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Dans mon chapeau...
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15 avril 2011

Requiem pour la bourgeoisie hongroise

"Métamorphoses d’un mariage" de Sándor Márai41Haaf3W2eL__SL500_AA300_
4 étoiles

Le livre de poche, 2008, 501 pages, isbn 9782253084471

(traduit du Hongrois par Georges Kassai et Zéno Bianu)

D’abord marié avec Ilonka, issue tout comme lui de cette bourgeoisie hongroise qui vit dans l’entre-deux-guerres ses dernières belles années, Peter l’a quittée pour épouser Judit, une ancienne servante de ses parents, née dans une famille paysanne d’une pauvreté que l’on ne peut qualifier que d’abjecte. Et ce second mariage s’est lui aussi soldé par un échec.

Voilà donc pour l’argument des "Métamorphoses d’un mariage". Argument d’une simplicité trompeuse car en confiant tour à tour la narration aux trois principaux protagonistes de cette histoire, Sándor Márai lui confère une réelle profondeur psychologique, une vraie noirceur aussi – fut-elle discrète – tant il nous montre comment la compréhension que chacun de ses trois héros peut avoir de la situation et des motivations des autres est tragiquement limitée par sa propre personnalité, son caractère, son passé et ses valeurs. C’est l’incommunicabilité humaine qui se révèle ici dans ce qu’elle a de plus tragique et inéluctable.

Mais par-delà l’exploration de la psychologie de personnages murés tous autant qu’ils sont dans leur incompréhension – et c’est peut-être là l’aspect le plus marquant de ce roman auquel son auteur avait mis la dernière main en 1979, dans son exil californien -, Sándor Márai nous offre aussi un requiem grave et mélancolique pour une bourgeoisie hongroise dont l’instauration d’un régime communiste devait signer l’arrêt de mort. Car au-delà de la rivalité amoureuse d’Ilonka et de Judit, et au-delà des choix de Peter, "Métamorphoses d’un mariage" nous conte la trajectoire d’une servante qu’une ambition sociale dévorante a poussé à entamer une véritable guerre de conquête, ainsi que le constatera d’ailleurs Peter: "Qu’a donc fait Judit? Elle a engagé, à sa manière, une sorte de lutte des classes.
Peut-être cette lutte ne se dirigeait-elle pas contre moi, personnellement. Je ne faisais qu’incarner ce monde, objet pour elle d’une convoitise aussi effrénée que morbide et désespérée, ce monde qu’elle entendait conquérir avec méthode, avec froideur, mais avec une obstination qui confinait à la folie. Dès lors qu’elle a commencé à projeter ses désirs sur moi, elle n’a plus connu le repos." (p. 254) Au-delà des destinées individuelles de ses protagonistes, cet autre beau roman de Sándor Márai dresse donc, tout comme "Les Braises", le constat de la fin d’un monde, d’un art de vivre et d’une culture.

Extrait:

"J’ai assisté à un séisme... Oui, à la phase la plus dangereuse d’un séisme. Dans l’âme de cet homme tout était ébranlé. Sa conscience de classe, les bases mêmes sur lesquelles il avait édifié son existence, son style de vie. Et, croyez-moi, le style ce n’est pas seulement une affaire privée. Si un homme comme lui, qui est le gardien, l’expression du sens même d’une culture... si un homme pareil s’effondre, il entraîne avec lui tout un pan d’un monde dans lequel la vie vaut encore la peine d’être vécue." (p. 130)

Un autre extrait de "Métamorphoses d'un mariage", dans mon chapeau: ici

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Commentaires
F
Oui... c'est terrible de penser qu'il est mort avant la chute du mur et sans savoir que son oeuvre allait finalement rencontrer son public...
E
Quel immense auteur que Sandor Marai.Dire qu'on le lit seulement maintenant.
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