Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans mon chapeau...
Dans mon chapeau...
france
20 avril 2009

L'art, c'est...

"L'art s'inscrit toujours en excès.
Excès de sens, d'effroi comme de quiétude, excès de givre, de neige et de lucidité."

Lionel Bourg, "Gueules de fort", Folle Avoine/La petite bibliothèque, 2008, p. 57

Publicité
23 mars 2009

Un cheminement vers le monde

"L’Intérieur du monde" de Jean-Pierre Lemaire4164TJDMXAL__SL160_AA115_
4 étoiles

Cheyne, 2007, 98 pages, isbn 9783841160662

De la dernière maladie du père au retour de la lumière sur la mer, après une averse estivale, les cinq sections de "L’intérieur du monde" - "Simple mortel", "Noé", "Chants du purgatoire", "La retenue" et "Les bras ouverts" – retracent un cheminement spirituel. Une lente méditation allant de la prise de conscience de se trouver désormais aux avant-postes, face à la vieillesse et à la mort, vers un regard renouvelé sur le monde alors que le poète constate:

"La vie t’est rendue
comme le soir, après la pluie,
l’odeur des iris au fond du jardin."
(p. 91)

C’est un parcours par mille émotions et sensations, de la douce lumière baignant les paysages toscans où "Le ciel léger repose / sur la pointe des cyprès." (p. 46) à l’ombre fraîche d’une chapelle dans la chaleur de l’été, du craquement des feuilles mortes au bleu lumineux et doux d’une "Crucifixion" de Giotto *. Ce sont autant de perles recueillies d’un œil attentif, condensées dans le flux d’une langue fluide et souple, qui semble couler tout naturellement.

Extrait :

"Debout, tu as longtemps éclipsé le monde,
dieu volcanique des commencements,
et tu l’as entraîné avec toi sous terre.
Il n’y a plus que des fantômes d’arbres,
le décor de ta ville au bord de la mer,
des flocons de couleur. Les enfants seuls
croient encore assez au monde pour jouer.
Parmi les racines, ton masque de sang
est devenu un masque de cristal
où je te revois faible, endormi, suivant de loin
le lent travail, dans la lumière sépulcrale,
de ton visage qui se recompose."
(p. 19)

* "Giotto", un poème tiré de "L'Intérieur du monde" et reproduit sur Terres de femmes.

D'autres poèmes de Jean-Pierre Lemaire, dans mon chapeau: "Marchant sur le moût des feuilles en hiver..." et "Bologne".

8 mars 2009

Pèlerinage au bord du canal d’Ille-et-Rance

"Le Chemin des écluses", suivi de "Gueules de fort" 316hYjAW8qL__SS500_
de Lionel Bourg
4 ½ étoiles

Folle Avoine/La petite bibliothèque, 2008, 59 pages, isbn 9782868101846

Au bord du canal d’Ille-et-Rance, la villa Beauséjour, maison de la poésie de Rennes, accueille depuis quelques années des écrivains en résidence. Au printemps 2007, ce fut le cas de Lionel Bourg qui en a ramené ce "Chemin des écluses", récit précis et même méticuleux de ses promenades au long du canal et dans ses environs. Des promenades qui se muent insensiblement en un pèlerinage littéraire et poétique, sur les traces de Chateaubriand, Victor Segalen, Henri Thomas ou René-Guy Cadou, et partant en une méditation sur le temps qui passe, la vie, la mort, l’amour et ce que la poésie peut diable venir faire au milieu de tout cela : "Serait-ce donc ça, la poésie, ce qui cruellement nous manque ?
La frappe, et la scansion, douce, brutale, de ce défaut, ou comme aux veines des poignets le pouls sectionné de l’absence."
(p. 48)

Un second texte plus bref, "Gueules de fort", vient compléter cette plaquette par une évocation des tableaux d’Elice Meng, inspirés par les ouvriers – prisonniers, forçats… - qui construisirent le fort de Saint-Père, et dont beaucoup perdirent la vie dans ces grands travaux inutiles, offrant ainsi un prétexte à une nouvelle réflexion sur le rôle de l’art : ranimer des souvenirs occultés, et rendre justice aux exclus et aux oubliés…

Bien loin de se limiter à offrir un reflet des circonstances de leur création, "Le Chemin des écluses" et "Gueules de fort" se prêtent à de multiples relectures, suscitant de nouveaux échos, de nouvelles résonances à chaque redécouverte. Dans leur beauté aussi austère qu’insaisissable, et leurs épaisseurs de sens superposées de l’expérience immédiate aux détours de la mémoire la plus lointaine, ces deux textes se révèlent en fait propices à des explorations sans fin.

Extrait :

"Comment écrire, après ça ?
Comment s’acquitter de cette tâche ou, villa Beauséjour, dans l’appartement mis à ma disposition, tracer à l’intérieur de mes carnets autre chose que les phrases crayeuses, qui s’ébrèchent lorsque le temps ou l’inexpiable durée qu’elles réclament ne les étaie plus, les abandonnant à la friabilité, l’indigence d’une pensée, d’un monde, même, qu’elles drapaient autrefois, auquel elles aspiraient du moins, et comment l’assouvir,
Elle est retrouvée !
Quoi ? L’éternité.
Après tant d’échecs, tant d’itinéraires absurdes aux confins du langage, l’exigence, en soi, de ce que l’on suppose être encore la mer, le soleil, la poésie ?" (p. 41)

D'autres extraits, dans mon chapeau: ici et .

22 février 2009

L'annonce d'un redoux... (1)

Marchant sur le moût des feuilles en hiver,
tu entends déjà l'eau couler sous la neige.
Le nuage rose et vert dans le soleil,
les traces d'animaux d'un sapin à l'autre
t'entraînent doucement vers la vie promise
comme le courant qui dépasse la barque.

Jean-Pierre Lemaire, "L'Intérieur du monde", Cheyne, 2007, p. 41

Un autre poème de Jean-Pierre Lemaire, sur Terre de femmes: "Giotto".

Et dans mon chapeau: "Bologne"

L'annonce d'un redoux... (2)

18 janvier 2009

Des mots pour dire l’indicible

"Les bains de Kiraly" de Jean Mattern41S6LBTTm0L__SL160_AA115_
5 étoiles

Sabine Wespieser, 2008, 133 pages, isbn 9782848050669

Malgré son mariage avec Laura. Malgré son amitié pour Léo. Gabriel s’est enfoncé dans le silence comme on se noie, des cailloux plein les poches. Pendant longtemps, il a cru qu’il pourrait remonter à la surface, échapper à l’héritage de non-dits laissés ses parents qui ne lui ont jamais parlé de leur origines familiales, ni de leur religion qui s’est réduite à une sentence laconique - «Dieu a donné, Dieu a repris» -, tout comme ils ont laissé s’engloutir dans le silence le visage de Marianne, leur fille aînée fauchée par un chauffard. Pendant longtemps, Gabriel a cru que les mots des autres - les mots des écrivains qu’il traduit – pouvaient lui servir de refuge. Mais à l’occasion d’un voyage en Hongrie, et d’une visite au cimetière juif de Budapest, puis à l’annonce de la naissance prochaine de son enfant, son silence lui est devenu insupportable. Et Gabriel a fui vers l’anonymat du quartier londonien de Golders Green, et le murmure des fidèles de la Synagogue Beth Hamedrash.

Au long des pages des "bains de Kiraly", Gabriel se raconte, il se confesse sans se chercher d’excuses ni espérer d’absolution. Multipliant les allers-retours entre le présent et le passé de son héros, Jean Mattern élabore une construction aussi fascinante que bouleversante. Une double spirale qui nous entraîne vers un enfermement où nul langage n’a plus cours – selon les mots de Gabriel, "Croire que les mots sont insuffisants. J’avais seulement dix ans, mais je ne me suis jamais relevé de cette croyance-là." (p. 91) – puis qui nous libère, nous rend la puissance du langage en une conversion bien plus profonde, essentielle et fondamentale que ne pourrait jamais l’être une conversion au sens religieux du terme.

Avec ce premier roman, Jean Mattern – éditeur chez Gallimard, où il veille aux destinées de la collection "Du monde entier" – nous offre paradoxalement une réflexion d’une rare force sur les failles du langage, en même temps qu’il rend le plus bel hommage qui soit au pouvoir des mots. Un hommage frémissant, aussi, à quelques livres majeurs des littératures d’Allemagne et d’Europe centrale, au premier rang desquels "Le docteur Faustus" de Thomas Mann qui, sans doute plus encore que "La Montagne magique" ou que "Les Buddenbrook", peut être considéré comme son grand œuvre: "Mais comment pouvait-on ne pas admirer cette parabole du Mal absolu, la mise en scène magistrale du destin d’Adrian Leverkühn, ce musicien qui vend son âme au Diable en même temps que l’Allemagne, et presque toute l’Europe, offre la sienne au nazisme." (p. 74)

Lu dans les derniers jours de décembre, ce roman fort, bouleversant, sensible et subtil a pris rang in extremis mais de toute évidence parmi mes plus belles lectures de l’année 2008. Et je ne pourrais le recommander assez chaleureusement!

Extrait :

"Les dictionnaires, à force de remplir mes journées, ont vidés les mots de leur sens. Je n’ai plus de langue maternelle, je n’en ai jamais eu. Celle qui aurait pu l’être, mes parents la chuchotaient seulement quand ils se croyaient seuls. J’entendais leur langue à travers la cloison de leur chambre, mais elle m’était interdite. La grammaire de leur enfance ne s’appliquait pas à la mienne. On l’a voulue ordinaire, passe-partout. Oubliant leur exil, ils voulaient m’offrir une enfance ordinaire dans une petite ville de province ordinaire. J’appris par cœur les mots et les phrases qui permettent de se fondre dans le décor, j’obéis à leur désir. Je devins brillant élève, surtout en français, un  habtiué des félicitations. Mon oreille absolue et ma mémoire photographique me permirent d’apprendre plus vite que les autres, et je n’eus aucun nul besoin de l’aide de mes parents. Ils parlaient un français désuet aux formules bien rodées, figés dans l’angoisse de se trahir par une faute de grammaire. Mais cette langue ne devint jamais mienne, et la seule grammaire que je possède est faite de cette règle unique énoncée un jour par un mon père : « Dieu a donné, Dieu a repris.»" (p. 21)

Un autre livre de Jean Mattern, dans mon chapeau: "De lait et de miel"

Publicité
10 décembre 2008

Mots masqués

"Sans doute était-elle, du fait de son âge, la seule qui écoutait sans rien dire. Pour les autres, ils avaient passé la plus grande partie de leur vie, et les mots n'étaient que du bruit, du vent. Ils n'avaient pas vraiment de réalité. Peut-être même qu'ils servaient à masquer la vie."

J.M.G. Le Clézio, "Ritournelle de la faim", Gallimard, 2008, pp. 83-84

4 décembre 2008

Un curieux petit roman encyclopédique

"Ravel" de Jean Echenoz31MZ5DFQN4L__SL160_AA115_
4 étoiles

Les éditions de minuit, 2006, 124 pages, isbn 2707319309

C’est un curieux petit roman que celui-ci, où Jean Echenoz évoque les dix dernières années de la vie de Maurice Ravel, de sa grande tournée américaine de 1928 à sa mort en 1937, des suites d’une opération de la dernière chance, tentée en désespoir de cause pour soigner les troubles neurologiques qui en étaient venus à l’empêcher totalement de composer.

D’une précision encyclopédique et quasi-maniaque, la première moitié de ce livre esquisse un portrait du compositeur en dandy à l’élégance parfaite. Tout y est couché noir sur blanc, au fil d’énumérations qui semblent sans fin : les couleurs des costumes et des pyjamas, les qualités des étoffes, les modèles des voitures, les dimensions du paquebot France et la puissance développée par ses turbines… Peu importe que Jean Echenoz nous ait présenté d’entrée Maurice Ravel dans l’intimité de sa salle de bain, au matin de son départ pour les Etats-Unis, l’impression qui se dégage du début du livre est celle d’une distance froide car ces listes, vraiment, ne laisse aucune place à la musique ou à l’homme qui se dissimule sous le masque du dandy.

Il faut s’armer de patience, et attendre le retour d’Amérique, pour découvrir un Ravel désoeuvré, en proie à un ennui pire que jamais.  "Or, l’ennui, Ravel connaît bien : associé à la flemme, l’ennui peut le faire jouer au diabolo pendant des heures, surveiller la croissance de ses ongles, confectionner des cocottes en papier ou sculpter des canards en mie de pain, inventorier voire essayer de classer sa collection de disques qui va d’Albéniz à Weber, sans passer par Beethoven mais sans exclure Vincent Scotto, Noël-Noël ou Jean Tranchant, de toute façon ces disques il les écoute très peu. Combiné à l’absence de projet, l’ennui se double aussi souvent d’accès de découragement, de pessimisme et de chagrin qui lui font amèrement reprocher à ses parents, dans ces moments, de ne pas l’avoir mis dans l’alimentation. Mais l’ennui de cet instant, plus que jamais démuni de projet, paraît plus physique et plus oppressant que d’habitude, c’est une acédie fébrile, inquiète, où le sentiment de solitude lui serre la gorge plus douloureusement que le nœud de sa cravate à pois." (pp. 65-66)

Il faut attendre le retour d’Amérique pour rencontrer dans ces pages un grand enfant vulnérable, trop solitaire, qui n’a jamais vécu que pour sa musique et qui compose, ces années-là, ses ultimes chefs-d’œuvre : les deux concertos pour piano et le si célèbre Boléro… Avant que le compositeur ne perde pied, petit à petit, ne lâche son emprise sur la réalité et sur son œuvre… "Ravel" – le livre comme son héros – se font alors infiniment touchants. Et cela valait bien d’attendre, fut-ce tout au long d’un demi-roman!

Extrait:

"Quant au paquebot France, deuxième de ce nom, à bord duquel Ravel va s'en aller vers l'Amérique, il a encore neuf ans d'activité devant lui avant d'être vendu aux Japonais pour démolition. Navire amiral de la flotte qui assure la traversée transatlanique, c'est une masse d'acier riveté coiffée de quatre cheminées dont une décorative, bloc long de deux cent vingt mètres et large de vingt-trois, sorti voici vingt-cinq ans des Ateliers de Saint-Nazaire-Penhoët. De la première à la quatrième classe, ce bâtiment peut transporter quelque deux mille passagers en plus des cinq cents hommes d’équipage et de l’état-major. Fort de ses vingt-deux mille cinq cents tonneaux, propulsé à une vitesse moyenne de vingt-trois nœuds par quatre groupes de turbines Parsons qu’alimentent trente-deux chaudières Prudhon-Capus développant quarante mille chevaux, six jours lui suffiront pour traverser l’Atlantique en douceur alors que, moins puissamment poussés, les autres paquebots de la flotte s’époumonnent à en mettre neuf." (pp. 19-20)

Le 7 octobre dernier, François Busnel avait eu l'excellente idée de faire dialoguer Jean Echenoz avec J.M.G. Le Clézio dans sa grande librairie. Un intérêt commun est très vite apparu entre ces deux auteurs: Ravel et son boléro, qui joue aussi un rôle essentiel dans le dernier roman de J.M.G. Le Clézio, "Ritournelle de la faim".

26 novembre 2008

"Du corps par le corps avec le corps..."*

"Syngué sabour - Pierre de patience" d'Atiq Rahimi21Q9ky3V8OL__SL500_AA240_
4 1/2 étoiles

P.O.L., 2008, 155 pages, isbn 9782846822770

Dans un pays en guerre, une ville en proie à des combats acharnés, une femme veille son mari blessé, qu'une balle dans la nuque a laissé paralysé. "Son homme" qui l'a été si peu: si peu un homme digne de ce nom mais c'est que "quand c'est dur d'être femme, ça devient dur aussi d'être homme" (p. 152), et si peu à elle. En dix ans de mariage, ils n'ont partagé que trois ans de vie commune car il était parti la plupart du temps. Se battre.

Dans un pays en guerre, une femme se réapproprie le corps de son homme, qu'il ne lui laissait presque pas toucher, au temps de sa force. Et du même mouvement, elle se réapproprie son propre corps. Et la parole que son mari n'écoutait guère. Inlassablement, elle dévide ses souvenirs, ses regrets et ses secrets, au rythme des souffles de son homme, au rythme des grains du chapelet qui roulent entre ses doigts et des 99 noms de Dieu qui scandent sa prière.

J'avais aimé les deux premiers romans d'Atiq Rahimi - "Terres et cendres" et "Les mille maisons du rêve et de la terreur". Je ne pouvais donc manquer de lire son nouveau livre, Goncourt ou pas. Et pourtant, "Syngué sabour" a séjourné plusieurs semaines sur mes étagères, attendant son heure. Attendant l'heure propice pour laisser résonner la poésie - séduisante et toujours un peu étrange à nos yeux d'occidentaux - que l'auteur est allé puiser aux sources de la littérature persane. Attendant l'heure d'affronter un sujet que l'on peut, sans aucun doute, qualifier de "difficile", l'évocation des violences faites aux femmes - du déni de leur être - dans un pays déchiré par le fanatisme religieux, en Afghanistan ou ailleurs.

Mais autant dire d'entrée que, si "Syngué sabour" n'a pas déçu mes attentes, le nouveau roman d'Atiq Rahimi m'a aussi prise par surprise, et offert ce que je n'en attendais pas: la force et la douceur qui s'y opposent à l'indéniable violence... La force et la douceur des gestes quotidiens, inlassablement répétés, les détails si concrets qui font que cette pierre de patience est peut être d'un accès plus aisé - c'est du moins mon sentiment - que les précédents romans de l'auteur. Et surtout, la force et la douceur des corps qui affirment leur désir de vie...

Extrait:

"Elle s'adosse au mur, et laisse passer un long moment - peut-être une dizaine de tours de chapelet, comme si elle l'égrenait encore au rythme de souffles de l'homme -, le temps de réfléchir, de partir dans les recoins de sa vie, et puis de revenir avec des souvenirs: «Tu ne m'as jamais parlé de tout cela! Cela fait plus de dix ans que nous sommes mariés, mais nous n'avons vécu ensemble que deux ou trois ans. Non?» Elle compte. «Oui, dix ans et demi de mariage, trois ans de vie commune! C'est maintenant que je compte. C'est aujourd'hui que je me rends compte de tout!» Un sourire. Un sourire jaune et court qui remplace mille et un mots pour exprimer ses regrets, ses remords..." (pp. 67-68)

* "Du corps par le corps avec le corps
depuis le corps et jusqu'au corps."

Antonin Artaud, cité en exergue de "Syngué sabour - Pierre de patience"

7 novembre 2008

L'art de l'ellipse

"Ritournelle de la faim" de J.M.G. Le Clézio41MlqXcvsYL__SL500_AA240_
5 étoiles

Gallimard, 2008, 207 pages, isbn 9782070122837

L'histoire semble si simple. Un narrateur qui est et n'est pas l'auteur conte l'histoire d'une jeune fille - Ethel Brun - qui est et n'est pas la mère de J.M.G. Le Clézio. L'histoire d'une petite fille, d'une adolescente puis d'une jeune femme dans la France des années 1930 à 1945, avec ses emprunts à la mémoire familiale de l'auteur mais aussi la liberté de la fiction. Et simples, le ton et la conduite du récit semblent l'être aussi. L'écriture s'est dépouillée du lyrisme qui n'était pas pour peu dans le charme d'autres livres de J.M.G. Le Clézio, tandis que la narration prend toutes les apparences d'une histoire racontée très spontanément, en suivant les tours et les détours de la mémoire, passant ici et là du coq à l'âne, filtrée parfois par la compréhension qu'une enfant pouvait avoir des événements...

Puis, petit à petit, on comprend qu'un pan essentiel de l'histoire n'apparaît qu'en creux, ne nous est raconté que dans les silences et les ellipses de ce récit qui semblait au premier abord si simple et décousu.

C'est toute la vie d'une famille d'abord, la vie la plus secrète des parents d'Ethel qui surgit des pages de ce livre, alors même qu'aux yeux de la jeune fille, "Il était trop tard pour savoir la vérité, pour connaître leur vraie histoire, comment ils s'étaient connus, pourquoi ils avaient voulu se marier, ce qui leur avait donné l'idée de mettre une fille au monde." (p. 175) Inexpliquée, irréductiblement mystérieuse, leur vie est pourtant là, qui nous est donnée à pressentir, de la même façon que nous pouvons, en découvrant de vieilles photos de famille de bien avant notre naissance, avoir l'intuition de cette part de la vie de nos parents qui échappe à notre connaissance et même à notre imagination.

Et c'est toute la vie d'une époque, aussi, qui ressuscite dans ces pages. La vie d'une certaine bourgeoisie française des années trente, son anti-sémitisme rampant, son attitude ambiguë envers Hitler ou tout simplement sa molle et égoïste indifférence. Tant de livres ont déjà été consacrés à cette sombre période. Des livres intelligents et/ou bouleversants. Mais on n'a sans doute jamais serré d'aussi près le poison insidieux qui imprégnait ces années, et sans lequel l'Impensable n'aurait peut-être pas été possible. On n'a sans doute jamais apporté tant de justice, d'humanité et d'intelligence à l'évocation de l'héroïsme sans phrase ou de la médiocrité verbeuse qui faisaient l'ordinaire de ces années-là.

Sous ses dehors d'une fausse simplicité, "Ritournelle de la faim" est un livre extraordinairement intelligent.

Et incroyablement fort.

Extrait:

"Est-ce qu'elle voyait les restes de la guerre, le long de la route, ces pans de mur à demi effondrés sur lesquels on pouvait lire un nom, un slogan, les trous noirs dans les champs, les épaves de voitures calcinées, une carriole sans roues, un squelette de cheval à demi dressé contre une barrière, couleur de suie rouge, ses dents ricanant aux moineaux et aux choucas? Peu de chose en vérité par rapport aux ruines de Dunkerque, de Verdun, de Châlons, aux ponts effondrés à Orléans, à Poitiers. Mais ici, le long de cette route sans fin, ce n'étaient pas des photos, des images tremblantes sur les films du Pathé-Journal. Aucune voix pour mentir, pour érailler le réel. Ce qui était étrange, angoissant même, c'était plutôt ce calme excessif, ces champs si beaux, ce ciel si bleu, une paix exsangue, ou, plus réalistement, le vide vertigineux de la défaîte." (p. 147)

J.M.G. Le Clézio était l'auteur du mois de mars 2006, sur Lecture/Ecriture

Un autre extrait de "Ritournelle de la faim", dans mon chapeau:

5 novembre 2008

Simple question d'imagination

"Il a bien fallu que quelqu'un imagine la laine ailleurs que sur le dos des moutons, le coton hors des champs, pour que nous ayons des châles au cou et de beaux draps pour couver nos amours."

Fatou Diome, "Inassouvies, nos vies", Flammarion, 2008, p. 16

"Le peu d'informations dont elle disposait, à propos de ceux qu'elle observait, alimentait ses interrogations. Dans sa tête, des lianes folles poussaient, dopées par l'engrais de son imagination. La curiosité est un maître de ballet qui préfère l'alacrité d'une franche bourrée aux langueurs délicates d'une sarabande."

Idem, p. 20

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 > >>
Dans mon chapeau...
Publicité
Archives
Publicité