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Dans mon chapeau...
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4 décembre 2008

Un curieux petit roman encyclopédique

"Ravel" de Jean Echenoz31MZ5DFQN4L__SL160_AA115_
4 étoiles

Les éditions de minuit, 2006, 124 pages, isbn 2707319309

C’est un curieux petit roman que celui-ci, où Jean Echenoz évoque les dix dernières années de la vie de Maurice Ravel, de sa grande tournée américaine de 1928 à sa mort en 1937, des suites d’une opération de la dernière chance, tentée en désespoir de cause pour soigner les troubles neurologiques qui en étaient venus à l’empêcher totalement de composer.

D’une précision encyclopédique et quasi-maniaque, la première moitié de ce livre esquisse un portrait du compositeur en dandy à l’élégance parfaite. Tout y est couché noir sur blanc, au fil d’énumérations qui semblent sans fin : les couleurs des costumes et des pyjamas, les qualités des étoffes, les modèles des voitures, les dimensions du paquebot France et la puissance développée par ses turbines… Peu importe que Jean Echenoz nous ait présenté d’entrée Maurice Ravel dans l’intimité de sa salle de bain, au matin de son départ pour les Etats-Unis, l’impression qui se dégage du début du livre est celle d’une distance froide car ces listes, vraiment, ne laisse aucune place à la musique ou à l’homme qui se dissimule sous le masque du dandy.

Il faut s’armer de patience, et attendre le retour d’Amérique, pour découvrir un Ravel désoeuvré, en proie à un ennui pire que jamais.  "Or, l’ennui, Ravel connaît bien : associé à la flemme, l’ennui peut le faire jouer au diabolo pendant des heures, surveiller la croissance de ses ongles, confectionner des cocottes en papier ou sculpter des canards en mie de pain, inventorier voire essayer de classer sa collection de disques qui va d’Albéniz à Weber, sans passer par Beethoven mais sans exclure Vincent Scotto, Noël-Noël ou Jean Tranchant, de toute façon ces disques il les écoute très peu. Combiné à l’absence de projet, l’ennui se double aussi souvent d’accès de découragement, de pessimisme et de chagrin qui lui font amèrement reprocher à ses parents, dans ces moments, de ne pas l’avoir mis dans l’alimentation. Mais l’ennui de cet instant, plus que jamais démuni de projet, paraît plus physique et plus oppressant que d’habitude, c’est une acédie fébrile, inquiète, où le sentiment de solitude lui serre la gorge plus douloureusement que le nœud de sa cravate à pois." (pp. 65-66)

Il faut attendre le retour d’Amérique pour rencontrer dans ces pages un grand enfant vulnérable, trop solitaire, qui n’a jamais vécu que pour sa musique et qui compose, ces années-là, ses ultimes chefs-d’œuvre : les deux concertos pour piano et le si célèbre Boléro… Avant que le compositeur ne perde pied, petit à petit, ne lâche son emprise sur la réalité et sur son œuvre… "Ravel" – le livre comme son héros – se font alors infiniment touchants. Et cela valait bien d’attendre, fut-ce tout au long d’un demi-roman!

Extrait:

"Quant au paquebot France, deuxième de ce nom, à bord duquel Ravel va s'en aller vers l'Amérique, il a encore neuf ans d'activité devant lui avant d'être vendu aux Japonais pour démolition. Navire amiral de la flotte qui assure la traversée transatlanique, c'est une masse d'acier riveté coiffée de quatre cheminées dont une décorative, bloc long de deux cent vingt mètres et large de vingt-trois, sorti voici vingt-cinq ans des Ateliers de Saint-Nazaire-Penhoët. De la première à la quatrième classe, ce bâtiment peut transporter quelque deux mille passagers en plus des cinq cents hommes d’équipage et de l’état-major. Fort de ses vingt-deux mille cinq cents tonneaux, propulsé à une vitesse moyenne de vingt-trois nœuds par quatre groupes de turbines Parsons qu’alimentent trente-deux chaudières Prudhon-Capus développant quarante mille chevaux, six jours lui suffiront pour traverser l’Atlantique en douceur alors que, moins puissamment poussés, les autres paquebots de la flotte s’époumonnent à en mettre neuf." (pp. 19-20)

Le 7 octobre dernier, François Busnel avait eu l'excellente idée de faire dialoguer Jean Echenoz avec J.M.G. Le Clézio dans sa grande librairie. Un intérêt commun est très vite apparu entre ces deux auteurs: Ravel et son boléro, qui joue aussi un rôle essentiel dans le dernier roman de J.M.G. Le Clézio, "Ritournelle de la faim".

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