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Dans mon chapeau...
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21 septembre 2010

In the wild wild west

“Old Creek Town (Les enquêtes d’Andrew Barrymore, t. 1)” 51tFhNPaOEL__SL500_AA300_
de Jean-Mary Valambois et Nicolas Delestret
3 étoiles

Dargaud, 2010, 48 pages, isbn 9782505008163

En pleine conquête de l’Ouest, Old Creek Town est, avec ses 363 habitants, son saloon dont les portes dégringolent à tous bouts de champ, son hôtel, sa Jézabel, son maire – et sa femme dont les amples rondeurs dissimulent bien mal une redoutable virago –, une petite bourgade tout ce qu’il y a de plus ordinaire et tranquille. A un petit détail près, tout de même, un mal mystérieux y décime les corbeaux dont les cadavres se ramassent à la pelle. Et un tout premier meurtre y est commis pile poil le soir de l’arrivée du nouvel adjoint du shérif : Andrew Barrymore, jeune détective quelque peu farfelu et affublé d’une flamboyante tignasse rousse. Pas du genre à passer inaperçu mais finalement plutôt efficace, y compris quand il s’agit de donner un petit coup de pouce à ce grand timide de shérif et de l’encourager à déclarer sa flamme à  miss Calahan, la charmante institutrice.

Un graphisme auquel des traits brouillés et des couleurs – qui ont décidément quelque chose de too much, technicolor plus flamboyant qu’à Hollywood – donnent un petit air vieillot, fait de cette enquête menée tambour battant, dans l’espace des 48 planches réglementaires, un western plus vrai que nature… s’il n’était assaisonnée d’une pointe d’irrévérence fort bien venue. La fantaisie avec laquelle Nicolas Delestret et Jean-Mary Valambois se jouent des codes et conventions du genre, pour les tourner gentîment en dérision, est sans doute ce qui m’a le plus séduite dans cette première aventure d’Andrew Barrymore. Un agréable moment de détente, sans plus. Mais ce n’est pas si mal, non?

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(p. 3)

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15 septembre 2010

A la merci des caprices de Laura

"Les enfants de la veuve" de Paula Fox5131Q4ilXYL__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Joëlle Losfeld, 2010, 216 pages, isbn 9782070789429

(traduit de l'Anglais par Marie-Hélène Dumas)

A la veille de leur départ pour une croisière au long cours, Laura Maldonada Clapper et son mari Desmond ont convié quelques proches – Clara, la fille que Laura a eue d'un premier mariage, Carlos, le frère de Laura, et Peter leur vieil ami - pour un dîner d'adieu que leurs invités – et tout particulièrement Clara – n'abordent pas sans appréhension tant ils sont habitués à voir Laura, ses caprices et ses sautes d'humeur, souffler le chaud et le froid sur leurs réunions. Ils se laisseront toujours surprendre - et ils le savent - baissant leur garde devant les rares mouvements de gentillesse de leur hôtesse pour se trouver d'autant plus vulnérables lorsque le vent tourne, ainsi que le constate Clara, observant sa mère d'un oeil averti et pourtant troublé: "Elle semblait détendue, prête à accorder un moment d'intimité, à dire quelque chose de profondément touchant, et de vital, et Clara avait beau savoir qu'il n'y avait rien derrière cette promesse, qu'elle n'était volontairement destinée qu'à poser un décor, elle s'y laissa prendre comme quelqu'un qui trébuche toujours sur la même marche malgré l'avertissement qui résonne dans sa mémoire." (p. 83)

Mais ce que Clara, Carlos, Peter et même Desmond ignorent, c'est que Laura vient d'apprendre plus tôt dans la journée la mort de sa mère dans le home où elle l'avait placée. Et cet événement, que Laura gardera secret pendant la plus grande partie de la soirée, a encore exacerbé son envie d'en découdre. Laura et ses frères n'ont en effet jamais pardonné à leur mère, restée veuve très jeune à la mort de son mari, un riche propriétaire cubain, la manière dont elle s'était laissé déposséder de la fortune familiale. Et la mort de la vieille femme, en réveillant d'anciennes rancoeurs et les souvenirs d'une jeunesse marquée par une pauvreté humiliante, se fera le détonateur d'un grand règlement de comptes dont aucun des convives ne sortira indemne.

Là où d'autres n'hésiteraient pas à appuyer le trait ou à forcer sur le vitriol – telle Ivy Compton-Burnett dans son roman "Des hommes et des femmes" -, Paula Fox se révèle tout au contraire d'une maîtrise impressionnante, tout en économie, en sobriété et en justesse. Et ce faisant, elle métamorphose un sujet foncièrement casse-gueule pour nous offrir un très très grand roman de la famille dysfonctionnelle. C'est implacable. C'est vrai. C'est compliqué et pourtant limpide. Insupportable et touchant. Bref, c'est humain. Et c'est à lire, sans hésitation.

Extrait:

"«- Je ne jouais pas, dit Peter. Je me sens vraiment mis à l'écart par mes soeurs. Je n'ai pas le droit de le dire?
- Bon dis-le, alors, répondit Laura avec une étonnante froideur. Ce n'est pas ma faute si tu provoques des réponses blessantes. Nous faisions
semblant de parler de tes soeurs. Tu n'avais pas besoin d'en dire beaucoup. Mais tu nous les a lancées en pâture, et quand j'ai plaisanté, tu as changé les règles du jeu.»
Clara avait du mal à respirer - l'air se raréfiait, les convives pâlissaient, visages, mains, meubles, tout dans la pièce avait pris la même couleur cendreuse, il ne restait rien de vivant que l'odeur de tabac et de sueur de la chaleur ambiante. Ils mouraient tous au rythme de la pluie qui frappait les carreaux. Clara toussa, comme étouffée par des sanglots. Peter tourna lentement la tête vers Laura. Il avait le visage étrangement tiré, comme s'il l'avait agrippé pour mieux le tendre de ses doigts crispés. Puis il sourit.
«Tu as raison, dit-il. Oui, tu as raison.
- Je me moque d'avoir raison ou non, répondit Laura.
- Je sais...
- Je suis si heureuse que vous soyez là. Nous sommes devenus de vrais ermites, Desmond et moi. C'est tellement merveilleux de vous voir tous.»"
(p. 82)

D'autres livres de Paula Fox, dans mon chapeau: "Côte ouest" et "Le dieu des cauchemars"

6 juillet 2010

"Voilà le sens du mot «vengeance»"

"Julius Winsome" de Gerard Donovan5175ws7hdhL__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Seuil, 245 pages, isbn 9782020959131

(traduit de l’Anglais par Georges-Michel Sarotte)

Il n’y a sans doute pas d’homme plus paisible et solitaire que Julius Winsome. Engagés comme soldats lors des deux guerres mondiales, son grand-père et son père lui ont légué leur refus sans compromission de toute nouvelle violence – ainsi que le constate Julius: "Deux guerres mondiales ont détourné mon sang des armes à feu." (p. 38) – en même temps qu’un chalet isolé dans les forêts du Maine, dont les murs se doublent d’une bibliothèque de 3282 livres, et qu’un fusil qui avait jadis appartenu à un des meilleurs snipers des tranchées… Et la haine que les membres de la famille Winsome vouent à la violence n’a sans doute d’égal que leur amour des mots, des mots dont le père comme le fils ont mesuré à chaque jour de leur vie tout le poids de chair et de sens: "Nous avions vécu seuls tous les deux, car il ne s’était jamais remarié. Il disait qu’il était l’homme d’une seule femme, même si celle-ci était morte. Voilà comment j’ai appris le sens du mot «fidélité», comment envelopper de chair le terme nu et lui insuffler la vie." (p. 29)

Après la mort de son père, Julius Winsome est resté seul dans leur chalet, au milieu des livres et des arbres. Une femme est bien venue, un temps, partager sa solitude. Mais elle n'est pas restée. Depuis plusieurs années, Hobbes, son chien, est son unique et fidèle compagnon. Et lorsque celui-ci est massacré à bout portant par un chasseur, la vengeance de Julius – qui mesure tout le poids de ce mot-là comme de tous les autres -  tourne bien vite à la folie meurtrière: "La nuit m’a durci comme un bâton et m’a brandi contre le monde. J’étais un bâton menaçant l’univers. J’ai regardé ma main qui agrippait la crosse. J’étais le fusil. J’étais la balle, la cible, la signification d’un mot qui se dresse tout seul. Voilà le sens du mot «vengeance», même lorsqu’on le couche sur le papier." (p. 123)

Aucun mot, vraiment, n'est écrit à la légère dans ce récit âpre, noir et tragique où le déchaînement d'une violence impitoyable se mêle inextricablement à la sérénité des paysages du Maine et à la pureté de leur manteau de neige. C'est ce qui en fait toute l'âpreté, et toute la beauté.

Extrait:

"Le Maine, étoile blanche qui scintille à partir de novembre et domine un coin de ciel glacial. Seules les phrases courtes et les longues pensées peuvent survivre en ce lieu. Si vous n’êtes pas septentrional des pieds à la tête et habitué à passer de longs moments tout seul, ne vous aventurez plus alors dans cette contrée. Les distances s’effondrent, le temps vole en éclats. Les enfants inscrivent leur nom en patinant sur les lacs, des luges tirent des chiens devant elles. On combat l’hiver en lisant toute la nuit, tournant les pages cent fois plus vite que tournent les aiguilles, de petites roues en actionnant une plus grande pendant tous ces mois. Un hiver dure cinquante livres et vous fixe au silence tel un insecte épinglé, vos phrases se replient en un seul mot, le temps suspend son vol, midi ou minuit c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Chaque coup d’œil recontre de la neige. Chaque pas s’enfonce vers le nord. Voilà l’heure du Maine, l’heure blanche." (p. 89)

19 juin 2010

Toute la vie d'une arrière-cour

MV5BNTE4MzAwMDM4MF5BMl5BanBnXkFtZTcwMjk1NzUxMQ____V1__SX99_SY140_"Fenêtre sur cour" d'Alfred Hitchcock,
avec James Stewart, Grace Kelly et Thelma Ritter

Immobilisé dans son minuscule appartement new yorkais par une jambe dans le plâtre, L.B. Jeffries, un photoreporter du genre baroudeur (incarné par James Stewart), se voit réduit à tuer le temps en observant les allées et venues de ses voisins. Intrigué par des mouvements inhabituels, il en vient à soupçonner l'un de ceux-ci d'avoir assassiné sa femme, puis de s'être débarrassé du corps.

Comme toujours, s'agissant d'un film d'Alfred Hichtcock, il serait dommage de trop parler de l'intrigue et de son enquête policière - impeccablement réglée, cela va de soi. Et du reste, "Fenêtre sur cour" est bien plus qu'un excellent film à suspense auquel on resterait scotché par le simple désir de connaître la fin de l'histoire. C'est bien sûr l'un des tout grands films d'Alfred Hitchcock qui y laisse libre cours à toute sa virtuosité dans l'art de l'omission - son art incomparable de manipuler le spectateur par ce qu'il ne lui montre pas... C'est tout autant une réflexion sur le voyeurisme auquel Jeffries n'est d'ailleurs pas le seul à se livrer, car sa petite amie Lisa (Grace Kelly) ou son infirmière (une savoureuse Thelma Ritter) se laissent elles aussi prendre au jeu, se prenant d'un intérêt passionné pour la vie grouillante de cette petite arrière-cour. Et il faut bien avouer que c'est à tout ce petit monde, aux peines de coeur de miss Lonelyheart ou à celles du compositeur qui occupe le studio d'artiste juste sous les toits, au remuant petit chien du couple du deuxième étage ou aux chorégraphies impromptues de miss Torso, que "Fenêtre sur cour" emprunte une bonne part de son intérêt inépuisable. Un film à voir et revoir sans modération!

D'autres films d'Alfred Hitchcock, dans mon chapeau: "Les amants du capricorne", "Correspondant 17", "Mr and Mrs Smith", "Pas de printemps pour Marnie", "Sabotage", "Soupçons" et "Les trente-neuf marches"

11 juin 2010

Rock'n roll et rose bonbon

18612765"Marie-Antoinette" de Sofia Coppola,
avec Kirsten Dunst et Jason Schwartzman

Déjà diffusé sur Canvas (télévision belge flamande) il y a de cela quelques semaines, le dernier film en date de Sofia Coppola est à nouveau programmé ce vendredi (11 juin) sur La deux-RTBF et ce dimanche (13 juin) sur France 3. Mais comment dire? Présenté comme l'adaptation de l'ouvrage consacré à la reine Marie-Antoinette par la biographe britannique Antonia Fraser, le "Marie-Antoinette" de Sofia Coppola s'apparente bien plus à une soupe-opéra rock'n roll et rose bonbon qu'à une biographie filmée en bonne et due forme à l'instar de ce que Saul Dibb avait réalisé avec "The Duchess".

Au long d'un interminable défilé de costumes somptueux, de froufrous, de dentelles et de perruques poudrées plus extravagantes les unes que les autres, les acteurs engagés pour ressusciter le Versailles des années 1770 à 1789 s'agitent à qui mieux mieux sur un fond sonore de musique rock alternative où quelques éclats des oeuvres de Rameau ou de Vivaldi semblent s'être irrémédiablement perdus. Les grandes comédies musicales sauce Broadway ne sont pas très loin, l'émotion en moins car d'émotion, non, vraiment, je n'en ai pas ressenti le plus petit frisson en dépit des efforts - vains il faut bien le dire - de Kirsten Dunst pour nous restituer les chagrins et les frustrations d'une jeune femme qui, si elle a beaucoup cherché à s'étourdir, fut au fond plutôt malheureuse.

Bref, autant j'ai apprécié "The Virgin suicides" et surtout "Lost in translation" (que j'ai  pris plaisir à revoir à plusieurs reprises), autant ce "Marie-Antoinette" noyé de crème et de sucre glace me semble décidément très dispensable... Alors, pourquoi ne pas plutôt passer la soirée en compagnie d'un bon livre?

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5 juin 2010

Fascinations

"Reflets dans un œil d’or" de Carson McCullers41625WSVH8L__SL500_AA300_
4 étoiles

Stock/La cosmopolite, 2001, 174 pages, isbn 2234054273

(traduit de l’Anglais par Pierre Nordon)

Désir ou répulsion, amour ou haine. Ces passions ne s'exacerbent jamais autant que dans un monde refermé sur lui-même, alors que ceux qui en sont la proie ne peuvent leur opposer la moindre dérivation. Et il en va bien ainsi des héros de "Reflets dans un oeil d'or": le capitaine Penderton, sa femme et l'amant de cette dernière, le commandant Langdon dont la propre épouse, Alison, ne s'est jamais remise de la mort de leur petite fille et ne trouve quelque consolation que grâce aux attentions de son domestique philipin, Anacleto, tandis qu'ignoré des autres personnages, le simple soldat Elgee Williams se prend d'une véritable fascination pour Mrs Penderton.

Avec ce roman situé dans le huis-clos d’une garnison du Sud des Etats-Unis, Carson McCullers nous offre un drame tendu et resserré, d’une extrême économie. Un drame à six personnages que leurs obsessions, leurs angoisses et leurs fascinations inavouables – de celles que l’on n’ose même pas s’avouer à soi-même mais que vient pourtant incarner dans leurs rêves "un paon d’un vert sinistre, avec un immense œil d’or. Et dans cet œil les reflets d’une chose minuscule…" (p. 121) - mèneront inéluctablement vers une issue tragique. Un drame qui tient toute son intensité de la franchise avec laquelle l'auteur aborde les ressorts les plus secrets des comportements de ses héros - sans pour autant sombrer dans l'impudeur – par la grâce d'une écriture aussi sobre que précise.

C'est dire que si le deuxième roman de Carson McCullers ne partage pas la notoriété de son devancier, "le coeur est un chasseur solitaire", ou des nouvelles de "La Ballade du café triste", dont il ne possède peut-être pas la grâce, il n'en mérite pas moins toute notre attention!

Extrait:

"L’agitation du capitaine avait ce soir de nombreuses causes. Il possédait à certains égards une personnalité peu banale. Il entretenait une curieuse relation avec les trois aspects fondamentaux de l’existence que sont la vie elle-même, le sexe et la mort. Sexuellement, il présentait une subtile ambivalence entre les deux sexes, mais sans manifester l’activité de l’un ou de l’autre. Pour un être enclin à se tenir un peu à l’écart de l’existence et à relativiser ses impulsions affectives pour se livrer à une activité impersonnelle, de nature artistique ou simplement excentrique, la recherche de la quadrature du cercle, par exemple, est une condition tout à fait supportable. Le capitaine avait son travail et il ne se ménageait pas; on lui prédisait une brillante carrière. Peut-être sans sa femme n’aurait-il pas souffert de ce manque ou de cet excès. Mais il souffrait en sa compagnie. Il avait une funeste tendance à s’éprendre des amants de son épouse." (p. 20)

2 juin 2010

Un film de genre, et selon toutes les règles de l'art.

200px_Ghostwriterlarge"The Ghost Writer" de Roman Polanski,
avec Ewan McGregor et Pierce Brosnan

On ne présente plus le dernier film en date de Roman Polanski, thriller politique que la réalité est venue rattraper au tournant. Et je pense d'ailleurs qu'il ne faut surtout pas trop en dire au sujet d'une intrigue impeccablement ficelée, et dont les rebondissements constituent les principales surprises d'un film qui pour le reste respecte à la lettre les règles du genre. Tant et si bien qu'on s'y sent toujours bien installés, en terrain familier en somme, et cela malgré les retournements du scénario.

"The Ghost Writer" ne bouleversera certes pas le cinéma contemporain, la façon d'en faire pas plus que la façon de le regarder, mais il est si parfaitement réalisé et interprété par d'excellents acteurs, tous irréprochables - Ewan McGregor en tête dans le rôle de l'enquêteur ingénu où l'on s'était peut-être trop habitué à retrouver Matt Damon, et Pierce Brosnan bien sûr, à qui le costume du politicien charismatique mais pas tout à fait net convient comme un gant - , qu'on aurait bien tort de bouder son plaisir!

"The Ghost Writer" fait l'objet d'une fiche très détaillée (voire même un peu trop) sur wikipedia [en Anglais].

3 mai 2010

Une beauté austère et inaccessible

"Sortilèges de l'Ouest" de Rob Schultheis41_rv3hZshL__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Gallmeister, 2009, 203 pages, isbn 9782351780237

(traduit de l'Anglais par Marc Amfreville)

Devenu tout à la fois journaliste, écrivain, ethnologue et alpiniste, après avoir passé une bonne part de sa jeunesse en Extrême-Orient, Rob Schultheis a certainement plus d'une corde à son arc, et ce qui est plus important encore, ces expériences si diverses lui confèrent un regard très personnel et singulier, qui se double d'un esprit critique particulièrement aiguisé. Couvrant les guerres d'Afghanistan (l'invasion soviétique tout d'abord, puis la guerre contre les talibans), cela lui valut de voir sa tête mise à prix successivement par le KGB et par les adeptes du mollah Omar. Plus récemment ses enquêtes sur le terrain en Irak ont également retenu l'attention, mais Rob Schultheis n'en a pas pour autant négligé d'appliquer ses multiples talents à son pays natal ainsi qu'en témoignent ces "Sortilèges de l'Ouest" rassemblant les récits et les impressions d'une série de voyages que l'auteur a effectués dans l'ouest américain, du plateau du Colorado au Nord du Mexique, entre 1962 et les années 1980.

Sous le désordre apparent des chapitres dont la succession bouscule allègrement la chronologie, et même la logique géographique, c'est pourtant une vision cohérente d'un monde - complexe, magnifique, inhospitalier, menaçant et menacé – qui se fait jour au fil des pages de ces "Sortilèges de l'Ouest", tant l'attention de Rob Schultheis ne semble rien avoir laissé échapper. Ni les destinées des peuples indiens, des villages abandonnés des Anasazis et des dons de voyant de Crazy Horse aux difficultés que vivent les Navajos, les Kickapoos et tous les autres pour faire subsister un peu de leur culture dans les Etats-Unis d'aujourd'hui. Ni de la beauté austère, minérale et inhumaine de paysages menacés par la charge que les grandes métropoles de l'Ouest américain font peser sur les ressources naturelles de leur arrière-pays, et en premier lieu, sur ses réserves d'eau douce.

Invitation à réfléchir – et plutôt deux fois qu'une - à nos modes de vie, "Sortilèges de l'Ouest" est aussi un hymne à la beauté fragile d'une nature grandiose, que l'homme avait jusqu'ici à peine effleurée, et une incitation à ne pas aller l'envahir à grands renforts de hordes de touristes mais bien à la laisser tranquille. La poésie et le merveilleux s'y mêlent volontiers à la rigueur et à la précision de l'essayiste pour nous offrir un texte magnifique, qui ne devrait laisser insensible ni les citoyens soucieux de la préservation de l'environnement, ni les amoureux des grands espaces américains, ni les amoureux de "bonne" littérature (celle qui étonne, instruit, passionne, intrigue, dérange, celle surtout qui émeut et émerveille ses lecteurs).

Extrait:

"J'avançai sur le lac à grands coups de pagaie, et en un rien de temps, je me retrouvai au beau milieu de milliers de grèbes: de petits oiseaux nerveux et tristes aux yeux inquiets. Ils s'éloignaient imperceptiblement à mon approche. Il y en avait tellement! Sept cent cinquante mille, ce n'est qu'un nombre abstrait jusqu'à ce qu'il se métamorphose en quelque chose de vivant. L'air bruissait du frémissement d'un milliard d'ailes, un bruit blanc, comme le vent ou l'eau dans le lointain. Abaissant le regard jusqu'à l'endroit où ma rame fendait la surface, je voyais l'eau bouillonner de crevettes artémias; il aurait suffi de placer les mains en corolle pour ramasser une vingtaine de ces crustacés aériens et translucides. Le lac ressemblait maintenant à un chaudron en ébullition. Partout, presque à perte de vue, les oiseaux barbotaient et plongeaient pour saisir leurs proies: contre toute attente, un ballet de vie et de mort, d'algues et de diatomées, de crevettes, de mouches et d'oiseaux, au coeur sépulcral de ce désert de pierre." (p. 177)

22 avril 2010

Une phénoménale bande d'idiots

18991610_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20080929_061536"Burn after reading" d'Ethan et Joel Coen,
avec Frances McDormand, Tilda Swinton, John Malkovitch, Brad Pitt, George Clooney et Richard Jenkins

La réussite totale qu'est le dernier opus en date des frères Coen - "A serious man" - m'a donné l'envie de partir à la découverte de quelques uns de leurs films précédents, que j'avais pour une raison ou une autre zappés lors de leur sortie en salles. En commençant par ce très savoureux cru 2008: "Burn after reading".

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Voilà un film qui défie toute tentative de résumé - le mieux pour donner une très vague idée de son argument est encore de copier-coller le petit schéma qui illustre le dos du boîtier du DVD - mais qui nous offre de passer une heure et demie en compagnie d'une phénoménale bande d'idiots dont l'invraisemblable accumulation de bêtises est tout à fait jouissive. L'ensemble du casting est bien sûr impeccable, y compris Brad Pitt dans un rôle en or qui lui convient bien mieux que celui d'un héros grec en sandales et jupette. Mais surtout, surtout, "Burn after reading" ne serait sans doute pas si réussi si une vraie mélancolie ne pointait pas sous son vitriol, et si sa bande d'idiots, au fond tous très seuls et plutôt malheureux, n'étaient pas aussi, et presque malgré eux, profondément touchants.

D'autres films d'Ethan et Joel Coen, dans mon chapeau: "Intolérable cruauté", "A serious man" et "O'Brother, Where Art Thou?"

10 avril 2010

Pour la liberté de la presse

18460477_jpg_r_160_214_b_1_CFD7E1_f_jpg_q_x_20051124_030549"Good night, and good luck" de George Clooney,
avec David Strathairn, Robert Downey Jr et George Clooney

"Good night, and good luck", telle était la formule par laquelle Edward R. Murrow, journaliste vedette de la CBS terminait son émission documentaire "See it now", un programme dans lequel il s'attaqua aux méthodes - à tout le moins anti-démocratiques - utilisées par la commission présidée par le sénateur Joseph McCarthy dans sa "chasse aux sorcières" communistes. La préparation de cette émission diffusée en mars 1954, et les événements qui en découlèrent, sont au coeur de ce film réalisé par George Clooney en 2005, où ils servent de prétexte à une réflexion à peine voilée sur sur la liberté de la presse et sur le rôle des médias et tout particulièrement de la télévision dans nos sociétés, comme outils d'information ou de divertissement.

On aurait pu souhaiter une démonstration un tantinet moins explicite et appuyée, laissant un petit peu plus d'espace à l'interprétation du film par le spectateur. Mais même si "Good night, and good luck" nous met très (trop ?) carrément les points sur les "i", ce film n'en séduit pas moins par ses partis pris esthétiques affirmés, mêlant à des images d'archives du sénateur McCarthy des séquences modernes tournées elles aussi en noir et blanc, de façon très soignée, et à une bande-son jazzy proprement irrésistible. Et puis, il faut bien reconnaître que ce film, sorti en pleine présidence Bush Jr, était sacrément culotté et terriblement pertinent. Et surtout qu'il reste toujours pertinent aujourd'hui!

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