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Dans mon chapeau...
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26 décembre 2008

La loi face à la barbarie

"La loi" de Thomas Mann517Y6RVZ1VL__SL500_AA240_
4 1/2 étoiles

Mille et une nuits, 1997, 141 pages, isbn 2842050940

(traduit de l'Allemand par Nicole Taubes)

Dans ce court roman, écrit en 1943, Thomas Mann revisite l'histoire de Moïse, de l'exode d'Israël hors d'Egypte et de l'instauration des dix commandements. Le sujet peut surprendre, ou à tout le moins paraître archaïque. Ce n'était pourtant pas la première fois que Thomas Mann se frottait à l'Ancien Testament. En cette même année 1943, il venait enfin de publier "Joseph nourricier", le dernier volet de sa monumentale tétralogie consacrée à l'histoire de Joseph et de ses frères (un projet qui l'occupait depuis 1927). C'est dire non seulement que Thomas Mann se trouvait là en terrain familier, mais surtout qu'il savait très bien ce qu'il faisait.

A vrai dire, la relecture de l'Exode que nous offre ici Thomas Mann est assez peu orthodoxe. Moïse nous y est présenté comme un être terriblement humain, intransigeant, vaniteux, voluptueux et qui n'hésite pas à interpréter son fameux décalogue comme ça l'arrange: bien sûr, il est dit que "Tu ne commettras pas l'adultère", mais non voyons, cela ne veut pas dire que Moïse ne peut pas prendre une concubine en sus de son épouse légitime... Et vous n'aurez tout de même pas le culot de lui dire comment il doit interpréter son décalogue? Thomas Mann maintient ainsi de bout en bout l'ambiguité concernant les origines, divines ou au contraire très humaines, de la loi du "peuple élu".

Mais en fin de compte, les ombres et les ambiguités qui entourent la naissance de cette loi - la loi originelle dont l'influence ne s'est jamais éteinte dans notre monde occidental - n'ont aucune importance. Et c'est en cela que ce bref roman se révèle magistral: montrer la loi, si humaine et si imparfaite soit-elle, comme l'affirmation de la vie face à la mort, de l'humain face à la barbarie. En 1943, la question était bien sûr d'une actualité brûlante. Et elle n'a sans doute pas cessé de l'être.

Et puis, je m'en voudrais de passer sous silence les qualités littéraires de ce texte, où Thomas Mann a su ressusciter une langue incantatoire - imprécatoire parfois -, qui ne saurait laisser indifférent. Pour toutes ces raisons, ce bref roman, oeuvre peu connue en comparaison d'autres livres de son auteur (et qui est  enrichi ici d'une très belle lecture de Raphaël Draï), est loin, bien loin, de n'être qu'un texte mineur.

Extrait:

"Car d'autant plus nombreux se pressaient les demandeurs à son siège de la source que la justice était quelque chose d'entièrement nouveau pour cette race misérable et abandonnée, que jusqu'alors elle avait à peine su qu'il existât semblable chose, et qu'elle savait donc depuis peu, premièrement que le droit était en rapport très étroit avec l'invisibilité de Dieu et avec Sa Sainteté, et se trouvait sous Sa protection, et deuxièmement, que le bon droit incluait également le tort, ce que cette masse vulgaire fut longtemps sans pouvoir comprendre. Car elle croyait que là où régnait le droit, chacun dût obtenir raison, et elle ne voulait pas croire, au début, qu'on pût également avoir justice alors qu'il vous était donné tort et qu'on repartait le coeur frustré." (p. 63)

Un autre livre de Thomas Mann, dans mon chapeau: "La mort à Venise".

D'autres livres de Thomas Mann sont présentés sur Lecture/Ecriture.

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