteur du mois de novembre 2005 sur Lecture/Ecriture

couvEn V.F: "Seul dans le noir"
traduit de l'Anglais par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 2009, 324 pages, isbn 9782742780464

3 novembre 2008

Un grand frère bien encombrant

"Le bruit des villes (Marzi, tome 4)" de Marzena Sowa (scénario) et Sylvain Savoia (dessin)
5 étoiles61neJNObvDL__SL160_AA115_

Dupuis, 2008, isbn 9782800140841

A la fin des années 1980, Marzi, la petite polonaise dont Marzena Sowa et Sylvain Savoia nous avaient déjà conté les aventures au fil de trois précédents albums, continue de grandir et de découvrir le monde qui l'entoure, s'éloignant chaque jour un peu plus de l'insouciance de l'enfance...

Le climat social se fait de plus en plus tendu: les grèves se multiplient sous l'impulsion de Solidarnosc. La fillette ne peut bien sûr rester insensible à l'inquiétude très palpable de ses parents, ni aux absences répétées de son papa qui s'est joint aux grévistes de son usine. Et l'heure est venue pour elle de prendre conscience du poids du "grand frère" soviétique dans la politique polonaise, et de la menace que laisse planer le souvenir des massacres de Katyn.

Le ton se fait donc de plus en plus grave, dans ce quatrième tome, qui n'en continue pas moins à nous offrir de très beaux moments de drôlerie, de tendresse et d'émotion. Car la vie suit son cours malgré tout. Les mésaventures de l'esclave Isaura, dans son lointain Brésil, rassemblent 84% des Polonais devant le petit écran, tous les mardis soirs. Et l'école, les inspections des infirmières et le retour des vacances d'été rythment toujours le passage du temps.

Alors que les trois premiers tomes des aventures de la petite polonaise, réédités en un seul volume dans une mise en couleurs complètement retravaillée, viennent de se voir sélectionnés pour le prochain festival d'Angoulème, "Le bruit des villes" confirme toutes les qualités d'une série bien à même de faire le bonheur des petits comme des grands...

Les autres épisodes:

"Petite carpe (Marzi, tome 1)"
"Sur la terre comme au ciel (Marzi, tome 2)"

"Rezystor (Marzi, tome 3)"
"Pas de liberté sans solidarité (Marzi, tome 5)"

31 octobre 2008

Un poème pour Halloween

... ou une fort ancienne version de "Trick or treat!"

L'hirondelle, l'hirondelle,
ramenant la saison belle,
Et la bonne année avec elle!

Pour l'hirondelle au ventre blanc,
Pour l'hirondelle au dos tout noir,
Donne à manger et donne à boire!

Donne du fromage et du flan,
Du pain blanc et du raisin sec,
Pour l'hirondelle au joli bec!

Donne! Nous te remercierons!
Mais autrement nous resterons,
Ta porte nous démolirons!

Autrement, nous emporterons
Ta femme assise près du feu!
Elle est menue et pèse peu!

Donne! Donne et grand bien te fasse!
L'hirondelle aussi te rend grâce!
Nous ne sommes pas des méchants,
Mais rien que des petits enfants!

Chanson enfantine de Rhodes, in "La Couronne et la Lyre" - Anthologie de la poésie grecque ancienne, textes choisis, traduits et présentés par Marguerite Yourcenar, Poésie/Gallimard, 2001, pp. 147-148


Publicité
<< < 10 20 30 40 50 51 52 53 54 55 56 > >>
Dans mon chapeau...
Publicité
Archives
Publicité