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Dans mon chapeau...
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24 octobre 2008

De simples histoires de détresses et de joies ordinaires

"La vitesse foudroyante du passé" de Raymond Carver
4 1/2 étoiles41XyWrpkTNL__SL500_AA240_

Points, 2008, 175 pages, isbn 9782757805763

(traduit de l'Anglais par Emmanuel Moses)

Mes rencontres précédentes avec l'oeuvre de Raymond Carver m'ont laissé le souvenir d'un merveilleux nouvelliste, qui n'avait pas son pareil pour évoquer avec trois fois rien des vies très ordinaires, leurs détresses et leurs joies, petites et grandes. De la mort d'un enfant aux ravages de l'alcool, d'une scène de ménage - et chez Carver, celles-ci peuvent être d'une rare violence et pourtant rendues sans aucun pathos - au plaisir tranquille d'une journée consacrée à la pêche à la ligne, l'économie des moyens déployés n'a d'égal que la profonde attention que l'auteur accorde à ses personnages si terriblement humains, sans jamais les juger. Un regard qui n'est pas sans rappeler celui que Tchékhov posait sur les héros de ses propres nouvelles, Tchékhov à qui Raymond Carver avait d'ailleurs rendu un hommage sensible dans sa nouvelle "Les trois roses jaunes"...

Et les poèmes rassemblés dans "La vitesse foudroyante du passé" m'ont permis de retrouver les qualités que j'avais tellement appréciées dans les nouvelles, au fil d'histoires - car chacun de ces textes est une histoire à part entière, parfois resserrée dans l'espace d'une seule page - si possible encore plus denses et épurées que dans les nouvelles. Ce sont quatre-vingt poèmes de forme très libre et fluide où la poésie se fait impalpable, tout en restant incontestablement présente, par la grâce d'un je-ne-sais-quoi, peut-être à peine une lueur de beauté dans le regard du poète mais cette lueur change tout...

Extrait:

La petite chambre

"Il y eut un grand règlement de comptes.
Les mots volaient comme des pierres à travers les fenêtres.
Elle hurlait, elle hurlait, comme l'Ange du Jugement.

Puis le soleil jaillit et un sillage de fumée
stria le ciel matinal.
Dans le silence soudain, la petite chambre
se retrouva étrangement seule, tandis qu'il lui séchait ses larmes.
Elle devint comme toutes les autres petites chambres sur terre
que la lumière a du mal à envahir.

Des chambres où les gens hurlent et se blessent.
Puis éprouvent douleur, et solitude.
Incertitude. Un besoin de consolation." (p. 83)

D'autres poèmes de Raymond Carver, dans mon chapeau: La toile d'araignée et "Asie"

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28 septembre 2008

"La toile d'araignée"

Il y a quelques minutes, je suis sorti sur le ponton
de la maison. De là je pouvais voir et entendre l'eau,
et tout ce qui m'est arrivé pendant toutes ces années.
L'air était chaud et immobile. C'était marée basse.
Aucun oiseau ne chantait. Comme je m'appuyais à la balustrade,
une toile d'araignée a touché mon front.
Elle s'est prise dans mes cheveux. Personne ne pourra me reprocher d'être         
[alors rentré. Il n'y avait pas de vent. La mer
était d'huile. J'ai suspendu la toile d'araignée à l'abat-jour.
Où je l'observe frémir de temps à autre quand mon souffle
la rencontre. Un fil fin. Complexe.
Avant longtemps, avant que quiconque s'en aperçoive,
je serai parti.

Raymond Carver, "La vitesse foudroyante du passé", Points, 2008, p. 19 (traduit de l'Anglais par E. Moses)

Un autre poème de Raymond Carver, dans mon chapeau: "Asie"

21 septembre 2008

"Comme des mouches collées au ruban de leurs opinions sur le monde"

"Côte ouest" de Paula Fox41fw6CIyQbL__SS500_
5 étoiles

Joëlle Losfeld, 2007, 447 pages, isbn 9782070789450

(traduit de l'Anglais par Marie-Hélène Dumas)

De New York à la côte ouest, et retour au bout de cinq années de séjour à Los Angeles, la ville du rêve américain s'il en est, miroitante des feux de tous les mirages hollywoodiens. Tel est le périple initiatique d'Annie Gianfala, l'héroïne de "Côte ouest". En 1939, Annie a dix-sept ans et son père, partant pour le Nouveau Mexique et un nouveau mariage, vient de la laisser seule dans leur appartement new yorkais. Mais seule, Annie ne le restera pas longtemps, car il ne manque pas de bonnes âmes et prosélytes de tout poil, plus ou moins bien intentionnés, et désireux de prendre sous leur aile la pauvre orpheline.

A première vue, Annie donne l'impression d'un être à la dérive, se laissant porter par le courant: terriblement jeune, terriblement ignorante du monde comme il va, terriblement influençable. Pourtant, elle ne tarde pas à révéler une personnalité bien plus insaisissable, bien plus forte que ce que le premier abord laissait supposer. Elle absorbe tout, de tout son être. Elle observe tout, jusqu'à l'épuisement parfois, du regard acéré de celle qui ne s'en laisse pas conter. Si bien qu'à travers les yeux de cette toute jeune femme, Paula Fox nous offre un magnifique état des lieux de l'Amérique au tournant des années trente et quarante. Les Etats-Unis sortent alors tout juste des derniers remous de la grande crise de 1929, et leur entrée en guerre ne fera que confirmer la reprise économique. Les usines d'armement tourneront bientôt à plein régime, tout comme les usines à rêves des grands studios, et le parcours d'Annie Gianfala nous entraîne des unes aux autres, nous faisant côtoyer au passage une fabuleuse galerie de personnages: scénaristes, aspirants-acteurs, ouvriers, petits commerçants, syndicalistes et dévots-communistes enferrés dans les atermoiements de la politique stalinienne, dont beaucoup sont "comme des mouches collées au ruban de leurs opinions sur le monde" selon les mots mêmes d'Annie.

Née en 1923, Paula Fox avait rencontré un certain succès à la parution de ses deux premiers romans dans les années 1960. En 1972, son troisième livre, "Côte ouest", a marqué pour elle le début d'une longue traversée du désert qui devait durer près de vingt ans. Il fallut pour y mettre un terme l'intercession de quelques uns de ses jeunes collègues: Jonathan Franzen, Andrea Barrett ou encore Frederick Busch qui offre à la traduction française de "Côte ouest" une préface dithyrambique et, disons-le, tout à fait justifiée. A leurs yeux, Paula Fox n'est rien de moins qu'un des plus importants écrivains du XXème siècle. Et au moment de refermer ce roman magnifique d'intelligence, de lucidité, de maîtrise et de justesse dans l'expression, je ne peux certes pas leur donner tort. Voilà bien une auteure à (re)découvrir de toute urgence!

Extraits:

"Allongée, inerte, elle se sentait épuisée. De la fatigue des observateurs, se dit-elle. Si seulement elle avait pu ne pas tant observer les gens! Le moindre changement d'expression, le moindre fil sur un vêtement, le moindre trou dans une chaussure, la moindre saleté sur les doigts, leurs regards dangereux et imprévisibles, la façon dont ils aspiraient l'air entre leurs dents ou se grataient la joue provoquaient en elle une réaction d'angoisse macabre!" (p. 77)

"Il lui semblait que, chaque fois qu'elle quittait un endroit, elle tirait derrière elle une traîne de débris: promesses brisées, attentes déçues qu'elle avait suscitées sans le vouloir. Qu'y avait-il en elle d'exceptionnel? Qui dépassât les circonstances particulières de son histoire personnelle, qu'elle détournait avec humour dans l'unique but d'attirer l'attention, celle de n'importe qui? Tout le problème était là! L'histoire n'annonçait que l'existence de celle qui la racontait, oui, tout le problème était là!" (p. 91)

 D'autres livres de Paula Fox, dans mon chapeau: "Le dieu des cauchemars" et "Les enfants de la veuve"

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