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Dans mon chapeau...
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8 mai 2011

Dans les gestes les plus simples

"Le coeur régulier" d’Olivier Adam41hFT7hMOYL__SL500_AA300_
4 étoiles

Editions de l’Olivier, 2010, 233 pages, isbn 9782879297460

Selon les normes en vigueur dans son milieu, Sarah mène une vie idéale: un bon travail, un mari qui poursuit lui aussi une belle carrière, une maison agréable (mais pour qui ?) et deux enfants étudiant dans une école bien cotée. Mais suite à la mort soudaine de Nathan, son frère empêcheur de tourner en rond, éternel réfractaire au système, dont la voiture est allée s’encastrer dans un arbre – accident ou suicide ? -, il lui devient tout à coup impossible de continuer à tricher, impossible de se cacher plus longtemps que cette vie n’est pas  - n’a jamais été – ce qu’elle voulait: "Dans ces moments, je voyais combien j’étais apte à la dérive, je voyais se matérialiser sous mes yeux le réseau serré de fils que j’avais tissé pour me tenir à la surface, la succession de tâches professionnelles, sociales, amoureuses, domestiques qui me donnaient une contenance, un emploi, oui je voyais clairement l’ampleur de la construction, la grossièreté de l’artifice, la part de la comédie." (p. 28) Partant de cette prise de conscience, "Le coeur régulier" est le récit de la quête de Sarah pour renouer tout à la fois, et fut-ce a posteriori, les liens distendus avec son frère, et les fils de sa propre vie, une quête qui l’entraînera - abandonnant sans guère d'états d'âme mari et enfants - jusqu’au Japon où Nathan avait longuement séjourné dans un petit village, niché au pied de falaises bien connues des aspirants au suicide.

Il y a certes un paradoxe dans le fait que Sarah, qui s’est prise au piège des normes d’un milieu où la réussite se juge selon des critères financiers et superficiels, trouve un refuge temporaire en un lieu et dans une société où les diktats de l’économie de marché se font encore plus prégnants qu’ailleurs, acculant au suicide de trop nombreux travailleurs, épuisés, dégoûtés ou tout simplement remerciés par leur entreprise. Pourtant c’est là que se cache peut-être la plus grande réussite du "Coeur régulier": dans l’évolution d’une héroïne que sa rancoeur, ses récriminations et son égoïsme rendent dans un premier temps parfaitement déplaisante, voire même imbuvable aux yeux du lecteur – on peine d’ailleurs à comprendre comment elle a pu s’enferrer si longtemps, si loin, si profond, dans une vie si contraire à ses aspirations, et comment elle trouve encore le moyen d’en rejeter la faute sur son entourage! – renouant insensiblement avec une vie plus pleine.

Et c’est qu’il a fallu à l’auteur déployer beaucoup de finesse et de sensibilité pour rendre un si juste compte du miracle opéré par le contact avec un Japon qui, se libérant lentement d’une imagerie de cartes postales, s’ancre dans les gestes, les sensations et les saveurs les plus simples d’un quotidien où l’essentiel garde toute sa place: "J’ignore pourquoi ce lieu, la répétition de ces gestes, l’eau sortant du tuyau de bambou et courant sur mes paumes et mes poignets, l’odeur de cèdre brûlé m’apaisent à ce point. Mais j’aime qu’ici l’on chérisse ses morts en plein coeur de la vie, qu’à tout instant l’on interrompe le cours des choses pour se recentrer sur l’essentiel, ses souhaits les plus profonds, le sens de ses actes, l’amour qu’on porte à ses proches, sa famille, ses amis." (pp. 40-41)

Extrait:

"Alors, je faisais demi-tour, pressais le pas sur le bitume lissé, les odeurs de fleurs pourrissantes m’enveloppaient et me tournaient la tête. Je refermais la porte derrière moi, la gorge serrée, mon coeur battait vite, je m’étais sauvée de rien. La maison m’avalait, ses teintes douces et mornes, sa lumière fade, sa décoration sans âme parce que Alain n’aimait pas la fantaisie, ses baies vitrées sans croisillons parce que Alain voulait de la lumière, ses meubles design parce que Alain n’aimait pas les vieilleries, ses pièces rangées parce que Alain ne supportait pas le désordre, son bourdonnement électrique parce que Alain raffolait des dernières nouveautés technologiques, son absence de livres parce que Alain ne voyait pas l’intérêt de les garder une fois lus, parce que nous ne lisions pas « faute de temps », son absence de disques parce que Alain n’aimait pas particulièrement la musique et s’en vantait presque, « j’aime un peu de tout, disait-il, j’écoute ce qui passe », tout ce raffinement, ce dépouillement froid m’étranglaient." (pp. 27-28)

D'autres livres d'Olivier Adam sont présentés sur Lecture/Ecriture.

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