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Dans mon chapeau...
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13 décembre 2009

Mauve vénéneux

"Le ciel de Bay City" de Catherine Mavrikakis419NnwBRM_L__SL500_AA240_
4 1/2 étoiles

Sabine Wespieser, 2009, 294 pages, isbn 9782848050744

On pourrait croire à un roman - un de plus - de la banlieue nord-américaine. Dans ce cas, d'une banlieue étouffée sous les fumées des usines des grandes villes industrielles, toutes proches, que sont Flint et Detroit, sans rien de commun avec les quartiers bien plus cossus où Richard Ford avait trouvé le décor des aventures de Frank Bascombe*. La jeune Amy Duchesnay est du reste bien loin de partager la tendresse du héros de Richard Ford pour cette vie si bien réglée. Et le comfort matériel somme toute modeste qui semble faire le bonheur des siens ne la satisfait pas le moins du monde.

On pourrait croire, vraiment, se trouver face à un portrait tout à la fois extrêmement réaliste, concret et très critique de la banlieue américaine, dressée par une adolescente rebelle. Et l'effet n'en est que plus saisissant lorsque nous découvrons enfin qu'il s'agit de tout autre chose, et que bien loin de n'être qu'une adolescente ordinaire confrontée à des problèmes qui le sont tout autant, Amy est littéralement, violemment et même très concrètement, hantée par le passé que sa mère et sa tante, seules rescapées d'une famille juive française presque totalement exterminée par les nazis, avaient cru laisser derrière elles en émigrant aux Etats-Unis.

Sous le ciel mauve de Bay City, ce ciel vide, inhabité et pourtant irréductiblement bouché, Amy incarne l'inanité de la fuite, si loin qu'elle ait pu mener. En nous contant son histoire, Catherine Mavrikakis poursuit jusque dans ses derniers retranchements une entreprise de déconstruction du rêve américain qui ne laisse plus une seule pierre debout. Malgré quelques moments très durs, "Le ciel de Bay City" dégage pourtant une curieuse sensation d'énergie et de vitalité, qui m'a rappelé Thomas Bernhard ou Elfriede Jelinek, et cela même si l'écriture de Catherine Mavrikakis est bien plus sobre et classique que celle de la romancière autrichienne. "La vie est là tout le temps."  (p. 173) dans ce roman magistral qui fait l'économie de tout bon sentiment, et l'on en viendrait presqu'à se demander si c'est vraiment une bonne nouvelle...

Extrait:

"Depuis que je suis toute petite, je ne pense qu'aux détails. Au manteau qu'une petite Sarah portait en descendant du train qui l'emportait vers Auschwitz. A Peter, qui tout le long du trajet infâme, pleurait d'avoir laissé son chat Mutsi sans personne. Aux repousses blanches de cheveux pour lesquelles une de mes grands-tantes coquette devait s'inquiéter en passant sa main sous son chapeau. Dieu gît dans les détails, dit-on. Je ne le crois pas. Ce n'est pas Dieu que je retrouve dans les moindres faits et gestes des gens, dans leurs inquiétudes vaines, lorsque le plus terrible a eu lieu. Ce n'est pas Dieu qui est là, non, certes pas. C'est la vie, dans ce qu'elle a de plus bête et de plus vivant. La vie absurde qui continue à parler devant la mort, l'horreur, l'immonde. La vie est là quand le condamné va se faire trancher la tête et qu'il regarde le ciel magnifique, qu'il respire à pleins poumons l'air frais du matin. La vie est là quand les parents viennent de quitter leur enfant mort à l'hôpital et que soudain monte en eux le désir brûlant de faire l'amour.  La vie est là tout le temps. La vie est là quand après un accident de voiture, la merde sort du corps. La vie est là, toujours là. C'est une vraie saloperie qui nous quitte au tout dernier moment. Du moins, je l'espère." (pp. 173-174)

* Voir "Un week-end dans le Michigan", "Indépendance" et "L'état des lieux".

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21 novembre 2009

Une traversée des instincts fauves

"Le régiment noir" d'Henry Bauchau51PD0ZjKMCL__SL500_AA240_
4 étoiles

Labor/Espace Nord, 1992, 425 pages, isbn 2804007669

Le régiment noir, c'est le premier du nom, celui qui fut formé par des affranchis et des esclaves fugitifs, engagés au service des armées nordistes pendant la guerre de Sécession. Mais si le roman d'Henry Bauchau nous entraîne bel et bien à travers les grandes batailles de la guerre civile américaine, de Bull Run à Gettysburg et à l'incendie d'Atlanta, ce n'est pas un roman historique. Le lecteur est d'ailleurs prévenu d'entrée: ici, rien n'est vrai. Et la matière du "régiment noir" est le passé qu'un fils, dans la tranquillité d'une petite ville brabançonne - "ses maisons de brique, ses maisons de pierre et la vie, un peu tiède, un peu manquée" (p. 188) - rêve pour son père au mépris de la vérité factuelle et même de la chronologie la plus élémentaire, puisque ce père, en réalité, n'est venu au monde que bien après la fin de la guerre civile.

Récit rêvé, et où le rêve tient d'ailleurs une place cruciale, guidant continuellement les héros et leur dictant même, à la veille de la bataille de Gettysburg, la stratégie qui leur assurera la victoire, "Le régiment noir" apparaît bien plutôt comme un roman initiatique dont les héros - le jeune Pierre, père rêvé du narrateur, et ses compagnons d'armes – se voient formés insensiblement par la confrontation avec d'autres façons d'être au monde, celles des racines africaines, oubliées puis retrouvées, et celles des amérindiens qu'incarne la figure un peu magicienne, tout à la fois bienveillante et dangereuse, de Shenandoah. Au coeur des horreurs de la guerre et de ses impulsions mortifères, c'est aussi le récit d'une traversée des instincts les plus primitifs, qui culmine, déjà, dans la rencontre de l'homme avec les grands fauves, les lions qui réapparaîtront plus tard, reprenant le même rôle, dans le très beau récit intitulé "Diotime et les lions".

Roman psychanalytique, écrit à l'issue de la seconde analyse de l'auteur menée en compagnie de Conrad Stein, roman nourri déjà de toute la puissance du mythe, "Le régiment noir" n'atteint pas à la force ni à l'étrange sentiment d'évidence d'"Oedipe sur la route", d'"Antigone ou de "L'enfant bleu" qu'il préfigure pourtant à bien des égards. Mais s'il ne s'impose que très progressivement, et s'il peut en effet paraître moins abouti que les oeuvres ultérieures d'Henry Bauchau, "Le régiment noir" n'en distille en fin de compte qu'un trouble plus intense, doublé d'un réel pouvoir de fascination. Et l'on aurait bien tort de croire ce récit d'une colère qui cesse d'être souterraine et d'une révolte contre l'ordre bourgeois, froid et calculateur, complètement déconnecté du monde où il a vu le jour. Après tout, ainsi que le souligne justement Myriam Watthee-Delmotte dans la lecture qui complète cette édition du "régiment noir", ce n'est sans doute pas un hasard si Henry Bauchau entreprit l'écriture de ce qui devait devenir son deuxième roman en 1968.

Extrait:

"Les hommes épuisés qui se couchaient hier n'importe où, se redressent, se rassurent, le choc des armes les excite, le mouvement des ordres et le martèlement des pas les entraînent. Nous ne sommes plus dix, plus cent, plus mille. Nous sommes dix mille, vingt mille, trente mille qui allons dans le même sens, qui voulons la même chose. Matin, masse, puissance, le chant est le bord des lèvres, la plaisanterie jaillit, les intestins s'apaisent, le coeur est riche et rapide. Sur le seuil de la caverne, l'esprit blessé hésite encore un instant entre le doute et l'impatience. Le corps tranche cet état insupportable, d'un coup de masse il jette son poids dans la balance. La gorge profère sourdement des sons, des cris: En avant, à la baïonnette et autres fariboles, mais sous ces manifestations de détresse, Pierre entend que le corps en a pris son parti et qu'il y a longtemps, oui, très longtemps, qu'il est intérieurement en marche. Pour aborder l'ennemi, le mordre, l'abattre, lui couper son phallus. Et le coeur étreint déjà cette grande nature, blanche et carnivore, que le couteau devine pleine de sang." (p. 48)

D'autres livres d'Henry Bauchau, dans mon chapeau: "Diotime et les lions", "Déluge" et "La pierre sans chagrin"

Et d'autres encore sur Lecture/Ecriture.

2 novembre 2009

Cette fois, je passe!

18701874_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20061212_112929"Mr and Mrs Smith" d'Alfred Hitchcock
avec Carole Lombard et Robert Montgomery

Troisième étape du cycle Alfred Hitchcock proposé en ce moment sur Arte, "Mr and Mrs Smith" nous est présenté comme la seule incursion d'Alfred Hitchcock dans le genre de la comédie - c'est oublier le délicieux et très très drôle "Qui a tué Harry?" et je ne suis donc pas tout à fait d'accord... - et néanmoins comme un chef-d'oeuvre du genre, digne de rivaliser avec les films d'Ernst Lubitsch ou Frank Capra. Et là, non, mille fois non, "Mr and Mrs Smith" est à mon humble avis bien loin de pouvoir soutenir la comparaison avec les bijoux que sont "The shop around the corner" ou "Mr Smith goes to Washington".

Les mimiques appuyées de Carole Lombard et de Robert Montgomery peuvent prêter à rire, certes, mais le récit des déboires conjugaux de ce couple qui découvre tout à coup que, suite à une erreur administrative, il n'est pas vraiment marié manque cruellement d'une vraie tension dramatique et de vraies zones d'ombre (un comble pour un film d'Alfred Hitchcock!). Faute d'un véritable enjeu, cette comédie n'a pas tardé à perdre à mes yeux tout intérêt. Et j'ai fini par délaisser le petit écran pour me replonger dans ma lecture, sans remords ni regrets...

Mais qu'à cela ne tienne, le cycle Alfred Hitchcock continue ce soir à 20h45, avec "Correspondant 17": suite au prochain épisode ;-).

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Pas de printemps pour Marnie", "Les amants du capricorne", "Soupçons", "Correspondant 17", "Sabotage", "Les 39 marches " et "Fenêtre sur cour"

23 octobre 2009

Quand la suspicion s'installe...

18364503_jpg_r_160_214_f_jpg_q_x_20031014_045615"Soupçons" d'Alfred Hitchcock,
avec Joan Fontaine et Cary Grant

Lina McKinlaw a épousé Johnnie Aysgarth contre l'avis des siens, et pour cause: notre homme n'a pas un sous vaillant et n'en dépense pas moins libéralement l'argent qu'il n'a pas. Mais cela n'entame en rien le bonheur de Lina jusqu'à ce qu'elle découvre, d'abord insensiblement puis avec une clarté aveuglante, en même temps que le penchant prononcé de son  mari pour les romans policiers, ses innombrables mensonges.

Il fallait bien toute la maîtrise consommée d'Alfred Hitchcock, tous les talents conjugués de Joan Fontaine et de Cary Grant, pour nous dépeindre de façon si convaincante la très lente montée du soupçon dans l'esprit de la jeune mariée: Johnnie l'a-t-il, oui ou non, épousée pour ses espérances d'héritage. Et surtout a-t-il, oui ou non, l'intention de la tuer, poussé par la cupidité? Le suspense va croissant jusqu'au tout dernier plan, et ce n'est certes pas moi qui vous vendrai la mèche. Si vous ne connaissez pas ce film du grand Alfred, allez-y donc voir, vous ne le regretterez pas...

Et le cycle Alfred Hitchcock d'Arte se poursuit, avec "Mr and Mrs Smith", qui sera diffusé lundi prochain (26/10) à 20h45.

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Pas de printemps pour Marnie", "Les amants du capricorne", "Mr and Mrs Smith", "Correspondant 17""Sabotage", "Les 39 marches" et "Fenêtre sur cour"

19 octobre 2009

Sentimental

18388214_jpg_r_160_214_f_jpg_q_x_20041103_123210"Les amants du capricorne" d'Alfred Hitchcock,
avec Ingrid Bergman, Joseph Cotten et Michael Wilding

Dernier film d'une série de collaborations entre Alfred Hitchcock et Ingrid Bergman - qui y reprend à peu de choses près son rôle de jeune femme alcoolique des "Enchaînés", avant de partir rejoindre Roberto Rosselini en Italie -, "Les amants du capricorne" furent reniés par leur créateur, déçu par son échec commercial et surtout par un casting à ses yeux de second choix, Joseph Cotten ayant repris le rôle de Sam Flusky initialement destiné à Burt Lancaster. Et il est vrai que cet imbroglio amoureux planté en Nouvelle-Galles du Sud, au XIXème siècle, étonne par un sentimentalisme auquel le grand Alfred ne nous avait guère habitué. Ce film, présenté lundi dernier sur Arte, n'a donc rien d'indispensable mais il se laisse regarder, en attendant la diffusion de "Soupçons" ce soir à 20h45.

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Pas de printemps pour Marnie", "Soupçons", "Mr and Mrs Smith", "Correspondant 17", "Sabotage", "Les 39 marches" et "Fenêtre sur cour"

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18 octobre 2009

"Quel beau passé nous avons eu"

"Destins obscurs" de Willa Cather51VD62HY5DL__SL160_AA115_
5 étoiles

Rivages/Poche, 1994, 160 pages, isbn 2869307470

(traduit de l'Anglais par Michèle Causse)

Se retournant avec ces trois nouvelles écrites entre 1928 et 1931 vers le Nebraska rural de son enfance, dans le dernier quart du XIXème siècle, Willa Cather ressuscite avec une infinie tendresse un monde et des êtres disparus, des émotions en-allées sans retour.

Chacune de ces nouvelles est le récit d'une fin. Fin de vie pour "Le Père Rosicky" dont le coeur usé par les lourds travaux des champs est sur le point de lâcher, et pour "La vieille Mrs Harris", usée elle aussi par les travaux ménagers et par les soins que requièrent ses petits-enfants, turbulents et débordants de vie. Et fin d'une amitié pour les "Deux amis", héros de la troisième nouvelle, que sépare la divergence de leurs convictions politiques. Mais seule cette dernière laisse un arrière-goût un peu amer, tant la brouille des deux hommes est foncièrement stupide, et déplorables les conséquences qui en découlent pour la petite communauté dont ils étaient des figures importantes.

Mais tout au long de ces trois récits et de ces pages d'une prose limpide, c'est bien le sentiment d'une mélancolie douce et sereine qui domine, un sentiment qui ne pouvait manquer de me rappeler la délicatesse de Gabrielle Roy. J'ai en effet retrouvé sous la plume de Willa Cather la même attention pour ses héros si humble soient-ils, et le même respect pour leur labeur, que dans le très beau recueil d'articles de la romancière canadienne, "Fragiles lumières de la terre". C'est le même charme. Et le même bonheur.

Extrait:

"C'était une belle tempête de neige: rien n'était plus gracieux que cette neige floconnant doucement sur une campagne aussi offerte. Elle tombait, légère, délicate, mystérieuse, sur sa casquette, sur l'échine et sur la crinière des chevaux. Et avec elle se répandait dans l'air un parfum sec et frais. Elle annonçait le repos de la végétation, des hommes et des bêtes, du sol lui-même, et elle promettait une saison de longues nuits de sommeil, de petits déjeuners tranquilles, de moments paisibles au coin du feu. Ces pensées, ainsi que bien d'autres, se pressèrent dans l'esprit de Rosicky mais il finit tout bonnement par conclure que l'hiver approchait; il claqua de la langue pour faire bien avancer les chevaux et continua son chemin." (p. 18)

Vous trouverez, dans mon chapeau, un billet consacré à "La petite poule d'eau" de Gabrielle Roy. Et d'autre fiches encore traitant de ses livres sur Lecture/Ecriture.

13 octobre 2009

Romantique et féroce, mais surtout fort drôle

18364807"Intolérable cruauté" de Joel et Ethan Coen,
avec Catherine Zeta-Jones et George Clooney

Que les frères Coen se risquent dans les plates-bandes de la comédie romantique et l'on peut s'attendre à voir débouler choux et cactées en tout genre au milieu des sages pétunias...

Et ma foi, ce serait bien vu, car si "Intolérable cruauté" respecte bien la grande règle canonique du genre - à savoir nous conter l'histoire de deux héros faits l'un pour l'autre mais qui passent près de deux heures à jouer au chat et à la souris avant d'accepter l'inéluctable -, il l'assaisonne d'une satire aussi féroce que savoureuse de ces avocats que l'on qualifie bizarrement de spécialistes du droit matrimonial alors que leur grande affaire, c'est plutôt le divorce. Un scénario réglé au millipoil et quelques superbes numéros d'acteurs - George Clooney, Catherine Zeta-Jones mais aussi Billy Bob Thornton, impayable dans le rôle d'un (prétendu) milliardaire texan - ne gâtent rien.

Voilà donc un bon divertissement, peut-être un peu méchant mais certainement pas bête, et dont seule une chaîne comme TF1 peut avoir l'idée farfelue de le diffuser en seconde partie de soirée!

D'autres films d'Ethan et Joel Coen, dans mon chapeau: "A serious man", "Burn after reading" et "O'Brother, Where Art Thou?"

9 octobre 2009

Promenades dans les bois du roman anglais

"L'Art de la fiction" de David Lodge51D479HX63L__SL160_AA115_
3 ½ étoiles

Rivages, 1996, 312 pages, isbn 2743600004

(traduit de l'Anglais par Michel et Nadia Fuchs)

Au début de l'année 1991, David Lodge s'est vu offrir par le responsable littéraire de l'hebdomadaire britannique "Independant on Sunday" d'y tenir une chronique sur l'art de la fiction. Et chacun des cinquante courts chapîtres du présent volume reprend l'un des articles publiés dans ce cadre et tout au plus légérement retravaillés.

Ce sont cinquante notices, illustrées par un ou deux extraits de romans - pour la plupart des classiques, anciens ou modernes, de la littérature de langue anglaise -, et traitant des thèmes les plus divers, du plus général (l'évocation du passé, le suspense...) au plus particulier (le nom des personnages ou encore le skaz, c'est à dire "un genre de récit à la première personne possédant les caractéristiques de la langue parlée" (pp. 32-33)). Autant de textes qui s'enchaînent à la marabout-bout de ficelle, en commençant fort logiquement par le début et en terminant - tout aussi logiquement - par la fin, pour nous offrir, selon la jolie expression d'Umberto Eco, une agréable promenade à travers les bois du roman anglais, promenade au cours de laquelle on croisera pêle-mêle Jane Austen, Charles Dickens, Virginia Woolf ou encore Martin Amis et Kurt Vonnegut.

La lecture de cet "Art de la fiction" est très agréable, garantie sans jargon (car les quelques termes un peu techniques y sont fort bien expliqués au fur et à mesure de leur apparition). Si ce livre ne révolutionnera sans doute pas votre manière de lire, il vous dira tout ce que vous avez toujours voulu savoir, sans oser le demander, sur des notions aussi bizarres que l'intertextualité, la métafiction, le courant de conscience ou le roman expérimental. Et il vous titillera si bien les papilles gustatives que vous en tournerez la dernière page avec une très longue liste de livres à dévorer pendant les mois d'hiver qui pointeront bientôt le bout de leur nez ;-).

Extrait:

"Je tiens depuis toujours la fiction pour un art essentiellement rhétorique, par quoi j'entends que le romancier ou l'auteur de nouvelles nous persuadent de partager une certaine vision du monde pendant le temps que dure notre lecture, réalisant ainsi, si l'expérience est couronnée de succès, cet enchantement à s'absorber dans une réalité imaginée que Van Gogh a si bien rendu dans son tableau La Liseuse de romans. Même les romanciers qui, de propos délibéré et pour des motifs artistiques, rompent cet enchantement doivent d'abord commencer par le créer" (p. 11)

13 septembre 2009

Atermoiements conjugaux

afte"Maris et femmes" de Woody Allen,
avec Mia Farrow, Judy Davis, Sidney Pollack et Woody Allen

Sorti en salles en 1992, "Husbands and wives" s'inscrit dans la veine new yorkaise et psychanalytique de Woody Allen, qui n'est pas celle que je préfère car elle a donné naissance à quelques opus horriblement bavards et - oui, j'ose - ennuyeux. Je dois donc avouer que j'ai hésité à aller voir ce film-ci, proposé au programme de l'écran total dans le cadre d'une carte blanche accordée au cinéaste français Arnaud Desplechin. Et en fin de compte, je ne regrette pas du tout de l'avoir fait!

Sur le thème ultra-classique des relations conjugales et de leur inextricable sac de noeuds mêlant confort et lassitude, Woody Allen nous offre ici une comédie fort drôle sans - au fond - l'être du tout, et où le comique est plus que tout l'affaire d'un impeccable sens du rythme. Les acteurs - Mia Farrow et Woody Allen, Judy Davis et Sidney Pollack, renforcés par Liam Neeson et Juliette Lewis en seconds rôles - sont parfaits: émouvants, irritants voire insupportables, bref, très humains. Et même si "Husbands and wives" n'est pas devenu mon Woody Allen préféré, je ne me suis pas le moins du monde ennuyée au long de son heure et trois quarts d'heure.

D'autres films de Woody Allen, dans mon chapeau: "Match Point", "Accords et désaccords" et "Whatever works"

9 septembre 2009

Un plantureux cheese cake à l'Américaine

"Refaire le monde" de Julia Glass41zjHjAuC3L__SL160_AA115_
3 1/2 étoiles

Editions des deux terres, 2009, 767 pages, isbn 978284930602 

(traduit de l'Anglais par Sabine Porte)

Charlotte Greenaway Duquette, en dépit de son nom fleurant bon la Louisiane, est chef-pâtissière à New York où sa petite entreprise est florissante. Et elle mène une vie familiale plutôt heureuse avec son mari, Alan qui est psychothérapeute, et George leur petit garçon de quatre ans - à ceci près que depuis quelques mois, Alan est la proie d'une mélancolie inexpliquée mais de plus en plus affirmée, et qui commence à peser sérieusement à la jeune femme. Aussi, malgré les obstacles pratiques, la proposition inattendue qui lui est faite de devenir chef-cuisinière à la résidence officielle du gouverneur du Nouveau-Mexique, finit par prendre à ses yeux toutes les apparences d'une occasion en or, et pas seulement d'un point de vue professionnel: une occasion rêvée de faire bouger une vie qui menace de s'encroûter dans une situation assez confortable mais pas complètement satisfaisante pour autant.

Comme aux dominos, le coup de tête de Greenie - puisque tel est le surnom que ses intimes donnent à Ms Duquette - amènera de proche en proche bien d'autres changements. Et c'est le début d'un jeu de cloche-merle - façon "Je t'aime, moi non plus" - qui nous tiendra en haleine pendant 760 pages au long desquelles nous aurons aussi bien souvent l'eau à la bouche à l'évocation des somptueuses et savoureuses créations de Greenie. Julia Glass déploie ici un fabuleux talent de conteuse mêlée à un sens affiné du détail révélateur - d'un caractère, d'un état d'esprit ou d'une atmosphère. On s'attache vraiment à des héros très ordinaires dans leurs forces et leurs faiblesses, même si leurs silhouettes semblent parfois évadées du papier glacé d'un magazine "Lifestyle". Et la progression dramatique du récit est si savamment dosée qu'on ne s'ennuie pas une minute.

Je me suis régalée - presque - tout au long de ma lecture de ce gros roman onctueux et riche - un peu trop - à l'égal d'une part de ce plantureux cheese cake dont l'Amérique du Nord a le secret, et j'étais bien tentée d'accorder 4 étoiles à "Refaire le monde"... Jusqu'au deus ex machina final - les attentats du 11 septembre 2001, ben oui... - qui amène chacun des personnages à reconsidérer ses choix et à se fixer enfin à une nouvelle place. Après le monde de couleurs et de saveurs que Julia Glass nous a offert dans les trois premiers quarts de son livre, cela vous a toutes les apparences d'une solution de facilité, d'autant que son traitement de cet événement reste assez convenu et n'apporte rien de neuf. Pour être franche, j'en veux un peu à l'auteur de ne pas s'être montrée plus imaginative pour l'occasion. Mais "Refaire le monde" n'en reste pas moins une très bonne lecture d'évasion.

Extrait:

"Sur ce, on lui apporta la petite gourmandise auréolée de vapeur qui ressemblait davantage à un chapeau marron avachi. Elle respira la vapeur qui s'en dégageait. Celle-ci lui rappela tristement le parfum de l'homme assis à la table d'à côté. Elle le mangea tout de même: lentement et jusqu'à la dernière bouchée. Le soufflé avait la texture de l'amour, suave et aérienne, chaude et humide; le goût n'importait guère." (pp. 543-544)

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