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Dans mon chapeau...
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france
28 octobre 2008

A la lumière d'Anna

"L'Ange incliné" de Pierre Mari41UL81vLd2L__SL160_AA115_
3 1/2 étoiles

Actes Sud, 2008, 223 pages, isbn 9782742777068

Universitaire à l’aube de la quarantaine, le narrateur de "L’Ange incliné" porte sur son travail et sur ses collègues un regard de plus en plus amer, désabusé, d’une totale intransigeance. Et sa famille n’est pas beaucoup plus gâtée. Le décès de son père l’année précédente a mis fin à un mariage qui tenait de la guerre froide. Sa sœur, souffrant d’une forme ou l’autre de troubles nerveux, est la plupart du temps hospitalisée. Et les visites qu’il rend de temps à autre à sa mère, dans la maison familiale de Saint-Asaphe, mènent à tous les coups à un moment difficile: "celui où [il] ne savai[t] plus quoi opposer à l'envie de faire le procès de [sa] mère." (p. 45) Le début du roman de Pierre Mari prend ainsi des allures de règlements de comptes, d’un long catalogue de récriminations en tous genres, amenant le narrateur à constater, au cours d’une conversation avec sa mère, qu’"une fois de plus, [il] s’étai[t] laissé entraîner par [sa] rancoeur." Et qu’il "aurai[t] voulu revenir en arrière, trouver autre chose à lui offrir." (p. 48)

Mais heureusement pour lui – et pour le lecteur – un double coup de foudre vient interrompre ces pages un peu aigres – trop ou pas assez pour mon goût. Coup de foudre amoureux lorsque notre homme, dans le train, noue conversation avec Anna, tombant complètement sous le charme de la jeune femme: "Mes questions chevauchaient ses réponses, je ne voulais rien approfondir, j'écoutais à peine jusqu'au bout. J'étais si curieux d'elle qu'une distraction souveraine parlait à ma place." (p. 84) Et un autre coup de foudre sous la forme d’un arc électrique mettant providentiellement la locomotive hors service, offrant ainsi aux deux jeunes gens quelques heures entre parenthèses. L’écriture de Pierre Mari se fait alors souple, vivante, chaleureuse et enfiévrée pour dire ce miracle improbable dans la vie de son narrateur: "un visage tout neuf, qui ne découlait pas de [sa] vie d'avant, que rien n'annonçait - un visage dont la moindre péripétie se tenait à la hauteur de [son] imagination." (p. 99)

Le narrateur comme Anna ont déjà d’autres attaches, et leur histoire d’amour sera dès lors tissée de moments volés. Des petits bonheurs comme on en a déjà vu mille fois mais auxquels Pierre Mari parvient pourtant à conférer une fougue juvénile et un air de nouveauté. Cette part de "L’Ange incliné" a infiniment de charme, mais elle ne prend pas complètement le pas sur les déboires et les aigreurs de la vie universitaire. Et le contraste entre ces deux faces du livre est si violent que j’ai eu l’impression de lire deux romans différents dont on aurait cousu les pièces, au petit bonheur la chance, en un livre unique en forme de patchwork. En fin de compte, j’ai refermé "L’Ange incliné" avec un sentiment partagé : séduite par une voix et un regard originaux, mais agacée par le volet universitaire de l’intrigue…

Extrait:

"Il aura fallu quelques minutes, en ce début d'après-midi, pour qu'à l'éclat du ciel succède une pénombre comme j'en avais rarement vu: un gris plombé, deux fronts de nuages découpés à l'extrême qui prenaient en tenaille une bande de lumière dorée. Le vent s'est mis à siffler à mes fenêtres. Quand je me suis penché dans la rue, le ciel moutonnant avait l'air à portée de main. Une femme qui s'aidait d'une béquille m'a demandé: Mais quelle heure est-il? A croire en effet que la nuit tombait. D'abord, un orage de grêle a éclaté. Bref, intense, il a un peu rafraîchi l'air. Puis un énorme nuage s'est détaché des autres: bleu sombre, avec sa proue noire très régulière, il concentrait toute l'imminence dont le ciel étai privé depuis longemps. La pluie l'a crevé d'un seul coup: de grosses gouttes serrées ont éclaté sur les pavés, suivies d'une cataracte qui a tout noyé." (pp. 181-182)

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4 octobre 2008

Inabouti, ce roman

"Inassouvies, nos vies" de Fatou Diome31JEx5cXxWL__SS500_
3 étoiles

Flammarion, 2008, 271 pages, isbn 9782081213531

Betty vit près du ciel, au cinquième étage d'un immeuble strasbourgeois, dans un appartement prenant figure de bateau renversé. Et chaque soir, ou presque, Betty appareille vers l'immeuble d'en-face, se plongeant dans les vies de ses voisins, observant le va-et-vient des lumières dans les rectangles des fenêtres, brodant, élaborant tout un monde à partir des quelques bribes d'informations qu'elle a pu glaner au fil des jours. Puis, petit à petit, au hasard de rencontres, au parc ou à la boulangerie du coin, des liens se tissent. L'imagination cède la place à la réalité, et sous le regard de Betty, les vies de ses voisins - des vies si ordinaires que, somme toute, ce sont les nôtres - révèlent leurs richesses et leurs failles, comme à travers une loupe grossissante.

Le lecteur le comprend très vite: Betty n'est pas d'ici. Elle vient d'un autre bout du monde que l'on découvrira progressivement, au fil des pages. Et le regard candide, faussement naïf, qu'elle pose sur les vies de ses voisins, révèle par moments des détails que nous ne voyons plus, aveuglés par l'habitude. L'expérience est alors décapante, rafraîchissante. Mais cette qualité du roman de Fatou Diome s'avance accompagnée de son revers: quand elle n'apporte pas une nouvelle fraîcheur, la loupe de Betty se contente de grossir les traits, sombrant dans la caricature. Ses personnages se font si ordinaires, si Mr et Mme  Toutlemonde, qu'ils perdent toute chair pour se réduire à des généralités.

Quelques petits joyaux de poésie se perdent entre platitudes et notations si léchées qu'elles en deviennent artificielles. Et des pages profondément émouvantes se diluent dans la trame d'un récit qui s'effiloche par trop en de vagues considérations philosophiques. Le projet de ce roman - révéler nos vies à travers leurs manques - était très sympathique, mais peut-être a-t-il été traité trop tôt, alors que Fatou Diome n'avait pas trouvé, à mon avis, le bon angle de vue, la bonne distance. Et le résultat est un livre qui agace et ennuie au moins autant qu'il ne charme. Un roman inabouti. C'est dommage, car les beaux moments de ce livre sont vraiment beaux, mais ils ne me suffisent vraiment pas...

Extrait:

"La nuit appelle le jour, le jour appelle la nuit. Les lumières sont aussi absurdes, aussi illisibles que les ténèbres. Ebloui ou aveuglé, on cligne des yeux, pareillement. Où et comment situer la piste? Vivre impose une loupe. Les buttes, comme les crevasses, contrarient la marche. Pour Betty, le crépuscule n'était pas un simple aspirateur d'heures d'existence, c'était aussi l'entonnoir temporel qui la conduisait dans la chambre noire où elle développait, déformait à loisir les scènes que son imagination captait derrière les fenêtres d'en face. Dans ses yeux, la nuit ne gommait le jour que pour afficher les contours de la vie." (p. 13)

L'avis, nettement plus enthousiaste, de Roger-Pierre Turine, dans La libre Belgique

Et un autre extrait: ici

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