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Dans mon chapeau...
Dans mon chapeau...
poesie
22 février 2009

L'annonce d'un redoux... (1)

Marchant sur le moût des feuilles en hiver,
tu entends déjà l'eau couler sous la neige.
Le nuage rose et vert dans le soleil,
les traces d'animaux d'un sapin à l'autre
t'entraînent doucement vers la vie promise
comme le courant qui dépasse la barque.

Jean-Pierre Lemaire, "L'Intérieur du monde", Cheyne, 2007, p. 41

Un autre poème de Jean-Pierre Lemaire, sur Terre de femmes: "Giotto".

Et dans mon chapeau: "Bologne"

L'annonce d'un redoux... (2)

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14 février 2009

"Ceci ne sera pas un poème d'amour..."

Ceci ne sera pas un poème d'amour
(ni d'amitié non plus quoiqu'on en dise)

Moi je croyais la page tournée
des joues en feu, de la chamade
que bat le coeur quand il évoque
le tango de ces moments-là

Mais nous voici cu et chemise
faits l'un pour l'autre chamboulés
dans nos vies de gens comme il faut
dans nos existences respectables
dans mes désirs, dans tes manies

J'apprends à lire sur tes lèvres
Tu apprends à lire mes rêves
Et ce n'est pas non plus le poème qu'il faut
dire à voix haute en écho à ton rire
ni même brandir comme un poing
quand nous faisons l'amour
aussi justement que possible
sans préjudice ni pudeur

Et nous voici allant de stupeur en surprise
ébouriffés brûlés comme par une flamme
qu'on attendrait partout sauf en cette région
tempérée où le coeur se méfie

Et nous voici chacun de chaque côté
d'une frontière que nous traçons ensemble
à mesure que nous avançons
et qui ne reconnaît ni la guerre ni la paix
niant que ceci soit un poème d'amour
(ni d'amitié quoiqu'on en dise)

Karel Logist, "Si tu me disais viens et autres poèmes", Editions Ercée, 2007, pp. 41-42

D'autres poèmes de Karel Logist, dans mon chapeau: "Hier, tu ne savais pas quoi faire de ta colère..." et "La vie au lendemain de ma vie avec toi..."

8 février 2009

Fil rouge pour un coup de sang

"Sans début ni fin – Petite parabole" d’Anne HerbautsSANS_DEBUT_NI_FIN_1
5 étoiles

Editions Esperluète, 2008, sans pagination, isbn 9782930223936

Le peloton de fil rouge qui orne la couverture se dévide à l’intérieur du livre, tout au long d’une bande de papier plié en accordéon. Et se dévident du même coup les strophes d’un poème - évocation touchante, troublante, des dépourvus - et des illustrations nées de l’assemblage de cailloux, de bouts de ficelles, de bouts de papier, de bouts de tissus, de bouts de bois et de vieux boutons... Tout un petit monde désordonné, insolite et fragile, réuni en une vraie cour des miracles. Des petites merveilles de poésie, d’imagination et d’inventivité qui en disent plus long que bien des discours, en un plaidoyer éloquent qui évite l’écueil des bons sentiments comme celui du cynisme.

Car présentant son livre il y a quelques jours sur les ondes de Musiq’3 (radio belge), Anne Herbauts ne s’en était pas cachée : "Sans début ni fin – petite parabole" est un cri de révolte, né d’un vrai coup de sang face à notre société de consommation qui pratique l’exclusion, à tour de bras, des sans-papiers, des sans-abris, des sans-permis, mais toujours des hommes traités, c’est sûr, sans plus aucun égard…

J’ai en tout cas un gros coup de cœur pour ce petit livre inclassable, une très belle réalisation de plus au catalogue des éditions Esperluète qui allient toujours avec bonheur texte et illustration.

Extrait:

 

image_Herbauts

 

"Et encore les sans cabane
qui cherchaient
ombre
où attendre.
Ils plantaient un arbre, alors,
alors, le merle chantait."

 

Présentation de "Sans début ni fin", sur le site de l'éditeur

D’autres ouvrages des éditions Esperluète sont présentés sur Lecture/Ecriture :
"Ce qu’on oublie (Souvenir trois)" (Annick Ghijzelings et Anne Leloup)
"Désir" (Frédérique Dolphijn et Loren Capelli)
"Le jardin (Souvenir un)" (Annick Ghijzelings et Anne Leloup)
"Les oiseaux de Messiaen" (Nicole Malinconi et Mélanie Berger)
"La petite" (Pascale Tison et Loren Capelli)
"La porte de Cézanne" (Nicole Malinconi et Jean-Gilles Badaire)

29 janvier 2009

"Hier, tu ne savais pas quoi faire de ta colère..."

Hier, tu ne savais pas quoi faire de ta colère
Tu la roulais en boule
tu la pliais en quatre,
tu lui tenais la main
tu ne la montrais pas
Tu finissais parfois par lui lâcher la bride,
au hasard,
par la laisser foncer au loin, à l'aveuglette,
dans le passage ou dans l'impasse

Tes amis te disaient: "deviendrais-tu méchant?"
et repassaient au ralenti
le film du trèfle à quatre feuilles
qui t'a porté chance tant que
tu croyais en tous les possibles

Avant, tu ne savais pas quoi faire de ta rage
tu la lançais au mur, tu la jouais aux dés
tu la noyais lestée du poids de tes journées
elle te revenait nue et plus sauvage encore

Aujourd'hui ta colère est plus grande que toi
elle t'a avalé
Aujourd'hui ta colère
ne sait que faire de toi

Karel Logist, "Si tu me disais viens et autres poèmes", Editions Ercée, 2007, pp. 19-20

D'autres poèmes de Karel Logist, dans mon chapeau: "La vie au lendemain de ma vie avec toi..." et "Ceci ne sera pas un poème d'amour..."

14 janvier 2009

Apre et rude

“Lettres à Essenine” de Jim Harrison4114617WADL__SL160_AA115_
4 étoiles

10/18, 2003, 141 pages, isbn 2264036761

(traduit de l’Anglais par Brice Matthieussent)

Trente lettres adressées par Jim Harrison à Serge Essenine, dont la photo trône sur son bureau. Trente missives écrites par un auteur américain d’aujourd’hui à un poète russe né en 1895 à Riazan, qui chanta avec enthousiasme les espoirs de la révolution d’octobre puis qui se suicida, par pendaison, le 28 décembre 1925.

Trente lettres et autant de poèmes où Jim Harrison explore, comme en une plongée hypnotique, sa vision de l’écriture et de son cortège d’exigences – la dèche, le découragement, l’alcool, la drogue et la tentation du suicide mais aussi la solitude, le bonheur de vivre dans les grands espaces américains et les joies familales… Trente textes âpres, rudes, crus. Trente “poèmes qui pèsent lourd sur notre estomac comme aliments frits, puissants, viscéraux, aussi impurs que les corps qu’ils décorent” (p. 97) et qui nous révèlent une nouvelle facette, forte et fragile à la fois – sombre aussi -, de l’auteur de “Dalva” et de la “Route du retour”.

Extrait:

“Today we’ve moved back to the granary again and I’ve anointed the room with Petrouchka. Your story, I think. And music. That ends with you floating far above in St Petersburg’s blue winter air, shaking your fist among the fish and green horses, the diminutive yellowsun and chicken playing the bass drum. Your sawdust is spilled and you are forever borne by air. A simple story. Another madman, Nijinsky, danced your part and you danced his. None of us apparently is unique. Think of dying waving a fist full of ballpoints pens that change into small snakes and that your skull will be transposed into the cymbal it was always meant to be. But shall we come down to earth? For years I have been too ready to come down to earth. A good poet is only a sorcerer bored with magic who has turned his attention elsewhere. O let us see wonders that psylocibin never conceived of in her powdery head. Just now I stepped on a leaf that blew in the door. There was a buzzing and I thought it concealed a wasp, but the dead wasp turned out to be a tiny bird, smaller than a hummingbird or june bug. Probably one of a kind and I can tell no one because it would anger the swarm of naturalists so vocal these days. I’ll tuck the body in my hair where itwill remain forever a secret or tape it to the back of your picture to give you more depth than any mirror on earth. And another oddity: the record needle stuck just at the point the trumpet blast announced the appearance of your ghost in the form of Petrouchka. I will let it repeat itself a thousand times through the afternoon until you stand beside the desk in your costume. But I’ve no right to bring you back to life. We must respect you affection for the rope. You knew the exact juncture in your life when the act of dangling could be made a dance”

“Aujourd’hui nous nous sommes réinstallés au grenier et j’ai béni la pièce avec Petrouchka. Ton histoire, je crois. Et ta musique. A la fin tu flottes très haut dans l’air bleu hivernal de Saint-Pétersbourg, agitant le poing parmi poissons et chevaux verts, le minuscule soleil jaune et les poulets  jounat de la grosse caisse. Ta sciure est jetée, toujours tu côtoieras l’air. Histoire banale. Un autre fou, Nijinki, dansa ton rôle et toi le sien. Apparemment aucun de nous n’est unique. Mourir en brandissant un poing rempli de stylos-billes qui se transforment en menus serpents et ton crâne sera transposé en ces cymbales qu’il devait  toujours devenir. Mais redescendrons-nous sur terre ? Pendant des années, je n’ai été que trop prêt à redescendre sur terre. Un bon poète n’est qu’un sorcier las de la magie, qui a tourné son attention ailleurs. O laisse-nous voir des merveilles que la psylocibine ne conçut jamais dans sa tête poudreuse. Je viens de marcher sur un feuille entrée par la porte. Ça vrombissait et j’ai pensé à une guêpe cachée là, mais cette guête morte était en f ait un oiseau minuscule, plus petit qu’un colibri ou un scarabée. Sans doute une espèce bizarre, je n’en parlerai à personne, de peur d’irriter l’essaim des naturalistes si tonitruants ces temps-ci. Je glisserai ce corps dans mes cheveux où il restera à jamais un secret ou je le collerai au dos de ta photo pour te donner davantage de profondeur que tou miroir terrestre. Autre bizarrerie : l’aiguille du phono s’est bloquée sur la sonnerie de trompette annonçant l’apparition de ton fantôme sous la forme de Petrouchka. Je la laisserai se répéter mille fois cet après-midi jusqu’à ce que tu te campes en costume près du bureau. Mais je n’ai aucun droit de te ramener à la vie. Nous devons respecter ton affection pour la corde. Tu connaissais la jointure exacte de ta vie que cette traction pouvait transformer en danse.”  (pp. 52-53)

Jim Harrison était l'auteur des mois d'avril et mai 2006, sur Lecture/Ecriture.

Vous trouverez également, dans mon chapeau, des poèmes de Serge Essenine: ici et là.

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13 janvier 2009

"La vie au lendemain de ma vie avec toi..."

La vie au lendemain de ma vie avec toi
ne sera pas moins douce
ne sera pas moins belle
juste peut-être un peu plus courte
peut-être aussi moins gaie

La vie au lendemain de ma vie avec toi
ne sera pas ceci ne sera pas cela
ne sera pas souci ne sera pas fracas
ne sera pas couci ne sera pas couça
ne sera pas ici ne sera pas là-bas
Ma vie sera séquelle, sera ce qu'elle sera
ou ne sera plus rien

Certains jours, par défi,
je ferai de petits voyages sur nos traces
je ferai de petits voyages sur nos pas
Et là je te ferai de petites infidélités
tant pis si tu l'apprends
si tu dois m'en vouloir
si jamais tu m'en veux de te l'avoir appris
entre ces lignes-ci

J'irai revoir des lieux que nous aimions ensemble
Je ne tournerai pas en rond

Si ça tourne pas rond
je prendrai nos photos
dans la boîte à chaussures
sous le meuble en bois blanc
et je regarderai encore
par-dessus l'épaule du bonheur
combien tu étais belle
comment nous étions beaux

J'achèterai un chat
que j'appelerai Unchat
en hommage à l'époque où j'en étais bien sûr
incapable à tes yeux
Le thé refroidira; personne pour le boire
L'été refleurira; personne pour y croire

Je ne vais rien changer à l'ordre de mes livres
déplacer aucun meuble
J'expédierai nos cartes
qui disaient le destin
mais jamais l'avenir
à nos meilleurs amis
J'allongerai les jours
Je mettrai des tentures dans la chambre à coucher pour
allonger un peu également
le sommeil de mes nuits
mes nuits au lendemain de mes nuits avec toi

La vie au lendemain de ma vie avec toi
je la veux simple et bonne
je la veux douce et lisse
comme le plat d'une main qui ne possède rien
et ne désigne qu'elle

Karel Logist, "Si tu me disais viens et autres poèmes", Editions Ercée, 2007, pp. 14-16

D'autres poèmes de Karel Logist, dans mon chapeau: "Hier, tu ne savais pas quoi faire de ta colère...." et "Ceci ne sera pas un poème d'amour..."

27 décembre 2008

"Asie"

Qu'il fait bon vivre face à la mer.
Les bateaux passent si près de la côte
qu'un passager pourrait tendre le bras
et casser les branches d'un des saules
qui poussent ici. Des chevaux galopent ventre à terre
au bord de l'eau, le long de la plage.
Si les hommes d'équipage le voulaient, ils pourraient
confectionner un lasso, le lancer
et embarquer l'un des chevaux.
De quoi leur tenir compagnie
pendant le long voyage vers l'est.

De mon balcon, je peux déchiffrer les visages
des hommes qui contemplent les chevaux,
les arbres et les maisons à deux étages.
Je sais ce qu'ils pensent
quand ils voient un homme sur un balcon agiter la main,
avec sa voiture rouge dans l'allée.
Ils le regardent et considèrent qu'ils ont
de la chance. Quel mystérieux coup
de la bonne fortune, se disent-ils, que d'avoir pu
être conduits jusqu'à ce navire
en partance pour l'Asie. Les années de petits boulots,
de travail dans les entrepôts, de débardage
ou bien de désoeuvrement sur les docks,
sont oubliées. Ces choses-là sont arrivées
à d'autres, plus jeunes qu'eux,
pour autant qu'elles soient arrivées.

                           Les hommes à bord
lèvent les mains et les agitent en réponse.
Puis s'immobilisent, serrant la rambarde,
tandis que le bateau s'éloigne sans bruit. Les chevaux
quittent les arbres pour le soleil.
Regardent le bateau glisser.
Des vagues se brisent contre la coque.
Contre la plage. Et dans l'esprit
des chevaux où
c'est toujours l'Asie.

Raymond Carver, "La vitesse foudroyante du passé", Points, 2008, pp. 171-172 (traduit de l'Anglais par E. Moses)

Un autre poème de Raymond Carver, dans mon chapeau: "La toile d'araignée"

13 décembre 2008

"Paysage de neige"

Les flocons de neige
qui tombent
sur nos têtes
sont des clous vivants

Les champs blanchissent
les bruits s'estompent
la mort est certaine

Anise Koltz, "Le cri de l'épervier", Editions Phi/Collection Graphiti, 2000, p. 85

Un autre poème d'Anise Koltz, dans mon chapeau: "Le paysage immobile"

11 décembre 2008

Soleil d'hiver

"Deux rives" de Fabio Pusterla
4 étoiles
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Cheyne/D'une voix l'autre, 2004, 115 pages, isbn 284116070x

(traduit de l'Italien par Béatrice de Jurquet et Philippe Jaccottet)

Né à Mendrisio, en Suisse italienne, en 1957, Fabio Pusterla partage à présent sa vie entre sa région d'origine et l'Italie du Nord. Entre l'enseignement, les traductions et une oeuvre poétique, qui apparaît au travers de ces "Deux rives" comme une poésie des lieux abandonnés où flotte pourtant encore le souvenir d'une présence, à l'égal d'un parfum... C'est une ruelle désertée, après le passage du promeneur dont les pas s'éloignent. Ce sont les échos laissés par les voix des habitants d'un quartier d'Ancône, détruit par un bombardement. C'est Armand Robin, un poète tombé dans l'oubli, et qui s'en voit tiré le temps d'une épitaphe. Ce sont les mots, même, qui se dérobent...

Composant ce recueil en mêlant des textes tirés en fait de deux livres différents, "Le Cose senza storia" et "Pietra sangue", Béatrice de Jurquet et Philippe Jaccottet sont parvenus à offrir au lecteur francophone une vision aussi cohérente que séduisante de l'univers de Fabio Pusterla. La vision d'une beauté fragile sous un pâle soleil d'hiver. Une vision que j'aimerais pouvoir retrouver ailleurs...

Extrait:

Epitaffi per Armand Robin (3)

"Durante i miei lunghi ascolti
sentivo le margherite
chinare la testa pazienti
sul flusso delle radici:
terra nera che infossa.
Zolla su zolla dispensa
un alito greve, profondo.
Le voci dei miei poeti
salivano sempre dal basso,
parlavano piano
dal fondo."

Epitaphes pour Armand Robin (3)

"Pendant mes longues écoutes
je sentais que les marguerites
courbaient la tête, patientes
au-dessus de la force des racines:
terre noire, fossé.
Motte après motte, elle dispense
un souffle pesant, profond.
Les voix de mes poètes
montaient toujours d'en bas,
parlaient bas
à partir du fond."
(pp. 94-95)

Un autre poème de Fabio Pusterla, dans mon chapeau: Presso Voghera/Près de Voghera

Vous trouverez aussi plusieurs billets consacrés à Fabio Pusterla sur le blog d'Angèle Paoli, Terre de femmes: ici,  , et encore là-bas.

25 novembre 2008

"Presso Voghera/Près de Voghera"

Presso Voghera

Getare di nuovo tutto: questa terra
che è già novembre, e brucia sottovoce,
ricordi, rovi, stoppie, Chi t'incontra
ha bavero e cappello, fiato duro.
E campi, e cittadine,
tutte le strade di tutti i luoghi si riassumono
in questa tratta d'argine: cammini
adagio, conti i sassi, non sai niente.

Près de Voghera

Tout jeter à nouveau: cette terre
qui est déjà novembre, qui brûle à voix basse,
ronces, chaumes, souvenirs. Ceux que tu croises
ont chapeau, col relevé, le souffle court.
Et des champs, et des petites villes,
toutes les rues de partout se résument
à ce bout de berge: tu marches
lentement, tu comptes les cailloux, tu ne sais rien.

Fabio Pusterla, "Deux rives",  Cheyne/D'une voix l'autre, 2004, pp. 64-65 (traduit de l'Italien par B. de Jurquet et Ph. Jaccottet)

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