Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans mon chapeau...
Dans mon chapeau...
coup de coeur
27 novembre 2009

L'Histoire en marche

"Pas de liberté sans solidarité (Marzi, tome 5)" de Sylvain Savoia et Marzena Sowa
5 étoiles

Dupuis, 2009, 48 pages, isbn 9782800144672 516jpw21zdL__SL500_AA240_

Les célébrations du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin l'ont rappelé, en accordant à Lech Walesa une place d'honneur: l'effondrement du bloc de l'Est avait commencé en Pologne où des mouvements de grève lancés à l'été 1988 avaient mené à la légalisation de Solidarnosc puis à de premières élections (partiellement) démocratiques. Mais tout cela s'était passé dans un calme relatif, et les événements de novembre 1989, plus spectaculaires, l'ont supplanté dans les mémoires.

C'est tout justement dans cette période commençant à l'été 88 et se poursuivant jusqu'à la disparition de l'URSS et l'effondrement complet du bloc de l'Est que ce cinquième tome des aventures de Marzi nous permet de nous replonger. La grande histoire s'y arroge une part plus importante que dans les volumes précédents, et à travers les yeux d'une enfant qui "absorb[e] tout, [se] laiss[e] imbiber de tout sans que les gens s'en aperçoivent..." (p. 19), elle retrouve toute la charge d'émotions, d'euphorie mais aussi d'inquiétude, de l'instant vécu.

L'humour et la tendresse des précédents épisodes de cette évocation du quotidien d'une petite fille en Pologne communiste sont toujours bien présents. Ce cinquième tome n'a donc rien perdu de ce qui faisait le charme de cette série - décidément excellente -, tout en amenant quelque chose de neuf: plus de maturité peut-être car son héroïne grandit, et elle prend conscience de ce que rien, vraiment, n'est tout blanc ni tout noir...

Extrait:

Marzi_tome5

 

 

 

Les épisodes précédents:

"Petite carpe (Marzi, tome 1)"
"Sur la terre comme au ciel (Marzi, tome 2)"
"Rezystor (Marzi, tome 3)"
"Le bruit des villes (Marzi, tome 4)"

Publicité
23 novembre 2009

Une révolte fourvoyée

"Lorenzaccio" d'Alfred de Musset,
dans une mise en scène d'Antoine Bourseiller

Atelier Théâtre Jean Vilar, Louvain-la-Neuve, le 20 novembre 2009

Idéaliste, intransigeant, et si terriblement jeune et vulnérable, tel est Lorenzo de Médicis dont le cousin, le duc Alexandre fait régner sur Florence une terreur sanglante. Brutal, débauché, pervers, vicieux - aujourd'hui on le qualifierait sans doute de pédophile -, celui-ci est devenu pour ses sujets, et surtout pour le parti républicain florentin mené par Philippe Strozzi, un tyran sanguinaire à abattre à tout prix. Et de fait, le prix que Lorenzo est prêt à payer - pour pouvoir approcher son cousin sans défense et lui régler son compte - est terrible: s'insinuer dans les bonnes grâces du souverain en partageant sa vie de débauche. Jusqu'à se déconsidérer complètement aux yeux de l'aristocratie florentine. Jusqu'à ce que le masque du débauché lui colle irrémédiablement à la peau, toute honte bue et ses idéaux enfuis...

C'est curieux comme l'on peut parfois partir à la découverte d'un spectacle poussé par une vague curiosité plutôt que par un réel enthousiasme - et un peu par la nécessité de compléter un abonnement - pour se retrouver cul par-dessus tête, chamboulé par ce qui se révèle en définitive comme l'une des plus belles surprises de la saison. Ce fut le cas d'un magnifique concert de l'ensemble Phoenix, au programme du festival de Wallonie. Et ce fut le cas, encore, de ce Lorenzaccio né de la plume d'Alfred de Musset dont le romantisme parfois un peu plaintif ne m'a jamais particulièrement attirée, et dont l'"Andrea del Sarto", monté il y a quelques années au Théâtre Royal de Namur, ne m'a laissé qu'un souvenir assez mitigé.

Mais dans la lecture aussi intense que dépouillée qu'en livre Antoine Bourseiller, bien loin de rester cantonné en  un vague mal-être égocentrique, "Lorenzaccio" se révèle avant tout comme un drame social et politique: le drame d'un idéalisme qui se dévoie en une action violente et finalement inutile. Atteignant ainsi à l'intemporel, la pièce de Musset apparaît du même coup parfaitement actuelle, et d'autant plus bouleversante qu'elle fait l'économie du pathos. Une excellente surprise et un vrai coup de coeur!

Présentation du spectacle sur le site de l'atelier théâtre Jean Vilar.

18 octobre 2009

"Quel beau passé nous avons eu"

"Destins obscurs" de Willa Cather51VD62HY5DL__SL160_AA115_
5 étoiles

Rivages/Poche, 1994, 160 pages, isbn 2869307470

(traduit de l'Anglais par Michèle Causse)

Se retournant avec ces trois nouvelles écrites entre 1928 et 1931 vers le Nebraska rural de son enfance, dans le dernier quart du XIXème siècle, Willa Cather ressuscite avec une infinie tendresse un monde et des êtres disparus, des émotions en-allées sans retour.

Chacune de ces nouvelles est le récit d'une fin. Fin de vie pour "Le Père Rosicky" dont le coeur usé par les lourds travaux des champs est sur le point de lâcher, et pour "La vieille Mrs Harris", usée elle aussi par les travaux ménagers et par les soins que requièrent ses petits-enfants, turbulents et débordants de vie. Et fin d'une amitié pour les "Deux amis", héros de la troisième nouvelle, que sépare la divergence de leurs convictions politiques. Mais seule cette dernière laisse un arrière-goût un peu amer, tant la brouille des deux hommes est foncièrement stupide, et déplorables les conséquences qui en découlent pour la petite communauté dont ils étaient des figures importantes.

Mais tout au long de ces trois récits et de ces pages d'une prose limpide, c'est bien le sentiment d'une mélancolie douce et sereine qui domine, un sentiment qui ne pouvait manquer de me rappeler la délicatesse de Gabrielle Roy. J'ai en effet retrouvé sous la plume de Willa Cather la même attention pour ses héros si humble soient-ils, et le même respect pour leur labeur, que dans le très beau recueil d'articles de la romancière canadienne, "Fragiles lumières de la terre". C'est le même charme. Et le même bonheur.

Extrait:

"C'était une belle tempête de neige: rien n'était plus gracieux que cette neige floconnant doucement sur une campagne aussi offerte. Elle tombait, légère, délicate, mystérieuse, sur sa casquette, sur l'échine et sur la crinière des chevaux. Et avec elle se répandait dans l'air un parfum sec et frais. Elle annonçait le repos de la végétation, des hommes et des bêtes, du sol lui-même, et elle promettait une saison de longues nuits de sommeil, de petits déjeuners tranquilles, de moments paisibles au coin du feu. Ces pensées, ainsi que bien d'autres, se pressèrent dans l'esprit de Rosicky mais il finit tout bonnement par conclure que l'hiver approchait; il claqua de la langue pour faire bien avancer les chevaux et continua son chemin." (p. 18)

Vous trouverez, dans mon chapeau, un billet consacré à "La petite poule d'eau" de Gabrielle Roy. Et d'autre fiches encore traitant de ses livres sur Lecture/Ecriture.

27 septembre 2009

Le monologue d'un doux rêveur

"Le rêve d'un homme ridicule" de Fédor Dostoïevski,
interprété par Pierre Laroche, dans une mise en scène de Sandrine Laroche

Théâtre Royal de Namur (Studio), le 26 septembre 2009

Lorsque le public pénètre dans le studio du Théâtre Royal de Namur, quelques minutes avant le début du spectacle, Pierre Laroche est déjà là, tranquillement assis dans son fauteuil. C'est lui d'abord qui nous regarde prendre place et qui s'en amuse pour, avec la complicité de Charles Trenet chantant "la mer qu'on voit danser le long des golfes clairs", s'emparer sans avoir l'air d'y toucher de toute notre attention.

On pourrait se croire très loin alors de Fédor Dostoïevski, de la révolte et de toute la force imprécatoire que confère à son "rêve d'un homme ridicule" la superbe traduction française d'André Markowicz. C'est bien ce texte-là, pourtant, à peine aménagé pour son passage sur les planches, qui nous sera donné à entendre. Seulement voilà, Pierre Laroche avec ses quatre-vingt printemps - si du moins j'en crois la mémoire familiale, ma grand-mère qui, dans sa jeunesse, l'avait vu lui-même jeune débutant, puis ma maman qui, adolescente, avait pu l'apprécier dans plusieurs premiers rôles au Rideau de Bruxelles - affiche au bas mot trente ans de plus que le héros de ce "rêve" tel que je me l'étais imaginé au cours de ma lecture. Et croyez le ou non, mais cela change tout. Car notre héros, d'homme dans la force de l'âge, se fait tout naturellement plus fragile, et son ton plus posé, alors même qu'en ayant tant vu et tant vécu notre homme n'a plus peur de rien, toute honte bue et toute fausse dignité enfuie. Et pendant ce temps, la mise en scène de Sandrine Laroche, avec ses subtils jeux de lumière et de mobiles, apporte juste ce qu'il faut de suggestions à l'imaginaire des spectateurs, sans jamais se faire trop envahissante.

Le texte, âpre et rugueux, de Dostoïevski trouve là une apparence de légéreté - apparence trompeuse sans doute mais si séduisante - que je ne lui aurais jamais prêtée, en le lisant tranquillement dans mon petit coin. Et que dire de plus? Sinon que le résultat emporte l'adhésion, et qu'il est magnifique, vraiment, de voir un si beau texte si bien servi par un très grand comédien au sommet de son art.

Présentation du spectacle sur le site du Théâtre Royal de Namur.

26 août 2009

Liaison fatale

"Tristan et Yseut", adaptation théâtrale de Paul Emond,
par les Baladins du Miroir dans une mise en scène de Nele Paxinou

Esplanade de la Citadelle, Namur, le 22 août 2009

L'histoire de Tristan et Yseut, du philtre d'amour qui les enchaîna l'un à l'autre, de leur passion et de ses funestes conséquences, est si célèbre que je ne vous ferai pas l'injure de vous la résumer. Et l'adaptation que Paul Emond en a réalisé pour la scène lui est restée très fidèle quant aux faits - si beaucoup moins dans le ton où j'ai retrouvé l'ironie, le bagou, la verve et la vivacité du style de l'auteur de "La danse du fumiste".

Et incarnée par les Baladins du Miroir, dont l'approche de la scène mêle au théâtre chant, musique, mime et acrobatie, l'histoire de Tristan et Yseut - que l'on ne connait que trop - se révèle tout à coup bourrée de surprises, trépidante et... mais oui: vraiment très très drôle! Non que la passion tragique des deux amants soit ici tournée en ridicule. Bien au contraire! Mais c'est que revisitée à travers la lorgnette des arts forains, la plus célèbre histoire d'amour de notre culture occidentale se teinte d'humour et retrouve par la même occasion une merveilleuse fraîcheur. C'est un très beau moment de théâtre, dans la joie, la bonne humeur et une atmosphère chaleureuse à laquelle il est bien difficile de résister!

L'avis de Françoise Chatelain, sur Art et littérature.

Publicité
18 août 2009

Elégie pour une cité disparue

19041243_w434_h_q80"Of time and the city" de Terence Davies
(documentaire)

Après deux premiers longs métrages remarqués, "Distant voices, still lives" et "Long day closes", où il évoquait déjà la Liverpool ouvrière de son enfance, Terence Davies s'était quelque peu éloigné de sa ville natale en portant à l'écran les livres de deux auteurs américains. Et si son adaptation de "La bible de néon" de John Kennedy Toole était à bien des égards un film touchant, "The House of Mirth" (en V.F.: "Chez les heureux du monde"), d'après le roman d'Edith Wharton, s'est vu littéralement sabordé par une monumentale erreur de casting - Gillian Anderson incarnant Lily Bart avec toute la souplesse et la sensibilité d'un manche de brosse.

Son nouveau film, "Of time and the city", marque donc son retour à ses premières amours: la famille, la musique - Mozart, Mahler... mais pas les Beatles qui ne font qu'une apparition-éclair. Et bien sûr Liverpool dont il nous offre ici un portrait intimiste en forme d'élégie pour les quartiers ouvriers pauvres mais chaleureux de l'immédiat après-guerre qui ont depuis lors cédé la place à de sinistres tours HLM... Ce sont cinquante années de la vie d'une ville retracées avec un art consommé du collage dont surgit une vision totalement originale et personnelle, à l'instar de ce qu'avait fait Hélène Frappat dans son récit "Sous réserve": collage d'images d'archives et de prises de vue contemporaines, collage aussi des mots de Terence Davies et de ceux des poètes, T.S. Eliot, Emily Dickinson, James Joyce ou Anton Tchékhov... Le ton se fait tour à tour caustique, tendre ou mélancolique sans pourtant jamais sombrer dans la sinistrose. Car ce film-hommage à une cité disparue est aussi traversé, continuellement, par les silhouettes de bambins sommeillant dans leurs poussettes ou trottinant d'un pas encore mal assuré. Car "Of time and the city" est aussi le portrait d'une ville dont l'avenir reste à écrire...

C'est un film comme aucun autre. Un film que nul autre que Terence Davies n'aurait pu réaliser. Et c'est, aux côtés de "Two lovers" de James Gray, un des plus beaux films de l'année. Il n'est pas du tout distribué comme il le mériterait. Mais ne le ratez pas s'il passe près de chez vous!

Le site officiel du film

Et le site de l'écran total, où "Of time and the city" était présenté dans le cadre du cycle "documentaires".

13 août 2009

Célébration des noces troubles de l’Art et du Politique

"Les Onze" de Pierre Michon31GQxeQRIWL__SL160_AA115_
5 étoiles

Verdier, 2009, 137 pages, isbn 9782864325529

On s’en approche à pas prudents. Sur la gauche. Puis sur la droite. On penche la tête pour s’affranchir d’un reflet dans la vitre pare-balles. On s’en éloigne. On se retourne pour lire le panneau explicatif placé à l’entrée de la salle. Littéralement, on tourne autour de ce tableau – "Les Onze", la représentation par François-Elie Corentin du Comité de salut public de 1794, un des plus beaux fleurons des collections du musée du Louvre.

On tourne autour, tant Pierre Michon multiplie les biais et les détours, pour nous évoquer – avec une rare puissance de suggestion - ce tableau parfaitement imaginaire. Oeuvre fictive d’un artiste qui l’est tout autant, mais dont l’auteur nous retrace ici longuement les origines et la vie, de sa naissance dans un modeste manoir des bords de Loire – fils d’un père absent qui sacrifia sa famille pour poursuivre sans succès la carrière des Lettres – à sa formation auprès de Giambattista Tiepolo, qui aurait prêté les traits de son jeune élève à l’un des pages des fresques du palais épiscopal de Wurtzbourg, et à son amitié avec Collot, membre – justement – du Comité de salut public.

Au fil des innombrables digressions et des longues périodes de la prose de Pierre Michon, l’illusion de réalité est parfaite. On croit vraiment pouvoir se retrouver face à ce tableau des "Onze", au détour d’un couloir du musée du Louvre. Tout comme on en vient sans peine à croire à l’existence de François-Elie Corentin. Cela seul est déjà, en soi, assez bluffant, mais c’est loin d’être tout ce qu’il y a à ce long récit d’une sombre beauté. Car on a rarement célébré, avec autant d’éloquence, les noces troubles de l’Art et du Politique. Ce que l’Art peut montrer, obéissant aux volontés de ses commanditaires, à leurs agendas les plus secrets et ambigus. Et plus encore ce que l’Art montre par-delà les volontés de ceux qui le paient - dépassant ainsi, et de loin, ceux qu’il était supposé servir. Ce mystérieux supplément d’âme que les artistes, parfois, pressentent, tel François-Elie Corentin recevant cette ultime et prestigieuse commande de la bouche de Collot: "Corentin ne rit pas. Peut-être qu’il n’écoute pas Collot, mais il le regarde. Il se dit avec une sorte de joie que le zèle compatissant pour les malheureux et la plaine des Brotteaux, la table inhospitalière et la lande de Macbeth, la main tendue et le meurtre, nivôse et avril, c’est dans le même homme. C’est dans Collot, un des onze hommes qu’il va peindre. Il se dit encore que tout homme est propre à tout. Que onze hommes sont propres à onze fois tout. Que cela peut se peindre." (p. 119)

Ce récit âpre et goûteux, magnifique d’intelligence, est le premier que je lis de Pierre Michon. Mais ce ne sera certainement pas le dernier, tant il me laisse en proie à une admiration sans mélange…

Extrait:

"Vous imaginez cela, Monsieur, au temps de la douceur de vivre? Elle n’est telle que parce qu’elle n’est plus, c’est vrai, mais comme il est doux d’y rassembler nos rêves, de leur donner la becquée dans ce nid germanique, oh à peine germanique, vénitien de par-delà, simplement. Ils viennent là au premier coup de trompette, nos rêves, ils connaissent le chemin. Ils accourent comme des poussins sous leur mère. Ils savent bien qu’elle est là, la douceur de vivre, - à moins qu’ils ne le croient increvablement. Le temps de la douceur de vivre, on veut donc croire que c’était, et c’était peut-être en vérité, celui où Giambattista Tiepolo de Venise, c’est-à-dire un géant, un homme de la carrure de Frédéric Barberousse, en plus pacifique, employait trois années de sa vie (trois années de la vie de Tiepolo, qui ne voudrait les voir sortir de son petit cornet à dés?) employait trois années au fond de la Germanie sur un plafond par-dessus un escalier, à montrer, peut-être à démontrer, comment les quatre continents, les quatre saisons, les cinq religions universelles, le Dieu trois qui est un, les Douze de l’Olympe, les quatre races d’hommes, toutes les femmes, toutes les marchandises, toutes les espèces, mais oui : - le monde -, comment donc le monde toutes affaires cessantes accourait des quatre orients pour faire hommage lige à Carl Philipp von Greiffenclau son suzerain, qui est peint au beau milieu au point de jonction des quatre orients, comme au quai de débarquement du fret universel, et dont on reçoit en plein l’image triomphale quand on arrive sur la dernière marche – Carl Philipp, suzerain des quatre orients, prince-évêque électeur, torve du visage, large de ceinture, d’épaules étroites, d’âge incertain, de pouvoir plus incertain, frotté de vers latins, d’escarcelle grande ouverte et de mœurs un peu dissolues car par ailleurs, sous son effigie sur les degrés de Carrare, il poursuivait à coups de cannes un rapin français qui lui soulevait des filles." (pp. 18 -19)

Peut-être les longues descriptions des fresques réalisées par Giambattista Tiepolo au palais épiscopal de Wurtzbourg vous donneront-elles l'envie de retrouver plus longuement le peintre vénitien. Aussi, voici quelques suggestions de lecture, autour de Tiepolo: "La ville invisible", beau roman d'Emili Rosales qui y évoque avec sensibilité la période madrilène du peintre, et bien sûr, "Giambattista Tiepolo - l'oeuvre peint" de Massimo Gemin et Filippo Pedrocco.

On trouvera aussi, sur la toile, une lecture des "Onze" par Angèle Paoli sur son blog Terres de femmes,  une autre par Pierre Assouline sur La république des livres, et une autre encore par Mapero sur Wodka.

17 juillet 2009

Volcans qui rêvent

"Caldeiras" de Vera Feydercaldeiras
5 étoiles

Stock, 1982, 451 pages, isbn 2234015669

Guère de points communs, à première vue, entre Nat et Tina. Nat, dissimulé derrière de multiples identités, fils d’un riche homme d’affaire britannique qu’un chagrin d’amour a poussé, de fil en aiguille, à se faire chasseur d’images, photo-reporter traquant à travers le monde les horreurs d’un siècle qui en eut sans doute plus que sa part. Et Tina, jeune orpheline exploitée sans vergogne, sous couvert de charité chrétienne, par la propriétaire – qui a tout des dames patronesses que chantait Jacques Brel - d’un modeste atelier de couture niché dans les sombres ruelles du Vieux Liège, à l’ombre de la Montagne de Bueren.

Et pourtant leurs destins, et quelques autres, vont se croiser au long de ce roman touffu où Vera Feyder a rassemblé en une véritable cour des miracles toute une galerie de personnages aussi émouvants qu’insolites, de Fatsolino, mineur italien que ses poumons rongés de silicose ont renvoyé dans une pauvre retraite, à un juge intègre mais qui survient trop tard dans l’histoire pour en infléchir le cours ou à Fenec, rescapé des camps nazis devenu majordome d’un palace new yorkais où il guette patiemment la moindre trace de ses anciens bourreaux. Autant de fragments d’humanité en mal d’amour et d’un peu de chaleur, et qui n’ont pas cessé de se révolter. Et de rêver. Jusqu’à ce que, un jour au l’autre: "toute la charge insurectionnelle stockée semaine après semaine depuis tant d’années dans le grand trou noir de [leurs] vie[s], explos[e] comme la caldeira d’un volcan que l’on croyait pour toujours assoupi. Eteint." (p. 295)

C’est un livre magnifique que ce gros roman volcanique, incandescent et imprévisible, nourri d’une révolte viscérale et qui m’a révélé une toute autre facette de l’œuvre de Vera Feyder. J’avais déjà beaucoup aimé "Petite suite de pertes irréparables" et "Réglements de contes", deux pièces de théâtre tout à la fois graves et pétillantes. Mais si l’humour cède ici la place à une ironie mordante, et si la concision s’est effacée au profit d’un grand souffle romanesque, j’ai bien retrouvé dans "Caldeiras" les qualités d’écriture qui m’avaient auparavant tellement impressionnée: un style incisif, rythmé, alliant l’élégance et la fluidité à une densité peu commune.

Avec ce troisième roman entraînant son lecteur des ruelles populaires de Liège à Bruxelles, et aux belles demeures de l’avenue Louise, et des chutes du Niagara à l’enfer des mines du Minas Gerai, Vera Feyder s’impose à mes yeux comme l’une des voix littéraires les plus fascinantes de cette fin du XXème siècle. Et la discrétion où son œuvre se voit cantonnée m’apparaît décidément de plus en plus incompréhensible…

Extrait:

"Instantanément, ses frayeurs tombèrent. Il en est toujours ainsi: quand la pitié relaie la peur, le pouvoir change de camp. Mais Tina l’ignorait. Quand l’homme prit soudain conscience du regard qu’elle portait sur lui, peut-être chercha-t-il, un instant, à fuir. Mais il ne le pouvait déjà plus. Regards singulièrement jumeaux: dans les yeux de Tina, ce fut non seulement son malheur qu’il y vit reflété, agrandi – et elle dans les siens, le sien – mais celui de leurs semblables, de toutes les espèces et de tous les règnes, auxquels le chien aussi bien appartenait. Au carrefour de ces trois errances, un seul désespoir était au rendez-vous : celui de n’avoir en ce monde ni feu ni lieu à partager.
Par un même élan de repli effaré, Fatsolino et Tina détournèrent leurs yeux en même temps.
Pour les reporter, ensemble, sur le chien."
(p. 118)

D'autres livres de Vera Feyder, dans mon chapeau: "Petite suite de pertes irréparables", "Règlements de contes" et "Liège".

18 juin 2009

Un tout petit espace à l’ombre de l’océan

"La véranda au frangipanier" de Mia Couto41F9Q7AR3JL__SL160_AA115_
5 étoiles

Albin Michel/Les grandes traductions, 2000, 203 pages, isbn 2226114564

(traduit du Portugais par Maryvonne Lapouge-Pettorelli)

Ermelindo Mucanga est mort loin de chez lui, alors qu’il travaillait comme menuisier dans la citadelle des Portugais, à São Nicolau, et au moment-même où son pays, le Mozambique, accédait à l’indépendance. Et, croyez le ou non, ce fut le début de tous ses ennuis!

Mettez-vous à sa place, aussi… Il était mort, certes privé des funérailles d’usage mais enterré bien tranquillement sous son frangipanier, près de la véranda du fort, aux premières loges pour observer les allées-et-venues des pensionnaires de la maison de retraite qui avaient remplacé l’occupant européen. Mais voilà tout à coup que le nouveau gouvernement s’est mis en tête de faire de notre macchabée un héros national, tandis qu’un inspecteur de police, répondant au doux nom d’Izidine Naïta et formé aux méthodes de travail occidentales, est envoyé au fort en provenance de la capitale pour enquêter sur la mort mystérieuse du directeur de l’asile. Et l’esprit d’Ermelindo de ne plus faire ni une ni deux, et de se glisser dans le corps du policier dans l’espoir d’échapper à sa canonisation abusive.

Dans ce décor isolé du monde – le fort de São Nicolau est coincé entre des terres encore infestées des mines de la dernière guerre d’un côté et une mer hostile de l’autre -, Ermelindo se fait ainsi le rapporteur de l’enquête d’Izidine. Mais déployant toute la prodigieuse inventivité stylistique et l’imagination qui ont fait sa réputation comme un des meilleurs romanciers contemporains dans le monde lusophone, Mia Couto renouvelle complètement cette intrigue d’apparence classique. Et la sombre histoire de meurtre, de traffic d’armes et d’abus de biens sociaux s'égare petit à petit vers le merveilleux des contes et des traditions populaires qui hantent les récits et les témoignages des pensionnaires de la maison de retraite. Sous ses fausses allures de roman policier, "La véranda au frangipanier" – "ce tout petit espace (…) à l’ombre de l’océan" (p. 66) - se révèle progressivement comme la métaphore transparente d’un pays pris en flagrant délit de renier son passé, africain ou portugais indifféremment. Un passé qu’"Il importe de conserver (…). Sinon le pays reste sans sol sous les pieds." (p. 136), ainsi que le constate Marta, l’infirmière de l’asile. Un passé dont les remous – complexes, multiples, imprévisibles -, ne cessent de se répercuter dans un présent troublé.

Mia Couto nous offre avec ce roman d’une richesse étonnante, et d’une lecture pourtant aisée, un monde chatoyant et coloré dont la découverte vous procurera sans nul doute un plaisir phénoménal. Courez-y vite !

Extrait:

"Ma vie s’est enivrée du parfum de ses fleurs blanches au cœur jaune. En ce moment il ne sent rien, en ce moment ce n’est pas le temps des fleurs. Vous êtes noir, inspecteur. Vous ne pouvez pas comprendre combien j’ai toujours aimé ces arbres. C’est qu’ ici, dans votre pays, il est le seul qui perde ses feuilles. De tous les arbres le frangipanier est le seul qui se dénude ainsi, il fait comme si allait survenir un Hiver. Lorsque je suis arrivé en Afrique, après je n’ai plus jamais senti l’Automne. C’était comme si le temps arrêtait son cours, comme si c’était toujours la même éternelle saison. Seul le frangipanier me restituait ce sentiment du passage du temps. Non que j’aie encore besoin aujourd’hui de sentir passer les jours. Mais le parfum de cette véranda me guérit des nostalgies des années que j’ai vécues en Mozambique. Et quelles années ce furent !" (pp . 63-64)

Un autre livre de Mia Couto, dans mon chapeau: "Un fleuve appelé temps, une maison appelée terre".

17 mai 2009

Orageux

18643215"Les climats" de Nuri Bilge Ceylan,
avec Ebru Ceylan, Nazan Kesai et Nuri Bilge Ceylan

Soleil et pluie. Orage et neige. Nuri Bilge Ceylan joue de toutes les ressources de la métaphore météorologique pour nous dépeindre les états d'âmes de ses héros, Bahar et Isa. Il nous offre ainsi le portrait impressionniste d'un couple en déliquescence, incapable de se rejoindre comme de vraiment se séparer. Il y a là un triste constat d'incommunicabilité qui n'a rien à envier à l'ultime tentative du poète Ka pour retrouver l'amour dans le très beau roman d'Orhan Pamuk, "Neige", et pas seulement parce que Nuri Bilge Ceylan nous entraîne dans un périple par les paysages solitaires et désolés de son pays.

C'est une très belle découverte que ce film lent, contemplatif et pourtant tendu, où les personnages se parlent peu mais où les images parlent pour eux, comme elles le feraient dans certains des chefs-d'oeuvre de Michelangelo Antonioni, "L'Eclisse" ou "L'Avventura", dans le jeu des cadrages souvent audacieux et étonnament inventifs. Ça devrait aller de soi: le cinéma est un art de l'image, mais ces films où les images sont si éloquentes sont si rares...

J'ai vraiment savouré ces "climats", enregistré la semaine dernière sur Arte (à une heure indue, troisième sinon quatrième partie de soirée, comme de bien entendu). Et je vais me dépêcher d'aller voir le dernier film de Nuri Bilge Ceylan, "Three monkeys", tant qu'il passe encore en salle. 

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 > >>
Dans mon chapeau...
Publicité
Archives
Publicité