Des nouvelles de Glasthule
"Les Bons Chrétiens" de Joseph O’Connor
4 ½ étoiles
Phébus/Libretto, 2010, 237 pages, isbn 9782752904331
(traduit de l’Anglais par Pierrick Masquart et Gérard Meudal)
Outre un lever de rideau à Belfast et quelques détours londoniens, l’essentiel des treize nouvelles rassemblées ici nous entraînent à Glasthule, modeste banlieue de Dublin, pour y partager les drames, les chagrins et les insatisfactions de gens ordinaires. "Taxi Blues" nous livre ainsi le récit tout simple de la très mauvaise journée d’un chauffeur de taxi. Le jeune garçon narrateur de la nouvelle qui donne son titre au recueil devient quant à lui le témoin de la séparation de ses parents, puis de la mort solitaire d’une vieille femme qu’il avait l’habitude de rencontrer tous les dimanches à l’église, tandis que le héros de "La liberté de la presse" dont l’épouse vient de mourir dans un accident de train est bouleversé de découvrir que sa compagne de toute une vie lisait ce jour-là le Daily Sentinel et non le Telegraph dont il pensait que c’était son journal habituel: "Je veux dire, imaginez un peu: avoir connu quelqu’un pendant toutes ces années. Avoir affronté tant de choses ensemble, tout ce qu’on a pu affronter, et ne même pas avoir deviné ce petit faible pour le Daily Sentinel, de temps en temps, comme s’il y avait du mal à cela. Ça vous en dit long – comme on se connaît peu, je veux dire." (pp. 193-194)
Dès la toute première de ces nouvelles - "Les collines aux aguets", récit de la liaison homosexuelle entre Danny Sullivan, militant de l’IRA, et Henry Woods, un soldat britannique -, le ton est donné. Aucun sujet n’est trop difficile pour Joseph O’Connor. Et tous sont traités avec autant d’humanité que de sobriété et de justesse. Que ce soit l’obsession malsaine d’un homme pour sa voisine du rez-de-chaussée dont il a pris l’habitude de voler le courrier ("Ailsa"), obsession qui devient par la bande le révélateur des frustrations que lui laisse son propre couple. Ou encore, dans "Les mères sont toutes les mêmes", le récit par un jeune Irlandais débarquant pour la première fois à Londres pour y chercher du travail, de sa rencontre avec l’une de ses compatriotes venue de toute évidence en Angleterre pour s’y faire avorter, récit qui tire sa force peu commune du fait que son narrateur ne comprend rien de rien à ce qui se passe…
Chacune des treize nouvelles rassemblées dans ce recueil mériterait sans doute d’être évoquée plus en détails ici car toutes sont de très grande qualité. Et je ne peux me défendre d’être très impressionnée, vraiment, à l’idée que ces textes comptent parmi les tous premiers publiés par Joseph O’Connor au début des années 1990. Voilà donc un auteur à suivre et auquel je reviendrai assurément dans un proche avenir !
Extrait :
"La deuxième mission fut l’expédition punitive. En se rendant au parc, la fois suivante, il repensait à la conversation qu’il avait eue. Il se rappelait la tache de sang qui s’étendait sur le sol. Il se rappelait le visage implorant et terrifié du revendeur de drogue. Il se souvenait du son mat que faisaient les os lorsqu’on les brisait. C’était la première fois qu’il brisait un genou. Mais ils n’avaient pas utilisé de pistolet. Ils avaient pris des blocs de ciment pour fracasser les jambes de leur victime. C’était absurde. Dans les autres pays on se souvient de son premier jour d’école, de sa première visite chez le dentiste à la rigueur, de son premier baiser.
- Mais putain, qu’est-ce que l’Irlande a à foutre de moi ? avait ensuite demandé Danny Sullivan." (pp. 28-29)
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