Un fait divers très singulier
"Nagasaki" d'Eric Faye
4 1/2 étoiles
Stock, 2010, 108 pages, isbn 9782234061668
D'un fait divers relaté par plusieurs quotidiens japonais en 2008 – un homme d'une cinquantaine d'années, habitant Nagasaki, a découvert à de menus faits, puis par webcam interposée qu'une femme sans domicile fixe squattait l'oshiiré* de sa chambre d'amis. Cette femme n'avait causé chez lui aucun dommage, n'avait rien détérioré ni volé, tout juste avait-elle chapardé de temps à autre un yaourt ou un peu de jus de fruit dans son frigo. Mais ainsi que le découvre Shimura-san après l'arrestation de son hôte indésirable, elle était là depuis près d'un an, tous les soirs ou presque, à deux pas de lui: "Près d'un an, Soudain, je n'ai plus entendu la fonctionnaire de police. Ça se brouillait dans ma tête. Je me remémorais tous ces soirs, toutes ces nuits quand je m'étais cru seul à l'abri du monde. Dans une bulle. Tanière, terrier, antre." (p. 51). Prise de conscience déstabilisante, agissant comme un révélateur, et dont les remous dans la vie de Shimura-san ne sont sans doute pas près de s'apaiser...
Rien de croustillant ni de sanglant donc dans ce fait divers, mais tout un monde de sentiments – peur, pitié, incompréhension et culpabilité - dont Eric Faye a su tisser son récit avec beaucoup de sensibilité et d'intelligence, en imposant une voix à nulle autre pareille – un rythme, un balancement des phrases, une élégance distanciée qui n'exclut pourtant pas l'émotion – et qui capte d'entrée l'attention du lecteur pour ne plus la lâcher jusqu'à la dernière page. Sous sa minceur trompeuse, ce court roman, alliant à la densité du propos la fluidité de l'écriture, et mêlant avec justesse intelligence et émotion, s'impose d'ores et déjà comme une des belles découvertes de la nouvelle rentrée littéraire. Ne passez pas à côté. Vous ne regretterez pas les quelques trop brèves heures de lecture passées en sa compagnie!
* le placard à futons
Extraits:
"Mes premiers soupçons, nés voici plusieurs semaines, s'étaient rapidement dissipés. Mais quelque temps plus tard, ils étaient revenus de façon subtile, comme des moucherons vibrionnent dans l'air du soir et s'éloignent avant que l'on comprenne à quoi l'on avait affaire. Tout avait commencé par la certitude d'avoir acheté tel aliment que je ne retrouvais pas. Mon premier réflexe avait bien évidemment été de douter de moi. Il est si facile de se persuader qu'on a déposé un article dans le caddie au supermarché, alors qu'on en était resté au stade de l'intention. Qu'il est tentant de mettre les tâtonnements de sa mémoire sur le compte de la fatigue... Que n'a-t-elle pas excusé, la fatigue!?" (pp. 14-15)
"L'un après l'autre, j'ai ouvert les tiroirs du salon et de ma chambre. Rien n'avait disparu, les quelques objets de valeur étaient là. Et ce constat, qui aurait dû me rassurer, n'a fait qu'accentuer mon inquiétude. J'avais affaire à un cas anormal et j'ai senti passer sur moi l'ombre de la peur. Qu'était-elle venue faire ici?" (p. 33)