Un avant-goût de l'éphémère
"J'installe le microfilm dans l'appareil et allume la lampe. Je n'aperçois tout d'abord qu'une bande noire, puis les premières pages du Star, l'un des rares bons quotidiens sud-africains, publié à Johannesburg. J'ai demandé à consulter l'année 1927. J'actionne la manette, et aussitôt articles et publicités défilent à toute allure sur l'écran. Dire que derrière chaque paragraphe se cachent des êtres humains - petits commerçants, rédacteurs, typographes, tous ces individus aujourd'hui disparus qui ont emporté avec eux leur histoire, leurs questions! Soixante-quinze ans plus tard, ils défilent en un éclair devant ma rétine. Pour moi, dérouler un microfilm est le geste qui permet le mieux de comprendre le sens du mot "éphémère". Rien ne me fait toucher d'aussi près la relativité que le fait savoir que je serai moi-même, dans moins d'un siècle, balayé, zappé, effacé d'un simple clic."
David Van Reybrouck, "Le Fléau", Actes Sud, 2008, pp. 130-131 (traduit du Néerlandais par Pierre-Marie Finkelstein)