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Dans mon chapeau...
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26 septembre 2009

Imprécatoire

"Le rêve d'un homme ridicule" de Fédor Dostoïevski41JTJVJE4KL__SL160_AA115_
4 ½ étoiles

Actes Sud/Babel, 1993, 59 pages, isbn 2742700749

(traduit du Russe par André Markowicz)

Ridicule parce qu'objet des moqueries de ses semblables, le narrateur de ce rêve n'a rien d'un clown mais tout d'un héros dostoïevskien typique: pauvre et seul, menant chichement sa petite vie grise dans son meublé miteux. Lassé de sa triste existence, il s'était résolu à mettre fin à ses jours mais une rencontre fortuite l'a détourné de ce projet. Et le rêve qu'il fit ensuite – un rêve prenant l'allure d'une véritable expérience mystique, ou du moins notre héros y croit-il dur comme fer – changea sa vie pour de bon, le jetant sur les routes pour y prêcher sa Vérité et l'Amour et la Charité...

Sans doute peut-on trouver une pointe de drôlerie - du ridicule vraiment - à la prédication enfiévrée de notre homme, et à l'aplomb invraisemblable avec lequel il nous assène comme vrais et réels des événements de toute évidence impossibles. Mais je soupçonne pourtant que les visées de Dostoïevski avec ce récit publié en 1877 – soit trois ans à peine avant la parution des "Frères Karamazov" et donc de la "Légende du Grand Inquisiteur" – étaient tout ce qu'il y a de plus sérieuses: dresser un triste constat de l'état d'une société excessivement rationnelle et privée d'âme, et lancer un vibrant plaidoyer à faire passer l'Esprit au-dessus des lois. Et, à tort ou à raison, cette intuition me semble confirmée par la force imprécatoire de la traduction d'André Markowicz, aux longues périodes scandées de nombreuses répétitions, qui ressuscite ainsi tout le formidable bouillonnement, toute l'incandescence, des plus grandes pages de l'écrivain russe.

Extrait:

"Tout à coup, mes yeux virent: c'était une nuit profonde, jamais, jamais il n'y avait eu pareille obscurité! Nous volions dans l'espace déjà loin de la terre. Je ne posais aucune question à celui qui me portait, j'attendais, dans mon orgueil. Je m'assurais que je n'avais pas peur, et je me figeais d'extase à cette idée que je n'avais pas peur. Je ne me rappelle plus combien de temps nous volâmes, et je n'arrive pas à me représenter: tout se passait comme toujours dans les rêves quand on saute par-dessus l'espace et le temps et par-dessus les lois de l'existence et de la raison, qu'on ne s'arrête que sur les points qui nourrissent les rêveries du coeur. Je me souviens que, tout à coup, je vis une petite étoile dans les ténèbres. "C'est Sirius?" demandai-je tout à coup incapable de me retenir, parce que je ne voulais rien demander. "Non, c'est l'étoile que tu as vue entre les nuages quand tu rentrais chez toi", me répondit l'être qui m'emportait." (pp. 31-32)

Vous trouverez également, dans mon chapeau, un billet consacré à l'adaption théâtrale du "Rêve d'un homme ridicule" par Pierre Laroche et sa fille Sandrine, ainsi que des billets évoquant d'autres livres de Fédor Dostoïevski: "Les nuits blanches" et "Le petit héros".

Et d'autres livres encore sont évoqués sur Lecture/Ecriture.

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Commentaires
F
Il s'agit bien de Sandrine Laroche, et non Sabine... Et mon billet concernant ce spectacle est désormais en ligne.
F
Je l'ai vu hier soir, dans la version de Pierre et Sabine Laroche, peut-être plus émouvante et profondément humaine encore qu'imprécatoire (Billet à suivre). Mais c'est vraiment un texte magnifique, oui, et sans doute trop peu connu!
D
C'est un texte de Dostoievski que j'aime énormément, en fait je l'ai découvert au théâtre dit par G Guillaumat il y a bien des années de cela<br /> L'espèce d'urgence et d'imprécation tout au long m'avait marqué<br /> je n'ai pas lu la traduction de Markowicz mais on ne peut douter de la qualité tant ses traductions restituent la langue parfois crue et sans fioritures de Dostoievski
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