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Dans mon chapeau...
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belgique
17 décembre 2010

Un avant-goût de l'éphémère

"J'installe le microfilm dans l'appareil et allume la lampe. Je n'aperçois tout d'abord qu'une bande noire, puis les premières pages du Star, l'un des rares bons quotidiens sud-africains, publié à Johannesburg. J'ai demandé à consulter l'année 1927. J'actionne la manette, et aussitôt articles et publicités défilent à toute allure sur l'écran. Dire que derrière chaque paragraphe se cachent des êtres humains - petits commerçants, rédacteurs, typographes, tous ces individus aujourd'hui disparus qui ont emporté avec eux leur histoire, leurs questions! Soixante-quinze ans plus tard, ils défilent en un éclair devant ma rétine. Pour moi, dérouler un microfilm est le geste qui permet le mieux de comprendre le sens du mot "éphémère". Rien ne me fait toucher d'aussi près la relativité que le fait savoir que je serai moi-même, dans moins d'un siècle, balayé, zappé, effacé d'un simple clic."

David Van Reybrouck, "Le Fléau", Actes Sud, 2008, pp. 130-131 (traduit du Néerlandais par Pierre-Marie Finkelstein)

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16 décembre 2010

Pour l’amour de l’art

"Le tableau de Giacomo" de Geneviève Bergé405blog1
4 ½ étoiles

Editions Luce Wilquin, 205 pages, isbn 9782882534057

C’est vers Messine que Geneviève Bergé nous entraîne avec son nouveau roman, "Le tableau de Giacomo". Messine telle que nous la verrons jamais plus, car cette Messine-là fut rasée par trois tremblements de terre successifs, en 1693, en 1783 puis, surtout, le 28 décembre 1908. Enfin délivrée de la menace des pirates barbaresques, Messine en 1654 est encore – mais pour très peu de temps – sous contrôle espagnol. La ville jouit alors d’une tranquillité telle qu’elle n’en avait plus connue depuis longtemps, et elle met à profit ce calme retrouvé pour se laisser aller à la manie de la collection: "C’est que vivre sans manquer est impossible. Vivre sans espérer, ni désirer, vivre repu et satisfait, non, cela ne va pas. Personne ne vit de la sorte. Et surtout pas une société tout entière. Il faut chercher quelque chose, le vouloir, bientôt le vouloir à tout prix. Il faut d’abord que naisse l’attente, puis que l’attente se fasse recherche jusqu’à ce que la recherche devienne frénésie. La frénésie touche les très nantis, puis ceux qui le sont un peu moins, cela prend rapidement l’allure d’une obsession, c’est le grain de folie d’une époque, sa manière de danser sur les tables et de clamer qu’elle est vivante. La frénésie se suffit à elle-même, car l’objet dont elle s’empare importe peu en fin de compte, on peut collectionner pareillement les épices, les souvenirs de voyage ou les oignons de tulipe, c’est le geste qui compte." (pp. 25-26)

En l'occurrence, il s'agit de collections d'oeuvres d'art, et tout particulièrement de la plus belle et plus riche des collections siciliennes de l'époque, celle de Don Antonio Ruffo, que seule surpasse en Italie celle de Côme III de Médicis, l'unique mécène à s'intéresser aussi, aux côtés de Don Antonio, aux artistes du Nord de l'Europe, Jordaens, Dürer ou Van Dijk... Certes financée par les deniers de Don Antonio, cette prestigieuse collection n'en est pas moins l'oeuvre d'un seul homme, véritable amoureux des arts à défaut d'avoir les moyens de satisfaire sa passion en son nom propre, le courtier de Don Antonio, Giacomo di Battista: "Voilà un homme, Giacomo, qui consacre sa vie, oui, toute sa vie, à constituer une collection d’art, et pas des moindres. Il le fait avec passion. Avec acharnement. Avec précision et méticulosité, avec curiosité aussi. Une curiosité qui se teinte d’avidité. Tous les jours de sa vie, il s’informe, il rencontre, il négocie, il achète. Il transporte parfois lui-même un tableau, puis il surveille l’installation jusqu’en ses moindres détails. Cette collection, il la chérit peu à peu de toute son âme et de toutes ses forces, et il la voit, avec fierté, devenir une des plus importantes de l’île et même de la péninsule." (p. 122)

En 1654, la vue défaillante, Giacomo souffre de plus en plus visiblement des atteintes de l'âge. Il souffre surtout de voir son influence sur son maître – et sur sa collection – remise en question par l'intervention d'un rival, le consul de Hollande à Messine, peintre parfaitement assimilé à la manière italienne et méprisant les artistes du Nord, Abramo Casembrot. Attendant d'un jour à l'autre l'arrivée à Messine de ce qui est sans doute sa dernière grande commande au nom de Don Antonio – rien moins qu'une toile de Rembrandt -, Giacomo joue donc son va-tout, sa dernière chance d'imposer sa marque sur la prestigieuse collection des Ruffo et d'affirmer son influence sur son employeur. "Le tableau de Giacomo" est avant tout son histoire, l'histoire de son attente anxieuse et fiévreuse puis de son émerveillement devant l'oeuvre tant attendue qui ne ressemble vraiment à rien de ce qu'il avait pu voir auparavant. Traité tout en finesse, en intelligence et en sensibilité, c'est – à travers l'image de ce vieil homme et de son dernier bonheur d'amoureux des arts – un très beau portrait de l'amateur d'art, qui ne cherche pas à posséder l'objet de sa flamme – ne peut pas le posséder – mais simplement, sincèrement, et parfois non sans déchirement, l'aime d'amour et s'en émerveille. Et je ne crois pas qu'on ait jamais si bien parlé de ce sentiment-là...

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Rembrandt van Rijn, Aristote contemplant un buste d'Homère, Metropolitan Museum of Art, New York (source)

Extrait:

"Il attendait. Il se sentait prêt à attendre le temps qu’il faudrait. Depuis le premier jour, alors que c’était forcément inutile et insensé, alors que c’était franchement stupide même, il guettait le moment où arriverait des nouvelles. Il était devenu la femme du marin, celle qui se porte sur la grève dès l’aube après une nuit d’orage. Il était la mère du jeune soldat parti se battre, celle qui espère jour après jour une lettre et quelques nouvelles. Il était l’enfant couché dans la paille, attendant que l’œuf éclose. Le vieillard sur son grabat, que la mort viendrait délivrer. Et la femme priant à la cathédrale devant la statue de la Vierge. Il était même le Juif pour qui viendrait un jour le messie annoncé. Dans le lointain, quelque chose se préparait, dont il ne connaissait ni le nom ni la forme ni les contours, mais dont l’arrivée le comblerait, c’était une certitude. Le tableau qu’il avait commandé ne ressemblerait en rien à ceux qu’il avait déjà rassemblés. Ce n’était pas de l’espoir, car il nourrissait un espoir véritable lors de chaque commande, si modeste fût-elle parfois, non, c’était une certitude. Car un homme du Nord qui ne s’était jamais frotté aux délicatesses italiennes, un qui ne sortait pas de sa ville ni de son quartier, un peintre qui ne humait que la brume et les soleils froids, un peintre surtout qui se montrait assez détaché des modes pour penser que la Hollande suffisait à son art, et qui, dans cette lumière-là, de son pays, avait commis la gravure que Giacomo avait pu se procurer, assurément, il n’était pas pensable qu’il pût livrer une copie même lointaine de ce que produisaient les maîtres connus sur l’île et sur la péninsule !" (p. 96)

10 novembre 2010

Potales namuroises (3)

Plus rarement, la Vierge à l'Enfant cède la place à un autre saint, par exemple à Saint-Roch, son bubon et son chien....

 

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Statuette de St-Roch ornant une façade de la rue du Président, Namur (cliché Fée Carabine)

Potales namuroises (1) et (2)

8 novembre 2010

Dans l'atelier de James Ensor

444121_EN"Ensor démasqué",
Espace culturel ING, Bruxelles,
Jusqu'au 13 février 2011

Dernière en date dans la série des expositions suscitées par le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de James Ensor, bénéficiant du prêt du très riche fond Ensor des Musées des Beaux-Arts d'Anvers (actuellement fermés pour d'importants travaux de rénovation), "Ensor démasqué" est peut-être la plus réussie et la plus passionnante de toutes. C'est en tout cas celle qui permet le mieux à ses visiteurs de pénétrer dans l'intimité de l'atelier de l'artiste, et de l'y suivre d'un bout à l'autre de ses apprentissages, de ses expérimentations et de ses ressassements, et cela en passant en un clin d'oeil des dessins aux peintures exposés ici côte à côte.

On retrouvera donc dans l'exposition bruxelloise le James Ensor bien connu, l'artiste grinçant et original, peintre des masques et des squelettes, à côté du jeune peintre paysagiste des débuts, explorant sa ville d'Ostende sous toutes ses coutures: ses ruelles, ses toits, sa plage et ses cabines. Mais on y découvrira aussi un merveilleux coloriste ("La mangeuse d'huîtres") et un artiste très attentif aux oeuvres des maîtres du passé (Rembrandt, Frans Hals...) qu'il a beaucoup copiés - ou du moins croqués - dans le but d'en apprendre l'art de la composition ou le sens de la lumière. Démasqué, James Ensor l'est donc bien par cette très belle exposition qui nous permet enfin d'assister, comme de l'intérieur, à la construction de sa personnalité et de son oeuvre. Et c'est à voir, absolument. 

Le site officiel de l'exposition

Vous trouverez aussi, dans mon chapeau, un billet consacré à l'exposition "En visite chez James Ensor".

29 octobre 2010

En apprentissage face à la pierre

“La pierre sans chagrin” d’Henry Bauchau41DY78Y1T4L__SL500_AA300_
4 étoiles

Actes Sud/Le Souffle de l’esprit, 2001, 42 pages, isbn 2742731938

La collection “Le Souffle de l’esprit” des éditions Actes Sud se veut un “reflet d’une ouverture des uns aux autres, à travers la prière, la réflexion, la méditation.” Elle était donc toute désignée pour accueillir cette réédition – enrichie – de “La pierre sans chagrin”, recueil de poèmes inspirés à Henry Bauchau par l’abbaye cistercienne du Thoronet, qui connut une première publication aux éditions de l’Aire en 1966.

Au long d’un pèlerinage en deux temps – tout d’abord une contemplation des vieilles pierres de l’abbaye ramenant au long travail des bâtisseurs, puis la suite des offices des heures rythmant la journée monastique –, Henry Bauchau entraîne son lecteur vers un lent cheminement intérieur, apprentissage tâtonnant d’une forme de patience, d’abandon, de disponibilité et de légèreté. Un apprentissage qui continuera d’ailleurs à le préoccuper bien avant dans les années 1970, ainsi qu’en témoigne le journal des “Années difficiles”. L’apprentissage d’une nouvelle règle:

“Avec mes pierres carrées
je t’enfermerai dans une œuvre
car tu es coureur de chagrins
et la règle est d’apprendre à rire
Homme
avant de mourir.”
(p. 12)

Ces poèmes du Thoronet sont ici accompagnés de quelques belles photos, par Franco Vercelotti, des anciens bâtiments de l’abbaye dont l’aspect rugueux et minéral est davantage mis en évidence par la texture de ce beau papier couleur crème cher aux éditions Actes Sud. Et l’ensemble est encore enrichi de deux poèmes plus récents, deux textes inédits dédiés l’un à Laure Bauchau, l’épouse de l'auteur, disparue peu de temps auparavant, et l’autre à la romancière Nancy Huston avec laquelle Henry Bauchau entretient une belle amitié, dont témoignait aussi, la même année, la “Petite suite au 11 septembre”.

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(p. 38)

Extrait:

Le maître d’oeuvre

“Ce que je ne vois pas dans la lumière de l’amour
je l’ignore.
Je suis passé dans ce monde
sans le voir, sans l’entendre
et je dors près de mes outils.
Quand vous verrez, entre les  pins, l’apparition
la plus simple
et la lumière
dans ses habits de pierre sauvage.
Quand vous écouterez du cœur
un peu dure, un peu moqueuse, assez tendre
cette parole qu’elle sait.
Ne serez-vous pas reconnues,
contenues, doucement surprises
femmes de cet univers que j’ignore
par l’amour, la pensée de pierre
et le muscle de l’évidence.”
(p. 21)

Une analyse de "La pierre sans chagrin", sur le site de La plume francophone.

D'autres livres d'Henry Bauchau, dans mon chapeau: "Le régiment noir", "Diotime et les lions" et "Déluge".

Et sur Lecture/Ecriture.

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25 octobre 2010

Une enquête littéraire, sociale et historique

"Le Fléau" de David Van Reybrouck41ZEP2SOMQL__SL500_AA300_
4 ½ étoiles

Actes Sud, 2008, 415 pages, isbn 9782742775538

(traduit du Néerlandais par Pierre-Marie Finkelstein)

L'archéologie préhistorique et la primatologie explorant des terres peu ou prou voisines, où il leur arrive de se croiser, il n'y a rien qui sorte de l'ordinaire dans le fait qu'un jeune chercheur belge, préparant un doctorat sur l'histoire de l'archéologie préhistorique, se retrouve à explorer la très riche bibliothèque du département de primatologie de l'université d'Utrecht, et qu'il y découvre les travaux d'un naturaliste sud-africain du XIXème siècle sur les babouins. Ce n'est en fait que quelques heures plus tard, dans un bistrot près de la gare, alors que notre chercheur se plonge dans une biographie d'Eugène Marais – le naturaliste susmentionné - tout en attendant son potage, que les choses commenceront vraiment à déraper... C'est que, dans la biographie que lui consacre Robert Ardrey, par ailleurs passé à la postérité pour les scénarios qu'il a écrits pour Hollywood, Eugène Marais - avocat, écrivain, poète et naturaliste afrikaner - se révèle une personnalité des plus fascinantes, génie méconnu et opiomane au destin tragique, qu'un différend d'importance opposa à Maurice Maeterlinck, Marais accusant le lauréat du prix Nobel de littérature 1911 d'avoir plagié dans son essai La vie des termites (publié en 1926) ses propres travaux publiés eux sous le titre Die Siel van die Mier dès 1925, dans la revue sud-africaine Die Huisgenoot.

Et donc, pour résumer, à l'ouverture du "Fléau", nous avons: "Un Homo universalis fascinant qui étudie les termites et les babouins, un prix Nobel de littérature qui se mêle d’écrire sur les insectes, un scénariste d’Hollywood qui pense avoir découvert un génie méconnu et un zoologiste de renom qui se bat bec et ongle contre la formation d’un mythe…" (p. 18) et un jeune chercheur rattrapé par une longue liste de questions telles que "Qui était Eugène Marais?", "Maurice Materlinck l'a-t-il vraiment plagié?" et d'abord, "Qu'est-ce qu'un plagiat, dans le cas d'une oeuvre littéraire ou d'un essai scientifique?". C'est tout justement l'enquête découlant de ces questions qui fait l'objet du "Fléau", une enquête qui mènera David Van Reybrouck – et son lecteur – bien plus loin qu'on n'aurait pu le supposer de prime abord, tant ce questionnement initial se révèle riche d'implications diverses.

Bien sûr, il nous faudra remonter les traces de Maurice Maeterlinck, nous pencher sur sa vie, sur son œuvre – jusqu’à chercher à consulter des manuscrits originaux, aujourd’hui aux mains de collectionneurs privés - et sur les conditions sociales, politiques et culturelles qui permirent l’émergence du courant symboliste dont il fut l’un des représentants les plus en vue. Et de même, sur la piste du très mystérieux Eugène Marais, il nous faudra nous envoler jusqu’en Afrique du Sud au plus profond du Veld, sur le territoire d’une population blanche afrikaner que la fin de l’apartheid a laissée amère et à tout le moins sur la défensive.

Exploration tout à la fois de l’histoire littéraire européenne et de l’histoire et de la culture afrikaner, "Le Fléau" s’attache encore – comme si tout cela ne suffisait pas – à retracer l’évolution, du XIXème au XXème siècle, de certaines conceptions sociales et politiques. Car, soyons clairs, si tant d’auteurs de cette période se sont pris de passion pour la vie des insectes en général et des termites en particulier, c’est avant tout parce qu’ils trouvaient dans leurs mœurs et leur organisation sociale, la matière d’une métaphore pour décrire la société humaine de leurs rêves. Et en l’espèce, un véritable revirement s’opère entre le XIXème siècle, où la termitière apparait encore comme le modèle d’une société idéale où les intérêts individuels cèdent le pas à l’intérêt collectif, et le XXème siècle: "Après la révolution d’octobre, toutefois, et dans le droit fil des progrès de la biochimie (C’est à la fin des années 1930 que l’on découvre l’effet insecticide du DDT), l’on se met soudain à parler de "peste" et de "fléau". Le malaise ne commence à se faire sentir qu’avec la découverte d’un remède qui fera le bonheur des commerçants. Tout comme le péril rouge, les termites constituent désormais une menace pour l’ordre établi. Autrement dit, il faut les exterminer sans merci. En 1935, un scientifique aussi scrupuleux que l’Américain Thomas E. Snyder, le plus expert sur les termites du vingtième siècle, publie un ouvrage intitulé Our Enemy the Termite. L’ennemi, c’est le termite, l’arme, l’insecticide. Exterminer, anéantir, liquider – on voit déjà poindre l’anticommunisme forcené d’un Joseph McCarthy." (p. 91)

Fruit d’une passionnante enquête littéraire, sociale et historique, "Le Fléau" est la preuve que, sous la plume d’un auteur qui connait son affaire, une recherche scientifique menée dans les règles recèle en elle-même bien assez d’aléas et qu’il n’est nul besoin de l’assaisonner de manœuvres occultes de l’Opus Dei ou d’autres sociétés secrètes plus ou moins malveillantes, pour captiver le lecteur d’aujourd’hui. Sans oublier que les quelques pincées d’autodérision fort bienvenue dont David Van Reybrouck n’a pas omis de saupoudrer son récit lui confèrent par moments une drôlerie tout à fait savoureuse.

Extrait:

"La serveuse apporte le potage, une grande assiette fumante de soupe de brocolis dans laquelle nagent les croûtons autour d’un nuage de crème fraîche. Exactement ce dont j’ai besoin. "Bon appétit", me dit-elle en s’éloignant. Je la remercie d’un signe de tête, remue ma soupe, réfléchis un instant et coince le livre ouvert sous le bord de mon assiette. Je goûte le personnage de Marais de la même manière que je goûte mon potage, et je sais désormais que ce goût ne me quittera plus. Ardrey explique comment, dans l’œuvre de Marais, les périodes de grande productivité alternent avec des épisodes de profonde mélancolie, l’extrême curiosité avec l’abattement le plus total. C’est un peu le Van Gogh de la science sud-africaine – même fanatisme, même manque de reconnaissance, même solitude. Même balle dans la tête. Marais est en train de se glisser dans les pages d’un livre. Nonchalamment, il s’avance, trébuche, roule sur la page et se recroqueville dans un pli dont, des années plus tard, je n’arriverai pas à l’extirper." (p. 16)
"Pour le moment, je suis à Utrecht, dans un café près de la gare; je lis sans pouvoir m’arrêter, j’en oublie de manger, ma soupe refroidit et les croûtons sont tout mous." (p. 19)

Un autre livre de David Van Reybrouck, dans mon chapeau: "Mission", suivi de "L'Ame des termites"

8 octobre 2010

Il était une fois... un pays surréaliste

"Il était une fois la Belgique" de Patrick Roegiers,
avec Michel de Warzée, Nicolas Pirson et Philippe Vauchel

Atelier Théâtre Jean Vilar, Louvain-la-Neuve, le 1er octobre 2010

Belge expatrié à Paris depuis plus de vingt ans, Patrick Roegiers doit une partie de son succès d'écrivain aux livres que lui a inspiré sa mère-patrie: "Le mal du pays", "La Belgique, le roman d'un pays" et "La spectaculaire histoire des rois des Belges". Et puisque ce succès s'est vu confirmé par de nombreuses lectures, en public ou à la radio, la tentation était bien grande d'en faire aussi une pièce de théâtre... dont acte avec ce spectacle intitulé "Il était une fois la Belgique" où trois excellents comédiens se repassent le fil d'un auto-portrait décousu, tout à la fois psychologique, gastronomique, linguistique, musical, culturel ou sportif, tantôt drôle, tantôt mélancolique, de cet étrange animal qu'est le Belge, compatriote de Breughel, Spilliaert ou Henri Michaux...

Toutes considérations politiques mises à part - lesquelles se faisaient discrètes si elles n'étaient pas tout à fait absentes -, la Belgique de Patrick Roegiers est, par moment du moins, bien plus proche de celle de papa ou de même de grand-papa que de celle d'aujourd'hui. Je ne connais en tout cas plus guère que ma grand-mère, saint-gilloise pure jus, pour encore évoquer les soixante victoires remportées à l'affilée par le club de foot de cette commune bruxelloise... entre 1933 et 1935. Et force est de constater que de nombreuses expressions bien de chez nous tombent insensiblement en désuétude, telle ce très joli "aller à la cour", qui était tout de même plus chic que le très prosaïque "aller aux toilettes". Mais on s'en consolera en réécoutant Jacques Brel - dont Nicolas Pirson évoquait en une tirade époustouflante les cent bonnes et moins bonnes raisons qu'il avait d'être belge -, et en dévorant les pistolets, les couques et les bolus du déjeuner du dimanche, repas qui, chez nous, ne saurait en aucun cas être petit ;-).

Présentation du spectacle sur le site de l'Atelier Théâtre Jean Vilar

4 octobre 2010

Transgressif

"Karl et Lola" de Caroline Lamarche41_DyLJ_tNL__SL500_AA300_
3 étoiles

Gallimard, 2007, 162 pages, isbn 9782070784189

Karl et Lola sont frère et soeur, nés à deux ans d'intervalle dans une grande ville autrefois industrielle – ville jamais nommée, mais qui ressemble curieusement à Liège, son fleuve, ses usines sidérurgiques et jusqu'à son magasin Ikea. L'industrie lourde y cède petit à petit la place à d'autres activités - "Le destin de cette région se précipite comme un orage au bord de l'horizon, tout le paysage est en train de basculer. Là où, autrefois, des usines tournaient à plein régime, on a édifié en quelques mois Belle-Onde, un centre commercial. De quoi passer une après-midi entière dans un lieu devenu propre et sûr." (pp. 44-45) – offrant au roman de Caroline Lamarche un cadre de plus en plus aseptisé, stérile dans tous les sens du mot, où la relation fusionnelle et sado-masochiste qu'entretiennent Karl et Lola n'apparaît par contraste que plus transgressive: enfants déjà, il adore la gifler, elle adore qu'il la gifle et ce n'est là que le début de leur étrange histoire ...

On ne peut qu'admirer l'art consommé avec lequel Caroline Lamarche a conçu son livre, en jouant d'une série de motifs pour lui conférer une subtile architecture quasiment musicale. Mais si la sécheresse clinique de son écriture a l'immense mérite d'éviter que le récit ne se trouve entâché de la plus petite trace d'un voyeurisme complaisant et malsain, elle en exclut aussi toute trace d'émotion. En dépit de ses incontestables qualités littéraires, "Karl et Lola" est donc de ces livres qui se lisent avec un intérêt tout cérébral et intellectuel, mais qu'on ne peut, me semble-t-il, en aucun cas aimer. Et s'il n'était pas si court, sans doute faudrait-il même que son lecteur soit un tantinet masochiste pour le lire jusqu'au bout...

Extrait:

"Lola est née deux ans après Karl et il n'a pas tenté de l'étouffer comme on l'a prétendu. Il a simplement laissé tomber une serviette de bain sur son visage. Elle ne bougeait pas là-dessous, elle était comme un animal qu'on calme en l'aveuglant. L'erreur de Karl a été de proférer quelques mots supposés inconnus d'un enfant aimé de ses parents. Il répétait, semble-t-il, «Lola, je vais te tuer, je vais te tuer» en contemplant la serviette que n'agitait pas le moindre tremblement. Karl était persuadé que Lola, si petite qu'elle fût, avec sa tête comme un poing, le comprenait et qu'elle était contente, blottie dans cette pensée. Le jeu qu'il lui proposait était: «Je vais te tuer» et elle attendait, confiante, dans l'obscurité de l'étoffe jetée sur son visage." (p. 16)

D'autres livres de Caroline Lamarche sont présentés sur Lecture/Ecriture.

29 septembre 2010

Potales namuroises (2)

Mais il arrive aussi que la Vierge se fasse plus imposante et se pare de quelques couleurs...

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Potale décorant une façade au coin de la rue de l'Ouvrage et de la rue Basse Marcelle, Namur (Cliché Fée Carabine)

Potales namuroises (1) et (3)

25 septembre 2010

Légume de saison

Puisque je viens de préparer, pour la première fois cette saison, en carbonades et à la gueuze, ce légume que l'on nomme "chicon" par chez moi, - assez bizarrement - "endive" outre-quiévrain, et - plus bizarrement encore - "belgian endive" en Canada anglophone, le moment me semble bien choisi pour vous proposer ici le délicieux poème qu'il a inspiré à David Van Reybrouck...

Witloof

"Zoals witloof,
niet de wortel die men breekt
en keert in de ast, maar de koele
kwetsbaarheid van het tere blad

zoals het donkerte wil om wit te zijn
en kilte zoekt om bitter te worden
en breekbaar blijft en bleek -
een bundel ongebroken verlangen

zoals het roerloos groeit,
een leger van stilte,
en opflakkert bij het licht van een lamp
een kort groeit uit hun grot van roest

zoals volmaakte vlammen
van een ondergronds branden"

Chicons

"Comme le chicon,
non pas la racine qu'on brise
et tourne dans la touraille, mais la fraîche
vulnérabilité de la tendre feuille

comme il veut le noir pour être blanc
et cherche le froid pour devenir amer
et reste fragile et pâle -
faisceau de désir intact

comme il pousse immobile,
une armée de silence,
et se ranime à la lueur d'une lampe
bref salut depuis sa grotte de rouille

comme les flammes parfaites
d'un feu souterrain"

David Van Reybrouck, in "Poëten in het vlaams parlement - Noord en Zuid/ Poètes au parlement flamand - Nord et Sud" (anthologie), Lannoo, 2004, pp. 184-185 (traduit du Néerlandais par Marnix Vincent)

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