"Les enfants de la veuve" de Paula Fox
4 ½ étoiles
Joëlle Losfeld, 2010, 216 pages, isbn 9782070789429
(traduit de l'Anglais par Marie-Hélène Dumas)
A la veille de leur départ pour une croisière au long cours, Laura Maldonada Clapper et son mari Desmond ont convié quelques proches – Clara, la fille que Laura a eue d'un premier mariage, Carlos, le frère de Laura, et Peter leur vieil ami - pour un dîner d'adieu que leurs invités – et tout particulièrement Clara – n'abordent pas sans appréhension tant ils sont habitués à voir Laura, ses caprices et ses sautes d'humeur, souffler le chaud et le froid sur leurs réunions. Ils se laisseront toujours surprendre - et ils le savent - baissant leur garde devant les rares mouvements de gentillesse de leur hôtesse pour se trouver d'autant plus vulnérables lorsque le vent tourne, ainsi que le constate Clara, observant sa mère d'un oeil averti et pourtant troublé: "Elle semblait détendue, prête à accorder un moment d'intimité, à dire quelque chose de profondément touchant, et de vital, et Clara avait beau savoir qu'il n'y avait rien derrière cette promesse, qu'elle n'était volontairement destinée qu'à poser un décor, elle s'y laissa prendre comme quelqu'un qui trébuche toujours sur la même marche malgré l'avertissement qui résonne dans sa mémoire." (p. 83)
Mais ce que Clara, Carlos, Peter et même Desmond ignorent, c'est que Laura vient d'apprendre plus tôt dans la journée la mort de sa mère dans le home où elle l'avait placée. Et cet événement, que Laura gardera secret pendant la plus grande partie de la soirée, a encore exacerbé son envie d'en découdre. Laura et ses frères n'ont en effet jamais pardonné à leur mère, restée veuve très jeune à la mort de son mari, un riche propriétaire cubain, la manière dont elle s'était laissé déposséder de la fortune familiale. Et la mort de la vieille femme, en réveillant d'anciennes rancoeurs et les souvenirs d'une jeunesse marquée par une pauvreté humiliante, se fera le détonateur d'un grand règlement de comptes dont aucun des convives ne sortira indemne.
Là où d'autres n'hésiteraient pas à appuyer le trait ou à forcer sur le vitriol – telle Ivy Compton-Burnett dans son roman "Des hommes et des femmes" -, Paula Fox se révèle tout au contraire d'une maîtrise impressionnante, tout en économie, en sobriété et en justesse. Et ce faisant, elle métamorphose un sujet foncièrement casse-gueule pour nous offrir un très très grand roman de la famille dysfonctionnelle. C'est implacable. C'est vrai. C'est compliqué et pourtant limpide. Insupportable et touchant. Bref, c'est humain. Et c'est à lire, sans hésitation.
Extrait:
"«- Je ne jouais pas, dit Peter. Je me sens vraiment mis à l'écart par mes soeurs. Je n'ai pas le droit de le dire?
- Bon dis-le, alors, répondit Laura avec une étonnante froideur. Ce n'est pas ma faute si tu provoques des réponses blessantes. Nous faisions semblant de parler de tes soeurs. Tu n'avais pas besoin d'en dire beaucoup. Mais tu nous les a lancées en pâture, et quand j'ai plaisanté, tu as changé les règles du jeu.»
Clara avait du mal à respirer - l'air se raréfiait, les convives pâlissaient, visages, mains, meubles, tout dans la pièce avait pris la même couleur cendreuse, il ne restait rien de vivant que l'odeur de tabac et de sueur de la chaleur ambiante. Ils mouraient tous au rythme de la pluie qui frappait les carreaux. Clara toussa, comme étouffée par des sanglots. Peter tourna lentement la tête vers Laura. Il avait le visage étrangement tiré, comme s'il l'avait agrippé pour mieux le tendre de ses doigts crispés. Puis il sourit.
«Tu as raison, dit-il. Oui, tu as raison.
- Je me moque d'avoir raison ou non, répondit Laura.
- Je sais...
- Je suis si heureuse que vous soyez là. Nous sommes devenus de vrais ermites, Desmond et moi. C'est tellement merveilleux de vous voir tous.»" (p. 82)
D'autres livres de Paula Fox, dans mon chapeau: "Côte ouest" et "Le dieu des cauchemars"